OEUVRES SPIRITUELLES EDITEES|CONFERENCES AUX RELIGIEUSES DE L’ASSOMPTION, NIMES, 1870-1871.

Informations générales
  • OEUVRES SPIRITUELLES EDITEES|CONFERENCES AUX RELIGIEUSES DE L'ASSOMPTION, NIMES, 1870-1871.
  • QUARANTE-SIXIEME CONFERENCE DONNEE LE 18 FEVRIER 1871
    LA VIERGE ET L'AGNEAU.
  • L'Eucharistie, lumière de vie. Bar-le-Duc, Imprimerie Saint Paul, 1953, p. 87-105. (Cahiers d'Alzon, II.)
  • Canevas: CV 33; Texte: DA 46; CN 9.
Informations détaillées
  • 1 ACCEPTATION DE LA VOLONTE DE DIEU
    1 ACTION DU CHRIST DANS L'AME
    1 ADORATION DU SAINT-SACREMENT
    1 AMOUR DE DIEU SOURCE DE L'APOSTOLAT
    1 AUTRES CARACTERISTIQUES DE L'ASSOMPTION
    1 BEAUTE DE JESUS-CHRIST
    1 BIEN SUPREME
    1 CHARITE DE JESUS-CHRIST
    1 COLERE
    1 DEPASSEMENT DE SOI
    1 DIEU LE FILS SOURCE DE L'ESPERANCE
    1 DIVINITE DE JESUS-CHRIST
    1 DOUCEUR DE JESUS-CHRIST
    1 EPOUSES DU CHRIST
    1 EUCHARISTIE
    1 FIDELITE A LA GRACE
    1 FORMATION DE JESUS CHRIST DANS L'AME
    1 IMITATION DE JESUS CHRIST
    1 JESUS-CHRIST MEDIATEUR
    1 JESUS-CHRIST MODELE
    1 LUTTE CONTRE LE CORPS
    1 LUTTE CONTRE LE MONDE
    1 LUTTE CONTRE SOI-MEME
    1 MALADIES
    1 NOTRE-SEIGNEUR
    1 ORDRE SURNATUREL
    1 PATIENCE DE JESUS-CHRIST
    1 PRIERE DE DEMANDE
    1 PRIERE DE JESUS-CHRIST
    1 PUISSANCE DE DIEU
    1 PURIFICATION
    1 PURIFICATIONS SPIRITUELLES
    1 RECHERCHE INTERIEURE
    1 REFORME DU COEUR
    1 SACRIFICE DE JESUS CHRIST
    1 SANG DE JESUS-CHRIST
    1 SAUVEUR
    1 SOUFFRANCE ACCEPTEE
    1 SOUFFRANCE APOSTOLIQUE
    1 SOUMISSION SPIRITUELLE A JESUS-CHRIST
    1 SUSCEPTIBILITE
    1 UNION A JESUS-CHRIST
    1 VERTU DE CHASTETE
    1 VIE DE SACRIFICE
    1 VIERGES CONSACREES
    2 ADAM
    2 EVE
    2 JEAN, SAINT
    2 MILLERET, MARIE-EUGENIE
    2 MOISE
    2 PAUL, SAINT
    3 JERUSALEM
  • Religieuses de l'Assomption
  • 18 février 1871
  • Nîmes
La lettre

[Plan de l’auteur]

Sequuntur agnum. Heureuse la Vierge qui suit l’Agneau! C’estson but. Suivre l’agneau, c’est l’imiter. En quoi la Vierge imite-t-elle l’agneau?

1° l’agneau est pur.

Agnum sine macula. Perfection de la pureté virginale. Horreur du péché.

2° L’agneau plein de douceur.

Sa faiblesse même est le principe de sa douceur. Type de la douceur chez la vierge chrétienne.

3° Puissance de l’agneau.

Ecce qui tollit peccata mundi. Puissance de l’intercession de l’agneau. Intercession de la vierge aux pieds de l’agneau.

4° L’agneau victime.

