OEUVRES SPIRITUELLES EDITEES.|TEXTES DIVERS PARUS DANS LES ECRITS SPIRITUELS.

Informations générales
  • ES-1133
  • OEUVRES SPIRITUELLES EDITEES.|TEXTES DIVERS PARUS DANS LES ECRITS SPIRITUELS.
  • PROGRES DANS LA PERFECTION
  • Ecrits Spirituels, p. 1133-1141.
  • CT 106; TD 47, P. 404-412.
Informations détaillées
  • 1 ACCEPTATION DE LA VOLONTE DE DIEU
    1 ADORATION
    1 ANEANTISSEMENT
    1 AUGUSTIN
    1 BAPTEME
    1 CIEL
    1 CRAINTE
    1 ESPERANCE
    1 ETERNITE
    1 ETERNITE DE DIEU
    1 FIDELITE A L'ESPRIT DE LA REGLE
    1 IMITATION DE JESUS CHRIST
    1 JESUS-CHRIST EPOUX DE L'AME
    1 LUTTE CONTRE LA TENTATION
    1 MISERICORDE DE DIEU
    1 NOVICIAT DES ASSOMPTIONNISTES
    1 POSSESSION DE DIEU
    1 PROGRES DANS LA VIE SPIRITUELLE
    1 RECHERCHE DE DIEU
    1 RECHERCHE DE LA PERFECTION
    1 REFORME DU COEUR
    1 SAGESSE DE DIEU
    1 SAINTS DESIRS
    1 SAUVEUR
    1 SOUFFRANCE ACCEPTEE
    1 SUPERIEUR DE COMMUNAUTE
    1 TIEDEUR DU RELIGIEUX
    1 VIE DE PRIERE
    1 VIE DE RECUEILLEMENT
    1 VIE DE SACRIFICE
    1 VIE RELIGIEUSE
    1 VIE SPIRITUELLE
    1 VOCATION
    1 VOEUX DE RELIGION
    1 VOIE UNITIVE
    2 DAVID, BIBLE
    3 HIPPONE
    3 JERUSALEM
La lettre

Ibunt de virtute in virtutem.

L’âme qui a pris sa résolution inébranlable d’avancer dans la perfection doit se poser diverses questions. Que faire? Or, toutes les sentences des saints Livres se résument en deux mots: souffrir et avancer. Saint Augustin, commentant le psaume LXXXIII, a merveilleusement traité cette question. Je ne ferai en quelque sorte que le suivre, en contemplant les éclairs qu’il fait jaillir des paroles du prophète royal. Etudions comment, en effet, souffrir et avancer sont les deux grands moyens d’arriver à l’union divine.

I. Souffrir

Rien dans les livres saints n’est inutile, et le titre même des psaumes a sa signification et son enseignement. Que veulent donc dire ces mots: pro torcularibus filiis Core? Ah! répond notre docteur, prenez les raisins et prenez les olives. Tant qu’ils sont attachés à leurs ceps et à leurs branches, ils jouissent en se balançant dans l’air d’une délicieuse liberté. Mais quels résultats donnent ces fruits? Au contraire, mettez-les sous le pressoir, écrasez-les, ils couleront en un vin généreux ou en une huile abondante.

Il en est de même de l’âme qui veut se placer sous le joug de Dieu? N’a-t-il pas été dit: Fili, accedens ad servitutem Dei, sta in justitia et timore, et praepara animam tuam ad tentationem. Il n’y a pas de vie chrétienne sans une règle qui découle de la justice, et si nous appliquons ces paroles au religieux, il est incontestable qu’il doit voir dans les lois de sa famille spirituelle l’expression de cette justice plus abondante que Jésus-Christ est venu nous apporter ici-bas. Et déjà c’est une souffrance que de courber la tête, le coeur, la volonté sous ce pressoir: sta in justitia, voilà la règle –et timore; oui, il faut savoir éprouver une crainte salutaire, sans doute, de sa faiblesse, sans doute, de ses défauts, mais aussi des supérieurs qui sont chargés d’inspirer cette crainte et qui y sont tenus, parce qu’il s’agit des intérêts les plus graves: sta in justitia et timore. Etablissez-vous sous la pratique de la règle, sous la verge des supérieurs; sans quoi ne dites pas que vous voulez avancer, dites plutôt que sous l’apparence de la vie religieuse vous voulez suivre vos caprices contre la règle et vos révoltes contre le commandement: sta in justitia et timore.

Mais pourquoi? Parce que l’obéissance à la règle et aux supérieurs est la grande préparation à ce combat de la tentation, qui est, quoiqu’on dise, le fond de la vie religieuse: Fili, accedens ad servitutem Dei, sta in justitia et timore, et praepara animam tuam ad tentationem.

