Analyse des Homélies de saint Jean Chrysostome sur les épîtres de saint Paul.

Informations générales
  • TD42.128
  • Analyse des Homélies de saint Jean Chrysostome sur les épîtres de saint Paul.
  • Première analyse - Panégyrique de saint Paul
  • Orig.ms. CP 125; T.D. 42, pp. 128-141.
Informations détaillées
  • 1 ANGES
    1 APOSTOLAT
    1 CHARITE ENVERS DIEU
    1 CRITIQUES
    1 GENEROSITE DE L'APOTRE
    1 GRACE
    1 IMITATION DE JESUS CHRIST
    1 JESUS-CHRIST
    1 PERSECUTIONS
    1 PUISSANCE DE DIEU
    1 SATAN
    1 VERTUS
    1 VOCATION
    1 ZELE APOSTOLIQUE
    2 ABEL
    2 ABRAHAM
    2 AGRIPPA II
    2 ALEXANDRE, EPITRES
    2 ANANIE
    2 CESAR
    2 DAVID, BIBLE
    2 ELIE, PROPHETE
    2 ELYMAS
    2 ETIENNE, SAINT
    2 ISAAC
    2 JACOB
    2 JEAN CHRYSOSTOME, SAINT
    2 JEAN, SAINT
    2 JOB, BIBLE
    2 JONAS, BIBLE
    2 MARC, SAINT
    2 MICHEL, SAINT
    2 MOISE
    2 NOE
    2 ONESIME
    2 PAUL, SAINT
    2 PHEBE
    2 PHILEMON
    2 PIERRE, SAINT
    2 SAPHIRE
    2 TIMOTHEE, SAINT
    2 TITUS, EMPEREUR
    2 ZENA
    3 ANTIOCHE DE SYRIE
    3 CESAREE
    3 CONSTANTINOPLE
    3 JERICHO
    3 JERUSALEM
    3 ROME
    3 TARSE
  • Conférence à des hommes
  • 1838-1839
La lettre

Messieurs,

Saint Jean Chrysostome nous offre dans ses écrits des modèles de plus d’un genre. Ses commentaires sur la sainte Ecriture surtout, qui d’après l’opinion générale sont ses ouvrages les plus estimés, nous fournissent à la fois les plus beaux exemples de l’éloquence vraie, de l’éloquence chrétienne, en même temps que la preuve de l’inépuisable fécondité des livres sacrés, lorsqu’ils sont médités avec un coeur pur et une intelligence soumise. Saint Jean Chrysostome s’est surtout attaché aux écrits de saint Paul. Les épîtres du grand Apôtre étaient l’objet de son étude spéciale, il les lisait toutes une fois la semaine, sans cesse aussi nous les voyons reproduites dans ses sermons. De là cette admiration profonde pour leur auteur, de là cet amour immense pour Paul, qui se présentait à son imagination tantôt guidant au plus haut des cieux, et avec Pierre, les coeurs des séraphins, tantôt avec le chef des apôtres comme deux flambeaux qui éclairaient Rome, et alors il promettait l’éternité à la ville des César, non parce qu’elle était défendue par des tours et des remparts, mais parce qu’elle possédait les deux colonnes de l’Eglise.

Je me propose, Messieurs, autant que le temps me le permettra, d’analyser devant vous les homélies que saint Chrysostome a composées sur les épîtres de saint Paul. Mais j’ai cru devoir faire précéder cette analyse des éloges que St Jean Chrysostome, soit comme prêtre d’Antioche, soit comme évêque de Constantinople, donna à celui qu’il avait pris pour maître. Je les prendrai soit dans les sept panégyriques de ce père, soit dans les divers sermons où il a eu occasion de parler de St Paul. Ces éloges nous seront utiles en ce qu’ils nous donneront la clef des prodiges de conversions opérés par l’Apôtre des nations, qui n’est autre que sa charité.

