OEUVRES SPIRITUELLES EDITEES.|TEXTES DIVERS PARUS DANS LES ECRITS SPIRITUELS.

Informations générales
  • ES-0736
  • OEUVRES SPIRITUELLES EDITEES.|TEXTES DIVERS PARUS DANS LES ECRITS SPIRITUELS.
  • MON PORTRAIT
  • Ecrits Spirituels, p. 736-744.
  • CR 4; TD 43, P. 226-233.
Informations détaillées
  • 1 IMITATION DE JESUS CHRIST
    1 INTELLIGENCE
    1 JESUS-CHRIST MODELE
    1 PRATIQUE DES CONSEILS EVANGELIQUES
    1 PRIERE DE DEMANDE
    1 REFORME DE L'INTELLIGENCE
    1 REFORME DE LA VOLONTE
    1 REFORME DU COEUR
    1 SENSIBILITE
    1 VOCATION SACERDOTALE
    1 VOLONTE
  • 19 février 1831
La lettre

Que suis-je?

Que veux-je être?

Comment deviendrai-je ce que je veux être?

Depuis assez longtemps, il est vrai, j’ai un plan de vie. Je sais bien ou je crois bien savoir vaguement ce que je veux faire, mais jamais je ne suis descendu au fond de moi-même, jamais je ne me suis rendu un compte exact des moyens que je voulais employer pour atteindre mon but. Aujourd’hui, c’est ce que je veux sérieusement chercher. Je veux clairement connaître ce que je suis, ce que je veux être et par quels moyens je deviendrai ce que je veux être.

1. Que suis-je?

Mon intelligence a fort bonne opinion d’elle-même. Elle se croit assez ouverte, capable d’accomplir ce qu’elle s’est proposé, quoiqu’elle agisse par bonds, embrasse avec ardeur et se dégoûte souvent avant la fin. Depuis que je la connais, elle m’a paru, en mûrissant, prendre de la consistance; ainsi un travail de plusieurs mois ne l’effraye plus. Au milieu de sa course, elle se lasse bien, mais elle est susceptible de reprendre courage.

Elle aime la vérité avec enthousiasme; son penchant religieux la transporte au milieu de ses croyances comme dans un monde où tout a vie et auquel elle voudrait s’identifier.

Du jugement, on lui en reconnaît un assez droit. Ce qui a le plus contribué à la maintenir ainsi, c’est une constance ferme à adopter la vérité partout où elle la trouvait, même à ses dépens. Pour moi, je l’ai souvent surprise facile à prévenir, et plus souvent encore un peu perroquet.

Sa mémoire varie; bonne pour retenir les traits principaux des faits ou les ensembles des systèmes; faible et infidèle, s’il s’agit de retenir des mots et certains détails.

Un rien distrait son attention. Elle se fixe avec peine, si elle n’est échauffée. Ne lui parlez pas, à certains moments, même d’une question qui l’intéresse; elle écoutera, mais n’entendra rien; elle suivra toute autre chose, une bêtise, mais ne vous comprendra pas. Cette faiblesse se dissipe pourtant progressivement. Un sujet lui plaît-il? Oh! c’est autre chose, elle le poursuivra le jour, la nuit surtout, avec une certaine joie qui entretient son feu, jusqu’à ce que la question épuisée ou qu’une question inattendue rompe les voies et l’engage d’un autre côté. Cet entraînement n’est pas volontaire. J’aurai beau dire, une semaine durant: je veux réfléchir sur tel sujet, je ne serai pas plus avancé à la fin de la semaine qu’au commencement. Il m’est cependant arrivé qu’une forte attention me faisait percer cette obscurité, découvrir l’objet de mes recherches et voir en lui une foule de choses qui m’y attachaient, et qui, d’ennuyeux qu’il m’avait paru d’abord, me le rendaient attrayant.

Rien de plus faible que ma volonté. L’orgueil me livre une guerre cruelle. En vain, j’ai la triste expérience de l’influence qu’exerce sur moi l’opinion que j’ai de moi-même; toujours je me contemple, toujours je m’admire, je m’adore presque, et cependant l’orgueil me fait descendre plus bas que terre, me brise, m’écrase. C’est égal, je me laisse emporter et ma faiblesse augmente toujours. Je le sais très bien, je n’ai valu quelque chose, je n’ai été exact dans mon plan de conduite, ferme dans mes travaux, fort contre mes passions, que lorsque j’ai attaqué la première de toutes, lorsque j’ai été convaincu de ma nullité, que je me suis dit: Tu n’es rien, tu ne vaux rien. Je sais tout cela, et pourtant l’opinion que j’ai de moi est toujours la meilleure.