Oui, vous aurez à souffrir les tentations de tous les côtés: tentations du monde qui vous reprochera de le quitter, qui se plaindra du refus que vous lui faites de l’édifier par vos bons exemples; tentations de la part de Satan, furieux de ce que vous le chassez de votre coeur pour en faire un sanctuaire très pur, très mystérieux de Jésus-Christ; tentations de vos passions, irritées de ce que vous voulez les expulser de votre âme ou les transformer en vertus. Ah! oui, et vous aurez à souffrir beaucoup.

Je ne parle pas des tentations intérieures, sous le toit même de la communauté: tentations par le caractère de vos compagnons; tentations du côté des oeuvres diverses auxquelles vous serez exposés; tentations de répulsion pour des élèves qui ne profitent pas; tentations des enfants; tentations des parents qui veulent imposer les exigences les plus ridicules, quand elles ne sont pas coupables; tentations de la part des étrangers, qui plongent leurs regards indiscrets dans le secret du cloître pour blâmer, juger, critiquer; tentations d’entrer dans leur manière de voir et de provoquer leurs blâmes, afin d’en faire comme l’apologie de votre conduite contre des reproches peut-être mérités. Voyez à quelles tentations vous serez exposés, du moment que vous vous mettrez sérieusement à vouloir avancer au service de Dieu: Fili, accedens ad servitutem Dei, sta in justitia et timore, et praepara animam tuam ad tentationem.

Voilà pour le commencement, pour la préparation, mais suivant pas à pas notre grand docteur, voyons la suite. Sede, quoniam dictum est: fili, accedens ad servitutem Dei, sta in justitia et timore, et praepara animam tuam ad tentationem. Accedens quisque ad servitutem Dei, ad torcularia se venisse cognoscat. Or, que se passera-t-il pour l’âme qui accepte de se placer sous ces pressoirs? Contribulabitur, conteretur, opprimetur: elle sera foulée aux pieds, elle sera broyée, elle sera opprimée. Et cette doctrine n’est pas nouvelle; chantée par David, elle a été renouvelée par Jésus-Christ, la veille de sa mort: In mundo pressuram habebitis. Les plages des mers africaines l’ont reçue comme un écho des lèvres d’Augustin: contribulabitur, conteretur, opprimetur. Etre foulé aux pieds, être broyé, être opprimé, écrasé: tel est le partage de quiconque tend à la perfection. Et ceci n’est pas un vain défi, jeté au monde pour lui déclarer une guerre à mort. On ne veut pas quitter le monde pour avoir le plaisir de s’en séparer: Non, ut hoc saeculo pereat, sed ut in apothecas Dei fluat, mais pour s’écouler dans les celliers de Dieu. L’exemple, nous dit l’évêque d’Hippone, nous a été donné, parce que grande et magnifique est la grappe qui n’est autre que Jésus-Christ: botrus ille grandis.

Aussi, Dieu leur reste-t-il, dans cette oppression universelle. Restat illis desiderandus Deus. Ah! l’âme se laisse fouler, broyer, écraser, mais au fond elle sait que par-delà il y a Dieu, l’objet de ses désirs: restat illis desiderandus Deus. Et elle finit par comprendre combien il lui est bon d’être sous cet affreux pressoir. Si ergo sentis pressuras hujus mundi, etiam cum felix es, intellexisti esse in torculari.

Voilà la grande séparation de l’âme tiède, lâche; de l’âme qui tombe et de l’âme dont les désirs attirent la lumière de la souffrance. Si ergo sentis pressuram hujus mundi, etiam cum felix es, intellexisti esse in torculari. Telle est, telle sera à jamais la distance infranchissable, qui subsistera entre les âmes du monde ou qui penchent vers le monde et les âmes résolues à aller à toute sainteté par les inventions de Dieu et les exemples des saints.

Je n’insiste pas sur ce que saint Augustin dit sur les derniers mots du titre de ce psaume: pro filiis Core, les enfants du chauve. Le chauve par excellence, selon plusieurs interprètes, c’est celui qui s’est dépouillé de tout, Notre-Seigneur Jésus-Christ. L’âme religieuse se fait tailler les cheveux, pour montrer son désir de se dépouiller de toute superfluité, signifiée par la chevelure. Dépouillée de tout, foulée aux pieds, broyée, écrasée, l’âme sent bien qu’elle n’est pas faite pour la terre. Et c’est pourquoi saint Augustin, entrant dans le texte même du psaume, conclut: Ergo in pressuris tentationum constituti, edamus hanc vocem, et praemittamus desiderium nostrum: Quam dilecta tabernacula tua, Deus virtutum! Telle est la source du courage de l’âme en souffrance, le désir des tabernacles du Dieu des vertus.

