OEUVRES SPIRITUELLES EDITEES|CONFERENCES AUX RELIGIEUSES DE L’ASSOMPTION, NIMES, 1870-1871.

Informations générales
  • OEUVRES SPIRITUELLES EDITEES|CONFERENCES AUX RELIGIEUSES DE L'ASSOMPTION, NIMES, 1870-1871.
  • QUARANTE-CINQUIEME CONFERENCE DONNEE LE 13 FEVRIER 1871.
    L'ADORATION
  • L'Eucharistie, lumière de vie. Bar-le-Duc, Imprimerie Saint Paul, 1953, p. 77-85. (Cahiers d'Alzon, II.)
  • Canevas: CV 33; Texte: DA 46; CN 8.
Informations détaillées
  • 1 ACTE DE CREATION
    1 ADORATION
    1 ADORATION DU SAINT-SACREMENT
    1 ADORATRICES DU SAINT-SACREMENT
    1 AMOUR DE DIEU POUR SA CREATURE
    1 AMOUR DE DIEU SOURCE DE L'APOSTOLAT
    1 AMOUR DIVIN
    1 ANEANTISSEMENT
    1 CHARITE ENVERS DIEU
    1 CHARITE THEOLOGALE
    1 CONVERSION SPIRITUELLE
    1 CREATEUR
    1 DECADENCE
    1 DEMARCHE DE L'AME VERS DIEU
    1 DIEU
    1 DIEU LE FILS
    1 DIEU LE PERE
    1 DOMINATION DE DIEU
    1 EUCHARISTIE
    1 EXAMEN DE CONSCIENCE
    1 EXTENSION DU REGNE DE JESUS-CHRIST
    1 FECONDITE APOSTOLIQUE
    1 FOI
    1 FORMATION DE JESUS CHRIST DANS L'AME
    1 JESUS-CHRIST AUTEUR DE LA FOI
    1 JESUS-CHRIST AUTEUR DU PARDON
    1 JESUS-CHRIST JUGE
    1 JESUS-CHRIST MEDIATEUR
    1 NOTRE-SEIGNEUR
    1 ORDRE SURNATUREL
    1 PAIX
    1 PERFECTIONS DE DIEU
    1 PRIERE POUR L'EGLISE
    1 PUISSANCE DE DIEU
    1 PURIFICATIONS SPIRITUELLES
    1 REGNE DE VERITE
    1 RELIGIEUSES
    1 RENOUVELLEMENT
    1 RESTAURATION DES MOEURS CHRETIENNES
    1 SAGESSE DE DIEU
    1 SAINT-ESPRIT
    1 SALUT DES AMES
    1 SOUVERAINETE DIVINE
    1 TRIOMPHE DE L'EGLISE
    1 VERITE
    1 VERTU D'OBEISSANCE
    2 ABRAHAM
    2 BENOIT, SAINT
    2 BERNARD DE CLAIRVAUX, SAINT
    2 DOMINIQUE, SAINT
    2 FRANCOIS D'ASSISE, SAINT
    2 GREGOIRE I LE GRAND, SAINT
    2 ISAIE, PROPHETE
    2 JEREMIE
    2 LEON I LE GRAND, SAINT
    2 PAUL, SAINT
    2 SALOMON
    2 TOTILA
    3 SAREPTA
  • Religieuses de l'Assomption
  • 13 février 1871
  • Nîmes
La lettre

[Plan de l’auteur]

L’être de Dieu est un océan de puissance, de lumière et d’amour.

1° Océan de puissance

La religieuse s’anéantit, demande une création nouvelle pour elle, pour le monde, pour l’Eglise. Domini est terra…. Plénitude d’obéissance.

2° Océan de sagesse et de lumière.

Lux vera. Je vois tout en lui, j’entre dans ses vues, je m’applique à voir les choses comme il les voit. Telle est la vraie sagesse pour moi et pour les autres. Je lui dois la méditation, l’étude, l’attention à la règle.

3° Océan d’amour.

