Analyse des Homélies de saint Jean Chrysostome sur les épîtres de saint Paul.

Informations générales
  • TD42.142
  • Analyse des Homélies de saint Jean Chrysostome sur les épîtres de saint Paul.
  • Homélies de saint Jean Chrysostome sur l'épître de saint Paul aux Romains
  • Orig.ms. CP 216; T.D. 42, pp. 142-155.
Informations détaillées
  • 1 ATHEISME
    1 AUGUSTIN
    1 CHATIMENT
    1 CIEL
    1 CONVERSION SPIRITUELLE
    1 CORRUPTION
    1 DON DE SOI A DIEU
    1 ECRITURE SAINTE
    1 ENFER
    1 ENVIE
    1 ERREUR
    1 FOI
    1 GRACE
    1 INJUSTICES
    1 JESUS-CHRIST
    1 JUGEMENT DERNIER
    1 JUIFS
    1 LOI ANCIENNE
    1 LUXURE
    1 MORT
    1 ORGUEIL
    1 PAGANISME
    1 PECHE
    1 PECHE ORIGINEL
    1 PECHEUR
    1 SALUT DU GENRE HUMAIN
    1 SODOMIE
    1 VERITE
    2 ARISTOTE
    2 CEILLIER, REMY
    2 ISIDORE DE PELUSE, SAINT
    2 JEAN CHRYSOSTOME, SAINT
    2 JEREMIE
    2 PAUL, SAINT
    2 PELAGE
    2 PIERRE, SAINT
    2 PLATON
    3 ANTIOCHE DE SYRIE
    3 SODOME
  • Conférence à des hommes.
  • 1838-1839
La lettre

Epître de saint Paul aux Romains.

Homélie de S. Jean Chrysostome

Voici le jugement de saint Isidore de Péluse sur les homélies de saint Jean Chrysostome au sujet de l’épître aux Romains. C’est, dit-il, le trésor de la science de ce saint; et si saint Paul s’était voulu expliquer lui-même avec la plus pure éloquence des Grecs, je ne crois pas qu’il l’eût fait d’une autre manière, tant cet ouvrage est admirable pour les pensées, pour l’ornement et pour la propriété des termes. Quelque pompeux que soit cet éloge, remarque Dom Ceillier, il est adopté de tous les savants. Plusieurs autres personnes doctes ont reconnu la même universalité des suffrages. Je dois pourtant faire observer que quelques personnes estimables ont cru voir des différences entre la manière dont saint Chrysostome parle de la grâce et celle dont saint Augustin traite le même sujet. Je regrette [de] n’avoir pas eu le temps de comparer les idées de ces deux grands évêques. On peut cependant considérer que leur différence d’opinion peut bien ne provenir que du point de vue où ils s’étaient placés; l’un repoussant les prétentions de Pélage qui accordait tout au libre arbitre, releva la puissance de la grâce divine; l’autre fut obligé de dégager la volonté humaine des enveloppes dont la couvraient les idées nées du panthéisme oriental. Faute de distinguer le genre d’ennemis auxquels l’un et l’autre avaient à faire, on a conclu de leurs contradictions apparentes qu’ils ne pensaient pas de même.

Saint Chrysostome a composé trente-deux homélies sur l’épître de saint Paul aux Romains. Il la suit pas à pas et developpe ainsi les pensées sublimes que l’Apôtre des nations n’avait pour ainsi dire jetées qu’en germe. Il me sera bien difficile, Messieurs, de vous présenter une analyse exacte de ces homélies: suivre saint Jean Chrysostome dans tous ses développements ne se peut pas, le restreindre aux bornes que m’impose le temps c’est retomber dans une traduction du texte de l’épître. J’ai préféré vous dire un mot du but que se proposait saint Paul en écrivant aux Romains et ne vous présenter les explications de saint Jean que sur les faits importants.

