1836 – Hôtel-Dieu de Nîmes

Informations générales
  • TD42.008
  • [Sermon sur l'Assomption]
Informations détaillées
  • 1 ANEANTISSEMENT DE JESUS-CHRIST
    1 ANGES
    1 ANNONCIATION
    1 APOTRES
    1 ASSOMPTION DE LA SAINTE VIERGE
    1 COMPASSION DE LA SAINTE VIERGE
    1 CREATION
    1 CREATURES
    1 CROIX DE JESUS-CHRIST
    1 DIEU LE FILS
    1 EGLISE
    1 ENNEMIS DE L'EGLISE
    1 ERREUR
    1 ESPECE HUMAINE
    1 FOI
    1 HERESIE
    1 HUMILITE
    1 HUMILITE DE LA SAINTE VIERGE
    1 IGNORANCE
    1 IMITATION DE LA SAINTE VIERGE
    1 INCARNATION DE JESUS-CHRIST
    1 JESUS-CHRIST
    1 JUIFS
    1 LOI ANCIENNE
    1 LOI NOUVELLE
    1 MARIE
    1 MARIE NOTRE MERE
    1 MARIE NOTRE REINE
    1 MERE DE DIEU
    1 MERE DE L'EGLISE
    1 MISERICORDE DE DIEU
    1 MORT
    1 NATIVITE
    1 ORGUEIL
    1 PAGANISME
    1 PECHE
    1 PECHE ORIGINEL
    1 PROVIDENCE
    1 PURETE DE MARIE
    1 REDEMPTION
    1 REINE DES ANGES
    1 REINE DU CIEL
    1 SAINTS
    1 SATAN
    1 SOUFFRANCES DE JESUS-CHRIST
    1 THOMAS D'AQUIN
    1 TRINITE
    1 VERITE
    1 VERTUS
    1 VERTUS DE LA SAINTE VIERGE
    1 VISITATION DE MARIE
    2 ABRAHAM
    2 ADAM
    2 AMAN, BIBLE
    2 ARIUS
    2 BERNARD DE CLAIRVAUX, SAINT
    2 CYRILLE D'ALEXANDRIE, SAINT
    2 DAVID, BIBLE
    2 DOMINIQUE, SAINT
    2 ELISABETH, SAINTE
    2 EPHREM, SAINT
    2 ESTHER
    2 FENELON
    2 ISAIE, PROPHETE
    2 JEAN-BAPTISTE, SAINT
    2 LUTHER, MARTIN
    2 MOISE
    2 NESTORIUS
    2 SARA
    2 SIMEON, VIEILLARD
    2 ZACHARIE
    3 ASIE
    3 BETHLEEM
    3 CANA
    3 DELPHES
    3 DODONE
    3 EGYPTE
    3 EPHESE
    3 FRANCE
    3 HARRAN
    3 JERUSALEM
    3 JUDA, ROYAUME
    3 MEMPHIS
    3 MIDI
    3 NAZARETH
    3 ROME
    3 SINAI
  • Hôtel-Dieu de Nîmes
  • 1836
La lettre

Posuit diadema regni in capite ejus. – Il a placé sur sa tête le diadème de son empire.

Livré à un dur esclavage, le peuple d’Israël se voyait l’objet de la haine d’un homme ambitieux, qui, pour assouvir sa vengeance et satisfaire son orgueil blessé, avait juré la perte de la nation entière. En ce temps-là Dieu suscita une femme qui trouva grâce devant le monarque, dont les ordres allaient détruire une nation entière, et le salut des Juifs eut pour gage le couronnement d’Esther. Posuit diadema regni in capite ejus.

Quelque chose de semblable se passe aujourd’hui, mes frères. Ce n’était pas un peuple qui gémissait dans l’esclavage, c’était le genre humain entier courbé sous un joug affreux et condamné à une mort éternelle. L’ennemi des enfants d’Adam, le tentateur, celui qui était homicide dès le commencement, avait juré que toute cette malheureuse postérité subirait éternellement les effets de sa vengeance et de sa jalousie infernale, causée par la vue du bonheur qu’il avait perdu et de celui qui était réservé à la créature destinée à le remplacer dans les cieux. Mais voilà qu’une vierge est choisie, qui se présentera devant le trône de Dieu, et, au lieu que jusqu’alors aucun homme n’avait pu voir Dieu sans mourir, la Trinité adorable la comble de ses faveurs. Le Père la nomme sa fille et lui communique sa puissance; le Fils la salue sa mère et répand sur elle ses splendeurs; l’Esprit-Saint l’embellit de ses dons et la proclame son épouse. Elle est sacrée reine. Le diadème de la divinité est pour ainsi dire mis sur sa tête, Dieu voulant que l’empire de cette nouvelle souveraine n’eût d’autres limites que celles de l’univers. Posuit diadema regni in capite ejus.

