OEUVRES SPIRITUELLES EDITEES|CONFERENCES AUX RELIGIEUSES DE L’ASSOMPTION, NIMES, 1870-1871.

Informations générales
  • OEUVRES SPIRITUELLES EDITEES|CONFERENCES AUX RELIGIEUSES DE L'ASSOMPTION, NIMES, 1870-1871.
  • CINQUANTE-TROISIEME CONFERENCE DONNEE LE 20 MARS 1871.
    DES RAPPORTS DES RELIGIEUSES ENTRE ELLES
  • Prêtre et Apôtre, XII, N° 141, novembre 1930, p. 292 à 296.
  • DA 46; CN 9.
Informations détaillées
  • 1 ACCEPTATION DE LA VOLONTE DE DIEU
    1 AFFRANCHISSEMENT SPIRITUEL
    1 AMITIE
    1 ANIMAUX
    1 APOTRES
    1 BAVARDAGES
    1 BETISE
    1 BONTE MORALE
    1 CHARITE ENVERS DIEU
    1 CHARITE ENVERS LE PROCHAIN
    1 CHEMIN DE FER
    1 CHRIST CENTRE DE LA VIE SPIRITUELLE
    1 CONFESSION DU NOM DE JESUS-CHRIST
    1 COUVENT
    1 CRITIQUES
    1 DEFAUTS
    1 DESINTERESSEMENT DE L'APOTRE
    1 DETACHEMENT
    1 DIEU LE PERE
    1 DILIGENCE
    1 DIVIN MAITRE
    1 DONS DU SAINT-ESPRIT
    1 ECRITURE SAINTE
    1 ENSEIGNEMENT DE JESUS-CHRIST
    1 EPOUSES DU CHRIST
    1 EPREUVES SPIRITUELLES
    1 ESPERANCE
    1 GLOIRE DE DIEU
    1 HAINE
    1 HUMILITE
    1 HUMILITE DE JESUS-CHRIST
    1 IMITATION DE JESUS CHRIST
    1 JEUDI SAINT
    1 JOIE
    1 LAVEMENT DES PIEDS
    1 MAITRESSE DES NOVICES
    1 MAITRISE DE SOI
    1 NOTRE-SEIGNEUR
    1 PAIX DE L'AME
    1 PASSION DE JESUS-CHRIST
    1 PATIENCE
    1 PECHEUR
    1 PERFECTIONS DE DIEU
    1 PROGRES DANS LA VIE SPIRITUELLE
    1 PRUDENCE
    1 RECREATIONS DES RELIGIEUX
    1 REFORME DU COEUR
    1 RELATIONS ENTRE RELIGIEUX
    1 RELIGIEUSES DE L'ASSOMPTION
    1 RENOUVELLEMENT
    1 RESPECT
    1 SAINT-ESPRIT
    1 SAINTETE DE L'EGLISE
    1 SATAN
    1 SEMINARISTES
    1 SERVIABILITE
    1 SUPERIEURE
    1 SUPERIEURE GENERALE
    1 TENUE RELIGIEUSE
    1 TITRES DE JESUS-CHRIST
    1 TRAHISON
    1 TRINITE
    1 TRISTESSE PSYCHOLOGIQUE
    1 UNION DES COEURS
    1 VIE DE SACRIFICE
    1 VOIE UNITIVE
    2 JEAN, SAINT
    2 JUDAS
    2 PHILIPPE, SAINT
    2 PIERRE, SAINT
    2 SIMON ISCARIOTE
    3 BORDEAUX
    3 LYON
    3 MALAGA
  • Religieuses de l'Assomption
  • 20 mars 1871
  • Nîmes
La lettre

Plan de l’auteur.

Commentaire des discours de Notre-Seigneur après la Cène:

1° La charité: Ioan. XIII, I, ante diem festum Paschae…, cum dilexisset suos

2° L’humilité. Et coena facta…, ponit vestimenta sua

3° Rapports avec les mauvaises têtes.

4° Services mutuels, respect.

5° Clairvoyance: Innuit ergo huic Simon Petrus

6° Prudence.

