26 août 1844

Informations générales
  • TD42.163
  • De la prière pour les persécuteurs de l'Eglise
  • Orig.ms. CP 128; T.D. 42, pp. 163-168.
Informations détaillées
  • 1 CROIX DE JESUS-CHRIST
    1 EGLISE
    1 EGLISE MILITANTE
    1 ENNEMIS DE L'EGLISE
    1 HUMILITE
    1 IMITATION DE JESUS CHRIST
    1 JESUS-CHRIST
    1 MARTYRS
    1 PASSION DE JESUS-CHRIST
    1 PECHEUR
    1 PERSECUTIONS
    1 PERSEVERANCE
    1 PRIERE DE JESUS-CHRIST
    1 TRIOMPHE DE L'EGLISE
    1 VIE DE PRIERE
    2 ETIENNE, SAINT
    2 GAMALIEL
    2 PAUL, SAINT
  • 26 août 1844
La lettre

Orate pro persequentibus vos.

L’Eglise de J.-C. est placée sur la terre pour combattre. C’est sa destinée. Tant qu’elle sera dans ce monde, elle doit s’attendre à la lutte. Jamais il ne lui sera permis de poser les armes. Placée en face d’ennemis nombreux, il faut qu’elle soit toujours prête à marcher contre eux. Ainsi l’a voulu son divin fondateur. Mais elle ne s’en plaint pas, parce qu’elle sait qu’après tout la victoire l’attend et que ses ennemis ne pourront rien contre elle: Bellabunt adversum te, et non praevalebunt.

Ces ennemis sont de diverses espèces. On a vu les nations frémir de rage, on a vu des peuples former contre elle de vains complots: Quare fremuerunt gentes, et populi meditati sunt inania. Les rois eux-mêmes, et c’est un roi qui nous le déclare, les rois eux-mêmes ont pris part à la conspiration universelle contre Dieu et contre son Christ: Astiterunt reges terrae adversus Dominum, et adversus Christum ejus, chante l’Eglise à l’office du dimanche.

Les armes aussi sont diverses. Depuis la hache du bourreau jusqu’à la plume du sophiste, tous les moyens sont bons. L’Eglise les a tous éprouvés depuis dix-huit siècles. Mais son divin fondateur lui [a] aussi laissé des armes à elle. Quelquefois elle n’a opposé que son inébranlable patience, et elle a vaincu par la mort de ses enfants, semblable à ces arbres qui poussent des branches plus vigoureuses, à mesure que la main du jardinier en retranche quelques rejetons. Les coups qui lui étaient portés la rendaient plus féconde. Quelquefois, avec la sainte liberté de son fondateur, comme lui elle disait aux prétendus sages: « Malheur à vous, hypocrites »; quelquefois aussi, et toujours comme [lui, elle] jette d’une seule de ses paroles à la renverse ses ennemis.

Quelquefois aussi elle se tait. Jésus ne garda-t-il pas le silence en présence de ses bourreaux? Jesus autem tacebat. Le plus souvent elle parle pour défendre sa cause à la face du soleil, parce qu’il a été dit à ses chefs: « Ce que vous avez entendu à l’oreille, allez l’annoncer sur les toits ».

Mais de toutes les armes la plus puissante entre ses mains, celle qui a triomphé de tous les efforts, c’est la prière. Et puisqu’on vous a souvent parlé de la prière pour les pécheurs, je veux vous parler ce soir de la prière pour une espèce de pécheurs qu’on ne vous a pas encore dépeints, que je sache, les persécuteurs de l’Eglise: Orate pro persequentibus et calumniantibus vos. Et parce que les chrétiens sont persécutés [de] diverses manières, je ne m’arrêterai ce soir qu’à la prière pour ceux qui vous persécutent et vous calomnient comme chrétiens. Or pour vous exciter à cette prière, je veux vous donner trois principales raisons, auxquelles je réduirai tout ce que j’ai à vous dire. Il faut donc prier pour les persécuteurs de l’Eglise,

1° Parce que ce moyen reste toujours.

2° Parce que c’est celui qui nous rend le plus semblables à J.-C.

3° Parce que c’est le moyen le plus puissant de triompher de ses ennemis.

