1836-1837 – Dames de la Miséricorde

Informations générales
  • TD42.156
  • DU SALUT
    Première instruction: Importance du salut
  • Orig.ms. CP 127; T.D. 42, pp. 156-162.
Informations détaillées
  • 1 ABUS DES GRACES
    1 AMOUR DES AISES
    1 AMOUR DIVIN
    1 ANGES
    1 CHATIMENT
    1 CHRETIEN
    1 CONTRARIETES
    1 CONVERSION SPIRITUELLE
    1 CREATION
    1 DIEU
    1 DIEU LE FILS
    1 DISTRACTION
    1 ENFER
    1 ETERNITE
    1 INCARNATION DE JESUS-CHRIST
    1 MORT
    1 PECHE
    1 PECHE ORIGINEL
    1 PECHEUR
    1 REDEMPTION
    1 SALUT DU GENRE HUMAIN
    1 SATAN
    1 SOUFFRANCE
    1 SPECTACLES
    1 TRISTESSE
    2 ISAIE, PROPHETE
    2 MICHEL, SAINT
    2 PAUL, SAINT
    3 NIMES
  • Dames de la Miséricorde
  • 1836-1837
La lettre

Je suis heureux, mes dames, de pouvoir consacrer cette année un temps plus long aux instructions que je me propose de vous adresser, et d’avoir pu combiner d’avance un plan, d’après lequel mes paroles ayant toutes une certaine connexion entre elles pourront par cela même faire plus d’impression sur vos esprits et sur vos coeurs. J’ai regretté que différentes causes indépendantes de ma volonté m’aient forcé à retarder jusques à aujourd’hui la reprise de nos réunions. Je ferai mes efforts pour que leur régularité vous permette d’apporter à vos devoirs de Dames de miséricorde tout le zèle que vous commandent les besoins si urgents de notre malheureuse cité.

Et pour entrer tout d’abord en matière, je me propose d’examiner aujourd’hui avec vous de quelle importance il est pour tout chrétien de travailler à son salut. Cette vérité ne saurait être trop méditée par les personnes qui pratiquent leur religion, afin de se fortifier dans leurs résolutions de s’éclairer sur certaines illusions qui peuvent leur rester encore. Pour les personnes qui sont sous le joug du péché mortel, qui selon l’expression du prophète traînent l’injustice avec les traits de la vanité, et le péché comme les liens d’un char, elle n’est pas moins importante. Car quelle autre considération peut mieux les avertir de l’état où elles se trouvent, des étranges erreurs par lesquelles elles s’abusent, que le souvenir de cette grande et unique affaire, que le Seigneur a cru devoir nous rappeler par ses prophètes et par son Fils, et pour laquelle il a tant fait lui-même?

Et pour apporter quelque ordre dans ce que j’ai à vous dire, voici le plan que je me propose. Nous considérerons d’abord l’importance de travailler au salut, à cause de tout ce que Dieu a fait pour nous le faire mériter. Nous verrons ensuite de quelle conséquence il est pour nous de correspondre à la voix d’un Dieu qui nous appelle de tant de manières, et peut-être depuis longtemps.

1° Avez-vous jamais réfléchi attentivement, mes dames, sur ces paroles de saint Paul: Tout pour les élus? Omnia propter electos. Quoi, tout sur la terre est pour les élus? Oui, tout. Pourquoi le ciel a-t-il été créé? Transportez-vous aux premiers jours de la création, contemplez le Seigneur faisant jaillir la lumière des ténèbres et l’ordre du chaos. Omnia propter electos.

Mais, direz-vous peut-être, l’homme pèche, et dès lors le désordre de la nature n’est plus pour lui. Ah! mes dames, que la bonté de Dieu est grande! Qu’elle est touchante! L’homme n’est-il pas devenu terre? Ne s’était-il pas privé du ciel? Ses pensées ne s’étaient-elles pas fixées ici-bas? Et Dieu en lui faisant trouver ici-bas les peines et les souffrances, en maudissant la terre à cause de lui, en commandant à cette terre parée de fleurs et de fruits de ne produire que des ronces et des épines, en condamnant l’homme lui-même à gagner son pain à la sueur de son front, en condamnant la femme à enfanter dans la douleur et à être assujettie à l’homme, en conduisant Adam et sa malheureuse postérité, à travers une carrière de douleurs, à une mort honteuse et inévitable, ne l’avertissait-il pas de lever les yeux au ciel et de ne pas considérer cette terre d’exil comme sa patrie? Oh! mes dames, malgré tant d’amertumes dont la vie est semée, combien ne tenez-vous pas au monde, combien d’efforts tous les hommes, même les plus saints, ne sont-ils pas obligés de faire pour s’en détacher? Qu’eût-ce été, si après sa révolte l’homme eût dû habiter un jardin de délices?

Donc Dieu, en nous condamnant en ce monde à la souffrance, n’a en vue que notre salut. Omnia propter electos.