7° Charité mutuelle.

8° Cas à faire de certaines protestations.

9° Calme.

10° Patience pour certaines inintelligences: Tanto tempore vobiscum sum, et non cognovistis me?

11° Union: Ego sum vitas vera…

12° Séparation. Modo creditis?… Ut omnes unum sint… Et notum feci eis nomen tuum, et notum faciam, ut dilectio qua dilexisti me in ipsis sit, et ego in ipsis.

Texte sténographié de la conférence.

Nous allons terminer nos conférences par quelques observations sur les rapports des religieuses entre elles. Je les prendrai dans le dernier discours de Notre-Seigneur à ses apôtres, après la Cène et avant de monter au Calvaire. Ce discours est admirable. Si je ne prenais que le côté historique, l’ordre dans lequel Notre-seigneur a donné ses conseils, l’enchaînement des faits qui s’y trouvent, nous y découvririons des choses merveilleuses, des raisons profondes dans le plan qu’il a suivi. Son langage fut-il jamais aussi affectueux, aussi tendre, en même temps que rempli d’une force divine? A-t-il jamais paru manifestant une plus profonde connaissance du coeur humain?

La charité. Voyez comment débute Notre-Seigneur: Avant la fête de Pâques, Jésus, sachant que son heure était venue de passer de ce monde à son Père, après avoir aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’à la fin. (Ioan. XIII, I.) Voilà donc une immense charité. Jésus ne pouvait rien faire au delà. C’est au moment où il va donner l’exemple de cette charité divine par excellence que le récit évangélique ajoute cette parole épouvantable: Pendant le souper, lorsque déjà le diable avait mis dans le coeur de Judas, fils de Simon Iscariote, le dessein de le livrer. Voyez l’amour d’un côté, la haine de l’autre; les deux excès, si je puis ainsi dire, de l’amour et de la haine.

Chose encore plus étonnante, ne croyez pas que Notre-Seigneur ignore le crime affreux qui se trame contre lui. Il sait qu’il y a là un traître, et il n’en est pas moins bon, il n’en aime pas moins. Ceci s’applique à une supérieure dans ses rapports avec ses filles, et aussi à toutes les Soeurs [dans leurs rapports] entre elles. Il peut se faire que vous sachiez que telle religieuse est dans des dispositions malveillantes à votre égard, cela n’empêchera pas votre amour. Judas est là; le divin maître le sait et il va toujours au delà de la haine, dans un plus grand amour. Je voudrais que de cet entretien résultât pour vous une conviction profonde: quelque obstacle qu’une religieuse mette à l’amour de ses Soeurs dans ses rapports avec elles, toujours vous devez aller au delà par la charité, comme Jésus-Christ l’a fait. Après avoir aimé les siens qui étaient dans le monde, il les aima jusqu’à la fin.

L’humilité. Quelque chose d’affreux va se passer. Pendant le souper, lorsque déjà le diable avait mis dans le coeur de Judas, fils de Simon Iscariote, le dessein de le livrer. Notre-Seigneur le sait. Que dira-t-il, dans cette occasion? Va-t-il faire des reproches à ses apôtres? Va-t-il s’indigner, leur parler de leur ingratitude, de leur trahison? Non. Jésus savait que son Père avait remis toutes choses entre ses mains, et qu’il était sorti de Dieu et s’en allait à Dieu. Que va-t-il faire? Il se leva de table, posa ses vêtements, et, ayant pris un ligne, il s’en ceignit. Puis, il versa de l’eau dans le bassin et se mit à laver les pieds de ses disciples. Comment! Il sait que Judas va le trahir, que Pierre va le renier, et il veut rendre les plus humbles services à ses apôtres!

Comprenez-vous ce que je viens de vous faire? Vous m’appelez le Maître et le Seigneur, et vous dites bien, car je le suis. Mais si moi qui suis le Maître, je vous ai lavé les pieds, à combien plus forte raison devez-vous vous laver les pieds les uns aux autres? C’est-à-dire, voyez dans quelles dispositions d’humilité vous, mes premiers disciples, mon premier couvent, mes premiers novices -ils n’avaient pas encore fait profession, ce fut le jour de la Pentecôte, – voyez, dis-je, dans quelles dispositions vous êtes pour vous laver les pieds les uns aux autres.

