[SERMON] SUR LA GLOIRE DE DIEU

Informations générales
  • TD42.173
  • [SERMON] SUR LA GLOIRE DE DIEU
  • *Première partie*. [La gloire du chrétien est de glorifier Dieu]
  • Orig.ms. CP 129; T.D. 42, pp. 173-181.
Informations détaillées
  • 1 AME SUJET DE LA VIE SPIRITUELLE
    1 AMOUR DIVIN
    1 ANGES
    1 BLASPHEME
    1 CHRETIEN
    1 CIEL
    1 CORPS
    1 CORPS MYSTIQUE
    1 CREATEUR
    1 CREATION
    1 CREATURES
    1 CROIX DE JESUS-CHRIST
    1 DIEU LE FILS
    1 ETRE HUMAIN
    1 GLOIRE DE DIEU
    1 MORTIFICATION
    1 MYSTERE DU SALUT
    1 PECHE
    1 PERFECTION
    1 PERFECTIONS DE DIEU
    1 REDEMPTION
    1 VERITE
  • 1838-1839
La lettre

Pourquoi Dieu a-t-il créé l’homme? Avant de répondre à cette question, il importe de se rappeler que Dieu étant infiniment parfait, doit chercher à graver le caractère de sa perfection sur toutes les oeuvres sorties de sa main, comme aussi il doit donner la plus grande perfection possible au but qu’il se propose en créant. Ces deux pensées, mes frères, n’ont pas besoin, je pense, d’être développées. Vous comprenez sans difficulté que plus un ouvrier est fameux dans son art, plus il produira des ouvrages accomplis, et que de même Dieu étant infiniment sage et infiniment puissant tout à la fois, il imprimera le sceau de sa sagesse et de sa puissance sur toutes ses oeuvres. Avec cette différence toutefois que l’esprit de l’artiste dont je parlais ayant des bornes, il y a un terme au-delà duquel il ne peut pas aller, tandis que Dieu étant infini, nul ne peut dire la perfection qu’il est capable d’atteindre; quoique nous sachions qu’il ne peut produire des créatures infiniment parfaites, comme il l’est lui-même. Cela répugne à la simple évidence. Si Dieu pouvait créer un être infiniment parfait, il y aurait deux dieux. De plus, cet être ne pourrait être parfait; car sans entrer dans un plus grand détail, il n’aurait pas la perfection de l’éternité et rien des autres attributs.

Il y aura donc une distance incommensurable entre la perfection de Dieu et la perfection de sa créature, il y aura toujours un abîme que rien ne saurait combler. Et cependant, mes frères, Dieu veut donner à sa créature la plus grande perfection possible. Que fera-t-il donc? Il l’élèvera, il l’ennoblira, il la grandira par le but qu’il se proposera en la créant. Vous le savez, mes frères, souvent l’instrument le plus vil acquiert un grand prix par l’emploi auquel on le consacre. Ainsi la croix, instrument de supplice le plus infâme chez les anciens, a reçu du sang du Sauveur dont elle fut teinte une valeur inappréciable. Entre l’homme, entre la création tout entière, quelque parfaite que nous la supposions, la distance était bien autrement grande qu’entre les hommes et la croix, si longtemps objet d’horreur et de mépris. Mais Dieu voulait donner à la création, à l’homme roi de la création, un prix infini, et il l’a donné par le but qu’il s’est proposé en tirant son oeuvre du néant. Quel est ce but? Sa propre gloire. Or Dieu se propose en créant une gloire infinie. Donc si nous sommes créés pour procurer à Dieu une gloire infinie, je puis dire en quelque sorte que nous acquerrons un prix infini.