Tout cela n’était que pour nous faire sentir notre maladie et la nécessité d’un médecin. Dieu nous le donnera. Mais voyez comme il le prépare et le fait annoncer pendant quatre mille ans! Voyez comme pendant ces siècles de ténèbres et de corruption il permet au péché d’étendre ses ravages, afin de mieux faire sentir les bienfaits de la rédemption! D’intervalle en intervalle, il fait entendre la voix d’hommes extraordinaires, qui sont comme les hérauts de l’envoyé des nations. Il charge un peuple d’être le dépositaire de ses promesses. Omnia propter electos.

La terre seule ne sera pas la théâtre de sa miséricorde, le ciel lui-même y concourra. Jetez les yeux sur les brillantes hiérarchies des anges; comptez, si vous le pouvez, les étoiles du firmament et le sable des mers. Ce n’est rien en comparaison de la multitude des intelligences célestes. Eh bien, toutes concourront à notre salut; oui, toutes. Ecoutez saint Paul. Les anges ne sont-ils pas tous des esprits administrateurs, envoyés avec une mission divine, à cause de ceux qui doivent recevoir l’héritage du salut? Quoi, tous les anges? Oui, saint Paul l’affirme. Ainsi Dieu se dépouille de la cour qu’il avait formée autour de son trône éternel; il envoie tous les anges sous la conduite de Michel, afin de lutter contre Satan et ses anges, et tous les anges concourent à l’oeuvre du salut. Omnia propter electos.

Et puisque je parle de Satan, n’a-t-il pas été en quelque sorte la victime de notre salut, puisque tous les saints Pères affirment que Satan se révolta contre Dieu, quand le Seigneur manifesta aux esprits bienheureux le plan de l’incarnation de son Fils? Et pourquoi J.-C. s’est-il incarné pour nous, hommes, et pour notre salut? Satan ne connut sans doute qu’une partie du mystère. Quoi qu’il en soit, la chute du premier ange et des autres entraînés dans sa révolte eut pour cause un bienfait accordé aux hommes. Et ne pensez-vous pas que ce soit un jour un des chefs d’accusation que cet archange déchu fait [= fera] valoir avec le plus de force au tribunal suprême? « Quoi, dira-t-il à Dieu, pour une seule faute vous m’avez précipité au fond des enfers, et vous pardonneriez à l’homme, qui, après être tombé, a abusé de votre pardon? Mais le principe de ma chute n’est-il pas la connaissance du bienfait que vous vouliez accorder aux hommes? Voyez, vous n’avez fait que des ingrats ». Et c’est ainsi qu’il forcera la miséricorde de Dieu à se venger des outrages de l’homme, Satan précipité aux enfers à cause de l’amour de Dieu envers les hommes. Omnia propter electos.

Non, Dieu n’épargnera rien et l’Apôtre nous avertit qu’il n’épargnera pas même son propre Fils. Ah! c’est ici que la pensée s’abîme dans l’amour de Dieu. Sic Deus dilexit mundum. Après l’être [= l’avoir] fait précéder par les prophètes, il l’envoie, quand la plénitude des temps est arrivée, prendre un corps dans le sein d’une femme et la forme d’un esclave. Omnia propter electos.

L’Eglise. – Les souffrances des justes.

Ah? si l’amour de Dieu a été si grand, comprenez-vous aussi combien il est terrible de l’insulter? Voilà pourquoi, dit l’Apôtre, nous devons écouter avec une attention plus grande ce que nous avons entendu, de peur que nous venions à nous écrouler. Nous portons la grâce dans des vases d’argile. Craignons de les briser, craignons le choc des passions, craignons l’abus des grâces. Car comment fuirons-nous la colère du Seigneur, si nous négligeons notre salut acheté à un si grand prix? Quomodo nos effugiemus, si tantam neglexerimus salutem? Car les menaces du Seigneur sont terribles, et si Dieu fait tant pour le bonheur du pécheur qui revient à lui, il fait aussi beaucoup pour le pécheur qui l’outrage et l’insulte.

2° L’importance du salut est telle qu’il faut y songer sans cesse, parce que dans toute autre affaire que celle-là il s’agit du temps et que dans l’affaire du salut il s’agit de l’éternité.

Application aux divers états.

Quoi, mes dames, celles d’entre vous qui disent toujours: « Demain, demain », en rentrant d’une de ces fêtes qui les préoccupent tant, ne se sont-elles jamais dit, en quittant leurs parures? « Un jour viendra où ces parures, d’autres les porteront; ce lit dans lequel je vais prendre mon repos, sera peut-être le lit de mon repos; ce linceul sera peut-être celui que l’on jettera sur ma tête, quand mes yeux se seront fermés à jamais ». Et quand vous revenez du théâtre, si vous y allez, ne vous êtes-vous jamais dit? « Le monde est une comédie qui ne finit pas toujours par un mariage ».

L’éternité, avez-vous pesé ce mot: l’éternité? Avez-vous mis dans la balance de l’éternité: d’un côté, le bonheur; de l’autre, le malheur? Les balances des enfants sont trompeuses, dit le prophète; mais les balances de l’ange de la mort ne sauraient tromper.