Croyez-vous qu’une religieuse qui serait disposée à aimer ses Soeurs malgré tout, qui ne se laisserait jamais arrêter par tout ce qu’elle voit de noir dans l’âme de ses Soeurs par rapport à elle, et qui serait toujours prête à leur rendre les plus humbles services, croyez-vous qu’elle ne serait pas admirable? Mais un couvent où les choses se passeraient ainsi serait le ciel!

Rapports entre soi. Cependant, remarquez une chose. Malgré cette excessive charité, Notre-Seigneur tient à ce que l’on connaisse son monde. Il ne se fiait pas à ses disciples. Au moment où il allait mourir pour eux, il ne leur donnait pas sa confiance, et pourtant cela ne l’arrêtait pas,, parce qu’il les aimait. Et vous aussi, quand même vous auriez raison de ne pas donner votre confiance, quand même vous verriez toutes sortes de défauts et qu’on vous jouât toutes sortes de mauvais tours, vous n’en subiriez jamais d’aussi mauvais que ceux de Judas. Voyez saint Pierre. Mauvaise tête, bon coeur; et cependant, comme Notre-Seigneur le traite! « Quoi, vous, Seigneur, vous me lavez les pieds? » Les murmures, les objections. Puis, quand Notre-Seigneur lui a dit: « Si je ne te lave, tu n’auras point de part avec moi« , le voilà qui veut qu’on lui lave les pieds, les mains, la tête. Mais Notre-Seigneur tient à ce qu’il lui a dit: « Celui qui a pris un bain n’a besoin que de laver ses pieds, il est pur tout entier. » Notre-Seigneur va tout droit; il fait ce que sa charité lui inspire, il n’ira pas plus loin, il lavera seulement les pieds. C’est la religieuse qui reste dans sa règle en rendant service au prochain: elle ne se laissera pas entraîner par sa charité, elle fera tout ce qui est possible, mais rien au delà.

4° Nous parlerons maintenant des services mutuels rendus dans le respect. Apercevez-vous dans cet acte d’humilité de Notre-Seigneur une ombre d’avilissement? Non, il reste toujours digne, il se respecte: « Vous m’appelez le Maître et le Seigneur, et vous dites bien, car je le suis. » Voyez-vous le sentiment de sa dignité? Si donc moi, le Seigneur et le Maître, je vous ai lavé les pieds, vous devez aussi vous laver les pieds les uns aux autres. Ceci n’empêche pas que dans telles circonstances je dois agir comme supérieure, maîtresse de classe, assistante, infirmière. N’importe! Jésus garde toujours le respect de lui-même et le respect des autres; il leur lave les pieds, n’oubliant jamais ce qu’il est, lors même qu’il s’humilie.

La clairvoyance. Notre-Seigneur, après avoir rempli des fonctions si humbles, se trouble: Ayant ainsi parlé, Jésus fut troublé en son esprit. Pourquoi cela? En vérité, en vérité, je vous le dis, un de vous me livrera. C’est la douleur, le trouble qui s’empare d’une communauté, quand on sent qu’un de ses membres va la trahir. Encore un exemple de charité de la part du divin Maître. Dans toutes ses relations avec les apôtres, il veut témoigner qu’il ne se fie pas à eux, et malgré cela, il les aime; mais il est franc et sincère, il leur dit toute la vérité: Un de vous me livrera. Donc l’affection, la charité, la bonté, ne doivent pas empêcher la clairvoyance.

6° Et voyez aussi la prudence. Les disciples s’agitent, se troublent. Notre-Seigneur ne confie le secret qu’à saint Pierre. Pourquoi? Parce qu’il veut que les supérieurs puissent s’épancher quelquefois. Il le dit à saint Jean, parce qu’il savait que celui-ci le répéterait à saint Pierre, le chef de l’Eglise, à qui il voulait donner une marque de confiance. Voyez quels enseignements dans ces différents passages de l’Evangile! Quelle mine féconde, si vous voulez la creuser!