Il paraît que saint Chrysostome prêcha les homélies à Antioche, lorsqu’il n’était encore que prêtre. Toutes les fois qu’on célébrait la mémoire des martyrs, ce qui avait lieu, comme lui-même nous l’apprend, deux, trois, quatre fois la semaine, on faisait la lecture des écrits du grand apôtre; alors son âme s’enflammait, il lui semblait entendre Paul lui-même s’adresser au peuple. Et plein d’enthousiasme il ne pouvait s’empêcher de parler, de reprocher au peuple son indifférence pour les saintes Ecritures. Il se demandait d’où venait la corruption des moeurs, d’où sortaient tant d’hérésies, et il répondait que la négligence des chrétiens à s’instruire des livres, où sont à la fois exposées et les règles des moeurs et les vérités de la religion, était la source de tant de maux; c’est pour y porter remède le plus qu’il le pourra qu’il entreprend d’expliquer ces livres aux fidèles et leur demande, sinon de les méditer eux-mêmes, au moins d’écouter avec recueillement ce qu’il se propose de dire pour les leur faire comprendre.

Saint Paul adresse aux Romains quelques reproches sur leur orgueil et veut leur faire adorer les vues de Dieu, vues de miséricorde et de justice qui sauvent le genre humain dégradé.

La colère de Dieu, dit-il, se manifeste contre l’impiété et l’injustice des hommes qui retiennent la vérité dans l’iniquité. Après avoir établi, observe saint Chrysostome, que l’évangile est la cause du salut, de la vie, de la puissance de Dieu, le moyen de notre rédemption et de notre justification, saint Paul parle des choses qui peuvent effrayer ceux qui refusent de le recevoir, et comme la plupart du temps la grande majorité des hommes est portée à la vertu, moins par la promesse des récompenses que par la crainte des châtiments, il se sert de ces deux moyens. Ainsi Dieu n’a pas seulement promis le ciel, il a aussi menacé de l’enfer. Ainsi les prophètes en s’adressant aux Juifs ont, selon les temps, mêlé les calamités aux biens qu’ils annonçaient. Ainsi Paul dispose-t-il ses paroles, il offre les récompenses, ensuite il parle des maux qui nous attendent, en prouvant que les unes sont la première pensée de Dieu, les autres un effet de notre malice et de notre incurie. Et voyez comme il relève ses paroles. La colère de Dieu, dit-il, se manifeste du haut du ciel, et nous en avons souvent des exemples dès cette vie, ou par la peste, ou par la famine ou par la guerre; chacun en particulier, tous en général sont punis. Qu’est-ce donc que ces nouvelles menaces? C’est que le supplice sera plus grand qu’il sera général, qu’on l’infligera pour des causes nouvelles. Car notre conversion est le but de ce qui se passe maintenant, plus tard ce sera pour notre châtiment; c’est ce que Paul fait entendre quand il dit que nous sommes châtiés maintenant, afin de n’être pas jugés avec le monde. La colère divine ne nous semble pas aujourd’hui la cause de bien des malheurs que nous attribuons à la malice des hommes, mais alors se manifesteront les châtiments décernés par Dieu, lorsque le juge s’asseyant sur le formidable tribunal ordonnera de précipiter les uns au fond des brasiers, les autres dans les ténèbres extérieures, et d’autres enfin dans diverses tortures inévitables et inouïes.

Venant ensuite au jugement de Jésus-Christ contre toute impiété et injustice des hommes qui retiennent la vérité dans l’injustice, il montre que l’impiété a plusieurs voies, que la vérité n’en a qu’une. L’erreur est changeante, a plusieurs visages, mille formes, la vérité est une.