Oui, Dieu a posé sur la tête de Marie le diadème de son empire. Et si le couronnement d’Esther fut autrefois le gage du salut des Juifs et de l’anéantissement de leur sentence de mort, je ne crains pas de le dire, le couronnement de Marie dans les cieux est le dernier gage de la réconciliation de Dieu avec les hommes, et la plus grande preuve de la vertu du sang de J.-C. pour pacifier toutes choses au ciel et sur la terre. En effet, mes frères, que Dieu eût consenti à oublier les fautes des hommes et à les affranchir de la mort éternelle, qu’il eût même voulu que ces hommes pussent aspirer au bonheur de son royaume, c’eût déjà été un assez grand prodige de sa miséricorde. Mais que parmi ces hommes il choisisse une créature, qu’il l’élève au-dessus de tout le genre humain, qu’il l’entoure de sa gloire, qu’il lui donne pour cortège la cour céleste, qu’il l’élève au plus haut des cieux, et qu’il ne mette d’autre distance entre elle et lui que l’abîme qui séparera éternellement un être créé de l’être infini, voilà, mes frères, et la merveille de la rédemption et la preuve la plus consolante des destinées qui nous sont promises, pourvu que nous voulions marcher à la suite de notre reine. Car, mes frères, Marie est notre reine.

Il m’eût été agréable de vous développer le titre de sa puissance, de vous faire voir comment elle va puiser sans cesse dans le sein de la divinité des trésors de grâce qu’elle répand sur la terre, de vous la montrer dominant sur les anges et les saints, et ne leur faisant sentir son empire que pour leur commander de nous être utiles pendant notre pèlerinage. Mais parce que ce sujet est trop vaste et qu’il faut se limiter, je vous montrerai Marie protectrice de l’Eglise, et encore ici serai-je obligé de supprimer bien des choses pour ne point trop fatiguer votre attention.

L’Eglise, dont Marie est la reine, est combattue par deux sortes d’ennemis, l’erreur et les passions; je me propose de vous montrer comment Marie en paralyse l’attaque.

Reine des anges, reine de ceux qui sont récompensés dans le ciel des vertus qu’ils ont pratiquées à votre exemple, abaissez au jour de votre triomphe un regard maternel sur ceux de vos enfants qui combattent encore. Soyez-leur favorable en protégeant l’Eglise dont ils sont les membres et dont vous êtes la mère, et faites que ces paroles, en excitant une vive confiance en votre pouvoir, réveillent en même temps dans leur esprit le sentiment de la nécessité d’aimer l’Eglise de votre Fils, pour avoir part à vos bienfaits. Ave, Maria.

Quand une hérésie se forme dans le sein de l’Eglise, elle est presque toujours amenée par des causes dont il est facile de constater l’existence. Ces causes sont ou générales ou particulières. Comme il n’entre pas dans notre plan de descendre dans de trop grands détails, nous nous contenterons de parler des causes générales; et celles-là on peut les reconnaître à l’avance, comme l’on reconnaît à certains signes avant-coureurs l’invasion menaçante d’une maladie pestilentielle.

Presque toujours l’ignorance des peuples est un indice certain qu’un orage va bientôt fondre sur l’Eglise. J.-C. ne nous apprend-il pas que l’ennemi profite du sommeil du père de famille pour semer la zizanie dans son champ? Si donc il arrive aux ouvriers du champ de l’Eglise de s’endormir par négligence, on est sûr de voir bientôt germer des semences funestes jetées dans les sillons pendant un imprudent sommeil. Alors s’il se rencontre un homme d’une énergie fatale, qui ose avancer un principe faux qu’il ne comprend pas pour l’ordinaire, s’il appelle à son aide l’orgueil qui refuse toujours de dire: « Je me suis trompé », cet homme est certain d’amasser autour de lui un certain nombre de mécontents, d’esprits faux, de gens même bien intentionnés, mais dont l’étroitesse de vues est plus frappée d’un abus partiel que de l’ensemble des principes. Et alors plus l’ignorance sera générale, plus aussi aura-t-il des partisans disposés à prêter l’oreille à ses déclamations.

Ainsi donc ignorance, faiblesse d’esprit, orgueil, voilà en trois mots l’explication de toutes les hérésies. Eh bien, mes frères, Marie en laissant à la terre l’influence de ses vertus, apporte aux causes des hérésies un remède puissant. A l’orgueil elle oppose l’humilité, à la faiblesse de l’esprit elle oppose la foi, à l’ignorance elle oppose la manifestation de la vérité.