Notre-Seigneur est donc à la fois clairvoyant et prudent. Il dit les choses, mais pas trop. Saint Pierre et saint Jean savent le nom du traître. Il y a aussi un mot pour Judas: « Ce que tu fais, faits-le vite. » Les neuf autres disciples ne savent rien. Il parle à trois: au coupable, afin de n’avoir pas à se reprocher de ne l’avoir pas averti; à saint Pierre et à saint Jean, pour permettre aux supérieurs de faire quelques confidences à leurs aides. Voilà trois personnes informées au moment du crime atroce de Judas.

Charité mutuelle. Quand Judas est parti, « maintenant, s’écrie Jésus, le Fils de l’homme a été glorifié, et Dieu a été glorifié en lui« . Quel contraste! Pour les âmes, il est troublé: « Jésus fut troublé en son esprit. » Et à présent, le voilà qui dit; « Maintenant, le Fils de l’homme a été glorifié. » Ceci peut s’entendre de différentes façons. Tout d’abord, que la glorification du Fils de l’homme allait commencer par sa Passion. Ceci est excellent pour une religieuse. Oui, les ennuis, les peines qu’elle peut avoir serviront à sa sanctification, à sa glorification. Mais cela signifie autre chose: « Maintenant, le Fils de l’homme a été glorifié« , c’est dire en termes divins ce que vous diriez peut-être avec une joie naturelle. Voilà une personne qui vous écrase, qui vous ennuie, qui vous accable. Elle part. Bon débarras! Notre-Seigneur le prend d’une manière plus surnaturelle: c’est maintenant que va avoir lieu la glorification du Fils de l’homme. Oui, il y a glorification en face de la plus abominable des trahisons.

Quelle est la première parole que Notre-Seigneur ajoute? « Mes petits enfants, je ne suis plus avec vous que pour un peu de temps… Je vous donne un commandement nouveau: que vous vous aimiez les uns les autres; que, comme je vous ai aimés, vous vous aimiez aussi les uns les autres. » Comprenez-vous la surabondance de charité qui était dans le coeur du divin Maître lorsque, au moment de cette horrible trahison, il dit cette parole si douce: « Mes petits enfants? » Je ne vois pas jusque-là, dans l’Evangile, une expression aussi tendre. Il annonce son départ. « Je m’en vais, dit-il, mes petits enfants, et là où je vais, vous ne pouvez pas venir pour l’instant; mais j’ai un commandement nouveau à vous donner: aimez-vous les uns les autres, comme je vous ai aimés. » Quelle bonté! Comprenez-vous que c’est là que doit se former la charité entre les Soeurs? Comprenez-vous que si Notre-Seigneur nous instruit ainsi d’une manière si divine, si parfaite, dans un pareil moment, cette parole adorable a bien été dite pour tous les chrétiens, mais surtout pour les religieuses? Les chrétiens, dans leurs relations avec le monde, ne sont pas appelés à ces rapports intimes que Notre-Seigneur a eus avec les apôtres; c’est dans les couvents, qui sont comme la continuation du collège apostolique, que cette charité, qui va au delà des bornes ordinaires, doit surtout régner.

Je trouve dans ce passage de l’Evangile la grande obligation où sont les religieuses d’avoir entre elles la plus intime affection. A mesure qu’elles s’aiment, elles imitent Notre-Seigneur. Encore un coup, regardez les apôtres. Que de défauts, de grossièretés, de bouderies, de défaillances, de désertions, de trahisons! Et pourtant, Notre-Seigneur les aime toujours. « Vous aimerez votre prochain comme vous-même. » Voyez comme Notre-Seigneur pose lui-même les bases de ce second commandement.

