- TD42.075
- SERMON SUR L'ESPRIT DE FOI POUR LE DIMANCHE DE LA PASSION
- Première partie. [Celui qui est à Dieu écoute et comprend les choses de Dieu]
- Orig.ms. (brouillon) CP 123; T.D. 42, pp. 75-83.
- 1 AMOUR DIVIN
1 BIEN SUPREME
1 BONHEUR
1 CHARITE ENVERS DIEU
1 CHRETIEN
1 CREATION
1 CREATURES
1 CROIX DE JESUS-CHRIST
1 ENFER
1 ESPECE HUMAINE
1 FOI
1 HERESIE
1 JESUS-CHRIST
1 MONDE CREE
1 PECHE
1 PROVIDENCE
1 SOUVERAINETE DIVINE
1 TRIOMPHE DE L'EGLISE
1 UNION A JESUS-CHRIST
1 VERITE
2 ABEL
2 CAIN
2 JEREMIE
3 BABYLONE
3 JERUSALEM - Cathédrale de Nîmes
- 17 mars 1839
Par les choses de Dieu, ou, pour traduire littéralement, par ces paroles de Dieu que celui-là seul entend et comprend qui appartient à Dieu, qui ex Deo est, verba Dei audit, il faut entendre, si je ne me trompe, ces voix intérieures, par lesquelles le chrétien, appuyé sur l’enseignement de la foi, pénètre en quelque sorte les desseins de la Providence. Il faut entendre cette illumination de l’évangile de la gloire du Christ qui ne brille point aux yeux des infidèles, parce que Dieu a frappé leur esprit d’aveuglement: in quibus Deus hujus saeculi excaecavit mentes infidelium, ut non fulgeat illis illuminatio evangelii gloriae Christi. C’est dans ce sens que je comprends l’esprit de foi, dont je me propose de vous parler.
Or quoique Dieu communique lui-même cet esprit à qui il veut et par les moyens qu’il lui plaît, vous savez que nous pouvons faire briller sa lumière dans nos âmes par une humble et attentive méditation: et in meditatione mea exardescet ignis. Recueillez-vous donc pour écouter ce que j’ai à vous dire, afin de l’exciter dans vos âmes.
Il y a dans le monde un merveilleux enchaînement qui rapproche entre elles toutes les créatures, pour les faire concourir vers une même fin. Cet ensemble si prodigieux repose sur trois grandes lois que saint Paul a été chargé de nous révéler. La première nous fait connaître le but de Dieu dans la création: tout a été fait pour ses élus, omnia propter electos. La seconde nous apprend l’usage que nous pouvons faire soit des créatures placées à notre disposition, soit des événements auxquels notre vie est mêlée. Tout, ajoute l’apôtre, coopère au bien de ceux qui aiment Dieu: diligentibus Deum omnia cooperantur in bonum. Cette seconde loi développant la première explique comment tout a été fait pour les élus, puisqu’en aimant Dieu ils entrent non seulement en possession des biens que Dieu a créés pour eux, mais ils font même servir à leur avantage le mal commis dans le monde au sein duquel ils se trouvent placés. Enfin une troisième loi nous initie à la réparation du désordre causé par le péché et à l’enchaînement universel de tous les êtres.
Tout est à nous, c’est toujours saint Paul qui parle. Vous êtes à Jésus-Christ et le Christ est à Dieu: omnia vestra sunt, vos autem Christi, Christus autem Dei. Sur cette triple base repose tout l’ordre de la Providence et de la grâce, et des rapports des hommes avec Dieu. Voilà ce qu’il est nécessaire de croire, si nous avons la foi.
Mais, outre cette foi générale qui dort pour ainsi parler dans le coeur de tous les chrétiens, il y a une adhésion libre, volontaire, complète aux grandes lois divines, et que j’appellerai l’esprit de foi. Et c’est cet esprit qui nous fait juger toutes choses d’après les règles voulues de Dieu. Arrêtons-nous un moment et comprenons la supériorité, où l’esprit de foi nous élève par rapport à la manière dont nous pouvons par lui juger les choses ici-bas.