Où va l’agneau? Au sacrifice. Qu’est-il avant tout? Victime. Voilà la destinée de la vierge, épouse de l’agneau: elle sera victime.

Du mépris du monde dans son corps par la pénitence ou la maladie; dans son coeur, du côté des siens, de son propre fonds, mais surtout victime du côté de Dieu.

[Texte sténographié de la conférence]

Nîmes, février 1871 Mes Soeurs, nous clorons l’ensemble des instructions dont j’avais embrassé le plan par une derrière conférence sur l’Eucharistie. J’aurais encore beaucoup à vous dire sur l’éducation, vos rapports avec le monde, vos rapports entre vous; je résumerai ces enseignements dans quelques instructions qui seront comme un appendice à la série de considérations que nous venons de parcourir ensemble. Aujourd’hui donc, je traiterai encore de l’Eucharistie dans un entretien que j’intitulerai: La Vierge et l’Agneau, considérant toujours la religieuse de l’Assomption au pied du Saint Sacrement.

Laissez-moi vous dire encore combien vous devez, à plusieurs points de vue, bénir le ciel que la pensée de l’Adoration ait été inspirée à votre Mère Générale. Parlons, ce matin, de la grâce qui découle de l’Eucharistie sur vos âmes en tant que vierges et épouses de Jésus-Christ et de l’élément puissant que vous y puisez pour vous élever à l’ordre surnaturel.

Evidemment, cette notion de la virginité s’en va, elle n’est pas conforme à l’ordre des idées naturelles. Toute l’école naturaliste n’a qu’un enseignement: il faut se marier. L’ordre surnaturel peut seul nous donner la notion des relations intimes entre l’âme et Dieu et ce n’est qu’à la lumière de la foi que nous comprendrons le ravissant mystère d’un coeur qui, arrivé à l’heure de la vie où son choix doit être fait, regarde autour de lui sans rien trouver de digne de son amour sur la terre et se fixe à tout jamais dans le ciel. Aujourd’hui la grande lutte contre le naturalisme est engagée par le Christ, et le Concile du Vatican ne l’a pas seulement abordée dans la question d’une certaine philosophie rationaliste, il a prétendu le combattre sons toutes ses formes et nous avons tous à entrer dans cette protestation de la Vérité divine contre les envahissements des idées humaines. L’ordre naturel est donc en présence d’un ordre moral qui lui est opposé; le premier échelon de cet ordre moral est la Virginité. C’est pour cela que j’ai nommé cette conférence, la Vierge et l’Agneau; je veux vous montrer ce que vous êtes, âmes chastes et virginales, qui avez choisi l’Epoux divin. Je crois que ce point de vue donne aux religieuses, dans le temps présent, une mission toute spéciale. Le ferment de la virginité a été longtemps retenu dans le sein de l’Eglise; la force de l’Eglise a été dans le célibat de ses prêtres et de ses religieuses; aujourd’hui non contente de cette grande puissance qui est son privilège unique, elle fait appel à la virginité de la religieuse par l’apostolat d’éducation que les Papes demandent aux Congrégations de femmes avec tant d’instance. Considérées ainsi, les femmes sont une nouvelle puissance créée depuis cent ou cent cinquante ans. Remarquez ce fait très grave. Pourquoi avez-vous cette mission? Parce que vous êtes vierges et que dans ce privilège réside pour vous une puissance immense. Le jour où, selon les désirs de nos modernes penseurs, l’éducation des filles sera confiée à des femmes mariées, ce jour-là le niveau moral de la France aura baissé de 3 000°.

