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Informations générales
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  • NECROLOGIE
    MADEMOISELLE EULALIE DE REGIS
  • Semaine religieuse de Nîmes, 3, n°10 ,5 mai 1867, p.118-120.
Informations détaillées
  • 1 APOSTOLAT DE LA CHARITE
    1 MISSIONS ETRANGERES
    1 OBLATES
    1 VOEUX DE RELIGION
    2 REGIS, EULALIE DE
    3 NIMES
  • 5 mai 1867
La lettre

Nîmes a vu s’éteindre, il y a peu de jours, une de ces vies que Dieu place de temps en temps ici-bas, comme pour prouver que les plus pures vertus sont encore possibles dans le monde, et que les obstacles apparents au bien peuvent se tourner par la grâce d’en-haut, à l’aide d’une vigoureuse volonté, en moyens de l’accomplir plus parfaitement.

Avec la santé la plus délicate, mais avec un de ces caractères élevés qui tendent à leur but par l’énergie et la persévérance dans la douceur, Mlle Eulalie de Régis nous a donné pendant de trop rapides années, l’exemple de tout ce que peut une vraie chrétienne résolue à ne pas connaître le découragement, ou plutôt à le connaître pour le terrasser. Privée de bonne heure d’une mère admirable et de plusieurs jeunes frères, elle crut devoir sacrifier à un père douloureusement attteint par tant de deuils, ses aspirations à ce que la vie religieuse a de plus dur; son attrait pour l’austérié du cloître se transforma dans une solitude consacrée aux bonnes oeuvres, d’où elle ne sortait que pour être, comme nous l’avons entendu dire, l’ange des siens, toutes les fois qu’il y avait un ennui à assoupir, un froissement à diminuer, une douleur à consoler.

Aussi, grâce à cette séparation absolue des relations inutiles, trouvait-elle de longues heures pour tant de bonnes oeuvres dont elle était l’âme ou le conseil. Un orphelinat qu’elle a contribué à fonder; la visite des pauvres où elle encourageait de jeunes personnes à dire ce qui convient à ceux qui souffrent; l’oeuvre des Tabernacles, où elle a épuisé ses forces; les Enfants de Marie, du Sacré-Coeur, dont elle avait reçu la charge des mains de Mgr Cart; d’autres pieuses associations qu’elle avait souvent dirigées, étaient trop peu pour sa nature ardente. La pensée d’une vie plus parfaite revenait sans cesse obséder son esprit et elle éprouvait de véritables désespoirs, en songeant qu’elle mourrait sans avoir été religieuse.

Depuis quelque temps, en effet, elle avait compris que fût-elle libre de tout lien extérieur, il ne lui serrait plus permis d’aller frapper à la porte de la Trappe, et nous la vîmes se rejeter avec toute l’impétuosité de son caractère, vers une forme de vie plus convenable à ses forces amoindries. Il y a trois ans qu’elle s’occupait, avec des vicissitudes diverses, de préparer une congrégation commme on en voit surgir quelques-unes de nos jours, destinées aux Missions Etrangères; Dieu qui se sert de tout et confond ce qui est fort par ce qui est faible, supplée à la disette des hommes dans son immense moisson, par d’humbles femmes. Mlle de Rgis crut avoir trouvé une occasion de dépenser en zèle apostolique, ce qu’elle ne pouvait plus offrir à une vie pénitente; ses derniers travaux furent pour les Oblates de l’Assomption. Elle n’a pu en voir que les très modestes commencements, mais elle a donné tout ce qu’elle pouvait en demandant de mourir membre de leur petite famille et à être ensevelie dans leur costume, après en avoir accepté tous les engagements.

Un mois environ avant sa mort, le sentiment de la pureté et de la sainteté du Dieu qui allait être son juge avait troublé, quelques heures, son âme. La permission qui lui fut donnée en recevant les Sacrements, de prononcer les voeux des Oblates, lui rendit une paix que purent admirer les personnes qui la virent à ses derniers moments. Son seul trouble était de n’être pas assez pauvre et la dernière marque d’affection qu’elle demanda de quelques amies qui l’entouraient fut de ne plus lui en donner aucune, afin que ses préoccupations fussent uniquement pour le Ciel.

On a pensé quelquefois que sous la vivacité de sa conviction apparaissait en elle l’esprit de commandemant. Hélas! il y a aujourd’hui si peu de gens qui aient le don de bien commander! Et nous n’avons jamais pu voir en elle que l’impétuosité vers le bien nettement aperçu, la vue très claire des moyens de l’atteindre et un trop grand oubli de la supériorité très réelle de son intelligence qu’elle négligeait trop de cacher, parce qu’elle ne s’en préoccupait pas. Après tout nous n’avons jamais entendu dire que la première condition pour devenir une sainte fût de renoncer à être une femme supérieure.

Devons-nous l’avouer ? Nous pensions être l’un des rares appréciateurs de la valeur de Mlle de Régis; l’universalité des regrets dont nous avons vu entourer tout-à-coup son cercueil, les éloges qui, à ses funérailles, partaient de toutes les bouches nous ont prouvé une fois de plus que le Dieu qui accepte le silence et l’obscurité de certaines vies, sait, au moment voulu, les entourer d’une auréole qui console ceux qui restent, et excite à imiter ceux qui partent, dans leurs combats et dans leurs victoires.

EMMANUEL D'ALZON.
Notes et post-scriptum