Entrons dans le détail. Quand un homme a enfanté dans la douleur et élaboré, à la sueur de son front, un système qu’il croit vrai et dans lequel il place tout l’espoir de sa gloire future; si surtout il croit avoir fait faire un pas de plus à la vérité, et relevé une partie du rideau qui cache les mystères de la religion aux yeux si faibles de la raison humaine, il lui est pénible sans doute de s’entendre dire: « Ce que vous avez conçu n’est qu’une erreur; vous avez cru embrasser la réalité, vous n’avez serré qu’un fantôme; au lieu d’augmenter la lumière de l’intelligence, vous n’avez fait que l’obscurcir ». Je l’avoue, il doit lui en coûter pour renverser de ses propres mains l’idole dans laquelle il espérait se faire adorer par le genre humain, et d’échanger le titre de génie profond qu’il ambitionnait pour celui de rêveur. Rêveur sublime, si l’on veut, mais enfin rêveur insensé.

Il se passera dans le coeur de cet homme d’étranges combats. D’une part, la pensée qu’il va sacrifier ce qu’il a de plus cher; de l’autre, la nécessité de soumettre une raison fautive à une autorité infaillible. Sa raison frémit en mordant un frein qui la captive et l’humilie. La foi encore vivante réclame ses droits et demande une obéissance entière, en échange de la vérité qu’elle offre enveloppée de mystères, dont les images seront complètement dissipées dans un monde meilleur. Dans cet état de lutte, où les sentiments les plus opposés bouleversent tout l’homme, comme des vents contraires et furieux se livrent la guerre sur les flots et agitent l’eau jusque dans ses abîmes; dans cet état où toutes les facultés de l’homme sont presque arrachées à leurs bases, c’est bien moins l’esprit qui décide, pour la plupart du temps, que le coeur. Aussi si le coeur est bon, l’esprit finit par se soumettre. Si au contraire le coeur est enflé par l’orgueil, la raison proclame sa révolte. En ces temps de crise on voit ou des Fénelon, ou des Arius et des Luther.

Nier qu’il en soit ainsi serait être bien ignorant dans la connaissance des hommes. Et s’il en est ainsi, s’il est vrai que là où la foi chancelle, il faut qu’elle soit raffermie par le sentiment profond de notre faiblesse, qui oserait contester l’excellence de l’humilité contre l’erreur; qui oserait encore contester l’heureuse influence de Marie pour préserver l’Eglise, par les exemples d’anéantissement qu’elle a donnés, de cet esprit d’orgueil qui a fait tant de ravages et qui menace d’en faire de si grands encore?

Et ici, mes frères, il faut que nous admirions une des positions les plus étonnantes de la Providence. Sans doute Dieu a créé le monde par son Fils, et de même qu’il a créé le monde par lui, c’est par lui encore qu’il l’a racheté. Mais de même que dans la loi ancienne non seulement il a parlé par son Verbe, mais encore par les prophètes; de même dans la loi nouvelle l’Homme-Dieu a voulu faire participer ses saints à l’oeuvre de la rédemption. Et pour cela qu’a-t-il fait? Quelquefois il les a revêtus de sa puissance et les a laissés agir. Ainsi lorsque J.-C. envoya ses apôtres prêcher l’évangile par toute la terre, il leur prédit qu’ils feraient des prodiges que lui-même n’avait pas accomplis, et l’on vit saint Pierre convertir cinq mille hommes dans une seule prédication, et l’ombre des apôtres guérissait les malades. J.-C. n’avait rien fait de semblable.

Mais il est une autre puissance dont il a plu au Sauveur de se dépouiller en partie pour la céder à ceux qu’il veut récompenser, c’est la puissance des vertus et leur influence sur l’Eglise. Puissance qui ne subsiste pas seulement pendant la vie de ceux à qui elle est accordée, mais qui se perpétue par une permission divine après leur mort, et qui même le plus souvent ne commence qu’au moment de leur entrée dans un monde meilleur. Et par un effet de la miséricorde divine, ce ne sont pas toujours les vertus les plus éclatantes dont les fruits se perpétuent le plus longtemps, ce sont souvent des vertus ignorées qui tout à coup se manifestent au-dehors et remplissent le monde de leur éclat.