Quel est l’amour de Dieu? Je lui dois de l’aimer et de le faire aimer.

[Texte sténographié de la conférence.]

Mes Soeurs,

En poursuivant le plan que j’ai adopté, il me resterait beaucoup à vous dire. Je vous parlerai aujourd’hui de l’adoration.

La religieuse trouve en l’Eucharistie l’Etre de Dieu et elle s’y plonge comme en un océan immense.

Dieu est un océan immense: océan de puissance, océan de sagesse, océan d’amour. La religieuse, à l’adoration, plonge à la fois et successivement dans ce triple océan, et en s’y plongeant, elle participe à quelque chose de cette puissance, de cette sagesse, de cet amour. Voyez ce que devrait être l’adoration pour une véritable religieuse. Vierge et épouse, elle s’avance revêtue de cette pureté virginale vers Notre-Seigneur. « Beati mundo corde, quoniam ipsi Deum videbunt: Bienheureux ceux qui ont le coeur pur, car ils verront Dieu(1). » Comme homme, Notre-Seigneur est le grand médiateur, mais il n’est pas le terme. Dans l’adoration, la religieuse doit chercher le terme qui est Dieu, s’efforcer d’aller à Dieu par Jésus-Christ. « Nemo venit ad Patrem, nisi per me: Personne ne va au Père que par moi(2). » Elle trouve l’être de Dieu et s’y plonge. Qu’est cet être de Dieu? C’est la perfection de la vie, de la vérité et du bonheur. Dans quelles dispositions doit se trouver la religieuse appelée à s’unir à l’être de Dieu? Je m’arrêterai à trois considérations.

Je vais à l’adoration, j’adore l’océan de la puissance, de cette puissance qui s’est manifestée une fois par la création. Mais des profondeurs du ciel retentit encore -et toujours- cette parole: « Ecce nova facio omnia: Voici que je fais toutes choses nouvelles(3). » C’est dans la plénitude de sa foi, de sa reconnaissance du suprême domaine de Dieu sur toute la créature que la religieuse adore cette puissance créatrice et demande à Dieu une nouvelle création. « Emittes Spiritum tuum, et creabuntur, et renovabis faciem terrae: Vous enverrez votre souffle et ils seront créés, et vous renouvellerez la face de la terre(4). » Or, que se passerait-il dans la religieuse, qui, invoquant la toute-puissance de Dieu, lui dirait du fond de son coeur: « Seigneur, créez en moi un coeur pur. Seigneur, qui êtes tout-puissant, qui avez fait de rien le ciel, la terre, et tout ce qu’ils renferment, je vous demande de jeter un regard sur une petite créature, qui, toute pauvre qu’elle est, est plus que la terre et que le ciel; car par mon âme pleine de misères je suis plus que toutes les choses matérielles qui sont au-dessous des êtres intelligents. Vous m’avez aimée plus que tout cela. Je viens vous demander de faire en moi une nouvelle création. »

Que pensez-vous de cela? Que n’obtiendrait pas la religieuse qui dans une adoration profonde sommerait Dieu de faire de ses facultés, de toute son âme un être nouveau? La religieuse qui va à l’adoration a à sa disposition la toute-puissance du Dieu qu’elle adore. Dans cet acte d’adoration ne trouve-t-elle pas Jésus-Christ qui lui dit combien Dieu l’a aimée? « Sic Deus dilexit mundum, ut filium suum unigenitum daret: car Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique(5). » Et Dieu lui dit: « Comme je t’ai aimée, je t’ai donné mon Fils. Je te l’ai donné dans la crèche et sur la croix. Le veux-tu sur l’autel? Il y est. Le veux-tu dans le tabernacle? Il y est. » La religieuse répond:  » Seigneur, vous m’avez donné votre Fils; donc vous m’aimez. Cet amour me donne le droit d’exiger de vous que vous fassiez en moi un miracle de transformation. »