Que le chrétien se considère dans l’univers. Il en est le maître. Tout n’est-il pas fait pour les élus, et ne doit-il pas avoir l’espérance d’être celui [à qui] tout appartient? Omnia propter electos. Toutes les révolutions des empires, la succession des gouvernements, les guerres les plus générales, la division des états, tout est pour les élus: omnia propter electos. Et que cette proposition ne vous étonne pas. Pouvez-vous dire que Dieu ait créé le monde pour les damnés? Evidemment non. Il l’a donc créé pour ceux qu’il appelle au bonheur. Donc ceux qui ne veulent pas de la loi de Dieu et qui s’agitent dans le monde peuvent bien se laisser guider par les profondes combinaisons de la sagesse humaine; [ils] peuvent proposer des buts divers à leur ambition ou à leur vanité; mais ou il faut dire que Dieu n’est pas le maître du monde qu’il a créé, ou que tous ces grands et fameux acteurs ne sont que de simples machines mues par une main invisible qui les pousse vers une même fin, le triomphe des élus de Dieu. Et voilà pourquoi saint Chrysostome ne craint pas de déclarer que l’âme d’un seul chrétien vaut plus que l’empire romain tout entier, alors qu’il était plongé dans les ténèbres du paganisme.
Ah! chrétiens, comprenez donc tout le prix de vos âmes, puisque Dieu par un de ses impénétrables desseins l’augmente de tout le prix de vos semblables, que sa justice précipite au fond des enfers. En effet, pensez-vous que si au moment où le premier homme se révolta, Dieu eût prévu que tous ses malheureux descendants, héritiers de son crime, ne profiteraient pas du pardon qu’il voulait leur offrir, il n’eût pas brisé notre globe, replongé la créature dans le chaos? Mais aussi bien de tant de générations rebelles à sa voix il aperçoit quelques rares élus dispersés sur la face du monde, comme un grain de raisin que le vigneron n’a pas enlevé de la souche au temps de la vendange. Eh bien, pour ces élus il conserva le monde. Pourvu que sa miséricorde les introduise dans les cieux, elle laissera la justice livrer tant de malheureuses victimes aux cachots éternels.
Mon Dieu, si les hérétiques ne subsistent que pour le triomphe de votre Eglise, si les réprouvés ne reçoivent l’existence que pour servir d’instrument à la sanctification des élus, puis-je découvrir combien seront privés du bonheur éternel à cause de moi? Alors même que je serai sauvé, peut-être ô mon Dieu, ce sont les êtres les plus chers à mon coeur que votre justice séparera éternellement de vous. O Dieu, cette pensée est trop désolante, je n’ose l’approfondir. Mais sans descendre jusqu’aux dernières conséquences et aux applications particulières d’une si terrible vérité, je considère la grande famille humaine divisée en deux camps, dont l’un par la jalousie, la haine et la persécution, travaille sans cesse à son malheur et prépare la félicité de l’autre. Depuis Caïn rougi du sang d’Abel jusques à Jésus crucifié par les Juifs, et depuis le Calvaire jusques aux modernes persécuteurs, je vois cette lutte établie et j’adore en tremblant vos impénétrables desseins.
Toutefois, mes frères, laissez-moi vous demander quels cris de fureur ne partent pas du puits de l’abîme, quand un élu monte vers les cieux. Et puisque vous êtes les enfants de l’Eglise et qu’à ce titre vous pouvez participer à tout ce qui a été fait pour elle, quel ne serait pas votre crime si par votre faute vous abusiez de tant d’incompréhensibles avantages, et quel ne serait pas votre supplice, si vous étiez livrés à la fureur de ceux qui du fond des enfers avaient cru votre salut préparé par leurs tortures?
Mais quoi? Je vois le chrétien souffrir l’injustice et la violence, il est écrasé sous le poids du malheur, il est abandonné de Dieu. Ah! gardez-vous de le croire! Tout coopère au bien de ceux qui aiment Dieu. L’homme ne trouve-t-il pas dans la souffrance le moyen de purifier son âme? Sa perfection n’est-elle donc pas proportionnée à ses douleurs? L’amour divin après tout ne vient-il pas sécher ses larmes en lui apprenant le bonheur, oui, le bonheur de souffrir pour l’amour de celui qui est mort pour lui? Oui, il faut le dire: Diligentibus Deum omnia cooperantur in bonum. Et voilà la foi qui vous conduisant à l’amour de Dieu vous donne la clé de tous les mystères de la vie.