L’âme de Paul, [dit] St Chrysostome, est une prairie de vertus, un jardin spirituel. A peine devenu vase d’élection, à peine s’est-il purifié et a-t-il reçu en lui les dons abondants du Saint-Esprit, que de ce vase jaillissent pour nous des fleuves merveilleux, non tels que les quatre fleuves qui prenaient leur source dans le paradis, mais bien plus nombreux; ils coulent incessamment, non pour arroser la terre, mais les âmes des hommes et leur faire porter des fruits de vertu. Qui tentera le récit des vertus de Paul, quelle langue le louera dignement? Lorsqu’une âme renferme toute la beauté humaine, toute sans mesure, et non seulement la beauté humaine, mais la beauté des anges, comment l’égaler par la grandeur des éloges? Trouvez quelque chose de généreux chez les prophètes, les patriarches, les justes, les apôtres, les martyrs; il le réunit tout ensemble et à un degré qu’aucun d’eux n’a jamais atteint. Comparez. Abel offre un sacrifice et il en est loué; mais si vous mettez à côté celui de saint Paul, ce dernier l’emporte de toute la distance du ciel à la terre. Paul s’immole tous les jours et fait une double oblation, l’une en mourant, l’autre en portant sans cesse la mortification dans son corps, et ce n’était pas assez; après s’être offert tout entier à Dieu, il voulut lui offrir le monde entier, la terre et la mer, les grecs et les barbares, en un mot toutes les régions éclairées par le soleil. Prenant comme des ailes pour les visiter toutes, et, non content de les visiter, il en arracha les ronces du péché, y sema la parole de vie, chassant l’erreur, plantant la vérité, changeant les hommes en anges, je dis peu, transformant en anges les hommes de démons qu’ils étaient. Abel offrait des béliers et des taureaux, Paul fut à la fois prêtre et victime. Abel meurt de la main d’un frère à qui il n’avait fait aucun mal, mais à qui il n’avait point fait de bien, Paul par la min de ceux pour qui il s’était exposé à tous les dangers.

Noé bâtit une arche dans laquelle il se sauve, lui et sa famille et les animaux. S. Paul bâtit une arche, mais les planches n’en sont pas de bois; ces planches, ce sont ces épîtres qui renferment le monde entier; ce n’est ni la poix, ni le bitume qui les unit, elles sont liées par le Saint-Esprit, et je ne m’étonne plus que la tempête, loin de les séparer, les resserre. La foi d’Abraham, la douceur d’Isaac, la patience de Jacob, Paul a toutes ces vertus. On a loué Moïse d’avoir voulu mourir pour son peuple, et Paul n’a-t-il pas dit: Je voudrais être anathème à J.-C. pour le salut de mes frères? Quels éloges n’a-t-on pas donnés à la résignation de Job. Paul n’a point, il est vrai, comme lui, couvert le sol des traces de ses ulcères, mais il a livré son corps à la faim, à la soif, à la nudité, aux coups; il s’est jeté au-devant du lion rugissant; il n’a pas été méprisé par trois ou quatre amis, mais par tous ceux qu’il voulait sauver. Enfin, si je le compare à David, à Hélie, à Jean, il leur est supérieur. Dirai-je qu’il surpasse les anges? Je ne blasphème point, puisque Dieu appelle les prophètes ses anges. Les anges exécutent les ordres de Dieu et rien ne les empêche de remplir sa volonté. Paul n’a pas seulement rempli cette loi, il est allé au-delà, et ce que les anges font par l’excellence de leur nature, Paul a pu le faire embarrassé qu’il était dans les liens du corps; aussi voyez de quelles récompenses Dieu l’a jugé digne même avant la résurrection. Il le ravit au Paradis, l’élève jusqu’au troisième ciel, lui communique ce qu’il n’est pas permis aux hommes de rapporter, et c’était à juste titre. Dans toute sa carrière terrestre, il parut dans toutes ses actions converser avec les anges, dont il montra la pureté sous les chaînes d’un corps de boue, et malgré toutes ses nécessités il lutta pour paraître ne céder en rien aux puissances d’en haut. Souvent les anges furent préposés à la garde des nations, mais aucun d’eux ne gouverna que le peuple confié à sa vigilance. Ainsi Michel est-il préposé à la nation des juifs. Paul l’est à la terre, à la mer, au monde, au désert, et ceci je ne le dis pas pour abaisser les anges; non, certes, mais je peux montrer qu’il est possible à l’homme de s’élever jusqu’à eux, de leur être comparé. Pourquoi la mission de Paul n’a-t-elle pas été confiée aux anges? Afin que vous, âmes lâches, vous n’eussiez aucune excuse, aucun prétexte, quand vous vous reposez sur l’infériorité de votre nature. Mais voici le plus grand prodige, car qu’y avait-il de plus prodigieux que de voir d’une langue de fange s’élancer la parole qui mit en fuite la mort, les péchés, renouvelle la nature corrompue et fait de la terre le ciel.