Sans entrer ici dans une discussion qui nous conduirait trop loin, si nous voulions exactement fixer le degré de grandeur auquel est élevé l’homme chargé de procurer à Dieu une gloire infinie, laissez-moi vous faire une seule question. Si la croix sur laquelle le Sauveur est mort, la croix ou n’importe [quel] morceau de bois inanimé, a acquis tout à coup un prix si grand, non seulement sur la terre, mais encore dans les cieux, quel ne sera pas le prix de l’homme, créature raisonnable, capable de procurer la gloire de son Dieu avec son intelligence et avec son coeur? Quoi! la croix a été honorée, parce que le fils de l’homme a été suspendu quelques heures à ses bras, et le chrétien ne sera pas honoré, lui qui a reçu des Pères de la primitive Eglise le titre de christophore, pour marquer qu’il portait habituellement le Christ en lui-même? Quoi, la croix aura été glorifiée, parce qu’elle est le signe de la rédemption, et nous qui avons été rachetés pour faire éclater en nous la gloire de Dieu, nous ne le serons pas mille fois plus qu’elle? Quoi, la gloire de la croix est d’avoir été teinte du sang du Sauveur, et nous qui par la croix sommes devenus les membres de Jésus pour glorifier par lui son Père devenu le nôtre, nous ne recevrons aucun rejaillissement de la gloire, dans laquelle notre chef est entré par ses souffrances.

Car, après tout, qu’est-ce que la véritable grandeur d’un être, d’un objet? N’est-ce pas l’état dans lequel a [= est] atteint le développement dont il est capable, pour le but qu’on se propose en l’employant? La grandeur de mes vêtements doit être proportionnée à ma taille, et l’habitation d’un simple villageois ne doit pas être bâtie sur le modèle du palais d’un roi. Or l’homme étant créé pour procurer la gloire de Dieu, sa véritable grandeur consistera à se placer dans l’état où il peut le mieux procurer cette gloire. Mais de plus, mes frères, de même que dans un édifice la beauté résulte de l’ensemble produit par les proportions qui se rencontrent entre les parties, comme d’une certaine variété dans la grandeur comparée des ornements dont on veut l’embellir; de même en considérant la grande famille humaine dans son ensemble, il faut reconnaître que tous ne peuvent pas avoir la même destinée, et qu’entre le but général de tous les hommes de procurer la gloire de Dieu, la grandeur particulière de chaque chrétien résultera du but particulier que Dieu lui assignera.

Cela se comprend. Qu’est-ce qui constitue la beauté d’un vaste concert? N’est-ce pas la variété des instruments et des voix, produisant par l’ensemble des accords cette harmonie qui exalte les sens et transporte l’âme? Eh bien, Dieu voulant que l’univers entier publiât sa gloire, a placé les hommes comme les instruments, dont la merveilleuse symphonie, unie aux voix des anges, devait lui procurer la gloire qu’il se proposait dans la création.

Mais quelque place que Dieu m’assigne, je sais que pour arriver à la grandeur que je suis capable d’acquérir, je dois me développer sous sa puissante influence. Et, mon Dieu, quels rayons pourraient mieux que ceux de votre gloire développer en moi les germes des vertus que vous y avez déposés? Les facultés de mon âme, créée à votre image, quand atteindront-elles leur perfection, sinon quand vous vous communiquerez à elle?

Et en effet, mes frères, comment l’esprit de l’homme se développe-t-il? N’est-ce pas lorsqu’il se nourrit de la science qui est son aliment? Où trouvera-t-il plus de science qu’en Dieu, qui est le dieu des sciences? L’oeil de l’intelligence est fait pour contempler la lumière de la vérité. Mais quand cette lumière brillera-t-elle sur nous, sinon quand Dieu qui a formé cette intelligence se communiquera à elle? Et c’est ce qui a eu lieu. Le Dieu qui a fait briller la lumière au milieu des ténèbres, a brillé lui-même dans nos coeurs, afin que nous pussions éclairer les autres dans la science de la gloire de Dieu, selon ce qu’il paraît en Jésus-Christ. Quoniam Deus, qui dixit de tenebris lucem splendescere, ipse illuxit in cordibus nostris, ad illuminationem scientiae claritatis Dei, in facie Christi Jesu.

Vous le voyez, mes frères, Dieu nous éclaire, Dieu donne à notre esprit la lumière nécessaire pour se développer, s’agrandir, mais c’est à condition qu’en éclairant les autres il publiera la gloire de son bienfaiteur. Ipse illuxit in cordibus nostris, ad illuminationem scientiae claritatis Dei.

