juin 1836 – Collège de Nîmes

Informations générales
  • TD42.001
  • [SERMON POUR LE] RENOUVELLEMENT DES PROMESSES DE BAPTEME
  • Orig.ms. CP 119; T.D. 42, pp. 1-7.
Informations détaillées
  • 1 AMOUR DE DIEU POUR SA CREATURE
    1 AMOUR-PROPRE
    1 BAPTEME
    1 CHATIMENT
    1 CHRETIEN
    1 COLLEGES
    1 CRITIQUES
    1 DIEU LE FILS
    1 DOUTE
    1 EGLISE
    1 ENFANTS DE DIEU
    1 EPREUVES
    1 ERREUR
    1 FILS DE L'EGLISE
    1 HOMME CREE A L'IMAGE DE DIEU
    1 JESUS-CHRIST
    1 JESUS-CHRIST MODELE
    1 JEUNESSE
    1 JUSTICE DE DIEU
    1 LIBERTE
    1 LUTTE CONTRE SATAN
    1 MISERICORDE DE DIEU
    1 ORGUEIL
    1 PECHE ORIGINEL
    1 REDEMPTION
    1 SATAN
    1 SOUFFRANCE ACCEPTEE
    1 TENTATION
    2 ADAM
    2 BASILE, SAINT
    2 GREGOIRE DE NAZIANCE, SAINT
    2 MARIE-MADELEINE, SAINTE
    2 PIERRE, SAINT
    3 ATHENES
  • Collège de Nîmes
  • juin 1836
La lettre

Mes enfants,

Ce m’est un grand bonheur, mes enfants, de pouvoir être de la part de Dieu les témoins d’un des actes les plus importants de votre vie. Vous êtes encore aux yeux de la société beaucoup trop jeunes pour pouvoir contracter des engagements obligatoires. Aux yeux de l’Eglise, il n’en est pas ainsi. Sans doute elle sait bien que votre raison n’a pas encore atteint toute sa maturité, mais parce qu’elle peut la former par la grâce, parce que les promesses qu’elle vous demande sont toutes à votre avantage, elle ne craint point de vous faire renouveler les serments que prononcèrent pour vous ceux qui, peu de jours après votre naissance, vous présentèrent aux fonts baptismaux, en demandant pour vous le titre glorieux d’enfants de Dieu et de l’Eglise.

Alors vous ne pouviez demander vous-mêmes une aussi grande faveur, ni accepter les devoirs qui vous étaient imposés. Aujourd’hui vous le pouvez. Instruits des vérités religieuses, vous êtes capables de comprendre et ce que Dieu vous ordonne et ce qu’il vous promet. Souffrez donc qu’avant de prononcer en votre nom les voeux de votre baptême, je vous rappelle rapidement à quoi vous vous engagez et ce que vous avez le droit d’attendre.

Enfants d’Adam, vous portâtes en naissant la tache que la révolte de votre premier père imprima sur le front de tous ses descendants. Vous aviez bien été créés à l’image de Dieu, mais le démon dont le péché originel vous avait fait les esclaves, avait profondément altéré dans votre âme les traits principaux de votre ressemblance divine. Vous étiez condamnés à vivre dans les larmes, à chercher quelques jouissances éphémères à travers mille illusions évanouies et des douleurs inexprimables, incertains d’un avenir dont vous n’eussiez pu soulever le voile que pour découvrir au-delà du tombeau des supplices éternels. Gagner son pain à la sueur de son front sur une terre maudite, retourner dans la poussière d’où vous avez été tirés, être à jamais les ennemis de Dieu et les compagnons de Satan et de ses anges, telle était votre destinée.