Il est un autre motif pour vous exciter à cette charité mutuelle, c’est la joie du monde de proclamer qu’on se déchire dans les couvents: on se fait une arme contre vous des petites haines, des petites jalousies qui se rencontrent parmi les religieuses. C’est pour cela que Notre-Seigneur a soin d’ajouter: « C’est à cela que tous connaîtront que vous êtes mes disciples, si vous avez de l’amour les uns pour les autres. » Encore une fois, si cela est dit pour tous les fidèles, où en trouverez-vous une application plus pratique que dans les couvents? Oui, il faut que le parfum d’amour qui s’exhale des maisons religieuses embaume le monde et soit comme une preuve évidente de la mission de Notre-Seigneur. « C’est à cela que tous connaîtront que vous êtes mes disciples, si vous avez de l’amour les uns pour les autres. »

Protestations d’amitié. -Passons à une autre considération. Voilà saint Pierre, tout étonné de ce langage, qui demande au divin Maître: « Seigneur, où allez-vous? -Là où je vais, tu ne peux me suivre à présent« , répond Jésus. « Et pourquoi, dit Pierre, ne puis-je vous suivre à présent? Je donnerais ma vie pour vous. » C’est la petite religieuse empressée qui veut toujours être derrière sa Mère et qui lui fait de belles protestations de dévouement et d’affection. Saint Pierre se fâche tout rouge parce que Notre-Seigneur ne veut pas de lui. Voyez cet empressement inconsidéré et en même temps ce coeur si ardent et dévoué. Jésus lui dit: « Tu donneras ta vie pour moi? » Ah! oui, tu m’adresses de belles promesses, de tendres discours, mais. « en vérité, en vérité, je te le dis, le coq ne chantera pas avant que tu ne m’aies renié trois fois. » Savez-vous que c’était dur pour saint Pierre et pour Notre-Seigneur aussi. Notre-Seigneur aimait saint Pierre, il l’aimait beaucoup, mais il le connaissait; aussi, parle-t-il dans un grand amour et une grande tristesse causée par la trahison de Judas et le reniement prévu de Pierre. Cependant, Notre-Seigneur se possède. Si une religieuse sent quelques mauvais procédés de la part de ses Soeurs, il faut aussi qu’elle se possède, que sa tristesse se recouvre d’un voile de bonté et d’amour.

9° Calme. Saint Pierre est un peu troublé à ce langage du divin Maître et humilié d’avoir entendu, en public, cette douloureuse prophétie. Notre-Seigneur reprend son divin sérieux et ajoute immédiatement; « Que votre coeur ne se trouble point. Vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi. » Ne vous troublez pas. Au-dessus de toutes les confiances humaines, ayez confiance en Dieu et en Jésus-Christ, il est le point de départ de la confiance. Voyez comme notre divin Maître élève les âmes au-dessus de ces petits appuis humains et de tous ces petits attachements terrestres: « Que votre coeur ne se trouble point… Il y a beaucoup de demeures dans la maison de mon Père; s’il en était autrement, je vous l’aurais dit, car je vais vous y préparer une place« , par l’effusion de mon sang; mais avant, vous vous disperserez sur tous les points du globe. Ce sont là les demeures terrestres que mon Père vous destine.

Voilà encore l’image des religieuses d’une Congrégation à Supérieure générale. Il faut qu’elles se séparent; il faut qu’elles se trouvent bien, non seulement avec les Soeurs d’un couvent, mais aussi avec celles de toutes les maisons de l’Institut; il faut qu’elles se laissent porter là où le bon Dieu voudra. Remarquez la parole de Jésus-Christ: « Je vais vous préparer une place. » C’est toujours Notre-Seigneur qui va préparer la place. Avec cette pensée, vous vous trouverez bien partout, vous serez toujours chez vous, vous sentirez les mêmes dispositions d’affection envers toutes vos Soeurs. Le fourrier d’une religieuse qui monte en diligence ou en chemin de fer, c’est Notre-Seigneur; et si Notre-Seigneur vous précède, que vous importe où il vous mène? » « C’est à cela que tous connaîtront que vous êtes mes disciples, si vous avez de l’amour les uns pour les autres. » Oui, on connaîtra que vous êtes vraiment disciples de Notre-Seigneur, si, allant à Lyon, à Bordeaux, à Malaga, etc., vous y portez la paix et vous y avez pour toutes vos Soeurs la même tendre charité que Notre-Seigneur a eue pour vous.