Mon genre d’orgueil est concentré. Ce n’est pas ma position extérieure qui m’enfle, elle m’humilie plutôt. Mon mal est tout en moi. Je suis mauvais, je suis peut-être une bête, et je me crois bon, je me crois un génie. Voilà le mot: je suis aveugle.

D’un autre côté, l’empire que j’ai sur moi est bien faible. Il semble, il est vrai, qu’il augmente peu à peu, mais c’est si lentement. Un jour, une personne que j’aime beaucoup, et pour laquelle j’ai la plus grande confiance, me dit: « Vous avez le nez d’un homme disposé à la mollesse. » Ces deux mots ont produit en moi des merveilles; pendant trois mois, je n’étais plus le même. Qui voudrait m’en dire de semblables quatre fois par an?

De la paresse dans mon lever, quelque peu de gourmandise, un esprit de taquinerie à l’égard de certaines gens me sont une preuve de l’impuissance de mon caractère. Je ne sais pas être maître chez moi. Cette faiblesse, je lutte contre elle par boutades, et c’est un grand mal, parce qu’alors je m’emporte, je me force, je fais plus que je ne puis,je me commande tout de travers. Dès lors, je ne me commande pas longtemps. Je fais des coups d’état qui ont presque tous leurs grandes journées. Je suis trop simple, trop confiant et souvent dupe; je ne connais pas assez le coeur humain. Depuis six mois pourtant, Gil Blas et L. V. m’ont fait sous ce rapport quelque bien.

L’imagination chez moi est telle que je me la figure chez toutes les personnes de mon âge. C’est un mal de jeunesse: on le guérit, non en le retenant absolument, ce qui serait impossible, mais par l’impulsion qu’on lui donne.

Je le dis avec confiance, j’ai le coeur bon et je ne voudrais pas le changer pour un autre. J’aime Dieu, ou du moins je le crois ainsi. Il y a longtemps que je me suis donné à lui. Tous les jours, j’entrevois de nouvelles conséquences à ce don, et, loin de m’effrayer, elles m’encouragent.

J’aime mes parents. Je sens tout ce que je leur dois. Pourquoi faut-il qu’un caprice ou une mauvaise humeur m’oblige parfois à une reconnaissance raisonnée?

Mes amis sont peu nombreux. Je suis dégoûté des liaisons banales. Pour que j’aime, pour que je m’attache, il me faut trouver conformité parfaite de croyances, d’opinions et de sentiments. Mes amis, et j’en ai eu ainsi, pourront faire mal, si la foi reste, je ne désespérerai pas; au contraire, leur misère me les rendra plus chers. J’ai la preuve qu’on peut de bien loin revenir à Dieu. On parle des amitiés de collège. Il ne m’en reste pas, que je sache, beaucoup. Il y a quelqu’un avec qui j’ai fait toutes mes classes, que j’ai retrouvé à l’Ecole de droit; nous allions aux mêmes conférences, nous nous visitions l’un l’autre. Je l’ai chéri jusqu’à la folie; pourquoi l’ai-je planté là?

Si vous voulez que l’on vous aime,

Bergère, il faut aimer vous-même.

Il se plaignait de n’avoir pas d’ami. Maintenant j’ai quelques amis. Je les chéris comme moi-même. Je cherche à les aimer pour Dieu; je leur dois toutes les jouissances que l’on retrouve dans l’abandon entier d’un coeur à un autre coeur. Chercher mieux me serait impossible; j’ai trop bien rencontré. Je ne chercherai même pas davantage, parce que je ne sais pas me livrer à tout le monde. Depuis longtemps, je ne fais plus d’avances, je repousse même celles qu’on me fait. C’est peut-être un mal, mais qu’y faire?

Il me semble que mon amour pour les hommes est grand, pour les pauvres gens surtout. Leur rendre service est pour moi un plaisir. C’est avec peine que je leur trouve des torts, aussi redoutai-je de gronder. Je me crois capable d’un sacrifice.