Après avoir parlé des dogmes il parle aussi des moeurs au sujet des injustices des hommes: elles sont infinies, injustice d’argent quand on fraude le prochain, injustice pour les femmes, quand après avoir chassé celle que l’on avait, on prend celle d’un autre. Paul appelle tout cela fraude, quand il dit que personne n’opprime ou ne fraude en rien son prochain. Certains pour une femme ou pour de l’argent ébranlent la réputation du prochain, et c’est encore une injustice, car un nom intact vaut mieux qu’une grande fortune. Tous ces crimes ont attiré la colère de Dieu, et les hommes se sont retirés de lui. Le Seigneur s’était montré à eux, mais ils n’ont point voulu de lui. Leur corruption les a aveuglés, et c’est pour cela que connaissant Dieu ils ne l’ont pas glorifié comme Dieu, ils ne lui ont pas rendu grâce. Et voilà leur plus grande accusation; la seconde après celle-là c’est l’adoration des idoles, que Jérémie annonçait par ces paroles: ce peuple a commis deux crimes, il a abandonné en moi la source de l’eau vive et il s’est creusé des réservoirs pleins de fentes.

L’apôtre donne l’explication de la démence dans laquelle ils sont tombés. Qu’est-elle donc? Ils ont tout bouleversé par leurs raisonnements; et il parle ailleurs d’une manière encore plus terrible: Ils sont devenus insensés dans leurs pensées et l’ignorance a obscurci leurs coeurs. Comme celui qui dans une nuit sans étoile voudrait parcourir une route inconnue ou se livrer à la mer, loin d’atteindre le but de sa course, périrait infailliblement. Ainsi ces hommes voulant suivre la voie qui conduit au ciel, après avoir éteint la lumière qui les éclairait, appuyés sur les seules ténèbres de leur raison, cherchant dans leurs corps ce qui est incorporel, dans les figures ce qui n’a pas de figure, ont fait un funeste naufrage. A ce qu’il a dit déjà, il ajoute une nouvelle cause d’erreur. Lorsqu’ils se disaient sages, ils sont devenus insensés, concevant de grandes pensées d’eux-mêmes et ne pouvant les réaliser, ils se sont plongés dans la folie de leurs pensées. Saint Paul montre ensuite et dépeint leurs vacillations, et comme si elle fût irrémédiable et indigne de pardon, il ajoute: ils ont changé la gloire d’un Dieu incorruptible pour l’image d’un homme corrompu, des oiseaux, des quadrupèdes et des reptiles. Premier crime, ils n’ont pas trouvé Dieu; second crime, ils avaient pour le trouver des raisons grandes et manifestes; troisième crime, ils se sont appelés sages; quatrième crime, non seulement ils n’ont pas trouvé Dieu, mais ils ont adoré les démons: des pierres, du bois, au lieu du culte qu’ils lui devaient. Mais afin que vous compreniez bien qu’ayant la connaissance de Dieu, ils l’ont abandonné, Paul se sert de cette expression ils ont changé; celui qui change ne change que pour avoir quelqu’autre chose. Ils ont voulu trouver quelque chose de plus, ils ont voulu franchir les bornes imposées, ils étaient désireux de nouveautés. Tels étaient les vains systèmes des Grecs. C’est aussi pour cela qu’ils se combattirent eux-mêmes. Aristote attaqua Platon. Les Stoïciens exhalèrent toute leur fureur contre ce dernier, la guerre s’éleva de tout côté; il ne faut donc pas s’étonner, si non seulement ils se haïrent par amour pour la sagesse, mais encore si elle les rendit fous. Car s’ils ne s’étaient point livrés à leurs raisons, à leurs arguments, à leurs sophismes, ils n’eussent pas eu à souffrir ce qu’ils souffrirent. Enfin généralisant, saint Paul attaque l’idolâtrie de tous. En quoi ont-ils changé? Où ont-ils placé leur gloire? Examinez, il fallait s’imaginer que Dieu était le maître de toute chose, qu’il avait fait ceux qui n’étaient pas, qu’il prévoit tout; là est la gloire de Dieu. A qui l’ont-ils attribuée cette gloire? Non pas à des hommes, mais à l’image d’un homme corrompu, et ils ne se sont pas arrêtés là, ils sont descendus jusqu’aux brutes, jusqu’à leurs figures. Or considérez avec moi la sagesse de Paul, et comme il a su comparer les deux extrêmes: Dieu, tout ce qu’il y a de plus haut; les reptiles, tout ce qu’il y a de plus bas et non seulement les reptiles, mais leurs images, afin qu’on vît bien leur folie dans tout son jour. Mais, direz-vous, quel rapport cela a-t-il avec les philosophes? Un très grand, ils ont eu pour maîtres les Egyptiens inventeurs de toutes ces choses, et Platon lui-même, celui qui paraît le plus grave de tous, ne s’en glorifie-t-il pas? Son maître reste en admiration devant les idoles; ce fut lui qui ordonna de sacrifier un coq à Esculape; vous le verrez adorer des animaux, des reptiles, Apollon, Bacchus, au milieu des adorateurs des animaux et des reptiles.