Cependant, tandis que la justice de Dieu infligeait au premier homme et à sa postérité cet épouvantable châtiment, sa miséricorde se fit sentir, et, malgré sa dégradation, Dieu regarda encore sa créature avec des yeux de bonté, et il aima tellement le monde qu’il donna son fils unique afin que le monde ne pérît pas. Dieu donc envoya son fils sur la terre, afin d’arracher l’homme au mal et à la domination du démon, mais parce qu’il voulait que l’homme eût quelque part à l’oeuvre de la rédemption, après avoir rompu les chaînes qui l’attachaient à son tyran, J.-C., selon une expression de l’Ecriture, plaça l’homme dans la main de son conseil, c’est-à-dire qu’il lui laissa le choix ou de marcher sous les bannières de son libérateur, ou de retourner sous le joug qui eût dû peser terriblement sur son front.

Ceux qui vous représentèrent à l’Eglise, afin de vous affranchir de cette odieuse domination du péché, promirent que vous suivriez J.-C. et que vous observeriez ce qui vous serait imposé, et voici à quelles conditions il consent à vous compter au nombre des siens.

Vous devez renoncer au démon, c’es-à-dire à toutes les suggestions de l’ange des ténèbres. Sans doute que tout d’abord il est difficile de concevoir comment ce roi de l’enfer, ce père du mensonge et de l’erreur, dont nous connaissons la haine pour les hommes, ne vous inspire pas la plus vive horreur. Mais quelque haine qu’il ait pour nous, il sait la cacher sous des apparences hypocrites. Il est roi de l’enfer, et par cela même, il a une puissance qu’il met quelquefois à la disposition de ceux qui l’écoutent. Vous savez comment il osa offrir tous les royaumes de la terre à J.-C., pourvu que le Sauveur se prosternât pour l’adorer. Il est le père du mensonge, et ce seul nom révèle toutes les ruses qu’il doit employer pour s’emparer de sa proie. Il ne se présentera jamais à vous sous une apparence hideuse, il cachera toujours sous des fleurs les pièges qu’il vous tendra. S’agira-t-il de vous engager à des plaisirs défendus? « Oh! vous dira-t-il, ne faut-il pas prendre quelque repos, et la sévérité de la morale ne peut-elle pas être tempérée par quelques heures de divertissement? ». Et d’abord, ces divertissements seront honnêtes; et puis, quand il verra vos sens enflammés, il saura bien vous offrir [ce] que de sang-froid vous eussiez repoussé avec horreur. Si vous résistez à ce premier assaut, peut-être se retirera-t-il satisfait de l’impression que votre imagination aura reçue. Mais il ne tardera pas à revenir à la charge, présentant à vos yeux les tableaux les plus séduisants, murmurant à vos oreilles des paroles mauvaises. Enfin je serais infini, si je vous détaillais toutes ses ruses.

Vous les reconnaîtrez toutes, mes enfants, si vous savez [vous] maintenir dans la droiture et la simplicité. Le coeur est comme une glace polie. Tant qu’on la conserve parfaitement nette, il est facile de découvrir les objets qui s’y reflètent; mais si vous la laissez se ternir par un souffle corrompu, les images ne s’y retracent plus qu’avec confusion, et à la fin il devient impossible de rien distinguer. Et cependant, en renonçant à Satan vous promettez de repousser toutes ses attaques, de déjouer toutes ses embûches, de lui livrer enfin une guerre éternelle.

Vous promettez encore de renoncer à ses pompes et à ses oeuvres, c’est-à-dire à tout ce vain appareil qu’il étale sous vos yeux, mais particulièrement à tout ce qui peut flatter votre amour-propre, votre vanité, votre orgueil. Depuis que l’homme porte en lui les traces du péché originel, je ne sais quel funeste penchant l’entraîne sans cesse loin de Dieu, et l’empêche de reconnaître que tout ce qu’il a de bon est dû à son auteur. L’homme cherche à se faire centre de toutes choses. Et d’abord, s’il a fait quelque bonne action: « Ah! dit-il en lui-même, je ne suis pas aussi mauvais qu’on le prétend, puisque je suis capable de faire des actes de vertu ». Et voilà qu’il s’attribue la gloire d’une démarche, dans laquelle les circonstances l’ont peut-être poussé plus que sa volonté, qu’il s’en exagère le mérite afin de se grandir d’autant. Et il oublie cette parole du Saint-Esprit à l’homme: « Qu’as- tu que tu ne l’aies reçu de ton Dieu? Et si tu l’as reçu, pourquoi t’en glorifier? ». Et il croit que c’est par sa propre bonté qu’il a agi, et il gâte ainsi par l’orgueil ce qui était bon en soi. Quel échange! Une oeuvre de Dieu en échange du démon!