Toutes les transformations de Jésus-Christ ont été des transformations de perfection. C’est aussi le mode de transformation de la vie religieuse, mais il ne peut s’accomplir que par l’anéantissement. Le modèle est en Jésus-Christ: « Exinanivit semetipsum: il s’est anéanti lui-même(6). » La religieuse dit à Dieu: « Faites en moi un renouvellement; agissez par votre puissance en moi, comme vous avez agi en votre Fils. » Dieu répond: « Ma Fille, mon Fils s’est anéanti; il faut aussi que tu t’anéantisses pour l’imiter et pour être transformée en lui. » Exinanivit semetipsum. Ce ne sera que par l’anéantissement total de votre être que vous aurez la puissance de plonger dans l’être de Dieu. Que des religieuses anéanties seraient faciles à gouverner!

Puis, la religieuse va aussi demander à Dieu que sa puissance lui soit communiquée pour créer. En sortant de l’adoration, elle sera une créature nouvelle. Elle a demandé la création pour elle, qu’elle ne sera donc pas sa puissance sur les âmes! Ce qu’elle pourra faire sera quelque chose de prodigieux. Donc vous pouvez et vous devez être des créatrices, et votre création s’étendra au monde entier.

Il n’y a plus de société chrétienne et encore moins de société catholique. On dit que le tempérament d’un homme peut changer deux fois dans le cours de sa vie. Depuis un siècle, combien de fois le tempérament social a-t-il changé? C’est par les prières des saints qu’il doit être formé de nouveau. Vous devez demander à Dieu que le monde redevienne chrétien, que la foi rentre dans les âmes. Quand les individus redeviendront chrétiens, le monde le redeviendra, et ce sera par la prière des saints, par une création qui s’accomplira au pied du Saint Sacrement. Voilà ce que vous pouvez obtenir. Car, ou nous avons la foi ou nous ne l’avons pas. Si nous l’avons, nous devons croire au mystère de la prière et à la puissance qu’elle donne sur le coeur de Dieu.

Je ne m’imagine pas que la transformation du moyen âge ait eu lieu en dehors de l’action des saints: saint Benoît, saint Grégoire, saint Léon, saint Bernard, et plus tard saint Dominique et saint François. Ils ont fait beaucoup par leurs prédications; par leurs prières ils ont accompli de plus grandes choses encore. C’est donc par sa prière que la religieuse meut, touche le coeur de Dieu, et cette prière sauve le monde en le renouvelant. Voilà le grand don qui vous est fait. Lorsque saint Benoît fut visité par Totila, le monde romain s’en allait, un monde nouveau se faisait, saint Benoît y concourait. Il est incontestable que sous ces événements, sous ces agitations humaines, Dieu cache son action, inconnue d’abord, et tôt ou tard visible. Priez donc, et agissez dans l’action et dans la puissance de Dieu.

Que dirai-je maintenant de votre prière pour les pécheurs? La religieuse demande la conversion d’une âme; Dieu la lui refuse longtemps pour que ce refus surexcite son désir et son zèle; et si elle persévère dans sa prière, Dieu lui donnera cette âme et beaucoup d’autres âmes. Votre prière faite avec foi peut prendre le pécheur le plus endurci dans la boue de son péché et en faire une âme sainte: De ces pierres vous pouvez susciter des enfants à Abraham(7).

Et votre puissance pour l’Eglise quand vous êtes à l’adoration, quelle est- elle? La grande force morale du corps de l’Eglise, c’est la prière. Quelle est celle de vous qui ne sera pas embrasée du désir immense de donner à l’Eglise la voix de sa prière, de faire que ses soupirs au pied du Saint Sacrement soient des soupirs pour l’Eglise et au nom de l’Eglise?

J’arrive à une conclusion pratique. Quand la religieuse, après s’être plongée dans cet océan de la puissance de Dieu, sortira de son heure d’adoration, quels fruits portera-t-elle, quelles vertus la verra-t-on pratiquer? Si Dieu est tout-puissant, il a le droit de commander et vous avez le devoir d’obéir. Il faudrait donc que votre obéissance soit plus entière, plus surnaturelle, que vous ayez toujours la vue de Dieu dans la personne de ceux qui doivent vous conduire. Si Dieu le Fils, pour obéir à son Père, s’est anéanti, combien dois-je m’anéantir ?