Nous avons vu dans Paul toute l’énergie de l’homme qui s’élance dans les cieux et s’élève à travers les anges, les archanges et toutes les autres vertus, nous ordonne de devenir à son exemple les imitateurs du Christ. Il nous apprend que tout est dans la charité; aussi ordonne-t-il aux fidèles de prier pour leurs persécuteurs, afin d’être vraiment les enfants du Père céleste. Comme il donne lui-même l’exemple de cette vertu! Ecoutez avec quelle douceur, quelle tendresse il parle de ceux qui l’avaient flagellé cinq fois, chargé de chaînes, jeté en prison, de ceux qui étaient altérés de son sang et brûlaient incessamment de le déchirer en lambeaux. J’atteste, dit-il, qu’ils ont le zèle de Dieu, mais non pas selon la sagesse. Il était rongé, consumé en voyant les hommes se perdre, et cherchait une consolation à ses peines dans ces paroles: il sortira de Sion celui qui arrêtera les impiétés de Jacob. Ecoutez encore comme il parle à Timothée: Le serviteur de Dieu ne doit pas combattre, mais se montrer facile à tous, instruire avec patience, reprendre avec douceur ceux qui résistent, afin que si Dieu leur donne le repentir avec la connaissance de la vérité, ils puissent plus aisément se débarrasser des filets du démon.

Voyez-vous cette âme s’élever au-dessus de la terre entière; il semble que le monde soit son oeuvre, tant il est troublé, tant il s’agite, tant il se hâte pour conduire tous les hommes au royaume. Il guérit, instruit, promet, prie, supplie, effraie les démons, chasse les corrupteurs. Par ses écrits, par ses paroles, par ses actions, par ses disciples ou par lui-même, il redresse ceux qui fléchissent, fortifie ceux qui sont debout, relève ceux qui gisent à terre, assainit les âmes meurtries, verse un baume sur les intelligences défaillantes, tonne avec un accent terrible contre les adversaires, regarde ses ennemis en face, général et médecin habile; à la fin il porte des secours, protège, prodigue ses soins, il est tout pour son armée. Et ce ne sont pas seulement les âmes qui l’occupent, il songe aussi aux corps, il pourvoit au sort de Phébé, écrit à Titus en faveur de Zena, demande à Philémon la grâce de l’esclave Onésime. Pour sauver une âme il bouleversait tout, il se fût pour elle livré mille fois à la mort et plus encore s’il l’eût pu.

Grand déjà par la réunion de toutes les vertus, l’amour chez lui éclipsait toute autre splendeur; comme le fer jeté dans le feu devient tout feu lui- même, de même Paul s’abîmant dans les flammes de l’amour devint tout amour.

Et cependant le bienheureux Paul qui a éclairé tout le monde fut à l’époque de sa vocation en quelque sorte aveuglé. Il nous donne lui-même l’explication de cet aveuglement, quand il nous dit: que celui qui se croit sage devienne insensé pour être sage.

Ce n’étaient point les ténèbres qui l’empêchaient de voir, c’était la surabondance des lumières. Pourquoi jusqu’alors n’avait-il pas cru? Pourquoi avait-il aidé au supplice d’Etienne? Pourquoi avait-il persécuté l’Eglise? Parce qu’il n’était pas encore appelé. N’allez pas en conclure que sa vocation ait été forcée. Dieu ne force jamais ceux qu’il appelle. N’a-t-il pas appelé les Juifs qui ont refusé de répondre? tandis que la femme publique de Jéricho, qui n’avait été témoin d’aucune des merveilles opérées pour le peuple choisi, reçut une foi admirable; tandis que même sur la terre de promission ce même peuple est resté plus dur que la pierre. Les Ninivites n’ont-ils pas fait pénitence sur les seules menaces de Jonas? L’un des deux voleurs ne se convertit-il pas en voyant Jésus crucifié? Que dirai-je des flammes qui de nos jours à Jérusalem jaillirent des fondements du temple et dévorèrent ceux qui voulaient le relever? Que dirai-je de ce prince impie, dont l’armée dévorée par la faim fut enveloppée par les Perses comme dans un filet? Et que dirai-je de son pieux successeur, qui délivra miraculeusement cette même armée de tous les périls? N’y a-t-il rien dans tout cela qui renouvelle la piété, et cependant où en est-elle? Et s’il faut parler de ce que nous voyons, que de choses plus prodigieuses encore! La crois n’est-elle pas partout prêchée et le monde ne se presse-t-il pas vers elle? Et celui qui y était attaché n’était-il donc qu’un homme? N’a-t-il jamais existé d’homme sage, puissant, de roi fameux, qui jamais en aussi peu de temps ait conquis le monde? Mais, direz-vous, c’était un magicien. Nous avons vu des magiciens, quelle religion ont-ils fondée? quels disciples ont-ils laissés? Si Jésus était un magicien, pourquoi les démons le craignaient-ils?