Ce n’est pas tout. L’orgueil ne se concentre pas au fond de nous, il faut qu’il se manifeste au-dehors, et s’il est agréable de paraître parfait à ses propres yeux, il ne l’est pas moins de voir son mérite reconnu par les autres. C’est ici, mes enfants, qu’il faudrait dérouler toutes les misères et toutes les petitesses auxquelles s’abaissent les hommes pour se grandir en apparence. Mais vous les apprendrez toujours assez tôt, et du reste vous pouvez en trouver des exemples parmi vous. Jetez les yeux sur votre vie de collège. Pourquoi voulez-vous tant être les premiers dans vos classes? Pourquoi ce désir d’obtenir à la fin de l’année une couronne et des prix? Pourquoi si votre nom est proclamé, votre coeur bat-il avec tant de force et vous dites-vous en vous-même que personne ne contestera vos droits? Mais pourquoi, si votre espérance est frustrée, vous sentez-vous involontairement portés à accuser la partialité d’un maître?

Pourquoi, mes enfants? C’est que l’amour-propre est votre grand mobile. A Dieu ne plaise que je veuille ici condamner une noble et généreuse émulation. Je pourrais, si je voulais, en trouver des exemples dans l’Eglise. Je vous citerais saint Grégoire de Nazianze et saint Basile le Grand, les deux plus grands orateurs de leur siècle et qui eurent de si brillants succès dans les écoles d’Athènes, où ils étaient allés étudier; mais je crains bien que souvent l’émulation ne se change en jalousie, comme aussi le désir de réussir en une ambition dont plus tard les effets seront terribles. Ne nous faisons point illusion. Vous devez toujours et dans vos études et dans toute votre conduite faire tous vos efforts pour vous distinguer; mais en même temps vous devez vous souvenir qu’en renonçant aux oeuvres et aux pompes de Satan, vous renoncez à l’orgueil, à la vanité, à une ambition immodérée, peu développée encore peut-être, mais qui profite de toutes les occasions pour jeter de profondes racines dans le coeur et porter plus tard des fruits bien amers.

Mais de toutes les oeuvres de Satan, celle qui doit en ce jour vous inspirer le plus de crainte, à laquelle vous devez renoncer par la résolution la plus ferme, c’est la manie de la nouveauté. Défiez-vous, mes enfants, de cette disposition générale à critiquer, à censurer tout, et, pour me renfermer dans mon sujet, de cet esprit d’orgueil qui se moque de ce qu’il ne comprend pas; comme s’il ne montrait pas une plus grande faiblesse en déclarant ne pas pouvoir comprendre et en refusant de croire, sous le prétexte qu’on attend que des réflexions plus mûres lui permettent de reculer les bornes de son intelligence. Il semble, en effet, naturel de penser qu’un jeune homme qui sort du collège, même après avoir passé plusieurs années sur les bancs, n’a pas encore toute la science convenable pour apprécier des questions qui ont arrêté les hommes les plus savants. Et cependant, pour la plupart du temps, voyez avec quelle assurance les jugements les plus extraordinaires sont portés. Il semble même que la suffisance chez certains est en proportion de leur ignorance. Qu’arrive-t-il de là? C’est qu’après avoir émis du ton le plus tranchant l’opinion la plus paradoxale, il paraît inutile de revenir à un nouvel examen. Comme il serait honteux d’avoir à se rétracter, on n’examine donc pas, on ne se rétracte pas, et l’on avance de gaieté de coeur au milieu d’absurdités inexprimables, avec le calme et le sang-froid que la science la plus vaste n’oserait certes pas s’arroger.