C’est pour cela que Dieu les a livrés aux désirs de leur coeur, à l’impureté, afin qu’ils déshonorent mutuellemet leurs corps. Ainsi s’exprime saint Chrysostome, développant le tableau que saint Paul faisait aux Romains de la corruption des hommes; il montre les suites funestes de l’erreur, et combien étaient grandes les chutes de ceux qui s’appuient sur les ténèbres de leur raison. Après avoir peint peint l’état hideux du monde intellectuel, il ne trace pas moins énergiquement le portrait du monde moral. Aujourd’hui, quand il s’agit de certains désordres, on ose à peine les donner à entendre, quoique les hommes ne rougissent pas de faire ce qu’on a honte de leur nommer; honte funeste qui n’étouffe pas les turpitudes sur lesquelles elle jette un voile, et leur laisse pousser de trop profondes racines dans le coeur humain. Les instructions des premiers évêques sont bien différentes; ils ôtaient, eux, au vice son masque, le montraient dans sa nudité pour mieux faire sentir combien il est horrible. Qui aujourd’hui oserait prendre pour texte ces paroles que saint Paul adressait à l’Eglise de Rome? Masculi, relicto naturali usu feminae, exarserunt in desideriis suis in invicem. Saint Chrysostome consacre une homélie entière à foudroyer le vice dont parle ici saint Paul, et plût à Dieu que les paroles de feu du prêtre d’Antioche l’eussent anéanti pour jamais! Voulez-vous connaître quelques-unes de ses pensées sur ce sujet hideux? Tout mal, dit-il, procède de la concupiscence; on ne saurait s’arrêter aux bornes des désirs, et pourtant tout ce qui dépasse les lois établies de Dieu tend à l’absurde et à l’atroce. Semblables à ces malades, qui dans leur phrénésie rejettent les aliments et se rassasient avec de la terre et des cailloux, ou qui dans la violence de leur soif brûlent de se désaltérer avec une fange impure, vous les voyez se précipiter dans des amours monstrueux. Que si vous demandez d’où viennent ces amours, ils viennent de l’abandon de Dieu. Et l’abandon de Dieu d’où vient-il? De la malice de ceux qui se sont retirés de lui. Les mâles ont consommé l’ignominie avec les mâles. Nommez tous les crimes, vous n’en trouverez aucun semblable à celui-là. Il n’y a point, non, il n’y a point souillure plus horrible, plus contraire à toute idée de raison. Si en effet Paul parlant de la prostitution a dit: tout ce que fait l’homme est hors de son corps, mais celui qui se prostitue pèche dans son corps, que dirons-nous de cette rage tellement au-dessous de la prostitution qu’on manque d’expression pour la qualifier? Vous êtes devenu femme, vous avez cessé d’être homme; sans prendre votre nouveau sexe, vous n’avez pas conservé le premier, vous les avez trahis tous les deux, et vous mériteriez d’être chassés, lapidés par les hommes et par les femmes, pour avoir pollué leur nature. Quels seront donc leurs supplices dans l’enfer? mais peut-être en entendant nommer l’enfer, le rire vous prend-il? vous n’y croyez pas, vous; souvenez-vous donc du feu de Sodome. Nous avons vu, et certes nous avons vu dès cette vie une image de l’enfer, on aurait refusé de croire à un feu éternel après la résurrection. Dieu a instruit par ce qui a eu lieu de ce qui doit être. Tel a été l’incendie et l’anéantissement de Sodome. La pluie qui consumma cette ville était contraire à la nature, parce que les abominations de ses habitants y étaient contraires. Elle brûla la terre, parce que les désirs corrompus brûlaient leur âme. C’est pour cela encore qu’elle avait un effet opposé à la pluie ordinaire, car non seulement elle n’excitait pas le sein de la terre à produire des fruits, mais elle la rendait incapable de recevoir aucune semence. Telle était la pollution de Sodome. Elle aussi rendait les corps stériles; qu’y a-t-il donc de plus abominable qu’un homme qui se prostitue? Qu’y a-t-il de plus criminel? ô démence! ô stupidité! ô hommes plus insensés que les brutes! La nature a comme des limites; mais vous, vous avez rendu votre espèce plus vile que l’espèce des animaux. Et d’où sont nés tant de maux? des plaisirs de l’oubli de Dieu. A peine un homme a-t-il perdu la crainte de Dieu que toutes les vertus l’abandonnent. Marchons donc toujours en sa présence de peur d’être exposés à des crimes si affreux.