A. C’est le moyen qui reste toujours. Et, en effet, n’est-il pas un sanctuaire impénétrable, où la main de l’homme n’arrivera pas? N’y a-t-il pas la conscience? Supposez que la puissance ait été donnée à l’enfer, supposez que Satan ait reçu permission d’éprouver l’Eglise comme autrefois il éprouva Job, que toute ressource humaine est épuisée, tout appui terrestre refusé, il y a encore quelque chose qui restera à l’Eglise, c’est la prière, la prière pour ses persécuteurs. Et que demandera-t-elle pour eux? Qu’ils se convertissent et qu’ils vivent.

L’Eglise, si on la considère par son côté humain, est bien peu de chose, je vous assure, et pour qui l’a étudiée à fond, son existence est un mystère inexplicable, si le ciel ne la soutient. Or son appui étant dans le ciel, il faut qu’elle y monte par la prière, et c’est pourquoi elle prie sans cesse, pour elle sans doute, mais parce qu’elle est fondée sur l’amour de Dieu, elle prie pour ceux qui la persécutent. Et voilà ce qui la séparera à jamais des constitutions humaines. C’est la perfection de la charité; elle n’a que cela, mais elle a cela. Donnez-moi une église qui prie pour ses persécuteurs et je prédirai ses triomphes.

Mais pour cela il faut de la foi. Quid timidi estis, modicae fidei? Vaisseau submergé.

B. La prière pour les persécuteurs nous rend semblables à J.-C.

J’admets que la prière pour les persécuteurs n’ait aucun résultat pour le moment. Qu’importe, si elle nous rend plus parfaits en nous rendant semblables à J.-C.? J’ai parlé du premier martyr, ne pouvais-je pas vous citer le modèle, J.-C., en présence de ses bourreaux? « Mon Père, pardonnez-leur », et, après cette prière toute puissante, le Fils de Dieu est mis à mort, et les pharisiens branlent la tête et la populace poursuit ses insultes.

Sur quoi plusieurs conséquences.

1° Jésus savait très bien que pour le moment sa prière ne serait pas exaucée. Il n’en prie pas moins. Que dis-je? Il pria plus particulièrement pour ses bourreaux.

2° Jésus était humilié aussi profondément qu’on peut l’être, et il priait. Et c’est là, mes frères, un côté de la prière de J.-C. qui me paraît le plus admirable peut-être ou tout au moins le plus difficile à pratiquer. Prier pour les ennemis de la religion en général est chose rare. Prier [pour] des ennemis personnels est chose plus difficile. Mais prier pour des ennemis au moment où ils nous humilient, où ils nous écrasent, voilà, ce me semble, le comble de la grandeur d’âme. Et c’est là pourtant ce que Jésus demande de nous. Il veut que nous l’aimions, que nous aimions son Eglise, son épouse; il veut que nous ressentions tous les coups qui lui sont portés, il veut que nous les pardonnions. Il faut que le pardon aille jusqu’à demander pardon et miséricorde pour les persécuteurs.

Mais quoi, est-ce ainsi qu’on remporte les victoires sur eux? Eh bien, mon frère, je suppose qu’ils restent vainqueurs, vous aurez remporté la plus belle des victoires, vous vous serez vaincu vous-même.

Mais quoi, que pensera-t-on? – Est-ce pour les hommes que vous combattez ou pour Dieu? Si c’est pour les hommes, allez leur demander les moyens de leur plaire; mais si c’est pour Dieu, souvenez-vous de son commandement: Orate pro persequentibus et calumniantibus vos. Vous aurez acquis, mon frère, l’humilité, et certes ce sera beaucoup. Mais n’est-il pas écrit: Oratio humiliantis se nubes penetrabit. Votre humilité même, résultat de votre humiliation, pénètrera les cieux et y déposera votre prière aux pieds du trône de celui qui résiste aux superbes et fait grâce aux humbles et aux petits.

Vous prierez donc, mes frères, comme Jésus sur la croix. Vous prierez en acceptant l’insulte et l’ironie, s’il le faut. Ni la calomnie, ni la persécution ne laisseront le moindre levain au fond de votre coeur. Vous prierez, même sans espoir, pour les autres, et en ce moment il s’opèrera quelque chose en vous. Vous aurez prié comme Jésus, vous lui serez devenus semblables. Par l’humilité vous serez parvenus à la véritable grandeur.