Qu’arrive-t-il de là? C’est que, malgré tous les efforts que l’on fait pour s’assurer que l’on a raison, il faut bien de gré ou de force reconnaître que l’on s’est quelquefois trompé. En conclura-t-on à la nécessité de revenir sur ses jugements pour découvrir la vérité? A Dieu ne plaise! On préfère établir qu’il n’y a pas de vérité absolue, c’est-à-dire qu’il n’y a rien de positivement certain, et que la condition des hommes c’est d’avancer toujours en passant continuellement d’une opinion à une autre, sans pouvoir jamais affirmer que l’opinion du jour, qui a succédé à celle de la veille, ne sera pas renversée par les idées du lendemain.

Vous comprenez qu’avec des principes pareils il ne peut subsister rien de fixe dans les croyances. L’esprit marche, égaré au milieu de pensées vagues, flottantes, comme un voyageur égaré au milieu de sables mouvants, et c’est là, en effet, que le démon attend sa proie. Car un coeur fatigué par le doute n’aime plus Dieu, n’espère plus un monde meilleur. L’esprit lui-même se perd avec le flambeau de la foi. Rien ne le soutient plus, et, dépourvu de tout secours céleste, il tombe inévitablement sous les coups de son ennemi.

En renonçant aux oeuvres de Satan, vous promettez particulièrement à Dieu d’éviter ses pièges et leurs funestes remords. Vous promettez de ne point imiter ces chrétiens lâches qui, voyant le bateau de l’Eglise battu par la tempête, craignent de le voir engloutir par les flots. Vous promettez, mes amis, de dire toujours à J.-C., comme autrefois saint Pierre, (quand le Sauveur, abandonné de plusieurs de ses disciples, se tourna vers la apôtres et leur demanda si eux aussi ne voulaient pas se retirer: « A qui irions-nous, Seigneur, n’avez-vous pas les paroles de la vie éternelle? Oui, J.-C. a les paroles de la vie éternelle, et c’est pour cela que toute parole humaine, qui prétend contredire celle du Sauveur, est menteuse et conduit à la mort.

Mais si J.-C. exige de vous des promesses, il vous en fait, de son côté: promesses bien capables de vous dédommager des sacrifices apparents que vous faites pour vous consacrer à son service. Et d’abord, J.-C. vous délivre du joug du démon, il rompt vos fers, et, quoiqu’il vous laisse la liberté de retourner sous les dures lois de votre tyran, il vous donne tout ce qu’il faut pour vous maintenir dans votre liberté. Il ne vous affranchit pas sans doute de toutes les conséquences du péché: du travail, de la douleur, de la mort, mais il vous les présente comme des épreuves et non plus comme des châtiments. Il fait plus; il vous montre qu’il a voulu mener une vie toute semblable à la vôtre, afin de vous apprendre tout ce qu’il y avait à gagner dans les souffrances. Il a su même nous y faire trouver une douceur secrète, lorsque nous les acceptons avec courage. Il vous montre le chemin de la vertu comme un sentier rude et pénible, mais il vous dit en même temps: « Courage, me voici pour vous soutenir ». En un mot il ne vous commande rien dont il ne vous ait donné l’exemple.

J.-C. vous donne le titre glorieux de frère. Oui, vous êtes ses frères, et c’est par la mort qu’il vous a conquis ce titre. Avant d’aller à la mort, il avait déclaré à ses apôtres, et dans leurs personnes à tous les chrétiens, qu’il ne les appelait plus ses serviteurs, mais ses amis. *Jam non dicam vos servos; vos amici mei estis ». A peine vainqueur de la mort, il charge Madeleine d’aller porter ses ordres à ses frères, et par ce mot c’est encore de ses disciples qu’il veut parler. Frères de J.-C., vous êtes les enfants de Dieu, et c’est pour cela que le Sauveur en nous apprenant à prier, nous ordonne d’appeler Dieu notre père. Quel plus beau privilège, mes enfants, et quel titre de gloire que celui de chrétien!

Notes et post-scriptum