Je passe rapidement sur les explications que St Chrysostome donne à la partie de l’épître, où il est parlé de la supériorité des Juifs sur les Gentils. La conclusion de l’apôtre est que les uns et les autres ont besoin d’être régénérés. Où est donc votre gloire? demande saint Paul; elle est anéantie. Par quelle loi? Est-ce par les oeuvres? Nullement, mais par la loi de la foi. S. Paul s’attache, reprend saint Chrysostome, à montrer que la foi a pu ce que la loi n’a jamais su concevoir, car après avoir dit que Dieu justifiait l’homme par la foi, il parle de nouveau de la loi. Il ne dit pas: où sont donc les purifications des Juifs? où sont leurs actions méritoires? Mais où est leur gloire? montrant partout que ces orgueilleux qui semblent avoir quelque chose de plus que les autres n’ont pu présenter aucune de leurs oeuvres. En disant donc, où est votre gloire? il n’ajoute pas, elle a brillé et puis elle a péri, mais elle est anéantie. C’est pourquoi lorsque plus haut il a dit que c’est pour la manifestation de la justice, il ajoute dans le temps présent; que si quelques hommes ne la veulent pas reconnaître, ils ressembleront à un criminel qui n’eût pu être justifié dans un tribunal, mais qui condamné et au moment de subir son supplice serait gracié par la bonté du prince, et qui sans rougir se vanterait, une fois en liberté, de n’avoir rien commis. Il le devait prouver, avant de recevoir sa grâce; par cela même qu’il l’a reçue, il n’a aucun sujet de gloire. Voilà ce qui est arrivé pour les juifs.

Pourquoi donc cette gloire a-t-elle été anéantie? Par quelle loi? Est-ce par les oeuvres? voilà que l’apôtre appelle ici la foi une loi, afin de déguiser sous les expressions anciennes une apparente nouveauté.

Nous croyons donc que l’homme est justifié par la foi sans les oeuvres de la loi.