Je dis donc, mes Soeurs, que la vierge religieuse a une mission d’élite; mais pour en être digne, il faut qu’elle se retrempe dans la source même d’où a jailli sa mission; c’est la source toujours ouverte du Coeur de Jésus, c’est le Sang de l’Agneau immolé: « Sequuntur Agnum quocumque ierit: Ils accompagnent l’Agneau partout où il va(1). » Si donc vous me demandez quel est votre attribut comme vierges chrétiennes, je vous répondrai avec saint Jean: c’est le privilège magnifique de suivre l’Agneau partout où il va; là où il monte dans les hauteurs de la vie divine, vous monterez aussi, vous êtes comme attachées à ses pas. Vous vous rappelez ce qui est dit dans la Préface du jour de l’Ascension: « Et ipsis cernentibus est elevatus in coelum, ut nos divinitatis suae tribueret esse participes: Et aux yeux de ses disciples il s’est élevé au ciel, afin de nous rendre participants de sa divinité. » Il est monté au plus haut des Cieux, l’Epoux que vous avez choisi, l’Agneau immolé pour le monde; vous, vierges et épouses du Christ vous êtes appelées à le suivre dans ces incommensurables hauteurs; votre titre de vierges vous donne un caractère vraiment séraphique. Mais si pendant l’éternité vous devez être ainsi rapprochées du trône de l’Agneau, c’est à cette condition, que vous alliez souvent chercher l’Agneau sur son trône terrestre et que vous ayez le culte de l’Eucharistie. L’adoration est pour vous un caractère spécial et providentiel de votre Congrégation et un besoin des temps présents, c’est votre force. Nous avons dit que la religieuse exerce une action plus grande sur le monde par sa virginité, mais elle va elle-même puiser la force de sa virginité dans sa source. Quelle est-elle? le Sang de l’Agneau: « Dealbaverunt stolas suas in sanguine Agni: ils ont blanchi leurs robes dans le sang de l’Agneau(2). » Sequuntur Agnum quocumque ierit. Suivre l’Agneau? Qu’est-ce que c’est? Il faut se le demander puisqu’après avoir blanchi vos robes, vous y êtes appelées. C’est imiter l’Agneau, marcher sur ses traces. En quoi? J’arrive aux cinq considérations que je vais vous exposer d’une manière rapide.

C’est là cette sainte jalousie de l’Agneau vis-à-vis des vierges qui sont ses épouses et qui doit vous faire apporter une attention toute particulière à la pureté, à la beauté de votre âme. Splendor gloria Patris, il est la substance du Père, la gloire du Père comme le dit saint Paul dans le 1er chapitre de son Epître aux Hébreux. Cette beauté, cet éclat divin qui jaillit de l’Agneau doit se refléter dans l’âme de la religieuse. Vous savez la comparaison souvent employée par les Pères: l’âme est comme un cristal que viennent transpercer et illuminer les rayons du soleil; mais si le cristal est souillé, la lumière ne s’y reflètera pas. Ainsi en est-il de l’âme de la religieuse, s’il y a des taches, elle ne pourra pas refléter la beauté, l’éclat des perfections de l’Agneau. Or, savez-vous où l’âme se purifie? C’est au contact divin de Jésus, c’est dans l’adoration. Deux sortes de taches peuvent souiller votre âme: le péché mortel, celui-là s’efface dans le sang du Christ au sacrement de Pénitence; le péché véniel, et un simple acte d’amour le lave dans l’âme. Où produirez-vous des actes d’amour plus intenses qu’à l’adoration? Quand la religieuse a passé une heure au pied du Saint Sacrement, si vous lui demandez d’où elle vient, elle doit pouvoir répondre: je viens de me rendre sans tache, je viens de me purifier dans le Sang de l’Agneau; les élans de mon amour ont rendu à mon âme son éclat et sa blancheur. Dealbaverunt stolas suas in sanguine Agni. Je voudrais toutes les fois que vous allez à l’adoration que votre premier acte fût de dire: « Mon Dieu, rendez-moi entièrement pure, entièrement blanche, effacez les taches de mes péchés véniels afin que je puisse sur le cristal de mon âme réfléchir la splendeur de votre pureté! » Quand une religieuse a adoré Jésus-Christ, l’Agneau très pur, je ne crains pas de le dire, elle revient au milieu de ses Soeurs plus pure, plus vierge encore, mais ce n’est pas tout, elle doit conserver un sentiment profond de la virginité qui doit habiter dans le fond de son âme; et ce sentiment grandissant toujours, le désir ardent qu’elle en conçoit le rend plus parfait encore. Vous voyez comme au point de vue de la pureté, Jésus-Christ en est pour vous la source.