Dieu n’est pas seulement un océan de puissance, il est aussi un océan de sagesse. « Erat lux hominum. » Il est la vraie lumière, la vraie sagesse. Sans qu’il faille que vous entriez à l’oraison dans des aperçus et des thèses politiques, vous pouvez réfléchir sur ceci: Dieu s’efforce de mettre de l’ordre dans toute chose, l’homme y met le désordre. Or ce qui se passe en ce monde est jugé par Notre-Seigneur d’une certaine manière: « Pater… omne judicium dedit Filio: Le Père… a remis tout le jugement à son Fils(8). » Jésus-Christ a le droit de tout juger et, sous cette hostie en apparence impassible que vous adorez, il exerce ce droit. Est-ce que vous ne pouvez pas lui dire: « Seigneur Jésus, si vous voyez toutes choses dans votre lumière et votre sagesse, vous les voyez dans la vérité. Je fais la part des choses que je dois connaître. S’il vous plaisait de me faire voir celles-là comme vous les voyez! Ou si vous ne voulez pas que je les voie ainsi, ne permettez pas que je fasse rien qui soit contraire à la vue que vous en avez et à laquelle je dois me conformer. Ainsi quelle place dois-je occuper dans la communauté? Quelles sont mes obligations ? Quels sentiments dois-je apporter dans l’accomplissement de mes devoirs? Quelle action dois-je exercer sur moi-même et sur les autres? Comment dois-je juger les événements, telle maladie que vous m’envoyez, les infirmités de mon corps, et même de mon esprit et de mon coeur? Enseignez-moi, mon Dieu, de quelle manière surnaturelle je dois accepter tout cela, afin de transformer en pierres précieuses les choses pénibles, ennuyeuses en elles-mêmes. Voilà que je me sens une petite antipathie pour ma Soeur une telle, une révolte contre un ordre reçu de mes Supérieurs, une irritation contre cette enfant. Comment voir cela dans la vérité? Cette Soeur? cette Supérieure, cette enfant, vous les aimez, vous avez répandu votre sang pour elles et vous les avez sauvées. Elles sont de la même famille à laquelle j’appartiens. Vous, Seigneur, vous supportez ces âmes, ne les supporterai-je pas ? Est-ce que ma Supérieure n’est pas obligée de me faire des observations et d’accomplir son devoir, sous peine de se damner? »

Comme tout cela se calmerait et s’apaiserait! Est-ce avec raison que vous jugez toujours? Est-ce de bonne foi? Le désir de paraître, l’attachement à votre opinion, la passion ne mettent-ils pas un voile devant les yeux de votre âme? Seigneur, faites-moi voir les choses comme vous les voyez. Et voilà que la lumière se fait dans l’esprit et dans le coeur. Et dans une foule de circonstances il sera facile de laisser tomber les imperfections de la nature, parce que, l’âme se modérant, se possède elle-même et voit dans la lumière de Dieu d’un oeil calme, pur et simple.

Quel principe admirable de rectitude dans cette application de la religieuse adoratrice à voir et à juger toutes choses dans l’esprit de Jésus-Christ! Et comme on devrait puiser à l’adoration un sentiment profond du devoir! Les événements sont illuminés et paraissent dans leur vrai jour.

Tout en se gardant de donner dans le manichéisme, il faut reconnaître que le monde est livré à deux influences: Notre-Seigneur et le diable, le diable qui dès le commencement du monde a cherché à mettre le désordre sur la terre. « Homicida erat ab initio: il a été homicide dès le commencement(9). » Le travail de Notre-Seigneur est de rétablir l’ordre. Il peut le faire à lui seul; mais comme il veut être prié par nous, croyez-vous que la religieuse qui prie à cette fin ne touchera pas son coeur? Où n’y a t-il pas de désordre dans le monde? Satan est content, car il trouve beaucoup de gens qui le servent et peu qui obéissent à Dieu.