Ceci, mes frères, s’applique merveilleusement à tout ce que nous connaissons de Marie. Pendant qu’elle a vécu, quelle plus grande modestie, quelle humilité! Dans quelle retraite ne s’est-elle pas enfermée? De quelle obscurité ne s’est-elle pas enveloppée? Il semble qu’elle n’ait permis de raconter d’elle dans l’évangile que ce qui était nécessaire pour mieux connaître son Fils. Avant que s’accomplît en elle le mystère de l’Incarnation, de qui était-elle connue cette vierge de Juda, cette enfant de David? Elle passait ses journées dans la prière. Nous savons seulement qu’elle était vierge et que renonçant à l’espoir d’être la mère du Messie, elle s’était consacrée à une vertu qui était presque un opprobre parmi les filles d’Israël. Quand la plénitude des temps est venue, quand va être scellée la réconciliation entre Dieu et les hommes, Marie est appelée et doit prendre une part nécessaire à cette grande pacification. Un ange lui est envoyé pour lui apprendre qu’elle sera la mère de Dieu. Pensez-vous qu’un titre si extraordinaire ébranle sa profonde humilité? Gardez-vous de le croire: elle préférera le titre de vierge ignorée à celui de mère de Dieu, et Dieu, pour la récompenser, lui expliquera en partie le mystère et lui fera connaître qu’elle sera mère sans cesser d’être vierge.

La charité l’avait conduite chez sa cousine. Elisabeth la salue heureuse entre toutes les femmes, [mais elle] ne songe qu’à rapporter à Dieu le principe de son bonheur. Elle se retirera avant le terme de sa promesse, afin d’éviter le tumulte qui suit toujours les fêtes dont on entoure l’entrée d’un enfant dans le monde. Quelle occasion plus favorable cependant que la naissance miraculeuse de Jean-Baptiste, pour faire connaître le prodige dont l’enfantement du fils de Zacharie n’était que l’avant-coureur! Un ordre général l’oblige une seconde fois à quitter Nazareth, et elle se rendra dans la ville de sa famille subir l’humiliation qui accompagne toujours aux yeux des hommes une grande position sociale perdue. Et dans les lieux où David, avant d’être roi, gardait les troupeaux de son père, Marie, fille de David, n’aura qu’une étable pour recevoir le fils [de] Dieu. C’est dans une crèche que le sauveur du monde veut naître, et elle qui était reine de son Dieu, ne peut lui offrir que la pauvreté la plus absolue.

Que savons-nous du reste de la vie de Marie, sinon qu’elle ne paraît nulle part que pour recevoir de nouvelles douleurs et de nouvelles humiliations? Le vieillard Siméon lui annonce qu’un glaive d’angoisse percera son coeur. Et cette prophétie n’est-elle que le premier coup porté à son amour maternel. Son fils se soustrait une fois à sa vigilance, et lorsqu’elle le retrouve au milieu des docteurs et lui reproche les anxiétés qu’il lui a causées, le Fils de Dieu ne lui répond que pour lui faire sentir la distance qui subsiste entre lui et elle, entre la créature et son auteur. Aux noces de Cana c’est le même langage, et, au moins en apparence, les mêmes rebuts. Et lorsque, plus tard, instruisant le peuple on apprend à Jésus que sa mère le cherche, ne semble-t-il pas la méconnaître encore? Et cependant, à cette seule exception près, Marie pendant tout le cours des prédications, des miracles de son fils, s’est toujours tenue à l’écart. Mais si ce fils est livré aux bourreaux, honteusement attaché à la croix, Marie qui ne l’a point suivi, quand le peuple saluait son entrée triomphale dans Jérusalem, Marie se présentera courageusement au Calvaire pour subir sa part d’opprobres et d’ignominies, pour faire triompher son humilité auprès des douleurs des hommes.

La nuit la plus complète couvre toute sa vie, depuis la résurrection de son fils. Nous savons seulement que l’épouse du Saint-Esprit voulut être dans le Cénacle, quand il descendit sur les apôtres. Dieu voulait que pendant tout le cours de cette vie mortelle elle n’eût d’autre éclat que celui dont elle brillait dans l’anéantissement d’elle-même, et que se réalisât littéralement pour elle la parole du prophète: omnis decor filiae regis ab intus; toute la beauté de la fille du roi est au-dedans d’elle-même.

Eh bien, mes frères, c’est cette beauté que Marie renferme dans son coeur, qu’elle cache aux hommes comme un trésor réservé pour Dieu seul. C’est cette beauté merveilleuse qui resplendit aussitôt après sa mort et fait le plus bel ornement du ciel, en même temps que son éclat répand sur la terre la plus douce et la plus salutaire influence. Mais comment tant de dons avaient-ils passé inaperçus? Ah! mes frères, quelle leçon et que nous devons bien apprendre par là combien les jugements de Dieu diffèrent de nos jugements! Aussi la gloire que Marie obtient ne ressemble-t-elle en rien à la gloire que les hommes peuvent donner. L’une est passagère, celle de Marie est éternelle. L’une peut se répandre d’un bout du monde à l’autre, mais après tout n’apporte à celui qui en est l’objet ni plus de vie, ni plus de puissance; l’autre, au contraire, ennoblit et double les facultés de celui à qui Dieu l’accorde, en même temps qu’elle dilate la source de son bonheur.