Et notre coeur aussi ne s’agrandira-t-il pas, ne se dilatera-t-il pas, quand l’amour de Dieu y coulera à pleins bords, l’inondera tout entier? Et cette charité n’a-t-elle pas été répandue dans nos âmes par le Saint-Esprit? Mais il faut aller plus loin, car non seulement l’amour de Dieu nous apprend à aimer, mais il aime encore, il s’unit à nos affections, et pour les agrandir il se les approprie en même temps qu’il nous donne les siennes. Car vous aviez reçu l’esprit d’adoption des enfants, selon lequel nous crions: mon Père, mon Père. Accepistis spiritum adoptionis filiorum, in quo clamamus: Abba, pater.

Et notre corps aussi doit participer à cette grandeur. Toutefois sur la terre nous ne devons recevoir que les prémices de l’esprit, primitias spiritus habentes, c’est-à-dire que la grandeur du chrétien ne se manifeste ici-bas que dans notre âme, parce que nous devons gémir en attendant que l’adoption des enfants de Dieu soit consommée. Car c’est alors que notre corps sera rendu à toute sa liberté et qu’il goûtera lui-même les fruits de la rédemption. Et ipsi intra nos gemimus, adoptionem filiorum Dei expectantes, redemptionem corporis nostri. Mais en attendant que le corps lui-même reçoive la grandeur qui lui est promise, nous avons à porter la mortification de Jésus dans nos corps, afin que la vie de Jésus soit manifestée en nous, semper mortificationem Jesu in corpore nostro circumferentes, ut et vita Jesu manifestetur in corporibus nostris.

Et maintenant, mes frères, si je juge la grandeur du chrétien qui cherche la gloire de Dieu, comme Dieu même, je trouve qu’elle consiste à avoir été de toute éternité l’objet de la pensée de Dieu à être procuré (?) dans le temps par les humiliations d’un Dieu, à être consommé dans les siècles des siècles par la gloire même de Dieu.

Si vous avez compris, mes frères, tout ce que je viens de dire, vous avez dû conclure nécessairement que dans la pensée de l’homme sa grandeur est inséparablement unie à la gloire de Dieu, puisque cette gloire en est le principe, la source et la condition. Mais Dieu de toute éternité voulait se procurer sa gloire, et non seulement cette gloire intérieure qu’il se donne à lui-même dans les impénétrables profondeurs de l’adorable Trinité, mais encore une gloire extérieure en créant des êtres capables de le connaître et de l’aimer. Or ces êtres étaient de deux sortes: les anges et les hommes. Mais quoique les anges fussent par leur nature placés au-dessus des hommes, comme c’était de la nature humaine, et non de la nature angélique, dont le Fils de Dieu devait se revêtir, les hommes devaient par l’effet de la grâce pouvoir atteindre à la perfection des anges. Or, comme Dieu devait être plus glorifié, à mesure qu’il créait des êtres d’une plus grande perfection, la grandeur des hommes se présentait à son immuable pensée comme une conséquence de la gloire qu’il voulait se procurer dans le temps.

Soyez à jamais béni, ô mon Dieu, de vouloir ainsi faire marcher de pair vos intérêts et ceux de votre pauvre et misérable créature! car, après tout, qu’est-ce que l’homme pour que vous daigniez ainsi vous le rappeler; qu’est-ce que le fils de l’homme pour que vous l’estimiez de la sorte? Quid est homo, quod memor es ejus, aut filius hominis, quia reputas eum?

Qu’est-ce que l’homme, mes frères? C’est un être si grand que lorsqu’il se sera dégradé en voulant ravir à l’Eternel sa gloire, l’Eternel qui veut la lui donner, mais librement, enverra son fils au fond de l’abîme, où cette créature orgueilleuse se tord sous les fers de Satan, afin de les rompre et lui rendre son ancienne beauté. Mais admirez ici, mes frères, les excès de l’amour divin, ou, pour prendre l’expression de saint Paul, le scandale et la folie de la croix. L’homme par son péché a été dépouillé de sa grandeur, du moment qu’il a perdu de vue la gloire de son maître. Eh bien, ce maître dans sa tendresse se dépouillera de cette gloire et se revêtira des opprobres, des ignominies, des humiliations, des souffrances de sa créature, devenue esclave depuis sa révolte; il deviendra esclave lui-même, en tout semblable aux autres hommes: formam servi accipiens et habitu inventus ut homo.