Y aviez-vous pensé, mes frères? Aviez-vous compris jusqu’à ce jour que le vrai bonheur n’était pas de la terre, mais que tout sur la terre pouvait le préparer dans une vie meilleure; que les chagrins les plus cuisants, les pertes les plus douloureuses, les calomnies les plus atroces, tout pouvait y coopérer; qu’il suffisait d’aimer et de souffrir avec amour pour découvrir, à l’aide de la foi, un poids immense de bonheur et de gloire préparé en échange de quelques rapides misères supportées avec résignation à l’ombre de la croix? Non, mon Dieu, je n’y avais pas songé, et je n’avais pas compris jusqu’à quel point vous payez de retour ceux qui vous aiment, en leur faisant trouver un éclat éternel dans le mépris dont le monde les accable et la source d’un torrent de délices dans quelques douleurs fugitives.
Mais, chrétien, ce n’est pas tout. Dieu t’avait tout donné par la création, et voilà que par le péché tu répudies ses présents. Le Seigneur te retirera-t-il ses bienfaits? Non, par des bienfaits nouveaux il t’obligera à rentrer en possession de ton empire perdu. Chrétien, regarde donc le but qu’on te propose. C’est Dieu. Voilà ton héritage, voilà ton royaume, dont celui d’ici-bas n’est une grossière image. Mais un abîme de haine t’en sépare. Dieu est ton ennemi. Comment pourrais-tu le posséder? Ecoute, chrétien. Cet abîme, Dieu le comblera par le sang de son fils. L’instrument du supplice sur lequel ce Fils unique expirera pour toi, il te le présente en signe de réconciliation. L’acceptes-tu? Acceptes-tu la croix? S’il en est ainsi, c’est bien. Maintenant je puis dire que tout t’appartient, comme à tous ceux qui ont été rachetés par ce bois infâme. Omnia vestra sunt.
Par la croix tu appartiens à Jésus. Car lui aussi, il a été marqué de l’huile de la justice pour être Dieu et roi: Unxit te Deus, Deus tuus oleo justitiae. O Dieu, votre Dieu vous a marqué de l’huile de la justice, afin que vous la reportassiez sur la terre; et la justice y étant descendue a embrassé la paix, et par vous Dieu a été rendu aux hommes, et les hommes à Dieu; la chaîne a été renouée. Omnia vestra sunt, vos autem Christi, Christus autem Dei.
Qu’elle est donc grande, mes frères, la destinée du chrétien, éclairée par l’esprit de foi? Si Dieu est le principe de toute perfection, le chrétien que la foi dirige peut considérer son être comme un foyer, dans lequel ce Dieu admirable vient réfléchir tous les rayons de sa puissance et de sa bonté.
Mais connais-tu tous tes privilèges? Sais-tu comment tu appartiens à Dieu? De deux manières, chrétien. De même que toutes choses ont été mises sous ta dépendance sans doute, tu es mille fois plus encore sous la dépendance de Dieu. Mais ce n’est pas de ce côté que je veux te montrer tes rapports avec lui. Montons plus haut. Tu appartiens au Christ et le Christ appartient à Dieu. Donc de même que le Christ appartient à Dieu, tu appartiens au Christ; et le Christ est le Fils de Dieu. Donc tu es l’enfant du Christ. Mais le Christ est Dieu. Donc nous sommes les enfants de Dieu. C’est donc dans le sein de Dieu même que je vous ai conduits, mes frères, pour vous montrer le principe et le terme de votre existence; ou plutôt c’est l’esprit de foi qui a comme soulevé le voile, jeté pour un temps encore sur la splendeur de vos éternelles destinées, et [qui] vous presse de vous plonger dans cet océan de lumière, de vie et de bonheur.