C’est qu’un abîme appelle un autre abîme. A un abîme de grâces, dont Marie a été prévenue dès sa naissance, elle oppose un abîme d’humilité. Car l’humilité creuse pour ainsi dire le coeur qui la possède et le rend capable de recevoir des grâces plus abondantes. Et plus l’humilité a agrandi le coeur favorisé des eaux célestes, plus elles s’y précipitent avec impétuosité. Je ne puis mieux faire entendre ma pensée qu’en comparant les rapports qui s’établissent entre l’âme humble et Dieu à une chaîne mystérieuse, où Dieu et l’homme ajoutent successivement un anneau. Voilà le prodige que Marie est venue nous faire comprendre.

Le genre humain sentait l’impossibilité de revenir de lui-même à l’union complète avec son auteur. J.-C. est venu l’opérer et la sceller de son sang. Marie par son humilité est venue nous apprendre non seulement à ne pas la rompre, mais à la fortifier de plus en plus. Et maintenant comprenez-vous, mes frères, que Dieu étant la vérité, qui se rapproche ou s’éloigne de Dieu s’éloigne ou s’approche de la vérité; que l’erreur c’est pour l’intelligence l’éloignement de Dieu, que l’intelligence humble peut seule s’en approcher, et que Marie en nous donnant de si grands exemples d’humilité nous apprend à nous rapprocher de Dieu, c’est-à-dire de la vérité, et par conséquent à fuir l’erreur.

Elle fait plus, car non seulement elle nous apprend le premier remède contre l’erreur, mais encore par les exemples qu’elle nous offre et que nous rappelle sans cesse l’Eglise, elle donne pour ainsi dire à ceux qui font profession de méditer sur ses vertus une force toute particulière pour résister aux suggestions du père de l’orgueil et du mensonge. O vous que l’orgueil séduit et qui croyez être quelque chose de vous-même, ah! dissipez promptement les vapeurs chimériques qui sortent de votre esprit. Voyez, autour de vous que de tristes exemples des victimes de l’orgueil! Aujourd’hui surtout où la raison s’est proclamée souveraine, où l’orgueil dit à la raison: « Je ne croirai que ce que je comprendrai », et où la raison répond: « Je ne crois à rien, parce que je ne comprends rien ». C’est vers vous, ô Marie, que nous nous tournons pour vous demander la force d’éviter l’écueil qui nous menace. Oh! il est bien vrai, si vous, la plus pure de toutes les créatures, vous qui fûtes trouvée sans tache et que Dieu a couronnée souveraine de l’univers, vous n’avez à répondre à Elisabeth que ces paroles: « Celui qui est puissant a fait de grandes choses, il a regardé l’abaissement de sa servante », à combien plus forte raison devons-nous proclamer que de nous-mêmes nous ne sommes rien, nous ne pouvons rien, et que les pensées de notre esprit qui heurteront l’éternelle vérité ne sont que des avortements honteux d’une intelligence égarée. Jetez donc un regard protecteur sur nos esprits et disposez-les à se préparer de plus en plus à la connaissance de la vérité par une plus grande humilité de coeur.

J’ai dit en second lieu qu’après avoir opposé l’humilité à l’orgueil, Marie opposait encore la foi à la faiblesse de l’esprit.

Depuis que l’homme a voulu être comme Dieu, sachant le bien et le mal, outre que la vérité s’est retirée de lui, il rencontre une certaine faiblesse d’esprit qui l’empêche souvent de saisir la vérité, alors qu’elle se présente à lui; semblable à ces insensés qui, pour avoir voulu fixer le soleil, perdent la vue ou au moins en sont privés en partie. Ce qui reste à l’homme dans cet état d’enfantement, et dans l’impossibilité d’avancer seul sans courir le risque d’aller heurter et se blesser contre les bornes du chemin, ou de rouler dans un précipice qu’il n’aperçoit pas, est de choisir un guide qui le dirige et auquel il se livre avec confiance. Or Dieu lui-même a voulu être ce guide. Il a dit à l’homme: « Crois en moi, et je te montrerai la vérité ». Croiriez-vous, mes frères, que l’homme a été assez insensé pour refuser la foi en Dieu? L’homme a dit: « Faites-moi voir et je croirai », quand Dieu lui disait, au contraire: « Crois et plus tard je te rendrai la vue ».