Mais il y a deux sortes de tabernacles, dit encore notre docteur, les tabernacles des pressoirs et les tabernacles de la patrie. Il faut passer par les uns pour arriver aux autres. Et, dans un sens, on peut dire que le tabernacle de la souffrance, c’est le monde. On peut dire aussi que c’est la vie religieuse, à l’imitation du divin Maître, qui s’est placé sous le pressoir de la croix, afin d’entrer au ciel en vainqueur de l’enfer et en libérateur des âmes.

Examinons comment on passe des tabernacles de la souffrance au tabernacle de la joie, du triomphe, de la patrie, du repos.

II. Avancer

Le prophète, au milieu des épreuves qu’il éprouvait lui-même, s’écriait: Quam dilecta tabernacula tua, Domine virtutum; concupiscit et deficit anima mea in atria Domini. La souffrance même lui donne le désir d’avancer. Il sent qu’il y a une maison de Dieu qui est son père, la vraie maison de la famille, et il aime cette maison mille fois plus que le fils n’aime la maison paternelle. Et placée dans le parvis, le vestibule, l’atrium, son âme désire et défaille: Concupiscit et deficit anima mea in atria Domini.

Le parvis, le vestibule peuvent être pris pour les maisons saintes qu’on appelle le vestibule du ciel, quand elles sont habitées par des âmes déjà célestes. Elles ont fait comme une première étape du monde au monastère, et plus elles se sont séparées de l’exil, plus elles s’avancent vers la patrie, vers les tabernacles de Dieu, plus leurs désirs sont grands. Concupiscit et deficit anima mea in atria Domini, cor meum et caro mea exultaverunt in Deum vivum. Ah! c’est la vie qu’elle désire, et la vie est en Dieu. Elle nous est communiquée par ce Jésus, de qui saint Jean nous déclare qu’en lui était la vie: In ipso vita erat. Ce qu’est ce Dieu, vie éternelle en lui-même, se communiquant à ses créatures, le prophète le sait à peine. Qu’en pouvons-nous savoir? Nous, nous savons que notre vie est si lourde que par son poids elle va à la mort. Mais cette vie, qui est Dieu même, ne fait pas seulement tressaillir l’âme, la chair même en éprouve les mystérieuses exultations: Cor meum et caro mea exultaverunt in Deum vivum.

Le passereau a trouvé sa maison, la tourterelle le nid où poser ses petits. Pour l’âme qui tend à la perfection, sa demeure, son nid, ce sont les autels du Dieu des vertus. Altaria tua, Domine virtutum, rex meus et Deus meus. Suivez l’âme à l’autel du sacrifice, à l’autel des parfums; elle a faim du Dieu des vertus, de la royauté de son Maître, de sa divinité; elle s’immole, elle prie, elle obéit, elle adore. Tous les sentiments parfaits sont là.

Beati qui habitant in domo tua, Domine; in saecula saeculorum laudabunt te. Arrêtons-nous un moment pour pénétrer la profondeur de ces paroles. Les Juifs charnels n’entendaient évidemment dans ces chants que le temple de Jérusalem, et cela leur suffisait. Pour David, c’était la patrie, c’était le ciel. Pour l’âme religieuse, ce ne sont plus les tabernacles des pécheurs, ce n’est pas le ciel encore; c’est une tente, un tabernacle; c’est le cloître et ses délices, aux pieds de Jésus-Christ s’avançant vers nous, parce que nous ne pouvons encore être assez purifiés pour aller vers lui. Beati qui habitant in domo tua, Domine, in saecula saeculorum laudabunt te.

Nous sommes déjà dans la maison de Dieu, mes frères; il s’agit de nous y affermir pour pouvoir louer le Seigneur dans les siècles des siècles, et c’est à quoi nous aident merveilleusement nos voeux. Nous sommes engagés pour l’éternité. Heureuses chaînes, précieux liens, qui, si nous les conservons, nous mériterons de louer Dieu éternellement. Beati qui habitant in domo tua, Domine, in saecula saeculorum laudabunt te.

Beatus vir, cujus est auxilium abs te, ascensiones in corde suo disposuit. De nous-mêmes, nous sommes absolument incapables d’aller à la maison de Dieu, mais Dieu nous y aide, et comme en général il ne veut pas nous y transporter d’un seul bond, il met des degrés dans nos coeurs. Le baptême, la vocation, la correspondance, le noviciat, les voeux, telles sont les précieuses étapes que Dieu nous indique et que l’âme, embrasée du désir de la perfection, met dans son coeur. Beatus vir, cujus est auxilium abs te, ascensiones in corde suo disposuit. Ces degrés, nous les avons franchis, et tous les jours à ceux-là il s’en joint de nouveaux, pour nous faciliter de nous élever au sommet de la montagne. Mais d’où s’élève-t-il ainsi? De la vallée des larmes, du séjour qu’il s’est fixé: In valle lacrymarum, in loco quem posuit.