La douceur et la suavité, sont le fruit de l’amour; la charité de l’Agneau, voilà ce qui le rend si doux et suave. Rendez-vous compte de ce que c’est que cette douceur de l’Agneau manifestée par la patience! Et après cela, une religieuse sera souvent courroucée, jalouse, impatiente au nom de ses droits, exigeante au nom de ses caprices? C’est impossible, n’est-ce pas; il n’est pas admissible qu’une religieuse ne soit pas disposée à fouler aux pieds tous ces sentiments de la nature corrompue en présence de la suavité de l’Agneau qu’elle vient d’adorer. Voilà une Soeur qui, à tort ou à raison, se croit maltraitée. Sa Supérieure ne l’écoute pas, ses Soeurs lui ont dit une parole piquante, ses élèves une impertinence, d’autres personnes lui sont peut-être préférées, bref, elle est courroucée; elle vient à l’adoration, elle se prosterne devant Notre-Seigneur qui ne dit rien dans le silence de l’Eucharistie; il attend, il est patient, il a des droits et il ne les réclame pas; il voit venir une âme travaillée par ses passions, il ne l’irrite pas par ses reproches et la laisse tout doucement se calmer à ses pieds. Je voudrais savoir le dialogue qui va s’établir entre l’âme de Jésus-Christ et cette religieuse. La religieuse exhale ses plaintes, son mécontement, et une voix partie de l’Hostie semble lui répondre: « Il est vrai, tu es bien à plaindre, pauvre âme, mais j’ai été plus maltraité que toi et sans médire des absentes, regarde, ma fille, ce que tu Me fais, toi mon épouse; Mon Coeur n’a-t-il pas souffert de tes ingratitudes? M’as-tu toujours rendu à Moi, ton Maître et Seigneur, ce que tu Me dois? »

Je vous laisse continuer le dialogue, mais il est très réel. Et qu’avez-vous à dire à cette réponse de Jésus? N’est-elle pas accablante pour votre amour- propre, vos susceptibilités, vos délicatesses, vos sottises, passez-moi le mot. Si nous prenions notre grande résolution de marcher dans cette douce charité de l’Agneau, dont il est dit: « Apprenez de Moi que je suis doux et humble de Coeur(3), » par l’humilité et la douceur, quelque chose se transformerait en nous.

Vous voyez donc comme l’adoration saisit la religieuse dans ce qu’elle a de plus intime, comme elle pénètre dans le plus profond de son âme, pour y arracher les dernières racines de l’amour-propre. Quand une religieuse aura fait un peu longtemps son adoration en méditant sur la douceur de Notre-Seigneur, croyez-vous que ses Soeurs ne s’en apercevront pas? Il y a là un principe de conversion incontestable.