Ah! mes frères, que nous réfléchissons peu sur la conduite de Dieu envers les saints, et que nous avons tort de supposer qu’ils sont entrés dans la gloire sans combat et que les plus grands récompensés ne sont pas ceux qui ont le plus souffert! Certes, si jamais il s’en est livré un terrible dans l’âme d’une créature, c’est bien dans l’âme de Marie, au moment où elle va être élevée au plus haut degré de perfection. Car, comprenez-le bien, si la foi et l’humilité sont deux soeurs qui se soutiennent mutuellement en se donnant la main, ici c’était tout le contraire et c’était l’humilité qui tendait à détruire la foi. Marie en ce moment solennel était placée entre deux abîmes: d’une part, l’humilité qui tout [en] lui permettant de proclamer les dons de Dieu répandus dans son coeur la portait à s’en avouer indigne; et, de l’autre, la foi qui lui ordonnait d’accepter un titre qui ne devait appartenir qu’à une seule créature. Devait-elle être cette créature privilégiée? Jusqu’alors elle n’avait eu qu’à recevoir les faveurs célestes, en s’abaissant davantage à mesure qu’elles s’accumulaient dans son âme. Mais ici c’est une offre qu’on lui fait de la part de Dieu, et il faut qu’elle se décide.

Et que l’on ne dise pas que Dieu, en lui envoyant un ange, lui donnait une certitude invincible d’une communication céleste, telle qu’il la donna à Abraham dans les plaines de Harran ou à Moïse sur le mont Sinaï. Car vous observerez que Marie est troublée à la vue de l’ange et qu’elle ne savait ce que signifiait cette salutation. Quae cum audisset, turbata est in sermone ejus, et cogitabat qualis esset ista salutatio. Sans expliquer de quelle nature fut ce trouble, que les saints Pères ont expliqué de différentes manières, il est certain qu’elle fut troublée et qu’elle cherchait à comprendre quelle était cette salutation, preuve qu’elle ne la comprenait pas.

Or, mes frères, Marie devait se refuser à croire un mystère qui devait s’accomplir en elle seule. Et surtout sa profonde humilité devait la porter à refuser de croire qu’elle eût été choisie entre toutes les femmes, et, d’un autre côté, la foi l’obligeait à se soumettre. Et quelle tentation pour l’orgueil et en même temps pour l’incrédulité: l’orgueil qui se présentait à elle pour lui montrer le rang auquel elle était appelée, la raison qui lui démontrait l’impossibilité de l’accomplissement de si grandes promesses. Et dans cette perplexité que répondra-t-elle, en satisfaisant également à la foi et à l’humilité? « Voici la servante du Seigneur », ou plutôt « son esclave », pour traduire plus littéralement? Elle qui va être la mère d’un Dieu commence par reconnaître sa bassesse: Ecce ancilla Domini. Qu’il me soit fait selon votre parole! Elle n’accepte rien, ne refuse rien, elle écoute la parole de Dieu manifestée par l’ange: Fiat mihi secundum verbum tuum. C’est à Dieu seul qu’elle veut obéir, Dieu seul qu’elle veut croire. Et voilà l’humilité et la foi réconciliées.

Et maintenant venez, hommes qui trouvez qu’il est bien dur de croire, avez-vous les lumières de Marie? Et si vous ne les avez pas, ne devez-vous pas vous soumettre encore plus? Puisque moins vous pouvez vous appuyer sur vous-même, plus vous devez vous appuyer sur Dieu; et vous ne pouvez vous appuyer sur Dieu que par un redoublement de foi. C’est ce que disait autrefois le prophète Isaïe au peuple juif de la part de Dieu: « Si vous ne croyez point, vous ne comprendrez point. Nisi credideritis, non intelligetis. Tant il est vrai, comme le fait observer saint Augustin dans son traité Du libre arbitre et dans une foule d’autres passages, que même pour un philosophe chrétien la foi doit précéder la raison. Or, ne vous étonnez pas si je dis que le plus grand acte [de] foi qui ait jamais été prononcé, fut celui de Marie, lorsque saluée par l’ange du titre de mère de Dieu elle répondit: « Voici la servante du Seigneur, qu’il me soit fait selon votre parole! »

Comment, me direz-vous, Marie a-t-elle dû faire un acte de foi, elle qui avait une communication si intime avec son Dieu et qui, prévenue de toutes les grâces du Saint-Esprit, ne faisait de sa vie qu’une perpétuelle contemplation, elle qui surprise de la salutation de l’ange lui demanda l’explication du mystère qui allait s’opérer en elle, et à qui l’ange répondit en lui développant toute l’économie de l’incarnation. Oui, mes frères, je reconnais hautement avec vous toutes les faveurs que Dieu avait accumulées sur la tête de Marie. Je conviens que sa prière était une union continuelle avec Dieu, que l’ange par ses paroles jeta dans son esprit une grande lumière, mais je n’en persiste pas moins à dire que Marie en acceptant le titre de mère de Dieu faisait un acte de foi, et qu’il est impossible d’en faire un plus grand.

