OEUVRES SPIRITUELLES EDITEES|CONFERENCES AUX RELIGIEUSES DE L’ASSOMPTION, NIMES, 1870-1871.

Informations générales
  • OEUVRES SPIRITUELLES EDITEES|CONFERENCES AUX RELIGIEUSES DE L'ASSOMPTION, NIMES, 1870-1871.
  • QUARANTE-NEUVIEME CONFERENCE DONNEE LE 27 FEVRIER 1871.
    DE L'ENSEIGNEMENT
  • Prêtre et Apôtre, XII, N° 137, février 1930, p. 166 à 168 (1).
  • DA 46; CN 9.
Informations détaillées
  • 1 AGRICULTURE
    1 AMOUR DE L'EGLISE A L'ASSOMPTION
    1 ANIMAUX
    1 APOSTOLAT DE LA VERITE
    1 ARTISANAT
    1 ATHEISME
    1 AUMONE
    1 BEAU LITTERAIRE
    1 CACHET DE L'ASSOMPTION
    1 CATHOLIQUE
    1 CHARITE ENVERS LE PROCHAIN
    1 CLASSES SCOLAIRES
    1 CONFESSION SACRAMENTELLE
    1 CONVERSATIONS
    1 DECADENCE
    1 ENFANTS DES ECOLES
    1 ENSEIGNEMENT
    1 ENSEIGNEMENT DE L'HISTOIRE
    1 ENSEIGNEMENT DE LA LITTERATURE
    1 ENSEIGNEMENT DES SCIENCES
    1 ENSEIGNEMENT OFFICIEL
    1 FAUSSE SCIENCE
    1 FRANCHEMENT CATHOLIQUES
    1 GOUVERNEMENT
    1 HISTOIRE DE L'EGLISE
    1 INSTITUTS RELIGIEUX
    1 INTELLIGENCE
    1 JUSTICE
    1 MAITRES
    1 MATIERES SCOLAIRES
    1 MEMOIRE
    1 MERE DE FAMILLE
    1 MOEURS ACTUELLES
    1 NOTRE-SEIGNEUR
    1 PAGANISME
    1 PARESSE
    1 PERE DE FAMILLE
    1 QUERELLE DES AUTEURS CLASSIQUES
    1 RELIGIEUSES DE L'ASSOMPTION
    1 RELIGIEUX ENSEIGNANTS
    1 RENOUVELLEMENT
    1 RESSOURCES MATERIELLES
    1 ROUTINE
    1 SAGESSE DE DIEU
    1 SALUT DU GENRE HUMAIN
    1 SEVERITE
    1 SOINS AUX MALADES
    1 THEOLOGIE
    1 TRADITION
    1 TRAVAIL
    1 TRAVAIL DE L'ETUDE
    1 TRAVAIL MANUEL
    1 VERS A SOIE
    1 VOCATION
    1 VOEU DE PAUVRETE
    2 ACHILLE
    2 ADAM
    2 DUMAS, JEAN-BAPTISTE
    2 ESCHYLE
    2 EURIPIDE
    2 HOMERE
    2 IPHIGENIE
    2 LOUIS XIV
    2 RACINE, JEAN
    2 SOPHOCLE
  • Religieuses de l'Assomption
  • 27 février 1871
  • Nîmes
La lettre

Plan de l’auteur.

Omnis scriba doctus in regno caelorum, similis est homini patri familias, qui profert de thesauro suo nova et vetera. 1° Il a un trésor. Il faut qu’il l’ait amassé. Condamnation de ceux qui prétendent tirer du trésor, où ils n’ont rien mis. 2° Nova, de l’actualité, et c’est pourquoi il faut un travail constant. Nova, condamnation de la routine. Nova, l’invention. Nova, l’originalité. Nova, si vous le voulez, l’inattendu. 3° Et vetera, la science. Vetera, la tradition. Vetera, la doctrine. Vetera, l’antiquité profane, mais aussi l’antiquité chrétienne. 4° C’est un père de famille. Ce n’est pas un universitaire, c’est un homme qui aime les âmes. Il se corrige de ses défauts, à cause de sa tendresse pour ses enfants. Similis est homini patrifamilias…, mais pour cela il faut être docte, et docte dans le royaume des cieux. Voyez-vous les deux sciences, les deux doctrines? Père et père généreux, père dévoué, qui ne fait pas son trésor pour amasser, mais pour distribuer, pour dispenser.