Il nous apparaît comme à saint Jean portant sur ses épaules tous les péchés du monde: « Ecce Agnus Dei qui tollit peccata mundi: voici l’Agneau de Dieu, qui ôte les péchés du monde(4). » Ici, le point de vue peut changer en un sens et je voudrais vous faire considérer la puissance de la religieuse en face de l’Agneau. Quel est le rôle de Jésus-Christ au ciel? Saint Paul nous le dit: « Jésus-Christ assis à la droite du Père est sans cesse intercédant pour nous(5). » La religieuse à l’adoration participe à cette puissance d’intercession de Jésus-Christ. Jésus-Christ est mort une fois, mais le Christ ressuscité ne meurt plus. Il demeure pour nous à l’état d’avocat auprès du trône de son Père. Que fait la religieuse quand elle adore? elle représente l’Eglise. Oui, de même que Jésus-Christ au ciel est toujours vivant pour intercéder pour les hommes, vous, vous êtes sur la terre la plus parfaite représentation de l’Eglise devant le trône de Dieu. Quelle est la mission des Anges et des Saints? Ils adorent, ils prient et la religieuse aux pieds de l’Agneau, elle fait aussi cela. Voyez-vous quelle puissance! elle intercède, elle transmet par les lèvres divines du Médiateur céleste sa prière pour les âmes; elle va retirant des âmes des flammes du Purgatoire, obtenant la conversion des pécheurs, la ferveur pour les tièdes, la persévérance pour les saints, le triomphe pour l’Eglise, l’extension du règne de Dieu; combien d’âmes ramenées, affermies, sanctifiées par cette prière de l’adoration, surtout si cette adoratrice a l’âme d’une sainte. Si elle a la pureté dont je vous ai parlé, une puissance infinie lui sera donnée, puisque c’est Jésus-Christ lui-même, l’Agneau de Dieu qui lui communique sa puissance.

J’aborde maintenant un autre point de vue.

Quand le prêtre a communié au Corps très Saint du Sauveur, il dit ces paroles: »Quid retribuam Domino pro omnibus quae retribuit mihi: que rendrai-je au Seigneur pour tous les biens qu’il m’a faits(6). » La religieuse au pied du Saint Sacrement peut dire cela aussi; elle a à rendre quelque chose à Dieu pour les bienfaits dont il l’entoure, pour la puissance dont il l’investit. Ici commencent les exigences de l’Agneau; il se donne, il a tout donné, mais il demande aussi. Vous êtes vierges et votre magnifique privilège sera de suivre l’Agneau partout où il va; mais vous êtes épouses aussi, et l’Agneau a des droits sur vous. Il peut exiger beaucoup de choses, les lui rendez-vous?…

Interrogez votre conscience: est-ce que je donne à Jésus-Christ tout ce qu’il me demande; lui ai-je tout offert, tout livré, ai-je répondu à ses appels, ai-je rendu hommage à ses droits? Plaise à Dieu, que dans la droiture et la sincérité de votre âme, vous puissiez répondre: Oui, je l’ai fait! Mais ne croyez pas avoir fini, lors même que jusqu’ici vous auriez été vraiment fidèle. Jusqu’où peuvent aller les exigences de l’Agneau? nul ne peut le dire! « L’Agneau est une lumière: Et lucerna ejus est Agnus(7). » La lampe qui éclaire la Jérusalem des âmes, c’est Jésus-Christ. Lors donc que vous croyez avoir tout donné aux sollicitations de la grâce, il jaillit une nouvelle lumière de l’Agneau et elle vient visiter votre âme, la scruter selon une autre expression des Livres saints: « Scrutabor Jerusalem in lucernis: Je fouillerai Jérusalem avec les lanternes(8). » Ce sont les plis et les replis du coeur que l’Agneau vient fouiller; il inonde votre âme de sa lumière si éclatante et si pure à la fois que les moindres souillures font taches et blessent ses yeux divins; il pénètre partout dans les profondeurs les plus intimes et avec une sainte jalousie le coeur de son épouse. Il semble se dire: N’y a-t-il rien d’impur, rien qui me déplaise; trouverai-je dans cette âme qui est mienne les sentiments que J’aime, les dispositions que Je demande?