O Jésus, jusqu’où êtes-vous descendu pour me faire monter jusqu’à vous? Ah! mes frères, laissez-moi vous révéler ce mystère.

Je disais tout à l’heure que nous étions les membres de Jésus, afin de glorifier avec lui et par lui son Père devenu le nôtre. Et ceci est fondé sur la théologie de saint Paul, dont voici les paroles: Vous êtes le corps de Jésus-Christ. Vos corps sont les membres de Jésus-Christ, répète-t-il ailleurs. Mais si nous sommes les membres de son corps, nous avons les mêmes droits que lui. Mais comme cette union est aussi intime que possible, elle agit sur toutes les parties de notre être en même temps. Et comme Jésus-Christ est l’homme parfait par excellence, il s’ensuit que par notre union à lui nous reprenons une perfection nouvelle. Quelle perfection, en effet, ne doivent pas acquérir notre âme unie à son âme, notre coeur à son coeur, notre corps à son corps! Alors toutes les douleurs, toutes les souffrances de la vie humaine, imprégnées en quelque sorte du mérite acquis par les souffrances et les douleurs divines offertes par ce Dieu, par son Fils devenu notre pontife, et pontife compatissant à nos infirmités, acquièrent un prix infini et obtiennent le rétablissement de notre grandeur perdue. Voilà l’homme réintégré dans ses droits et dans sa grandeur.

Mais l’Homme-Dieu n’est pas content de son oeuvre. L’homme ne doit pas seulement glorifier Dieu sur la tere, il faut qu’il le glorifie encore dans l’éternité. Mais de même que dans les palais des rois on exige que chaque officier se présente avec les ornements de sa dignité, de même le Fils de Dieu, avant d’introduire l’homme dans le palais de son Père, le revêtira des insignes de sa nouvelle grandeur. Et quels sont ces insignes, mes frères? La gloire de Dieu même, et c’est ici le troisième caractère de la grandeur du chrétien. Quoi! Seigneur, vous avez dit que vous ne donnerez votre gloire à personne, et cependant j’entends votre Fils, au moment de souffrir, vous adresser cette étonnante prière: « Mon Père, l’heure est venue. Glorifiez votre Fils, afin que votre Fils vous glorifie. Pater, venit hora, clarifica filium tuum, ut filius tuus clarificet te. Glorifiez-moi, ô mon Père, en vous-même de cette gloire que j’ai eue en vous, avant que le monde fût. Et nunc clarifica me, tu, Pater, apud temetipsum, claritate quam habui, priusquam mundus fieret apud te. J’ai manifesté mon [= votre] nom aux hommes que vous m’avez donnés: Manifestavi nomen tuum hominibus quos dedisti mihi. Et la gloire que vous m’avez donnée, je la leur ai donnée, à mon tour, afin qu’ils soient un, comme nous sommes un ».

L’avez-vous entendu, chrétiens? La gloire que le Père a communiquée au Fils, le Fils la communique aux hommes que son Fils [= Père] lui a donnés pour le servir, et vous voudriez quelque chose de plus? Le voici: afin qu’ils soient un comme nous sommes un; que je sois en eux et vous en moi, afin qu’ils soient consommés dans l’unité. Ego in eis, et tu in me; ut sint consummati in unum. C’est donc la gloire divine qui se répandant autour des chrétiens, qui pendant leur vie ont cherché la gloire de Dieu, les enveloppe comme d’un vêtement, les serre comme d’une chaîne indestructible et les conduit jusqu’à cette union incompréhensible ici-bas.

Que vous faut-il de plus, chrétiens, que le don que Dieu vous fait de sa gloire, en échange de celle que vous lui procurez? Vos efforts seront-ils assez payés, quand vous aurez consacré la vie la plus longue, malgré les obstacles les plus effrayants, à atteindre ce noble but? Et cependant que d’hommes séduits par une vaine fumée, au lieu de glorifier Dieu, mettent leur bonheur à blasphémer son nom, ou bien se croient grands, parce que leur orgueil repousse le joug de vos lois et qu’ils tirent leur gloire de mépriser l’auteur de l’univers!

Il faut montrer aux hommes leur petitesse, leur honte et leur crime, après un moment de repos.

Notes et post-scriptum