Non le Christ n’était pas un trompeur, non il n’était pas un magicien, puisque sa vertu, sa puissance triomphe de tout. Il prend Paul, pauvre artisan, Paul qui nous enseigne que toute science est vanité; il le remplit de sagesse, et ce corroyeur qui jusqu’alors occupé dans son atelier ne connaissait que ses outils, pauvre, persécuté, couvert d’ignominies, s’adressant à des auditeurs pauvres, faibles comme lui, prêchant un crucifié, bien plus fort qu’avec les richesses, la naissance, la gloire, les armes, l’éloquence, ramènera à la vérité les Perses, les Indiens, les Scythes, les Mèdes, les Romains, le genre humain, et cela en moins de trente ans.

Dieu a sans doute permis que de faux prophètes fussent mêlés avec les véritables, mais c’était afin de faire mieux ressortir par l’opposition l’excellence de la vérité. Il a permis qu’on persécutât la vérité, afin qu’elle retirât une gloire plus grande des attaques de ses ennemis. Et maintenant considérons la prodigieuse, l’inconcevable puissance de Dieu, qui se sert des efforts même des hommes mauvais; ceux-là mêmes qui persécutent Paul l’envoient prêcher sa doctrine dans Rome. On ne saurait dire tout ce qu’ont tenté les Gentils, tout ce qu’ont exécuté les Juifs, du côté de la terre, du côté de la mer, du côté des rois, du côté des peuples, c’est quand tous s’irritent de concert, qu’ils rugissent avec le plus de fureur et comme des bêtes féroces, c’est alors que le bienheureux Paul s’élance au milieu de ces flammes, s’élance au milieu de ces loups et qu’attaqué, blessé de toutes parts, non seulement il n’est pas écrasé, mais il les ramène tous à la vérité.

Comme des ronces et des herbes arides deviennent la proie rapide des flammes, ainsi à la voix de Paul, à cette voix bien plus violente que le feu tout cédait, tout faisait place: le culte des démons, les fêtes, les solennités, les cérémonies de la patrie, les ordres des lois, les machinations des citoyens, les trahisons des faux apôtres. Et comme à l’aurore naissante les ténèbres se dissipent, les animaux sauvages se retirent et rentrent dans leurs tanières, les voleurs prennent la fuite, les assassins courent à leurs cavernes, les pirates gagnent le large, les violateurs de tombeaux, les adultères, les brigands dans la crainte d’être surpris par le soleil se dissipent et cherchent une retraite éloignée; tandis qu’à la lumière naissante de l’astre tout sur la terre et sur la mer s’éclaire et brille, les eaux, les montagnes, les cités, ainsi aux premières lueurs de la prédication, au premier aspect de ce Paul qui la répandait en tout lieu, on voyait fuir l’erreur et s’avancer la vérité. Bientôt étincelles, fumées des sacrifices, lyres, cymbales, débauches, incestes, adultères, tous ces crimes célébrés dans les temples et que je n’ose nommer, s’évanouissent, fondent comme la cire sur le feu, brûlent comme la paille sur un brasier, tandis que s’élevait avec splendeur la flamme de la vérité, brillante, touchant les cieux, attisée par tous les efforts de ceux qui la voulaient étouffer.