Direz-vous que Marie jouissait de la vision béatifique, c’est-à-dire qu’elle participait, au moment de l’incarnation, à cette vision de Dieu qui fait le bonheur des saints dans le ciel? On ne le saurait [dire], parce que cette vision dont jouissait l’âme de J.-C. est un mystère qui empêche de comprendre avec notre raison bornée les souffrances qu’il a endurées sur la croix, et parce qu’en second lieu J.-C. étant le premier-né d’entre les morts, aucun des enfants d’Adam ne devait être admis qu’après lui au privilège de voir Dieu face à face. C’était donc par la foi que les patriarches avaient communiqué avec le Seigneur, et c’était par la foi que Marie pouvait entrer en rapport avec son Dieu.

Or, considérez ce qui se passe au moment où l’ange remplit sa mission. Quelle impression font sur elle les paroles de l’ange du Très-Haut? Elle est troublée, elle demande comment s’accomplira ce mystère: quomodo fiet istud?. Eh bien, mes frères, vous l’avez, la réponse de l’ange, la comprenez-vous? Ses paroles vous expliquent-elles l’action du Père et du Saint-Esprit dans la conception de l’Homme-Dieu? Mais répondrez-vous, Marie avait des lumières qui nous [sont] refusées. Sans doute, Marie avait reçu des lumières extraordinaires. Mais je ne crains pas de dire que ces lumières ne servaient qu’à augmenter ses perplexités. Car, à mesure, à leur clarté elle pénétrait davantage dans les profondeurs du prodige qui allait s’opérer en elle.

Voulez-vous encore une preuve de la grandeur de la foi de Marie? C’est que tout ce qui s’est passé dans la nouvelle loi ayant été figuré dans l’Ancien Testament, la figure la plus exacte de la foi de Marie est celle du père des croyants, d’Abraham lui-même. Qu’est-ce qui a mérité, en effet, à Abraham le titre de père des croyants? N’est-ce pas la foi qu’il ajouta à la parole de Dieu, lorsque le Seigneur lui demanda de se séparer de sa nation et de sa famille pour aller dans la terre qui lui serait montrée, et lui promit de faire sortir de sa race un grand peuple? Abraham crut, dit l’Ecriture, et reputatum est ei ad justitiam. Et lorsque, avancé en âge ainsi que Sara son épouse, un fils lui est promis, ne croit-il pas contre toute espérance? Credidit contra spem in spem. Sa foi reçoit cependant une première récompense, Dieu lui donne un fils et cet enfant commence à réaliser les promesses. Mais il faut quelque chose de plus à Dieu. Et voilà qu’au milieu de la nuit Abraham reçoit l’ordre de conduire son fils sur une montagne qui lui sera désignée et de l’immoler au Seigneur. Abraham obéit, conduit son fils au lieu du sacrifice, prépare le bûcher, lève le glaive, mais au moment de frapper, un ange arrête son bras. De nouvelles promesses lui sont faites, et toute la nation juive qui sortira de lui sera justifiée en vue du patriarche.

Voilà la figure, voici la réalité. Le Seigneur jette les yeux sur une jeune vierge, la sépare de son peuple en lui inspirant de faire un voeu contraire à toutes les idées de sa nation. Il lui annonce qu’elle sera appelée la mère de Dieu. Cette vierge croit à la parole du Seigneur, elle met au monde un enfant, l’enveloppe de langes, et on lui annonce que cet enfant sera pour elle un sujet de douleurs. En effet, quand le moment voulu approche, ce fils célèbre par sa doctrine et par [ses] miracles est saisi comme un vil criminel et traîné sur une montagne, portant lui-même le bois de son sacrifice. Cette vierge le suit, mais les anges du ciel ne descendent point pour arrêter le bras des bourreaux. Le fils de cette vierge expire et en mourant il donne à sa mère, dans la personne d’un de ses disciples, tous les hommes pour enfants, car en lui il venait de les adopter pour frères.

Or comparez rigoureusement et dites s’il n’est pas vrai que, puisque Abraham par sa foi a mérité d’être appelé [le père] des croyants de l’ancienne loi, Marie mérite, à bien plus de titres, d’être appelée la mère des croyants de la loi nouvelle. Abraham croit que Dieu peut le faire, malgré son grand âge, père d’un grand peuple. Mais quelle différence de la foi qu’il fallait à Abraham pour croire à un tel prodige et de celle qu’il fallait à Marie pour croire qu’elle serait la mère de Dieu. Car si plus le mystère est incompréhensible, plus il y a de mérite à le croire, n’était-il pas bien plus facile à Abraham de croire que Dieu rendrait fécond le sein de Sara qu’à Marie de croire qu’un Dieu s’incarnerait en elle? Abraham a eu sans doute le mérite de l’immolation de son fils, quoique Dieu ne l’eût pas exigée de lui; mais Marie ne l’a-t-elle pas eu à un bien plus haut degré, puisqu’elle a vu son fils, qu’on lui disait être un Dieu, expirer comme un esclave sur un infâme gibet? Oui, il était juste que, puisqu’Abraham a été le père des croyants, Marie fût appelée la mère de tous les hommes et que puisque les Juifs, enfants d’Abraham, ont été choisis pour être le peuple de Dieu sur la terre, les chrétiens, enfants de Marie, formassent le peuple de Dieu dans le ciel.