Alors commence un combat très douloureux, un très dur travail de purification. L’Agneau vient apporter le feu divin qui purifie et l’âme souffre sous la flamme qui dévore ses imperfections et la transforme. Puis, pour conserver cette pureté dont le germe a été déposé dans l’âme, pour l’accroître encore, il faut une lutte incessante. Le démon est là avec ses infernales tentations; et ne vous faites pas illusion, plus votre âme sera pure, plus elle sera la propriété exclusive de l’Agneau, plus aussi la rage et les jalousies de l’enfer s’allumeront contre elle et lui dresseront des embûches; et lorsque vous serez livrées à ces assauts terribles, c’est alors aussi que l’Agneau deviendra de plus en plus exigeant. Je me représente l’Agneau disant à la religieuse dans son adoration: « Habeo adversus te pauca: J’ai quelque peu de chose contre toi(9). » « J’ai quelque chose contre toi; c’est peu de chose, en même temps c’est beaucoup parce que je t’ai beaucoup aimée et que la plus petite infidélité blesse la jalousie de mon amour. Ce ne serait rien pour une âme mondaine, pour une religieuse vulgaire même; mais pour toi qui viens à l’adoration te placer sous mon regard, toi qui viens t’offrir à la pureté de mon oeil sanctificateur, je veux quelque chose de plus. Tu es humble, mais pas encore assez; tu es patiente, mais à certains moments la fatigue s’empare de toi; tu es zélée, mais il y a encore quelques sentiments humains dans les manifestations de ton zèle; tu es donnée à tes frères, mais il y a parfois un retour sur toi. Je n’en veux pas; débarrasse ta vie de cet alliage impur; rejette chaque jour devant toi un de ces sentiments humains qui retardent ta course et, courant dans la voie, libre de ce fardeau terrestre, tu avanceras vers Moi qui suis le but de ta vocation! Viens que je t’unisse à moi dans mon amour. »

Si vous faites votre adoration avec ferveur, vous sentirez, je vous assure, ces exigences intimes de Jésus-Christ. Votre confesseur ne vous demandera rien; votre Supérieure, vos Soeurs n’auront rien à vous reprocher, mais l’Agneau ne sera pas pour cela content de vous; il témoignera par des mouvements à vous seule connus la sainte jalousie qu’il a pour votre sainteté; il vous montrera toujours mieux que ce que vous faites déjà; il vous arrachera à vous-mêmes par des sacrifices que nulle main humaine ne peut imposer; il tranchera au vif et chaque fibre de votre âme ressentira son action purifiante.

Sans doute, en vous parlant de ces choses, je pose le pied sur le terrain de la perfection. Arrière les âmes lâches et vulgaires, ceci n’est pas dit pour elles. Mais pour vous, âmes bénies, qui dans le silence des heures passées au pied du Tabernacle, avez senti les exigences merveilleuses de l’Agneau, rappelez-vous que c’est là que se font les saints; c’est là que les âmes saintement avides de donner à Jésus-Christ tout ce qu’il demande, se transforment et se transfigurent. Livrez-vous donc à son action, ne craignez pas de vous exposer aux exigences de l’Agneau; il vous demandera un rien peut-être et ce sera beaucoup; un regard, un sacrifice encore, surtout, et une pureté d’intention merveilleuse. Pourquoi Moïse n’est-il pas entré dans la terre promise? On ne le sait pas exactement. La faute qui a mérité un châtiment si sévère de la part de Dieu s’est effacée dans le souvenir des hommes. Toujours est-il qu’aux yeux de Dieu c’était beaucoup. De même, une religieuse qui serait sur le point d’entrer dans la terre promise de la perfection s’arrêtera sur le seuil. Pourquoi? Parce qu’il y a quelque chose dans son âme que Dieu a demandé et qu’il n’a pas encore obtenu. Qu’elle cède aux exigences de l’Agneau et à l’instant toute barrière tombera, elle sera introduite dans la vie de la sainteté. Jusqu’où irez-vous là? Nul ne peut le dire. Mais si vous me demandez dans quelle mesure vous devez vous abandonner aux exigences de l’Agneau, je vous répondrai: il faut le faire sans réserves si vous voulez être toutes siennes, ne jamais vous reprendre, ne jamais rien refuser; il vous demandera tantôt une chose, tantôt une autre, tout, si vous êtes généreuses et fidèles. Le voulez-vous? Etes-vous déterminées à répondre à chacun de ses appels? Si cela est, vous êtes dans le chemin de la sainteté.

