[SERMON] SUR LA GLOIRE DE DIEU

Informations générales
  • TD42.181
  • [SERMON] SUR LA GLOIRE DE DIEU
  • *Deuxième partie*. [La honte du chrétien est d'oublier l'honneur dû à Dieu]
  • Orig.ms. CP 129; T.D. 42, pp. 181-186.
Informations détaillées
  • 1 AME SUJET DE LA VIE SPIRITUELLE
    1 AMOUR DIVIN
    1 BONHEUR
    1 CHARITE ENVERS DIEU
    1 CHATIMENT
    1 CREATION
    1 CREATURES
    1 DECADENCE
    1 DIEU
    1 DIEU LE FILS
    1 DIEU LE PERE
    1 GLOIRE DE DIEU
    1 HOMME CREE A L'IMAGE DE DIEU
    1 HONTE DU PECHE
    1 MISERICORDE DE DIEU
    1 PECHE
    1 PECHES CONTRE DIEU
    1 PERFECTIONS DE DIEU
    1 SAINT-ESPRIT
    1 SATAN
    1 TRINITE
    2 ADAM
    2 EVE
    2 ISAIE, PROPHETE
    2 JOB, BIBLE
  • 1838-1839
La lettre

Commençons par admirer, mes frères, la bonté de notre Dieu qui en nous créant pour lui et en déposant au fond de nos âmes l’amour invincible du bonheur comme guide de notre liberté, a voulu que ce désir d’être heureux, principe de toutes nos actions, ne fût satisfait que dans l’accomplissement du dessein pour lequel il nous avait tirés du néant: de telle sorte que nos ne pussions vraiment travailler à notre félicité sans travailler à sa gloire, et que nos efforts pour procurer sa gloire fussent nécessairement récompensés par la seule vraie félicité. C’est ainsi qu’un Dieu tout miséricordieux avait voulu unir par un lien indissoluble nos intérêts et les siens, ou plutôt c’est ainsi qu’il avait voulu en nous donnant un peu de sa gloire dont il n’avait pas besoin, nous procurer une grandeur que nous ne pouvions recevoir que de lui.

Sans doute l’homme ainsi comblé de biens, placé en face de la divinité qui se présentait à lui comme terme de son existence, devait commencer par aimer la beauté, la perfection, la grandeur infinie. Mais ce premier amour, en l’unissant à ce qu’il y a de plus beau, de plus parfait, de plus grand, faisait rejaillir sur lui comme un reflet des attributs divins, par lesquels il était embelli, perfectionné, agrandi. Eh bien, l’homme n’a pas voulu de ces présents célestes, il a voulu se séparer de son Dieu et marcher seul. Ses intérêts, il a voulu les mettre à part, il a dit à Dieu: « Ta grandeur m’importune et je veux être grand sans toi. Garde pour toi tes perfections; je veux être bon à ma manière, et pour posséder la vertu je n’ai pas besoin d’aller la chercher dans le ciel. Ta beauté n’est qu’un mot, puisque je ne l’ai jamais vue. La beauté dont je suis jaloux est d’une autre nature. En un mot, laisse-moi seul et n’exige plus de moi une gloire, que je te refuse désormais ».

Montrons, mes frères, l’extrême petitesse, le crime et l’ignominie de l’homme qui veut ainsi ravir à Dieu sa beauté, ses perfections, sa grandeur. Ici, mes frères, les raisonnements sont inutiles, les faits parlent trop haut.

Semblable à un roi détrôné, à qui l’on aurait donné pour prison le palais, théâtre autrefois de sa puissance anéantie, l’homme, maître autrefois de l’univers, dépossédé de son empire, ne rencontre plus sur la terre, où il est réduit en servitude, que des témoins de sa grandeur éclipsée et qui dans un langage muet lui répètent sans cesse: Tu n’es plus rien. La terre ne lui accorde qu’avec peine une nourriture payée par d’innombrables sueurs. Les animaux qu’il nomma autrefois en signe de son pouvoir, sont devenus ses ennemis. Mais où sa petitesse éclate, c’est surtout en lui-même. Du moment que son intelligence et que son coeur ne sont plus dilatés par la pensée et l’amour de Dieu, voyez comme ils se resserrent, se rétrécissent, tandis que son esprit exclusivement absorbé par les calculs étroits d’un peu d’or à acquérir, ou par la fumée d’une ambition souvent trompée, le coeur descend lentement la pente des sensations mauvaises, se restreint dans un cercle matériel, assouvit sa faim mauvaise, semblable à ces malheureux dont parle Job, qui se réjouissent quand ils ont découvert un sépulcre. L’homme s’abaisse, s’abaisse toujours vers le néant, à mesure qu’il s’éloigne du principe de l’être.

Mais il y a quelque chose de plus, et c’est ici ce qu’il y a de plus prodigieux dans le supplice que Dieu commence à infliger à l’homme en le rapetissant: c’est qu’il le réduira à un état tel que cet homme, qui veut être aussi grand que celui qui l’a créé, courbera le front et ploiera le genou devant son propre ouvrage.