Pour cela, il faut un coeur très détaché. Sans aucun doute, il faut que vous ayez un coeur sans racines, prêt à être transplanté partout où Notre-Seigneur le voudra. Pour en arriver là, il faut toujours couper, car les racines qui plongent dans la terre repoussent sans cesse. Soyez donc impitoyables contre les attaches de votre coeur, conservez- le libre de tous liens, pour que Notre-Seigneur puisse vous porter à droite et à gauche, selon son bon plaisir et les intérêts de sa gloire. Au milieu de ces sacrifices douloureux on conserve le calme, la possession de soi; on ne s’attache pas plus à la terre d’un endroit qu’à celle d’un autre: c’est la paix dans le dépouillement de soi et dans l’abandon à Dieu.

10° Inintelligences de certains. Lisez le chapitre XIV de saint Jean jusqu’au verset 9. Voilà le bon saint Philippe qui dit une bêtise: « Seigneur, montrez-nous le Père et cela nous suffit. » Comment! Notre-Seigneur est là leur parlant précisément de son Père en termes admirables, et Philippe l’interrompt pour lui dire: « Montrez-nous le Père. » Il est très vrai que dans les communautés une des choses les plus difficiles à supporter, ce sont les gens inintelligents qui sont toujours à côté de la question; c’est très ennuyeux dans les récréations. Notre-Seigneur accepte cela. Il répond simplement et bonnement, il profite de toutes ces occasions pour relever ses apôtres. De même une religieuse, avec beaucoup de douceur et de bienveillance devrait profiter d’une bêtise qu’elle entendrait dire d’une de ses Soeurs pour la relever, pour l’aider à remonter à quelque chose de surnaturel. Cela vaudrait mieux que de partir d’un éclat de rire, ce qui peut blesser et écraser un pauvre petit esprit.

Une des choses merveilleuses de la vie de Notre-Seigneur, c’est la patience avec laquelle il supporte ses apôtres. Regardez le résultat: il en a fait des convertisseurs du monde. Si de ces hommes grossiers et bornés Notre-Seigneur a fait les convertisseurs du monde, ne peut-on pas faire monter le niveau d’un couvent, relever les religieuses dans un progrès constant? Vous me direz: « C’est l’affaire des supérieures. » Je vous l’accorde, mais c’est aussi celle des Soeurs dans leurs rapports entre elles, et je suis profondément convaincu que, par leur seule influence, le niveau de la maison peut baisser ou monter beaucoup. (Exemple de jeunes prêtres qui sortis du Séminaire avec beaucoup de talent, déclinent dans les villages.) Pourquoi donc ne feriez-vous pas cet effort, au lieu de rester dans les petitesses? Pourquoi ne vous aideriez-vous pas entre vous à monter? Pourquoi ne vous grouperiez-vous pas autour de celles qui peuvent le mieux vous y aider, et n’essayeriez-vous pas d’aider celles qui ne peuvent pas monter d’elles-mêmes?

Croyez-vous que des récréations ainsi employées ne seraient pas fort utiles? Comment le ferez-vous? Vous le pourrez quelquefois par vos discours, toujours par votre tenue. Une religieuse qui impose un certain respect, c’est chose excellente; elle n’a rien à faire, elle ne parle pas, elle élève les âmes par sa tenue. Soyez donc persuadées que, si vous le voulez, vous pouvez vous élever, sortir du vulgaire, donner chaque jour un nouvel élan à votre âme. En faisant cet effort par vous-mêmes, vous exercerez une influence sur les autres, vous les aiderez à monter aussi.

11° Union et séparations. En étudiant cette question des rapports mutuels, il faut non seulement parler d’union, mais aussi de séparation. Suivons le texte sacré: « Je vous ai dit ces choses, afin que vous ne soyez pas scandalisés. Et ils agiront ainsi, parce qu’ils n’ont connu ni mon Père ni moi. » Eh oui, il faut qu’une religieuse s’attende à la séparation d’avec les personnes qui lui sont chères, et cette séparation sera un principe fécond de sainteté pour elle. Je vous préviens, je vous dis ces choses douloureuses pour que, lorsque l’heure sera venue, vous ne soyez pas scandalisés.