Enfin, si toutes les nations ont été bénies dans Abraham, à cause du Messie qui devait naître de lui, elles l’ont été bien plus spécialement en Marie qui a donné le jour au Sauveur des hommes et qui, en mettant au monde l’Homme-Dieu, rendait à la terre la vérité qui disparaissait peu à peu derrière les ténèbres les plus épaisses. Mais ceci sera le sujet d’une troisième considération. Un moment de repos.

On ne peut se faire une idée exacte du mystère de l’incarnation et des bienfaits dont il a été le principe, si l’on ne médite attentivement sur l’état où l’homme s’était mis par rapport à Dieu, considéré comme principe de la vérité. Sa nature dégradée ne lui permettait plus de communiquer avec l’auteur de tous les êtres, et son intelligence ternie par les souillures du péché ne pouvait plus réfléchir les rayons de la justice divine. La lumière elle-même s’était retirée, et les vapeurs ténébreuses montant sans cesse de l’abîme obscurcissaient les lueurs mourantes que l’on apercevait encore dans les cieux. Mais parce qu’il faut à l’âme une nourriture, comme il en faut une au corps, dans l’impuissance de saisir l’aliment qui lui est propre, l’esprit de l’homme privé de la vérité s’efforçait de se repaître de pensées mensongères, comme ces malheureux qui poursuivis par une faim cruelle espèrent l’assouvir en dévorant des objets, qui, loin de les calmer, déchirent leurs entrailles.

Jetez les regards sur toutes les monstruosités qui s’étaient manifestées dans le monde depuis le commencement. Rappelez à votre pensée toutes les infamies du paganisme et tous ces mystères mensongers que la vanité des philosophes anciens construisait à grands frais, pour abriter quelques instants la raison fatiguée des impuissantes recherches. Allez interroger ces dieux de la savante Egypte, et les solitudes de Memphis, et les chênes de Dodone et les trépieds de Delphes; voyez le sang humain coulant sous les chênes druidiques, et les Gaulois ensevelis vivants pour apaiser les courroux des dieux impitoyables de Rome. Soulevez, si vous l’osez, le voile qui cache les mystères de la bonne déesse. Je m’arrête, mes frères, et je ne sais ce qu’il y a de plus effrayant de la cruauté ou de la turpitude du culte que les hommes adressaient aux dieux qu’ils s’étaient faits, quand ils s’étaient éloignés de l’adoration du vrai Dieu.

Ce fut [= C’est] au milieu de ces ténèbres que Marie se présente au monde et qu’elle y présente son Fils. Car, mes frères, si Dieu a donné son Fils pour sauver le monde, Marie aussi l’a donné lorsqu’elle consentit à être la mère de Dieu. La Trinité adorable l’avait consultée par le ministère de l’ange, et Marie en consentant à l’accomplissement du mystère avait, pour ainsi dire, scellé par son adhésion le décret de la rédemption du genre humain.

Or le fils de Marie c’est le fils de Dieu, et le fils de Dieu c’est le Verbe, la sagesse, la lumière qui éclaire tout homme venant en ce monde. Et Marie renferme dans son sein le Verbe de Dieu, la vérité, la lumière incréée. N’est-elle pas ce candélabre d’or qui brûle sans cesse dans [= devant] le tabernacle de l’Eternel? Et si je puis me servir de cette comparaison, Marie éclaire le monde par son fils, comme la lampe suspendue devant les autels éclaire pendant la nuit le temple par la lumière qu’elle conserve. Quelle est cette lumière, mes frères? N’est-ce pas la vérité substantielle elle-même? Ah! que les ténèbres de l’ignorance se dissipent donc devant cette lampe précieuse! Car si Jean-Baptiste, pour avoir été le précurseur du Messie, a mérité d’être appelé par le Messie lui-même une lampe ardente et luisante, lucerna ardens et lucens, que ne dirons-nous pas de Marie, en qui la lumière incréée est venue voiler les rayons, de peur que leur éclat ne fût trop vif pour nos faibles yeux?

La voilà donc accomplie cet

Notes et post-scriptum