Profert de thesauro suo… Dispersit, dedit pauperibus, iustilia elus manet in saeculum saeculi.

Texte sténographié de la conférence.

J’ai quelques réponses à faire à certaines objections que vous m’avez adressées sur la sévérité de mes paroles, au sujet des études auxquelles vous êtes obligées de vous livrer pour votre oeuvre d’éducation; je les donnerai volontiers, dussé- je prolonger ces conférences au de là du temps fixé. Pour appuyer ma parole du témoignage d’autrui, je vous dirai que deux de nos Pères que j’ai consultés, et qui sont d’une école tout à fait opposée, se sont rencontrés avec moi dans la même manière de voir, et je soutiens avec eux ce jugement qui vous a si fort étonnées: un confesseur devrait refuser l’absolution à une religieuse de l’Assomption qui ne voudrait pas étudier, selon ce que demande sa vocation. Je vais maintenant vous exposer mes raisons:

1° Il a été dit à Adam pécheur: Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front. (Gen. III, 19.) Vous n’êtes pas dispensées de la loi du travail expiatoire, vous êtes condamnées au travail; mais vous devez travailler selon votre vocation, selon votre métier, passez-moi le mot. Un maçon ne fait pas l’ouvrage d’un serrurier, et vice versa. Si vous étiez Trappistines, vous travailleriez la terre, vous feriez éclore des vers à soie; si vous étiez filles de saint Vincent de Paul, vous soigneriez les malades, vous travailleriez des mains. Mes Soeurs, vous êtes filles de l’Assomption, vous êtes chargées de l’éducation; vous devez donc satisfaire à l’obligation du travail selon l’état, selon le métier que vous avez choisi. Pour cela, il faut étudier.

2° Vous avez toutes fait voeu de pauvreté, c’est-à-dire de vivre comme des pauvres. Les pauvres travaillent. Donc, vous devez travailler. Il y a là une question de justice. De même que je dis souvent aux enfants qui ne veulent pas travailler qu’ils pèchent contre la justice, puisque leurs parents payent pour l’instruction qui leur est donnée, à plus forte raison je dis que des Soeurs qui n’ont pas la science infuse sont obligées, à titre de justice envers les parents et de charité envers les enfants, de donner un enseignement suffisant. Et pour cela, il faut étudier, il faut préparer son enseignement.

3° Enfin, je dirai qu’il y a une raison morale envers vos Soeurs et votre Congrégation. Il y a différentes branches d’enseignement: la grammaire, la géographie, etc. Tout cela n’élève pas beaucoup le niveau de l’intelligence. Mais si, à côté des filles qui étudient ces sciences par ailleurs nécessaires, il n’en est pas d’autres qui étudient des questions générales pour maintenir l’esprit à une certaine hauteur, il arrivera que vous tomberez dans une vulgarité qui sera le principe de la décadence de votre Congrégation. (Traits cités.) La paresse a été la cause de beaucoup de chutes, elle a précipité des Congrégations dans l’abîme. Oui, mes Soeurs, il est fort à craindre qu’une religieuse qui ne travaille pas, qui n’étudie pas, qui ne fait aller ni son intelligence ni ses mains, fasse aller beaucoup trop sa langue, et les Congrégations souffrent de ces conversations interminables, lorsqu’elles s’établissent à la faveur de l’oisiveté. (Histoire.)

Je maintiens donc mon dire: à moins d’une dispense de vos supérieures, je refuserais l’absolution à une religieuse de l’Assomption qui n’étudie pas.

Cela dit, j’ai encore à vous parler de l’éducation. Je résumerai en trois ou quatre conférences un cours sur l’éducation, dont je viens de retrouver les notes.

Je voudrais que nous partions de ce principe, posé par Notre-Seigneur lui- même sur le maître d’école: « Omnis scriba doctus in regno caelorum, similis est homini patrifamilias, qui profert de thesauro suo nova et vetera. » (Matth. XIII, 52.) Remarquez tout d’abord que le maître ou la maîtresse d’école ne tire de son trésor que ce qui y est. S’il est vide, il n’en peut rien tirer. Il faut qu’il soit plein; ce qui suppose nécessairement que quelque chose y a été déposé. Son trésor, c’est son intelligence, sa mémoire, sa tête. Vouloir faire une classe sans préparation, c’est vouloir l’impossible. Vous ne feriez, passez-moi l’expression, que de la bouillie pour les chats.