Où sont maintenant ces hommes toujours prêts à se plaindre, toujours prêts à rejeter sur la mort et la corruption de leur nature leurs fautes et leur éloignement de la vertu? Qu’ils écoutent les actions de Paul et qu’ils suspendent leurs coupables murmures. En quoi la mort l’a-t-elle arrêté? quand la nature corrompue l’a-t-elle entravé? Songez donc à Paul et voyez combien il vous est avantageux qu’il ait été mortel. S’il n’eût été mortel, eût-il pu nous dire, eût-il pu nous montrer par ses oeuvres ce qu’il enseignait: Chaque jour je meurs pour votre gloire que je place en J.-C. Que le pauvre ne gémisse donc plus, que l’homme obscur ne se tourmente plus, que personne ne murmure de ce qu’il y a de plus vil, laissons les plaintes aux esprits mous, aux intelligences énervées. Qu’ont servi à certains hommes l’éclat de la naissance, l’abandon des richesses, le prestige de l’éloquence, la grandeur de la gloire, l’élévation du pouvoir? Et pourquoi ne parler que des hommes, m’arrêter à la terre, quand je puis montrer les puissances supérieures, les princes de ce monde, le père des ténèbres? De quoi leur a servi cette nature si élevée? Ces puissances ne seront-elles pas jugées par Paul et par ceux qui lui ressembleront? Ne savez-vous pas, dit-il lui-même, que nous jugerons les anges, à plus forte raison les choses de ce monde? Or rien ne nous empêche de devenir semblables à Paul, car s’il est parvenu à ce haut degré, il le doit non pas seulement à la grâce, mais encore à sa volonté. Et voulez-vous savoir jusqu’où va sa puissance? Ses vêtements seuls font fuir les démons, mais ce n’est pas ce que j’admire, pas plus que les malades guéris par l’ombre de Pierre; ce que j’admire et ce qui est digne de toute admiration, c’est ce qu’il fit même avant la grâce, quand il commençait pour ainsi dire à balbutier. Déjà son zèle pour le Christ est tel qu’il a enflammé la haine des Juifs, que cerné par eux il soit [= est] réduit à se sauver par les murs de la ville. C’est que ce premier péril, loin de le rebuter, l’excite au contraire à en affronter de nouveaux quand il s’agira d’instruire ses frères; c’est qu’il ne cèdera à personne le privilège d’évangéliser, mais qu’embrassant de nouveau la croix il ira toujours, sans que rien, ni l’exemple d’Etienne qu’il a sous les yeux, ni la fureur des Juifs qui brûlent de se rassasier de ses membres, puissent un instant l’arrêter. Poussé par le même amour, il se fera tout à tous, il se circoncira avec les uns, mangera des viandes défendues avec les autres. De même qu’un habile médecin selon la nature du mal ordonne des remèdes, impose la privation des aliments, emploie le fer, le feu ou des moyens plus doux; de même Paul, médecin des âmes, aura recours à tous les moyens de guérison, avec un zèle d’autant plus grand que l’esprit est plus au-dessus du corps. Vous le verrez tantôt s’humilier, tantôt se donner des éloges, et vous devrez admirer l’éloge qu’il fait de lui-même autant que son humilité. Jamais il n’a qu’un motif, l’amour. Il profite de toutes les occasions de s’abaisser et ne parle avantageusement de lui qu’autant qu’il est nécessaire; il s’en faut bien qu’il nous ait confié toutes ses révélations, et encore quand il en dit quelque chose, semble-t-il parler d’un étranger: « J’ai connu un homme… ». Nous occuperons-nous des reproches qui lui ont été faits? Il a, dit-on, craint les supplices; mais s’il s’est défendu ainsi, c’est que fortement résolu à ne jamais céder, il s’occupait de l’avenir; car du reste, souvenez-vous de ces paroles: « Qui pourra nous séparer de l’amour du Christ? la tribulation, la persécution, les angoisses, les périls, le glaive », ajoutez les souffrances journalières, la mort qu’il endure chaque jour. Et c’est au contraire là son plus beau triomphe. La crainte vient de la nature corrompue, la volonté la répare. Or par la volonté Paul s’est montré non seulement supérieur aux hommes, mais l’égal des anges; il a craint la mort, les supplices, il n’en a pas moins affronté les supplices et la mort. C’est par là qu’il s’est couvert de gloire; de même que celui-là est le plus digne d’éloges, qui dans le combat craint les coups et n’en rapporte pas moins la victoire, comme celui qui ne craint rien. Et voyez cet admirable combat de la corruption et de la volonté. Paul craint la mort et ne refuse pas les tourments. Dans son amour pour le Christ il souhaite d’être dissous. Il connaît sa faiblesse, mais voyez comme il la surmonte. « Je châtie mon corps, dit-il, je l’asservis, de peur qu’après avoir évangélisé les autres, moi-même je ne sois réprouvé ». Aussi l’entendez-vous toujours célébrer la grâce de Dieu, l’appeler sans cesse, reconnaître qu’il lui doit tout.