De nos jours on veut la liberté de penser, la liberté d’écrire, toute liberté, sauf celle du bien qui est la seule vraie; car celle du mal n’est qu’un vain mot. Les hommes errent à tout vent de doctrine. Il faut briser les liens du démon et reprendre les saintes chaînes de Jésus-Christ. Et comme la vérité est une, qu’il n’y a qu’une seule manière de voir les choses dans la vérité, il faut demander la diffusion du vrai par les idées saines dans les intelligences et obtenir de Notre-Seigneur qu’il dispose les âmes de telle sorte qu’elles puissent revenir à l’unité de la foi.

Quelle doit être la prière de la religieuse aux pieds de l’éternelle vérité? Jésus est le roi immortel des siècles: Regi saeculorum immortali. C’est par lui que tout a été fait: Per quem omnia facta sunt. Et parce que tout a été fait par lui, avec lui et en lui: per ipsum, cum ipso et in ipso: c’est à lui qu’est donné le pouvoir de rétablir toutes choses: instaurare omnia in Christo. La religieuse adoratrice doit concourir par sa prière à cette réformation du monde par Jésus-Christ, selon les vues et les desseins de sa sagesse infinie, et demander que les ténèbres de l’erreur et du mensonge soient dissipées par les rayons de l’éternelle vérité, afin que de même qu’il n’y a qu’un seul Dieu et un seul baptême, il n’y ait qu’une seule foi. Unus Deus, una fides, unum baptisma. Quelle influence sur la société n’auraient pas douze religieuses ferventes qui prieraient ainsi! Mais nous passons notre adoration sans y penser, et les intelligences s’égarent, les âmes se perdent et méconnaissent les droits de la vérité.

Comme conséquences pratiques, d’abord l’effort pour bien faire vos méditations au pied du Saint Sacrement, recevoir la lumière pour la donner aux autres, ensuite l’étude. une religieuse obligée à l’étude pour connaître la vérité afin de pouvoir la répandre, devrait souvent renouveler sa contrition pour ses péchés de paresse, si elle est paresseuse. Dans toute étude chercher l’éternelle vérité.

Autre conclusion: combattre le défaut d’attention. Il y a une parole d’Isaïe très belle, qu’on ne remarque pas assez: « Confortate manus dissolutas: « fortifiez les mains défaillantes(10). » L’âme doit s’efforcer de saisir la vérité qui est Jésus-Christ. Il y a une multitude d’intelligences incapables de saisir jamais la vérité; elles tournent tout autour, mais, par une inattention très coupable, ne s’en pénètrent jamais. D’où viennent vos distractions à l’Office, à l’oraison, à l’adoration, sinon de ce manque d’attention de votre âme?

Enfin, la derrière conséquence pratique de l’adoration de la sagesse infinie, c’est l’accomplissement de votre règle. Notre-Seigneur étant la souveraine Sagesse est aussi la loi vivante. Et erit ipse lex. Votre loi à vous, c’est votre règle; c’est là que vous puisez toute sagesse.

Dieu est enfin un océan d’amour. Dieu m’a aimé le premier: In caritate perpetua dilexi te: Je t’ai aimée d’un amour éternel(11). » De tout temps il m’avait marquée pour me donner l’être; en créant mon âme et en formant mon corps, il m’a donné la puissance de le connaître et de l’aimer. De quel amour Dieu nous aime! Entendez-le vous répéter: In caritate perpetua dilexi te. Et de quel amour veut-il que nous l’aimions? Ecoutez encore:. « Diligamus Deum, quoniam Deus prior dilexit nos: Aimons Dieu, puisque Dieu nous a aimés le premier(12). » L’âme doit correspondre à cet amour par une immense reconnaissance pour l’existence qui lui a été donnée, pour la grâce de son baptême, pour celle de la vie religieuse. L’heure de l’adoration ainsi employée sera facile. Alors l’adoration devient un acte d’amour: acte d’amour immense de la part de Dieu qui donne son Fils, de la part de Jésus-Christ qui se donne lui-même, et de la part du Saint-Esprit qui nous investit de sa puissance d’aimer: « Caritas Dei diffusa est in cordibus nostris per Spiritum Sanctum, qui datus est nobis: La charité de Dieu a été répandue dans nos coeurs par le Saint-Esprit qui nous a été donné(13). » Que dois-je faire en retour? Aimer.