En effet, il est des circonstances où, à l’exemple du divin maître, les supérieures doivent jeter au milieu d’une conversation quelques paroles qui seront comme un sujet de tristesse; elles doivent le faire pour que, à l’heure du sacrifice, les âmes se trouvent prêtes. « Et parce que je vous ai dit ces choses, la tristesse a rempli votre coeur. » Vous êtes tristes parce que je vous ai parlé de séparation et d’épreuves, et pourtant, il est bon que vous le sachiez d’avance; comme supérieur, je suis obligé de vous le dire. « Cependant, je vous dis la vérité: il vous est bon que je m’en aille; car, si je ne m’en vais pas, le Consolateur ne viendra pas en vous; mais, si je m’en vais, je vous l’enverrai. » Donc, il y a des moments où il faut se séparer. Il faut que je m’en aille; il faut quitter la maison-mère, la maîtresse des novices, les Soeurs des maisons particulières. Oui, il faut être prête à tout quitter, et cela est extrêmement avantageux à l’âme parce que, avant toutes choses, il faut avoir la liberté de coeur, et c’est cette liberté qui attire le Saint-Esprit dans nos âmes: « Si je ne m’en vais pas, le Consolateur ne viendra pas en vous. » Le Saint-Esprit est le principe de l’amour, il est en même temps le principe de la véritable liberté. Si nous savons conserver notre âme libre de toute attente, terrestre, si nous savons nous séparer, le Paraclet viendra, il nous donnera l’esprit de prière, le don d’oraison, la sainteté par laquelle nous nous élevons vers Dieu. Voilà donc comme Notre- Seigneur nous enseigne que la séparation, la rupture des relations, est un excellent moyen d’aller à Dieu.

Maintenant, les apôtres sont bien contents et lui disent: « Voilà que vous parlez ouvertement et sans vous servir d’aucune figure… C’est pourquoi nous croyons que vous êtes sorti de Dieu. » Jésus leur répondit: « Vous croyez, à présent. Voici que l’heure vient, et déjà elle est venue , où vous serez dispersés, chacun de votre côté, et vous me laisserez seul. » Voilà ce que bien souvent, les supérieures sont obligées de se dire: « On me fait des protestations. Qu’est-ce qui en reste? On me laissera seule. » Une religieuse aussi peut se dire: « Je serai abandonnée, mise de côté, comptée pour rien dans la communauté, par mes supérieures, mes Soeurs et les enfants. On me laissera seule. »

Mais Notre-Seigneur ajoute: « Pourtant, je ne suis pas seul, parce que le Père est avec moi. » Ainsi parle la religieuse. Elle n’est jamais seule; elle a son Père, son Epoux, toujours avec elle. Il y a, dans la vie, des moments de désolation, d’abandon; l’isolement se fait autour du coeur; la pauvre âme oppressée, ne trouve nulle part un secours humain, mais elle n’est pas seule dans cette voie douloureuse du Calvaire, parce que le Père est avec elle.

Lisons maintenant le chapitre XV de saint Jean. Notre-Seigneur s’est levé de table, il marche vers le jardin des Oliviers et il commence son magnifique discours: « Je suis la vraie vigne, et mon Père est le vigneron. » Examinons quel doit être l’esprit d’union dans les couvents. « Je suis la vigne, vous êtes les sarments. » C’est Notre-Seigneur qui doit être le centre. Si vous êtes unies par un autre lien, par une amitié humaine, l’union ne subsistera pas longtemps. Mais si les relations des religieuses se forment sous l’oeil de Notre-Seigneur, si toutes les affections se rapportent à Jésus-Christ, que vous demeuriez unies entre vous, comme les branches attachées à un même cep, et que vous puisiez en lui votre sève et votre vie, alors, un ciment indissoluble reliera vos âmes et vous commencerez sur la terre l’union des saints dans le ciel.