Direz-vous encore que Paul a maudit Alexandre(1)? Mais ce n’était point par haine. C’était le zèle de la vérité outragée. Du reste, écoutez-le encore: « On nous maudit et nous bénissons, on nous persécute et nous souffrons en patience, on nous anathématise et nous prions ».

Direz-vous que ce fut par colère que le magicien Elymas fut frappé d’aveuglement, que Pierre punit de mort Ananie et Saphire? Personne assez insensé, assez ignorant pour le dire. Ce fut la charité qui le guida, quand il retrancha de l’Eglise l’incestueux de Corinthe. Ce fut le même motif qui lui fit repousser Jean surnommé Marc. Celui qui se livre au ministère de la parole doit être sans hésitation, sans lâcheté, courageux et ferme. Qu’il ne se dévoue point à cette oeuvre sublime, s’il n’est prêt à exposer mille fois sa vie à la mort, aux tourments, selon la parole du Seigneur: « Si quelqu’un veut venir après moi, qu’il renonce à lui-même, prenne sa croix et me suive ». Qui n’est pas ainsi disposé perd beaucoup d’âmes. Et il lui vaut mieux de se retirer, de ne songer qu’à lui seul, plutôt que de se présenter et de se charger d’un poids au-dessus de ses forces; car il s’expose lui et ceux qui lui sont confiés. Celui-là ne serait-il pas insensé qui ignorant l’art de diriger un navire, de lutter contre les flots, sans s’occuper de tous ceux qu’il expose, s’assoit auprès du gouvernail? Que sera-ce donc de celui qui va évangéliser sans réflexion, au hasard, et expose ainsi mille vies? Si le pilote, si l’athlète, si le gladiateur sont tous prêts à périr, celui qui veut évangéliser ne doit-il pas y être préparé? Les dangers sont bien plus grands pour lui, ses ennemis bien plus acharnés, et puis il ne combat pas aux même conditions. Le ciel aux vainqueurs, aux autres l’enfer. Pour son âme il s’agit du salut ou de la perdition, et voilà pourquoi Paul ayant vu Jean surnommé Marc trembler dans le combat, se retirer du premier rang où il était placé, ne voulut plus travailler avec lui. Lorsqu’au bruit du clairon et précédés par de nouveaux soldats, ceux qui portent les insignes royaux entrent dans une ville, le peuple se presse pour entendre le son des trompettes, voir ces insignes et admirer la valeur de celui qui en est décoré. Aujourd’hui donc que Paul entre non dans une ville, mais dans le monde, accourons tous. Les ornements qu’il porte ne sont pas des rois de la terre, c’est la croix du Christ, roi du ciel. Ce qu’il porte fait à la fois sa gloire et son appui. Il est précédé non par des hommes, mais par des anges; si en effet ceux qui passent une vie commune et ne font rien que de commun ont reçu du maître de toutes choses un ange pour les garder, à combien plus forte raison ceux qui veillent sur le monde entier et qui supportent un poids immense de grâces sont-ils aidés par les puissances d’en-haut?