C. Il faut prier pour les persécuteurs de l’Eglise, parce que c’est le moyen le plus puissant d’en triompher.

Et, en effet, que fait l’Eglise, lorsqu’elle prie? Elle appelle Dieu à son secours. Voyez. Deus, in adjutorium… Domine, ad adjuvandum. Nous appellerons Dieu à notre secours. Vainement nous appuierons-nous sur les hommes. Qu’est-ce que l’homme, qu’est-ce que le talent, qu’est-ce que la force matérielle, qu’est-ce que le génie contre les passions? Qu’est-ce qui peut leur imposer un frein? Vous les dirigerez quelque temps, mais que peut l’homme contre l’homme? Il se rencontre des hommes qui ont intérêt à persécuter l’Eglise. Evidemment ils la persécuteront. Vous la défendrez. Par les efforts de votre talent vous ferez bien sans doute, mais quel sera le résultat? Le savez-vous? Des hommes auront lutté contre des hommes. Tant que je ne vois que des hommes, je ne sais qu’une chose, c’est que probablement les plus forts l’emporteront. En pareil cas la victoire sera pour les gros bataillons.

Mais tout à coup la question change. Je la vois posée différemment. Tout ce que vous demanderez avec foi vous sera accordé, a dit J.-C. Et de la part de qui? De la part de Dieu. Il ne s’agit donc plus de savoir quel est le plus nombreux, mais pour quel camp combat le Seigneur. Aussi ne craignez pas de dire que tant qu’une Eglise prie, il y a espoir pour elle.

Et toutefois il importe de comprendre que Dieu, lorsqu’il se mêle de combattre contre les hommes et pour les hommes, veut établir quelquefois qu’il soit évident qu’il a combattu. Il veut que la part de l’homme soit petite, soit nulle. Mais qu’importe, pourvu que l’Eglise triomphe? Quelquefois donc il permettra que l’Eglise paraisse abandonnée à elle-même, qu’elle semble prête à toucher à deux doigts de sa perte; mais tout à coup il se réveille et ses ennemis sont renversés. C’est qu’il veut nous apprendre que surtout alors il faut que la prière soit persévérante et fondée.

Je dis qu’il faut que la prière soit persévérante. Oratio autem fiebat sine intermissione ab Ecclesia ad Deum pro eo. Il faut dans les dangers prier sans cesse. Oratio sine intermissione. Mais remarquez, mes frères, que le triomphe de la prière sur les persécuteurs ne consiste pas seulement à faire triompher l’Eglise; elle [la prière] va plus loin, puisqu’elle range les persécuteurs dans les rangs de l’Eglise. La prière d’Etienne a converti Paul. Domine, ne statuas illis hoc peccatum. Etienne s’endormira dans le Seigneur et Paul, à quelque temps de là, sera renversé sur le chemin de Damas, et celui qui était le persécuteur deviendra un apôtre. Le sang d’Etienne, qui aura rejailli sur le disciple de Gamaliel, se préparera à être lavé par le sang de Jésus-Christ.

Merveilleux enchaînement qui s’établit par la prière entre l’âme des justes et celle de leurs persécuteurs! Etonnant mystère de la charité [qui] remporte le plus beau des triomphes!

Certes, d’inexprimables angoisses sont réservées de nos jours à tous ceux qui aiment un peu J.-C. et son Eglise. Plus d’une fois on est tenté de se coucher, comme le prophète, non dans les déserts du Carmel, mais au milieu de cette profonde solitude que fait autour des croyants l’incrédulité. Ecoutez l’ange de la prière qui vous dit que votre oeuvre n’est pas finie. Allez où vous conduit la volonté de Dieu, allez à la prière. Et si la prière du prophète a pu forcer le ciel à rendre ses eaux à la terre desséchée, sachez que votre prière pourra faire verser les rosées du ciel sur les coeurs flétris par le doute, et la haine de Dieu et des siens. Alors le plus beau triomphe sera réservé à l’Eglise, elle aura conquis ceux qui la persécutaient.

Notes et post-scriptum