Me voilà, selon l’idée que j’ai de moi-même. Or, je suis loin de me croire parfait. Il y a beaucoup de choses à réformer en moi, mais il y en a beaucoup qu’il suffit seulement de bien diriger.

II. Que veux-je être?

Le but que je me propose est de profiter à la fois de mes bonnes et mauvaises qualités pour arriver à toute la perfection dont mon être est capable, donnant le plus grand développement à ce que je puis avoir de bon, essayant d’anéantir autant qu’il dépendra de moi tout ce que j’ai de mauvais.

Je ne veux point d’une perfection absolue, mais d’une perfection relative. Dieu seul est absolu et chacune de ses créatures ne saurait, sans violer les lois de son être, aspirer au-dessus de ce qui lui est proposé. Connaître ce à quoi Dieu me destine, voilà donc le moyen le plus sûr de savoir ce dont je suis capable. Travailler à remplir dignement la place où Dieu me veut, telle est pour moi la voie la plus sûre pour arriver à ma perfection.

Or, mes principes, mes affections, mes goûts, me repoussent de ce qu’on appelle la vie du monde, et mon amour de la science, mon choix d’être à Dieu et en Dieu, me font entrevoir comme le comble de l’honneur une place parmi les défenseurs de la vérité. Adorer le Verbe par qui tout a été fait, être l’écho de la parole éternelle et comme le miroir dans lequel celui qui est la vie et la lumière réfléchit ses rayons qui rejaillissent au milieu des ténèbres, tel est, à mes yeux, le but le plus beau pour moi. En vain l’orgueil essaye-t-il de souiller la sainteté de ce désir. Tous les jours je m’efforce de le purifier davantage, et tous les jours, il me paraît plus noble; tous les jours il se présente à moi plus vif, plus brûlant, et remplit mon âme d’une douce espérance et comme d’une joie anticipée.

III. Par quels moyens

Mais, pour forger mon âme et pour la rendre moins indigne du fardeau qu’elle veut s’imposer, un modèle lui est nécessaire. Ce modèle, elle l’a trouvé, et en lui toutes les vertus qu’elle se propose et les forces suffisantes pour conquérir ces vertus. Modèle vivant qui encourage ceux qui le regardent, qui se proportionne à ceux qui veulent l’imiter, qui s’incorpore vraiment à ceux qui veulent le réaliser en eux par la ressemblance. Ce modèle, c’est le Fils de Dieu dans chacune des parties de sa vie mortelle, alors qu’il voulait être appelé le Fils de l’homme; mais surtout, pour moi, lorsqu’il instruisait les pécheurs et annonçait la vérité aux nations assises à l’ombre de la mort.

Les yeux toujours fixés sur lui, je dois réparer en moi les ravages de la triple concupiscence, en cherchant à m’identifier à celui qui est à la fois le remède et le réparateur de toute infirmité. Que je sois en eux comme vous êtes en moi, avait-il dit, lorsqu’au moment d’accomplir le sacrifice, il présenta au Père ceux qu’il aima jusqu’à la fin. Eh bien! oui, Sauveur Jésus, que je sois en vous et vous en moi! Vous le savez, de toutes les pages de votre vie mortelle, il n’en est pas qui me touche plus que ce dernier discours où, vous adressant à tous les hommes dans la personne de vos disciples, vous voulûtes, par les élans de votre coeur, leur prouver que l’amour seul vous conduisait à la mort. De tous les voeux que vous avez formés, celui dont je désire le plus l’accomplissement, c’est celui par lequel vous appelâtes le genre humain à effacer le crime antique, en venant se perdre en vous.

Que je sois en vous et que vous soyez en moi, et mon intelligence, ma volonté, mon coeur, s’élevant de plus en plus, accompliront la fin voulue de vous, ô Créateur de mon être!

Mon intelligence, entrant par la foi dans le domaine de la vérité, cherchera de plus en plus Dieu et en lui-même et dans ses oeuvres. Elle travaillera, non pour elle, non pour un vain désir de gloire, mais pour subir la peine portée contre les enfants d’Adam, mais pour glorifier Dieu par une plus grande connaissance de ses perfections propres et de ses créatures; elle travaillera encore pour se rendre plus digne de distribuer le pain de la parole à ceux qui ont faim de la vérité et faire briller son flambeau aux yeux de ceux qui se sont éloignés d’elle.