« Agnus tanquam occisus ab origine mundi: Agneau immolé dès l’origine du monde(10). » Dès l’origine du monde, Notre-Seigneur a voulu revêtir ce caractère, mais où est-il plus frappant que dans l’Eucharistie? Là, Jésus-Christ est par excellence victime. Quand vous allez à l’adoration, où allez-vous? Adorer l’Agneau. Mais il est dit, vous le savez, que les vierges suivent l’Agneau partout où il va: Sequuntur Agnum; où va-t-Il donc? « Tanquam ad occidendum ductus: il est conduit à la boucherie »; c’est une victime et elle va à l’autel, à l’immolation et au sacrifice. Voilà, le caractère de l’Agneau divin, il est conduit à la boucherie. Demandons-nous maintenant où va cette Soeur qui se prosterne à ses pieds? appelée à suivre l’Agneau, elle monte avec Lui à l’autel, à l’immolation, au sacrifice; il n’y a pas deux voies, là où passe l’Agneau, la vierge doit suivre: là-haut dans la gloire; ici-bas dans l’humiliation et le sacrifice.

Et c’est un honneur, un très grand honneur d’être choisies pour faire à l’imitation du Maître la plus grande chose qu’il ait faite ici-bas. La Croix, c’est le terme de la carrière humaine du Fils de Dieu, c’est la consommation de sa vie, c’est le but suprême en même temps que le plus douloureux; vous êtes invitées à reproduire ce qu’il y a de plus grand, de plus divin dans la vie du Sauveur. C’est dans l’adoration surtout que ce caractère de victime vous est imprimé. Voulez-vous être victime? Dans quelle mesure le voulez-vous? jusqu’où consentez-vous à suivre l’Agneau? A vrai dire, ce n’est pas sur un prie-Dieu que vous devez ployer vos genoux quand vous allez adorer Jésus- Christ, c’est sur l’autel que vous devez étendre votre coeur comme une victime préparée pour l’immolation; et là, exposée aux divines justices, vous aurez deux choses à demander à Dieu: d’abord, qu’il vous frappe, qu’il plonge dans votre coeur le couteau du sacrificateur, puis qu’il vous consume dans les flammes de son amour. Alors, vous êtes une victime excellente. Que restait-il de la victime quand elle avait passé par le feu de l’holocauste? Que restera- t-il de vous? Rien. Et c’est en cela que votre sacrifice sera parfait.

Le terme de cette adoration sublime, c’est donc votre destruction; vous êtes immolées, vous êtes consumées. Ah! dites-moi, mes chères filles, une religieuse qui, de bonne foi, en venant à l’adoration se dirait: « Je viens ici pour être détruite, pour être brûlée par Jésus-Christ qui, étant victime, m’invite à cette destruction de moi-même, parce qu’il faut que je le suive partout où il va »; dites-moi, resterait-il dans cette âme des volontés, des prétentions, des vanités? Non, c’est une religieuse détruite, non pas en ruines, remarquez bien, mais réformée, transformée, resplendissante de beauté; elle reste dans le tombeau de sa propre destruction comme Notre-Seigneur dans le sépulcre, d’où il est dit: Non dabis sanctum tuum videre corruptionem: Vous ne permettrez pas que votre Saint voie la corruption(11). » Elle est là sur l’autel et cet autel peut être un tombeau pour un temps, mais quelques jours encore et elle en sortira transfigurée, revêtue de gloire « Non dabis sanctum tuum videre corruptionem. »

Votre vie à vous, vierges de l’Agneau, c’est donc la vie de victime; et c’est l’adoration qui doit surtout vous imprimer ce cachet d’une manière solennelle. De même que dans le plan divin la puissance de Jésus-Christ vient de cet état de victime, plus vous serez victimes, plus vous serez puissantes. Votre titre d’épouses vous invite aussi à l’immolation: « Et erunt duo in carne una: Les deux deviendront une seule chair(12). » Comme la Chair de Jésus-Christ a été immolée, il faut que la vôtre soit immolée aussi, que votre vie tout entière soit crucifiée et pour cela il faut y donner votre adhésion dans l’adoration.