Voyez-vous, on n’a pas la science infuse. Il faut se donner la science, et Notre-Seigneur en montre les deux catégories par ces mots: Nova et vetera; on doit distribuer les choses anciennes et les nouvelles.

Nova. -Que devons-nous entendre par nova? L’actualité de la science. Si vous donnez des cours comme des contemporaines de Louis XIV, vous n’aurez pas d’actualité, c’est évident, vous ne répondrez pas aux besoins de votre temps. Pour donner à votre enseignement ce charme de la nouveauté, il faut un travail constant. Un homme éminent dans les sciences physiques, M. D[umas}, disait dans une réunion de l’Instruction publique qu’il faut une telle suite dans le travail que, pour avoir été ministre six mois, il s’était trouvé en retard et dépassé par les connaissances d’autres savants. Je dis, moi aussi, que si une religieuse veut donner un enseignement sérieux et nouveau, il faut qu’elle se tienne au courant de la marche des idées.

Faites attention que c’est Notre-Seigneur qui le dit et qui condamne ainsi la routine. Ne dites pas: « Il y a quinze ans que j’enseigne. » Cela ne suffit pas. Chaque jour, vous devez ajouter quelque chose à votre savoir; chaque jour, vous devez le modifier, vous efforcer de faire mieux, de renouveler votre enseignement, de le rendre neuf. Pour cela, quel moyen avez-vous, sinon d’étudier? « Mais j’ai mes cahiers. » Très bien, vous direz toujours la même chose, selon vos cahiers, et vous serez mortellement ennuyeuses. Cela me rappelle une anecdote. (Histoire de l’abbé X…, qui, toutes les années, disait aux séminaristes: « Mes chers fils, il faut passer vos vacances saintement, utilement, agréablement. ») Voyons, ne faisons-nous pas quelque chose de pareil, ne rabâchons-nous pas, quelquefois?

Il faut aussi que la religieuse enseignante ait un peu le don d’invention, qu’elle creuse son sujet pour en tirer des choses nouvelles. Vous êtes sans doute des élèves fort distinguées, élèves de Mme une Telle, et vous dites peut- être: « A-t-on besoin d’inventer? On n’a qu’à suivre. » Pas du tout, on doit y mettre quelque chose de soi; l’invention et le travail. « Mais j’ai bonne mémoire. » Rappelez-vous qu’il y a un petit oiseau de votre connaissance, qui a aussi fort bonne mémoire et qui s’appelle le perroquet.

Un petit grain d’originalité ne serait-il pas une très bonne chose également? Mais oui, excellente, dans la mesure que vous comprenez, sans que j’aie besoin de vous l’indiquer.

Et quelque chose qui arriverait à propos dans votre enseignement, qui surprendrait, qui exciterait les intelligences, l’inattendu, enfin, serait-ce trop? Non encore, cela sauve de la routine, cela relève, cela aide à goûter le reste, surtout quand l’enseignement est aride.

Vetera. -Voyons maintenant d’où vous tirerez les choses anciennes. D’abord, de la tradition. Il faut qu’il y ait une base à l’édifice que je vous propose de construire, en y introduisant des matériaux à vous; il faut quelque chose de solide et de fixe. On se succède dans une Congrégation. D’autres viendront après vous. Il importe donc que vous fondiez sérieusement la tradition, et pour cela que vous vous empariez de certains principes.

Vous savez qu’on dit, sous forme de blâme ou d’éloge, que l’Assomption est une institution sui generis. Il faut donc connaître les principes qui font le cachet de l’Assomption, les étudier et conserver ce cachet, autant que vous le pourrez. Ce cachet, c’est d’être avant tout catholique; pour les maîtresses, d’être les instruments de la vérité catholique. La tradition de l’Assomption est donc la tradition catholique et comme une efflorescence du catholicisme. Il s’agit, pour vous, d’être tout bonnement et tout simplement catholiques, apostoliques et romaines, pas autre chose. Aujourd’hui, il y a toutes sortes de catholiques: les catholiques à l’eau de rose, les libéraux, les trois quarts de catholiques. Laissez tous les accommodements, les concessions; soyez des catholiques complètes, véritables; attachez-vous à l’Eglise catholique, apostolique et romaine. Voilà la base de l’enseignement de l’Assomption.

Pour la tradition, il faut la science, oui, une véritable science religieuse qui soit la base de vos connaissances, et c’est par cet heureux mélange de science et de tradition que vous arriverez à composer les éléments qui feront comme le dossier de la tradition et l’enseignement de l’Assomption.