Il ne dit pas, le Juif seulement ou celui qui est sous la loi, mais donnant aux paroles toute leur latitude et ouvrant au monde entier les portes du salut, il dit l’homme, prenant le nom général de la nature. De là tirant la conséquence, il résoud une objection. Comme il était naturel que les Juifs, en apprenant que tout homme est justifié par la foi, le supportassent avec peine et s’en scandalisassent, il ajoute: Dieu est-il seulement le Dieu des Juifs, comme s’il eût dit: qu’y a-t-il d’extraordinaire pour vous à ce que tout homme soit sauvé, votre Dieu est-il un Dieu particulier? Montrant par là que ceux qui veulent rabaisser les Gentils ébranlent bien plutôt la gloire de Dieu, en ne reconnaissant pas qu’il est le Dieu de tous. Que s’il est le Dieu de tous, il s’occupe de tous; que s’il s’occupe de tous, il veut que tous soient sauvés par la foi; aussi l’Apôtre ajoute: Est-il seulement le Dieu des Juifs? ne l’est-il pas des nations? Oui, certes, il l’est aussi des nations. Ne vous laissez donc plus aller à une envie coupable. D’où nous vient cette pâleur? Pourquoi frémir? Quel malheur vous est-il arrivé? C’est que votre frère est glorifié, comblé d’honneurs et de louanges. Prenez donc une couronne, réjouissez-vous, rendez grâces à Dieu. Celui qui était comme une partie de vous-même est plein de gloire et d’éclat, mais vous souffrez de ce que Dieu est honoré. Voyez un peu jusqu’où va cette jalousie. Ce n’est pas Dieu, dites-vous, qui est honoré, c’est mon frère. Mais c’est cela même qui produit la gloire de Dieu. Saint Chrysostome conclut que l’exemple des Juifs et de leur jalousie envers les gentils, contre ceux qui faisaient leurs efforts pour corrompre les chrétiens.

Quelle guerre plus cruelle pouvez-vous faire à Jésus-Christ? Aussi un homme fit-il des miracles, fût-il chaste, sobre, coucha-t-il sur la terre, ressembla-t-il aux anges par ses vertus, il sera le plus criminel des hommes s’il a ce vice, et plus coupable qu’un adultère, qu’un incestueux, qu’un voleur, qu’un violateur de tombeaux; et pour qu’on ne m’accuse pas d’exagération, répondez à ma question: Si vous voyez un homme portant un tison enflammé se disposer à brûler cette enceinte, à renverser cet autel, ne l’écraseriez-vous pas de pierres comme un sacrilège hors de la loi? Quoi donc, et celui qui porte cette flamme bien plus dévorante que le feu, je veux dire l’envie, flamme qui ne brûle pas les édifices de pierres, qui ne détruit pas les autels d’or, mais bien plus que les murailles, ce qui est plus respectable encore qu’un autel, celui qui renverse l’édifice de nos croyances, le croyez-vous digne de pardon? L’envie est encore plus nuisible que la guerre. Celui qui fait la guerre, une fois satisfait, ne connaît plus d’ennemis; l’envieux ne connaîtra jamais l’amitié. L’un combat au grand jour, l’autre dans les ténèbres. Le premier peut toujours alléguer une cause, le second n’en a pas d’autre que sa démence et l’esprit satanique qui le possède. Comprenez- vous jusqu’où l’envie vous fait descendre, comment elle assouvit le désir insatiable du démon, comme elle lui donne une pâture plus abondante encore qu’il ne l’avait osé désirer. Fuyons donc cette contagion, car il n’est plus permis, non, il n’est plus permis de fuir le feu préparé par Satan pour ceux qui y succombent. Pour nous en affranchir, pensons combien le Christ nous a chéris, lui qui nous a ordonné de nous aimer les uns les autres. Comment nous a-t-il aimés? Il a donné son sang précieux pour nous, nous ses ennemis, nous chargés des plus grands crimes. Faites de même pour votre frère, car c’est pour cela qu’il dit: Je vous donne un commandement nouveau, c’est que vous vous aimiez les uns les autres, de même que je vous ai aimés. Or il n’a mis aucune borne à son amour. Vous ne voulez pas donner votre sang pour votre frère, mais pourquoi répandre le sien, violant ainsi directement ce qu’il prescrit? Et, de plus, ce que le Christ a fait, c’était de lui-même, mais vous en l’imitant, vous ne faites qu’accomplir un précepte. Quelque bien que vous fassiez, vous devez toujours dire: nous sommes des serviteurs inutiles. Quand nous pratiquons la charité et que nous donnons l’aumône aux indigents, nous accomplissons un devoir, non seulement parce que Dieu a été notre premier bienfaiteur, mais encore parce qu’en donnant nous ne faisons que distribuer ce qui lui appartient. Pourquoi vous priver des richesses dont Dieu a voulu vous rendre maîtres. Il a voulu que vous les donnassiez, pour vous en faire acquérir la possession. Tant que vous les gardez pour vous seul, elles ne vous appartiennent pas; en les donnant, elles entrent dans votre domaine. Il a répandu son sang pour nous, sans aucun titre de notre part. Répandons nos richesses pour celui qui nous a tant comblés. Il a donné le premier et nous ne le suivrions pas? Il a donné pour notre salut, nous donnerons pour notre propre avantage.