En lisant les Actes des martyrs, en voyant l’ amour ardent de saint Paul, des apôtres, je suis frappé de voir combien peu Dieu est aimé de notre temps. Quel amour merveilleux chez ces vierges des premiers siècles! Je ne vois pas que de nos jours Notre-Seigneur soit beaucoup aimé. Eh bien! l’adoration devrait avoir pour but de réveiller l’amour vivant de Jésus-Christ, l’amour pratique de Dieu. Cette sainte contagion s’étendrait et allumerait un incendie.

Il y a une grande léthargie. Les âmes sont dans un état voisin de la mort et dans la mort. La mort, c’est la haine éternelle. La vie éternelle, c’est l’éternel amour. Il dépend de vous d’attirer une plus grande abondance d’amour dans le monde. Pourquoi l’Assomption ne deviendrait-elle pas, par l’intensité et la profondeur de votre amour, un immense bassin, comme cette mer d’airain qui était devant le temple de Salomon? Quand votre âme sera devenue, à l’adoration, comme une uene précieuse remplie de l’amour de Jésus-Christ, vous verserez de votre plénitude sur les autres âmes. Par une adoration pleine d’amour vous répandrez l’amour.

Lorsqu’une religieuse sort de l’adoration, il faudrait qu’on sentit la puissance de son amour pour Notre-Seigneur, la perte de tout son être dans l’amour de Dieu. Que de petits liens brisés! Que de petites prétentions évanouies! Que de misères disparues dans cet amour immense dont vous êtes investies! Vous êtes souvent obligées de dire à Dieu: « Je viens à vous, Seigneur, avec un coeur fêlé comme les citernes dont parle Jérémie: « Foderunt sibi cisternas, cisternas dissipatas, quae continere non valent aquas: Ils se sont creusé des citernes, des citernes crevassées, qui ne retiennent pas l’eau(14). » Ce coeur n’est plus propre à contenir les effusions de l’amour divin. Mais une fois que la charité aura dilaté ce coeur; que vous l’aurez séparé, agrandi, il sera devenu si vaste que j’irai comme la veuve de Sarepta, chercher des vases, chercher d’autres âmes, afin d’y répandre le trop plein de cette huile mystérieuse de l’amour qui a été versée dans le mien.

C’est ainsi, que par cette vie d’amour puisée à l’adoration, vous transformerez le monde haineux, égoïste. Notre-Seigneur est venu apporter le feu sur la terre. « Ignem veni mittere in terram, et quid volo, nisi ut accendatur: Je suis venu mettre le feu sur la terre et combien je désire qu’il soit déjà allumé(15). » Allez donc embraser vos coeurs à la source de ce feu divin, faites-les vivre de cette puissance d’amour, puis vous apporterez à la terre le véritable bien. Notre-Seigneur a détruit la colère de Dieu. A la place de la haine, mettez donc la réconciliation et l’amour immense de Jésus. Après vous être embrasées vous-mêmes, vous embraserez les autres et vous réaliserez ainsi votre devise, le désir de procurer le règne de Dieu dans les âmes.

Notes et post-scriptum
1. Matth., V, 8.
2. Jean, XIV, 6.
3. Apoc., XXI, 5.
4. Ps. CIII, 30.
5. Jean, III, 16.
6. Philip., II, 7.
7. Luc, III, 8.
8. Jean, V, 22.
9. Jean, VIII, 44.
10. Isaïe, XXXV, 3.
11. Jér., XXXI, 3.
12. I Jean, IV, 19.
13. Rom., V, 5.
14. Jér., II, 13.
15. Luc, XII, 49.