Que faut-il donc étudier dans les choses anciennes? L’antiquité est double: il y a l’antiquité païenne et l’antiquité chrétienne. Or, il est absolument nécessaire que vous ayez une certaine connaissance de la littérature profane. Ceci une fois accordé aux admirateurs de l’antiquité païenne, je dis qu’il y a une telle supériorité dans la littérature chrétienne que vous ne devez pas vous arrêter à la première, mais, après avoir admiré les quelques chefs-d’oeuvre qu’elle renferme, vous jeter dans l’étude de la littérature sacrée. Les sources de la belle littérature, ce sont les beaux sentiments. Dès lors, il est évident que la littérature chrétienne a par cela seul une incontestable supériorité.

Prenez, par exemple, un des chefs-d’oeuvre de Racine, Iphigénie. Ce qui en fait la beauté, c’est que le type d’Iphigénie n’est pas païen, mais chrétien. Rappelez-vous ces vers:

…Mon père,

Cessez de vous troubler, vous n’êtes point trahi,

Quand vous commanderez, vous serez obéi.

Jamais une fille païenne n’eût parlé ainsi. C’est du christianisme que jaillit cette noble obéissance filiale qui arrache des larmes d’admiration. Comparez aussi l’Achille de Racine avec celui d’Homère, quelle supériorité dans l’élévation des sentiments! Et cela, parce que le héros est chrétien. En dernière analyse, lors même qu’au point de vue de la forme, Homère, Euripide, Sophocle, Eschyle, sont au- dessus de nos grands tragiques, il faut dire que ceux-ci l’emportent par les sentiments chrétiens. Faites donc votre étude principale des auteurs chrétiens.

3° J’ajoute que, suivant le texte de Notre-Seigneur lui-même, le maître, la maîtresse, c’est un père, une mère de famille qui tire la science de son trésor pour la distribuer. Vous entendez, dans l’enseignement, vous devez être des mères de famille. Voilà le caractère de paternité, de maternité donné par Notre-Seigneur à ceux et à celles qui préparent leur science, afin de la donner aux autres. Vous êtes-vous rendu compte de ce sentiment d’affection maternelle que vous devez avoir pour les âmes à qui vous infusez le lait de la science? Mais le caractère de la mère, c’est l’amour. Si vous ne distribuez pas aux âmes la science avec amour, vous enseignez mal, je vous l’assure. Je dis aussi que la religieuse qui enseigne est une mère de famille qui se corrige de ses défauts par tendresse pour ses enfants. Voyez-vous, par ce côté encore, votre supériorité sur les institutrices laïques?

Pour cela, il faut être doctes. Il n’y a que les religieuse doctes qui soient capables d’être des mères de familles: omnis scriba doctus. Je vois deux sciences, deux doctrines: La doctrine divine et la doctrine humaine. Par la première, j’entends l’ensemble de toutes les sciences christianisées. La doctrine humaine, c’est l’enseignement universitaire et laïque, c’est celle qui prétend chasser Dieu de nos sociétés par l’instruction, c’est celle contre laquelle vous devez énergiquement protester. Oui, vous avez pour mission de répandre la vraie science et la vraie sagesse, de régénérer le monde par la diffusion de la doctrine divine. Pour cela, il faut toujours êtres prêtes à la donner, il faut être des mères généreuses et dévouées. Le père de famille, la mère de famille donnent avec abondance et surabondance à leurs enfants, parce qu’ils les aiment, et ils ne se lassent jamais.

C’est pourquoi Notre-Seigneur dit: Qui profert de thesauro suo. Il y a des gens qui aiment la science et l’amassent pour eux-mêmes; le père de famille de l’Evangile compose son trésor pour le distribuer, le disperser. Ainsi fait la maîtresse chrétienne. Je vous l’ai déjà dit, si c’est un devoir pour l’homme riche de répandre ses dons sur les pauvres, « Dispersit dedit pauperibus » (Ps. CXI, 9), et si Dieu lui réserve une récompense éternelle, l’aumône spirituelle est au-dessus de l’aumône temporelle comme le ciel au-dessus de la terre. Donnez donc aux âmes appauvries l’or de la science, l’or de l’amour, et votre récompense sera plus belle encore, votre couronne sera exaltée dans la gloire éternelle: Cornu eius exaltabitur in gloria*. Ainsi soit-il.

Notes et post-scriptum
1. Pagination erronée de la revue.