C’est du point de vue où Dieu lui-même considère les choses que je viens vous apprendre à les contempler désormais. Non que vous puissiez pénétrer avec lui dans tous les secrets ressorts, par lesquels il pousse toutes choses vers le but qu’il s’est proposé; mais parce que vous connaissez ce but et que tout ce qui y est contraire est repoussé par sa sagesse. Venez donc, guidés par l’esprit de foi; méditez désormais à sa lumière la place que vous occupez dans la création et apprenez à vous rendre dignes de celle qui vous est destinée dans les cieux.
Ah! que m’importent maintenant les petites passions des hommes et leurs mesquines intrigues? Que m’importe cette sagesse du monde que Dieu a frappée de folie? Qu’est-ce qui pourra être contre moi, quand Dieu a tout fait pour moi, quand tout peut par la charité se tourner à mon avantage, quand par le Christ j’appartiens à Dieu?
Mais il ne suffit pas de se livrer à ces hautes contemplations, si elles doivent seulement produire l’enivrement d’une joie passagère. Si l’esprit de foi n’imposait rien de plus, que de chrétiens en seraient pénétrés! Et cependant que cet esprit est rare! A peine le trouve-t-on même parmi les disciples de Jésus. Sicut lilium inter spinas, sic amica mea inter filias. De même que le lis élève sa tige au milieu des épines, de même ma bien-aimée brille parmi les filles de mon peuple. Remarquez, dit saint Augustin, que l’Esprit-Saint ne dit pas que l’âme chérie de Dieu se distingue parmi les étrangères, parmi ceux qui ne connaissent pas sa voix, qui errent loin du bercail et dans les ténèbres. Non, elle brille parmi les filles du peuple bien-aimé, tant le Seigneur rencontre rarement de ces âmes de choix sur lesquelles il aime à venir se reposer.
Mon Dieu, pourquoi vous connaît-on si peu? Pourquoi notre intelligence si curieuse, si pressée de savoir, se ferme-t-elle ainsi aux rayons de votre vérité? Quel bonheur trouve-t-on à égarer son esprit en de vaines et fatigantes spéculations, qui se heurtent dans la tête comme les rêves incohérents d’un malade en délire? Quelle joie trouve-t-on à amonceler systèmes sur systèmes et de jeter sur le monde les avortements d’une raison désordonnée?
Est-il nécessaire de vous dire, mes frères, que la raison seule ne peut s’élever jusqu’à ce point? La raison? Mais qui lui apprendra, au milieu de la révolte de la création, que même dans son état de désordre cette création appartient à l’homme? La raison? Mais qui lui annoncera que du fond de sa faiblesse, de sa misère, elle a la permission d’atteindre et d’aimer Dieu? La raison? Ah! quand même par un souvenir de son état primitif elle se douterait des destinées éternelles de l’homme, le bouleversement opéré par le mal n’éteindrait-il pas sa lumière vacillante, et pourrait-elle comprendre les excès de l’amour du Père, qui a tant aimé le monde coupable qu’il a donné son Fils unique pour le sauver?
Non, non, il faut être descendu du ciel pour raconter les prodiges du ciel. Non, non personne n’a jamais vu Dieu, et le Fils qui est dans le sein éternel du Père peut seul nous en raconter les secrets et nous introduire dans les trésors de son coeur. Deum nemo vidit umquam; unigenitus filius qui est in sinu patris, ipse enarravit.
Depuis qu’ils ont brisé le joug de la foi, emportés à tout vent de doctrines, les oeuvres de la sagesse humaine ne passent-elles pas devant les yeux du monde, comme des nuées arides que le vent du Nord pousse rapidement en changeant et mêlant à chaque bouffée leurs formes capricieuses. Hélas! la triste expérience ne devrait-elle pas nous avertir, autant que la lassitude, que loin de vous la vérité ne saurait se trouver et qu’on ne la recevra d’aucune bouche si elle ne descend de la vôtre?
Mes frères, le Seigneur nous parle et nous ne l’écoutons plus. Pourquoi? Ah! c’est que nous lui opposons des obstacles secrets au fond de notre coeur. Il importe de les signaler, et c’est ce que nous ferons après un moment de repos.