Ceux qui dans le monde obtiennent des honneurs portent des habits magnifiques, sur leurs poitrines des colliers d’or, ils sont tout éclatants. Le collier de Paul, ce sont des chaînes; et c’est ainsi qu’il porte sa croix. On le poursuit, on le frappe, il meurt de faim, mais gardez-vous de le plaindre. Ces ignominies font sa splendeur, et ses pauvres vêtements sont plus précieux que les parures d’or et les tuniques de pourpre. Car quelle robe, si magnifique qu’elle soit, a diminué par son attouchement les ardeurs de la fièvre? Les démons, les maladies fuient devant les insignes du Christ portés par le bienheureux Paul, avec plus d’effroi que les voleurs devant les insignes royaux. Or Paul nous apprend à l’imiter même en celà. Ce que vous avez vu ou entendu de moi, faites-le, dit-il. C’est comme s’il disait: Vous avez vu de quoi était capable la nature humaine, malgré les entraves de la chair. Car ce n’est pas l’immatérialité des anges qui fait leur privilège, Satan est bien immatériel et pourtant il est le plus malheureux des êtres. Nous appelons malheureux non les hommes que nous voyons emprisonnés dans la chair, mais ceux qui ne s’en servent pas pour la fin convenable. Paul était bien emprisonné, et cependant que n’a-t-il pas fait? Que si vous demandez s’il est possible de l’imiter, écoutez ses paroles: « Soyez mon imitateur, comme je le suis du Christ ». Il a été l’imitateur du Christ, et vous ne le serez pas d’un compagnon de votre esclavage? Il a pu rivaliser de zèle avec son maître, et vous ne rivaliseriez pas avec un serviteur comme vous? Où sera donc votre excuse? Mais comment a-t-il imité le Christ? Suivez-le dès le commencement de son principe. Il sort des eaux vivifiantes, portant en lui une lumière telle qu’il n’avait pas besoin de maître. Il ne suivit ni Pierre, ni Jacques, ni aucun autre. Mais consumé par son zèle, il enflamma la ville où il était au point de s’attirer de la part des Juifs la guerre la plus cruelle. Tel Moïse, sans être envoyé par aucun homme, délivra des vexations des barbares ses compagnons de servitude. Et voilà la marque d’une âme généreuse, d’une intelligence libre, qui ne peut souffrir en silence les maux des autres, quand même rien ne l’oblige à s’en occuper.

D’autre part admirez sa docilité. On lui commande d’aller à Tarse, à Césarée, et il y va; on lui dit qu’il faut le descendre le long d’un mur, et il laisse faire; on lui conseille de se raser la tête, et il y consent. On l’engage à ne pas aller au théâtre, et il cède. Que si vous le voyez en appeler à César, gardez-vous de croire que ce soit chez lui lâcheté. Il veut prendre les moyens de répandre cette même religion que les Juifs s’efforçaient d’étouffer, et il profitera de toutes choses. Cité devant Agrippa, il touchera ce prince au point que peu s’en faudra qu’il ne se fasse chrétien. Il profitera de son voyage sur mer, de son naufrage, de sa prison où il convertira ses bourreaux. Délivré de ses chaînes, il courra en Espagne.

Tous ceux qu’atteignait la voix de Paul en étaient bouleversés. Ses ennemis mêmes étaient un aliment à sa flamme, et même par eux sa parole parvenait à d’autres. Aussi disait-il: « je suis enchaîné, mais la parole de Dieu ne l’est pas ». Les poursuites acharnées de ses ennemis ne lui permettaient pas de s’arrêter dans le même lieu, et c’est ainsi que sans le vouloir ils le forçaient à porter des paroles de salut dans toutes les provinces. On le livre à un geôlier, mais ce geôlier est enchaîné, et bien plus fortement, par Paul lui-même. On le jette, de peur qu’il ne s’échappe, au milieu de nombreux prisonniers, et ces prisonniers il les convertit. On l’envoie à Rome par mer, et sa navigation est pour lui une occasion d’évangéliser ses compagnons de voyage. On le tourmente par mille supplices afin d’arrêter le cours de sa prédication, toujours il poursuit.

Ils avaient dit de son maître: « Tuons-le, de peur que les Romains ne viennent et ne détruisent la ville et la nation ». Et à peine l’ont-ils tué que les Romains viennent et détruisent leur nation et leur ville. Ce qu’ils croyaient un obstacle devient un moyen de prédication. Ainsi quand Paul évangélise, tout ce qu’ils font pour étouffer ses paroles augment leur force et leur donne un plus grand éclat. Rendons grâce à Dieu qui a préparé toutes ces merveilles, glorifions Paul qui les a accomplies, demandons de pouvoir participer aux mêmes biens, par la grâce et la charité de Jésus-Christ Notre-Seigneur, par qui et avec qui gloire soit au Père, et au Saint-Esprit, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il!

Notes et post-scriptum
1. 1 Tm 1, 20.