Et comme lorsqu’on donne à un enfant un jouet précieux, on lui recommande de le soigner, de le confier à son esclave, de peur qu’on ne le lui enlève, ainsi Dieu agit-il envers nous: donnez, dit-il, à l’indigent, de peur d’être dépouillés par un dénonciateur, par le démon, par un voleur ou enfin par la mort. Tout ce que vous garderez n’est pas en sûreté. Que si vous me le donnez dans la personne des pauvres, je vous le conserverai avec soin et je vous le rendrai, lorsque le temps sera venu, avec une abondante usure. Si je prends vos richesses, ce n’est pas pour vous les enlever, c’est pour les augmenter, pour vous les conserver jusqu’au temps où personne ne prêtera plus et n’obtiendra plus de pitié.

Quiconque méprisant l’or et l’argent ne sera épris que des choses du ciel, recevra le centuple dans ce monde et la vie éternelle. Tous ceux qui auront donné recevront sans distinction du peu qu’ils auront donné. Qu’avait, je vous prie, donné Pierre? Etaient-ce ses filets rompus, son roseau, son hameçon? Et cependant Dieu lui ouvrit toutes les habitations du monde, étendit devant lui la terre et la mer, de tout part il était appelé pour recevoir l’hospitalité. Dieu, loin d’être comme les autres débiteurs, aime ses créanciers, il les comble de grâces, ce sont ses favoris. Si donc vous voulez qu’il vous aime toujours, accumulez sur lui les dettes. Faisons donc tous nos efforts pour qu’il nous doive beaucoup; c’est maintenant le temps favorable pour devenir un créancier. Si vous ne lui donnez pas maintenant, il n’aura pas besoin de vous quand vous sortirez d’ici. C’est dans ce monde qu’il a soif, c’est dans ce monde qu’il est pauvre, et il a soif de votre salut. C’est pour cela qu’il mendie, c’est pour cela qu’il se montre dur, cherchant pour vous la vie éternelle. Ne le méprisez donc pas. Il ne veut pas se nourrir, mais qu’on le nourrisse; il ne veut pas se vêtir, mais qu’on le vêtisse. Préparez-vous pour vous-même un des vêtements dorés et un manteau royal; Dieu n’use pas de violence en vous demandant, afin de vous rendre avec plus de générosité, afin que vous compreniez qu’il n’a pas besoin de vos richesses, mais qu’il cherche votre avantage. Il s’approche de vous sous un vêtement humble et tendant la main; si vous lui donnez une obole, il ne s’en détournera pas; si vous le méprisez, il ne s’écartera pas, mais reviendra à la charge, car il aime avec transport, il veut votre salut. Méprisons donc les richesses pour n’être pas méprisés de Jésus-Christ.