Comprenez-vous maintenant comment à mesure que vous devenez davantage la victime de l’Agneau, vous devenez aussi davantage l’épouse de l’Agneau? Comprenez-vous comment, vous unissant de plus en plus à votre Epoux à mesure que votre vie s’écoule dans le sacrifice, on peut dire de vous ces paroles d’Adam à Eve qu’on applique à la sainte Eglise de Jésus-Christ: Erunt duo in carne una. Oui, dans cette union du sacrifice, vous ne faites qu’un avec Jésus-Christ, comme Jésus-Christ ne fait qu’un avec son Eglise; de plus, votre union avec Jésus-Christ est un moyen pour l’union de Jésus-Christ avec son Eglise. Qu’est-ce qui unit Jésus-Christ à son épouse de la terre? ce sont les âmes de ses saints, par le sacrifice, par l’immolation, vous devenez des saintes.

Et alors, quand une fois vous aurez embrassé ce noble état de victime, il saisira votre vie tout entière. Dans votre coeur, se forme un saint mépris du monde et de tout ce qui s’y rapporte; vous acceptez aussi tous les dédains, les mépris de ce monde auquel vous n’appartenez plus. Vous êtes victimes dans votre corps par les souffrances volontaires de la pénitence et celles de la maladie. Vous êtes victimes dans votre coeur du côté des vôtres, ils vous font souffrir, vous bénissez Dieu; vous êtes à vous-mêmes votre bourreau, tant mieux encore, car vous imitez Jésus-Christ. Enfin, et surtout, vous devez être victimes par rapport à Dieu. Il a envoyé son Fils sur la terre pour expier les péchés des hommes, mais il vous dit aussi: Ma fille, veux-tu t’unir au sacrifice de mon Fils? Veux-tu t’associer à sa Rédemption? Oui, les épouses de Jésus-Christ se sont livrées à Lui et dans son amour il a voulu en quelque sorte laisser quelque chose à faire à ses victimes afin que s’unissant à son sacrifice, elles accomplissent ce qui manque à sa Passion. Alors, devant l’abîme qui sépare la nature humaine de l’essence divine, il se passe un terrible combat. Je vous montrais tout à l’heure Notre-Seigneur victime et je vous disais ses adorables exigences. Laissons le divin Médiateur de côté et les voiles eucharistiques disparaissant, montons jusqu’au trône de Dieu, contemplons ses perfections infinies. Rappelez-vous qu’ici encore vous êtes victimes et livrées pour le salut de vos frères; Dieu a donc le droit de tout vous demander et de décharger sur vous les coups de sa justice, comme il l’a fait sur le Rédempteur du monde. En face de cette Sagesse, de cette Puissance, de cette Majesté infinie si souvent outragée sur la terre, ne sentez-vous pas ce que Dieu vous demande, les efforts immenses de perfection, les sacrifices incessants? et quand même vous donneriez tout ce que vous croyez pouvoir donner, vous n’arriveriez pas encore à ce que Dieu a le droit d’exiger de vous.

Unissez-vous donc à Jésus-Victime; demandez-lui qu’après vous avoir purifiée dans son sacrifice et vous purifiant tous les jours, vous puissiez mériter de suivre l’Agneau partout où il va; qu’il vous conduise à son Père et qu’un jour vous obteniez par Lui de vous plonger dans la lumière, la sainteté, la pureté de l’essence divine et de continuer là-haut, dans les ardeurs et les flammes de l’Eternel Amour, la vie d’adoration que vous aurez commencée ici-bas.

Notes et post-scriptum
1. Apoc., XIV, 4.
2. Apoc., VII, 14.
3. Matth., XI, 29.
4. Jean, I, 29.
5. Héb., VII, 25.
6. Ps. CXV, 3.
7. Apoc., XXI, 23.
8. Soph., I, 12.
9. Apoc., II, 14.
10. Apoc., XIII, 8.
11. Actes, II, 27.
12. Genèse, II, 24.