L’éternité. Comparez maintenant à l’éternité le temps qui n’est plus. Que vous en reste-t-il? Si vous êtes dans l’effervescence des plaisirs, des regrets; si vous êtes dans le calme des passions, des remords. Si vous êtes dans l’effervescence des plaisirs, des regrets de ce que telle fête ne se reproduit plus; des regrets de ce que cette conversation, coupable peut-être et au moins dangereuse, a été trop tôt interrompue; des regrets de ce que les suffrages que l’on enlevait autrefois sont dirigés vers d’autres. Des regrets, il y en a tant dans le coeur d’une femme du monde. Et si vous êtes calmes, des remords: remords du temps perdu, remords du bien que vous n’avez pas fait, remords de vos souffrances, remords du mal que vous avez commis. Ah! qu’il est cuisant ce remords, lorsque l’on n’a pas eu le coeur entièrement endurci par l’égoïsme, et qu’une mère de famille vient demander un peu de paix pour elle et pour ses enfants, quelques vêtements pour préserver leur nudité d’un hiver long et rigoureux, et qu’elle [= qu’on] n’a à lui présenter que les débris de ses parures flétries! Comme la voix de la pauvreté, comme le cri de la souffrance est alors cruel pour l’oreille qui s’est fatiguée à entendre des sons, dont les résultats étaient d’entraîner aux sensations les plus dangereuses et quelquefois les plus coupables!

Et si je comprenais bien pourquoi on rejette loin de soi un pareil remords, et que l’on fuit toutes les circonstances qui pourraient le réveiller! Que je comprends bien maintenant ces paroles répétées si souvent: « Je ne veux pas aller au sermon de peur de me convertir »! Je comprends pourquoi on ne veut pas de retraite au carnaval, de peur qu’elle [ne] réveille ce remords et que l’on n’ait plus le même courage pour s’amuser aux dépens de sa conscience et du salut de son âme!

Mais prenez-y garde, mes dames. Je disais qu’il est important de songer à son salut, à cause de l’éternité. Mais vient un temps, où l’on ne peut plus se sauver, et ce temps, quand commence-t-il? Quand on ne veut plus profiter des avertissements du Seigneur. En voulez-vous un exemple? Voyez le chapitre 6 d’Isaïe. Le Seigneur apparaît dans sa gloire et demande qui veut aller annoncer sa justice au peuple d’Israël, et le prophète répond: « Me voici, convoquez-moi ». Voilà le prédicateur et quelle est sa mission? Est-ce d’annoncer la paix, la pénitence, le pardon? Ecoutez: « Et le Seigneur me dit: Va vers le peuple et tu diras: Vous qui entendez et ne comprenez pas, regardez et n’apprenez pas, aveugles. Le coeur du peuple ferme ses oreilles, ferme ses yeux, de peur que ses yeux ne voient, que ses oreilles n’entendent, que son coeur ne comprenne, qu’il ne se tourne vers moi et que je ne sois forcé de le guérir ». Voilà comme Dieu parle, à son tour. Vous n’avez pas voulu vous convertir, quand Dieu le voulait, et maintenant Dieu ne le veut plus. Vient un temps où les touches de la grâce ne font plus rien, où les paroles les plus brûlantes laissent [de] glace, où les exemples les plus frappants laissent insensibles. Viendra aussi le tour de Dieu.

Et que se passe-t-il alors? « Moi aussi, à mon tour, je me rirai de vous et je vous rendrai insensés ». A ce rire terrible qui dans les profondeurs des cieux court sur les lèvres du Tout-Puissant, l’enfer répond par un effrayant écho. Et il faut malheureusement en venir là. Arrive le moment où Dieu n’entend plus rien. Tunc invocabunt me, et non exaudiam; mane consurgent et non invenient me. – Aridité, sécheresse dans la prière, terreurs. Mane consurgent. Terreurs, terreurs vaines sans résultats. Résolutions.

Pourquoi cela? Parce qu’ils mangeront les fruits de leur chemin et seront rassasiés de leurs conseils. Les fruits de votre chemin, n’est-ce pas l’éloignement de Dieu? – Conseils, vos projets. Projets évanouis en fumée. Comedent igitur fructus viae suae. Fruits amers. Suisque consiliis saturabuntur. Ces projets sont vains; ils se tourneront à droite, et ils auront faim, à gauche, et ne seront pas rassasiés.

Laissez-moi en finissant, mes dames, vous engager avec l’Apôtre à abonder en toutes sortes de bonnes oeuvres, à fournir votre part du travail imposé à tous les hommes, à vous maintenir dans ce repos que l’on ne trouve pas dans de vaines distractions, et à travailler à votre grande affaire, ut vestrum negotium agatis.

Dites avec le prophète: Anima mea in manibus meis semper. Je songe toujours au soin de mon âme, je la tiens toujours prête à être présentée au tribunal du souverain juge. Anima mea in manibus meis semper, et legem tuam non sum oblitus.

Notes et post-scriptum