Lisez attentivement le chapitre XVIII, le dernier de ce discours, et vous verrez comme le divin Sauveur unit ses apôtres entre eux sur le modèle de la Très Sainte Trinité, et comme il tend toujours à resserrer cette union par un lien divin, fuyant tout lien humain. Voyez comme Notre- Seigneur, dans un saint dédain, laisse ces choses terrestres à leur niveau méprisable. Pourquoi? Parce qu’il a quelque chose de mieux à faire que de parler des affections humaines; il a à former ses apôtres sur cette belle unité dont l’adorable Trinité lui présente le type. « Je prie… pour que tous ils soient un, comme vous, mon Père, vous êtes en moi, et moi en vous, pour qu’eux aussi ils soient un en nous, afin que le monde croie que vous m’avez envoyé. » Ceci a été dit pour l’Eglise d’abord; ensuite, pour les communautés religieuses. Qu’elles ne fassent qu’un en Jésus-Christ. Vous relirez cette admirable prière de Notre- seigneur pour demander l’unité.

Mais entendez les dernières paroles du testament de Jésus-Christ: « Je leur ai fait connaître votre nom, et je le leur ferai connaître, afin que l’amour dont vous m’avez aimé soit en eux, et que je sois moi aussi en eux. » Voilà la raison de l’union: faire connaître aux hommes le nom du Père. C’est pour cela que Notre-Seigneur a appelé ses apôtres, c’est pour cela qu’il les a réunis dans cette admirable union de l’amour, afin que par toute la surface du monde le nom de Dieu soit connu. Quel est votre but à vous aussi, mes Soeurs? Pourquoi devez-vous vous resserrer dans les liens de la dilection divine? Pour enseigner le nom de Dieu. Il faut que vous ayez le courage de parler de Dieu, comme Jésus-Christ parlait de son Père. Voyez-le entretenant ses apôtres des attributs, des perfections de son Père. Il leur révèle les secrets d’en haut, il en parle avec l’autorité et la connaissance qui lui sont propres, lui qui est sorti du Père. Vous aussi, proclamez le nom de Dieu avec le respect, la dignité, la foi, l’intelligence, qui conviennent à ce nom divin. Si vous le faites, vous n’aurez plus le temps de parler des hommes, vous ne vous perdrez pas dans les petites misères, les médisances, les cancans et les plaintes.

« Je leur ai fait connaître votre nom, et je le leur ferai connaître afin que l’amour dont vous m’avez aimé soit en eux, et que je sois moi aussi en eux. » Tel est, mes chères filles, le terme des rapports des religieuses entre elles. Il faut qu’elles aient l’amour que Dieu a eu pour son fils, il faut que cet amour s’étende à toutes les religieuses de la communauté, et quand cet amour sera en vous, Jésus-Christ sera aussi en vous.

Méditez ces admirables enseignements de l’Evangile. Je ne trouve rien de plus beau, de plus grand à vous proposer, comme terme de vos relations entre vous, que de faire connaître autour de vous le nom de Dieu. Et dans quel but? Afin que Jésus-Christ soit en vous. Pour cela, il vous donne un commandement nouveau, qui est de vous aimer les uns les autres, et que, dans le lien de l’amour, ses disciples soient un comme son Père et lui sont un.

Voilà donc le terme de toutes vos relations entre vous, l’unité. Je viens de vous en indiquer les obstacles et les moyens. Le premier de tous les moyens, c’est d’avoir le coeur fixé en Dieu, ce qui implique un devoir, celui d’avoir le courage de parler souvent de Dieu. Vous le ferez dans un grand amour, celui de Dieu et celui des âmes, Jésus-Christ lui-même embrassant votre coeur. Vous le ferez dans la force de l’union, dans l’unité de votre action puisée en Jésus-Christ, et le monde saura que vous êtes les envoyées de Dieu. Vous reproduirez ainsi la plus belle image du Collège apostolique, tel que Jésus-Christ souhaitait de le former au moment d’aller mourir au Calvaire.

Notes et post-scriptum