Pour affermir son inconsistance, surmonter son découragement apathique, modérer ses bonds si rapides et si fugitifs, quelle force ma volonté ne trouvera-t-elle pas dans la contemplation de celui qui est l’ordre, qui fait tout avec ordre et dont la volonté est une loi parfaite!

Plus mon intelligence connaîtra la parole de Dieu, plus ma volonté se ploiera devant la règle divine, plus mon coeur s’enflammera d’un amour pur. J’aimerai Dieu, je ne voudrai que Dieu, je ne connaîtrai que Dieu, et tout ce qui n’est pas Dieu, je le connaîtrai, je le voudrai, je l’aimerai pour lui. Ainsi j’aimerai les hommes, et mon amour pour eux me portera à vouloir leur bonheur, à les connaître pour guérir leurs maux, aider leurs misères, soutenir leurs faiblesses.

Appréciant de plus en plus la vérité, tout dans mes études se rapportera à elle. Voulant être parfait, un mépris profond pour tout ce qui ne satisfera pas mon attente, une ferme résolution de surmonter tout ce qui arrêterait ma course, naîtra de la conviction que tout est vanité.

Pour rendre mon coeur digne de la Beauté éternelle, j’y éteindrai tous les feux impurs. Je veillerai sur moi, parce que l’homme animal ne comprend pas les choses de Dieu et les aime encore moins.

Et comme cette triple réforme doit se reproduire sous une forme extérieure, sur les ruines de la triple concupiscence naîtront trois vertus, qui toutes doivent fleurir dans toutes les âmes qui veulent profiter du bienfait de la rédemption, mais qui portent des fruits plus ou moins beaux, selon le soin avec lequel elles ont été cultivées.

La pauvreté, l’obéissance, la chasteté, pour moi auront aussi leur développement particulier.

Les biens de l’intelligence ne s’estiment qu’en proportion du mépris pour les biens de la chair. Je m’efforcerai de devenir pauvre d’esprit, et remerciant Dieu de m’avoir mis à même, par ma position, de pouvoir travailler sans inquiétudes, sans souci du lendemain, j’userai des biens qu’il m’a donnés pour acquérir plus facilement les connaissances qui me seront nécessaires.

L’obéissance triomphera de mon orgueil et de la faiblesse de mon caractère. J’obéirai pour étouffer l’orgueil criant sans cesse: Non serviam! J’obéirai, parce que l’orgueil qui veut briser le joug n’a jamais su me conduire, me précipite dans de mauvaises voies où, tantôt courant avec imprudence, tantôt me traînant à peine, je ne recueille que beaucoup de fatigue et le regret d’un temps mal employé.

Le premier effet de la révolte originelle fut la perte de l’innocence. En soumettant mon esprit, je purifierai mon coeur et l’ordre auquel je soumettrai ma volonté amènera l’ordre et la soumission des sens.

Seigneur Jésus, qui n’aviez pas où reposer la tête, qui fûtes obéissant jusqu’à la mort; Agneau de Dieu, dont le sang est le vin qui fait germer les vierges, venez, et posez sur les trois puissances de mon âme le triple sceau de la régénération. Que pauvre comme vous, obéissant comme vous, chaste comme vous, je vous sois en tout semblable. Vous savez quel est de tous mes voeux le plus vif, combien je désire vous ressembler, surtout par ce sacerdoce dans lequel vous fûtes à la fois prêtre et victime. Mais avant d’en exercer sur vous les redoutables fonctions, donnez-moi de les essayer en quelque sorte sur moi-même; de m’immoler à vous tous les jours de ma vie; de vous offrir tout mon être: mes passions pour les consumer, mon âme pour la renouveler, mon corps pour en faire l’esclave de votre loi; et de vous entendre dire en m’appelant à un plus haut ministère: « Courage, bon serviteur, puisque vous êtes fidèle pour peu de choses, je vous placerai sur de bien plus nombreuses et de plus hautes encore: Quia super pauca fuisti fidelis, super multa ego te constituam. »

Notes et post-scriptum