Ne l’oublions pas, nous ne sommes pas encore dans la patrie. Nous sommes dans la vallée des larmes et nous nous y sommes fixés un lieu d’attente, la retraite du monastère: in valle lacrymarum, in loco quem posuit. C’est là que Dieu donne ses bénédictions les plus abondantes: etenim dabit Dominus benedictionem. C’est là que sont les saints progrès: ibunt de virtute in virtutem. Toutefois, saint Augustin semble adopter une traduction qui dit: ibunt de virtutibus in virtutem. Qu’est-ce à dire? Ah! reprend cet interprète admirable, l’âme religieuse a des vertus, mais elle en a qui ne sont qu’un moyen pour aller à celui qui est la vertu, la puissance, la sagesse de Dieu: Christum Dei virtutem et Dei sapientiam. Les vertus de la terre nous rapprochent de cette vertu du ciel, et la vertu du ciel où Jésus-Christ nous communique de quoi accroître nos vertus terrestres et en faire des vertus divines. Et quel en sera le prix? La vision de Dieu. Videbitur Deus deorum in Sion. Nous serons comme des dieux: Ego dixi: dii estis. Progrès admirable!

Ah! qui ne soupirerait pas après un pareil bonheur? Ecoutez le cri du prophète: Domine, deus virtutum, exaudi orationem meam, auribus percipe Deus Jacob.

Protector noster, aspice, Deus, et respice in faciem Christi tui. Ah! oui, Seigneur, regardez-nous et regardez aussi la face de votre Christ. Mais pourquoi le regarder ce Christ? Ah! c’est qu’il est l’époux des âmes chastes. Regardez-le, il les aime et vous les aimerez à cause de lui. Regardez-le et communiquez-leur la beauté de ce Christ, qui est la splendeur de votre gloire. Ah! protégez-les, ces âmes, afin qu’elles avancent en ressemblance avec votre Christ, comme elles avancent vers celui qui est votre vertu éternelle.

Quia melior est dies una in atriis tuis super millia. Pénétrons le sens profond de ces paroles. L’homme peut avoir des milliers de jours: ils commencent avec la lumière qui tombe pour la première fois dans ses yeux, ils finissent de même avec le dernier rayon du soleil qui touche ces mêmes yeux à jamais endormis. Il n’en est pas de même de Dieu. Dieu n’a qu’un jour, le jour éternel qui n’a pas commencé, qui ne finira pas. C’est ce jour auquel l’homme aspire: Melior est dies una in atriis tuis super millia.

Et pour l’acheter, ce jour, qui est la vue de Dieu, qui est la participation à sa gloire, qui est le triomphe éternel, que faut-il? S’abaisser, s’anéantir. C’est ce que fait l’âme dans son progrès vers Dieu. Plus les vertus sont versées en elle avec abondance, plus elle s’anéantit. Elegi abjectus esse in domo Dei mei magis quam habitare in tabernaculis peccatorum. Grande et terrible leçon. Si haut que l’âme soit élevée, il faut qu’elle s’abaisse. Elle choisit l’abjection, non pas seulement dans la maison de Dieu, mais dans la maison de son Dieu. Elle n’a rien, elle est vile et abjecte; mais elle a quelque chose qui est tout, elle a son Dieu; elle tient peu à la maison, puisqu’elle en possède le propriétaire. Ah! ce Dieu lui appartient, il est à lui et il restera avec elle tant qu’elle ne l’abandonnera pas. Heureuse créature, qui en quittant tout trouve tout, puisqu’en choisissant l’abjection elle trouve son Dieu, et que le bonheur de la terre, les honneurs, les plaisirs, tout lui est méprisable, pour être dans la maison de son Dieu. Elegi abjectus esse in domo Dei mei magis quam habitare in tabernaculis peccatorum.

Et pourquoi? Voyez dans quel monde vous êtes transportés: quia misericordiam et veritatem diligit Deus. La miséricorde, la bonté, la vérité, quel choix! Gratiam et gloriam dabit Dominus. Voilà le moyen et voilà la récompense. Est-elle assez grande? Et Dieu n’en veut pas priver ceux qui marchent dans l’innocence. Vous l’aurez, mes frères, cette grâce et cette gloire, si vous savez en être saintement jaloux. Non, Dieu n’en privera pas ceux qui chaque jour font effort pour avancer dans l’innocence. Non privabit eos qui ambulant in innocentia*. Ah! oui, ô Dieu des vertus, heureux l’homme qui met sa confiance en vous!

Confions-nous en Dieu, et que nous souffrions, que nous combattions, toujours nous avancerons. La victoire nous restera et notre triomphe sera éternel.

Notes et post-scriptum