Les élans auxquels se livre saint Chrysostome, toutes les fois que se présente à lui l’idée de dévouement, doivent vous faire comprendre, Messieurs, combien cette âme trouvait de délices dans les sacrifices de tout genre, surtout dans la pauvreté. Combien en cela il était un parfait modèle pour les prêtres! Eût-il osé parler si fortement, s’il n’eût pu dire au peuple qu’il instruisait: voyez mes actions et jugez, et s’il n’eût enseigné par ses exemples ce qu’il persuadait par son éloquence.

Après avoir montré que la foi par la pratique des vertus qu’elle inspire, loin de détruire la loi, l’accomplit au contraire, il prouve que la foi ne saurait rétablir entre le Juif et le gentil la distinction que le péché avait effacée; circoncis et incirconcis, nous sommes tous par la foi héritiers des promesses d’Abraham, qui fut justifié par la foi et non par la circoncision.

Justifiés par la foi, ayons donc la paix en Notre-Seigneur J.-C., par qui nous avons été rachetés; car de même que par la révolte d’un seul les hommes sont devenus pécheurs, de même par l’obéissance d’un seul ils seront justifiés.

Je m’arrête ici. Dans un autre travail j’essaierai de montrer comment saint Chrysostome explique les fruits de cette justification et ses suites pour le genre humain. Mais en y faisant attention, elle se résoud sans peine. De quoi s’agit-il? On dit que la désobéissance d’un seul en a rendu beaucoup pécheurs. Sortir d’un père qui a péché et mérité la mort et lui être semblable, il n’y a en cela rien de difficile; mais être pécheurs, parce qu’un autre a péché, quelle conséquence trouvez-vous là! Un homme semble ne devoir aucune peine, à moins qu’il ne soit de lui-même pécheur. Que signifie alors ici le mot pécheurs dont se sert l’apôtre? Il me paraît indiquer des hommes, condamnés à la même peine et punis de mort. Que par la mort d’Adam nous soyons tous devenus mortels, c’est ce qu’il a prouvé clairement et à plusieurs reprises. Mais la question est de savoir pourquoi il en est ainsi, c’est ce dont il ne parle pas encore. Le sujet qu’il traite ne l’y amène pas du tout. La lutte est ouverte contre le Juif, qui s’étonne et se moque de ce que la justification ait été opérée par un seul. C’est pour cela qu’en montrant le châtiment général causé par un seul homme, il n’en dit pas la cause. Que si quelqu’un d’entre vous demande que nous l’indiquions, voici ce que nous dirons. C’est que non seulement nous n’avons rien perdu à cette mort et à cette condamnation si nous la méprisons, mais que nous avons gagné à devenir mortels: d’abord parce que nous n’avons pas péché dans un corps incorruptible, nous avons ensuite une infinité de raisons. Ainsi la la mort présente attendue nous porte à la modération, à la tempérance, à la prudence, à la fuite de tout mal. Elle produit bien d’autres avantages. Par elle les martyrs sont couronnés, les apôtres récompensés. Ainsi Abel est-il justifié, ainsi Abraham l’est-il par le sacrifice de son fils, ainsi Jean est-il mis à mort pour le Christ, ainsi les trois enfants, ainsi Daniel.

Ne vous effrayez donc pas, la mort n’a pas été imposée, pas plus que la loi, afin d’augmenter le supplice, mais afin de fournir un plus grand sujet de gloire. Aussi l’apôtre ajoute-t-il: là où la faute a abondé, là aussi a surabondé la grâce; il ne dit pas que la grâce ait aussi abondé, mais qu’elle a surabondé. Elle ne nous a pas seulement délivrés des supplices, mais elle a fait disparaître le péché; elle a donné la vie et mille autres avantages, que nous avons souvent énumérés. Comprenez-vous maintenant la(1)…

Notes et post-scriptum
1. Manque la fin.