Ecoutez Isaïe vous représentant cet ouvrier qui va dans les forêts, abat les cèdres et les chênes, s’en sert pour alimenter son foyer et cuire son pain. De ce qui est resté, il a fait un Dieu et l’a adoré; il en a formé une statue et s’est incliné devant elle. « Ils ne réfléchissent pas dans leur esprit, ils ne comprennent plus rien, ils ne sentent plus rien, puisqu’ils ne disent pas: J’ai brûlé la moitié de cet arbre, j’ai cuit mon pain sur ses charbons, j’ai préparé ma nourriture et je l’ai mangée, et du reste j’ai fait une idole. C’est devant le tronc d’un arbre que je m’incline ».

Voilà pourtant, mes frères, jusqu’où sont descendus les hommes. Les trouvez-vous assez petits? Pour eux, ils se sont trouvés encore trop grands; car dans leur orgueil, pour ne pas rendre gloire à Dieu, ils ont refusé de lui obéir, et pour ne pas lui obéir, ils ont nié son existence. Dès lors, ils n’ont plus vu la partie la plus noble d’eux-mêmes. Pour nier la grandeur de Dieu, ils ont nié leur propre grandeur, leur âme. Ils n’ont envisagé que leur corps; et encore n’ont-ils vu qu’une agrégation d’atomes doués du même mouvement que la feuille emportée par un vent d’orage, ou que la pierre emportée dans le lit du torrent.

Mais que dirons-nous de son crime, mes frères? Et quelle ingratitude n’est pas la sienne? Que devais-je faire que je n’aie pas fait? demande le Seigneur à Juda prévaricateur, par la bouche de son prophète. J’avais mis mon bonheur et ma gloire à te combler de biens, et pour te rendre plus parfait, j’avais pris modèle sur moi-même. Je t’avais créé à mon image et j’avais fait briller sur toi la lumière de mon visage. Je t’avais aimé d’un amour éternel et j’avais voulu former avec toi une alliance impérissable, semblable au vigneron qui ne ménage aucune peine pour rendre plus féconde la vigne confiée à ses soins. Tout ce qu’il fallait pour développer en toi le germe des vertus, je l’ai fait. J’ai mis à ta disposition tous les biens du ciel et de la terre: ceux de la terre, afin que tu t’en servisses; ceux du ciel, afin que par eux tu puisses te fortifier et t’élever jusques à moi. Et tu ne l’as pas voulu. Tu as méprisé les richesses du ciel, et ton coeur s’est attardé aux choses d’ici- bas, et tu m’as oublié ou plutôt tu n’as pas reconnu en moi le principe de ta grandeur, tu ne m’as pas renvoyé la gloire dont je t’avais inondé. – Tu m’as abandonné, orgueilleuse poussière. Tu as dit: Je monterai jusqu’au ciel, je serai semblable au Très-Haut, et le même vent d’orgueil qui t’a exalté au-dessus de toi-même t’engouffrera au fond de l’abîme ».

Mon Dieu, que sommes-nous, en effet, lorsque nous prétendons nous séparer de vous? Ne pas vous rapporter tout ce que nous sommes, n’est-ce pas vous ravir votre bien? Ne pas vous renvoyer le mérite du peu de bien dont nous sommes capables, n’est-ce pas vous enlever votre gloire? Hélas! qu’avons-nous en propre? Rien que notre profonde misère et notre corruption. Elles se manifestent avec autant d’évidence que votre perfection et votre grandeur, et nous sommes les seuls à ne pas vouloir l’avouer. La voix impie de notre vanité et de notre orgueil monte sans cesse vers vous, et si autrefois vous punîtes d’une manière si terrible la première faute de l’ange rebelle, pourquoi, malgré la révolte permanente de notre orgueil, ne nous châtiez-vous pas? Ah! Seigneur que votre patience m’effraie et qu’il est nécessaire de me purifier au plus tôt.

Ignominie de l’homme qui refuse de procurer la gloire de Dieu. De quelles expressions me servirai-je, mes frères, pour vous peindre l’état de l’âme qui entend la parole du serpent: Vous serez semblables à des dieux, et qui, flattée dans son amour-propre, prête l’oreille aux suggestions infernales? Aussitôt elle devient un objet de risée. A peine l’homme a-t-il mangé du fruit défendu que par le châtiment de sa désobéissance, par la honte qu’il éprouve de se voir lui-même, il devient à lui-même un objet d’horreur, il porte ce sentiment au fond de son âme. Et quand le Seigneur l’appellera, il fuira de devant sa face, il craindra de paraître devant lui, parce qu’il était nu. Or quand le Seigneur veut venger ses droits, sa justice, réclame un châtiment, et quand la sentence est portée, voilà que l’adorable Trinité se prendra à insulter par une ironie terrible sa créature abattue. « Voilà, dit le Seigneur, qu’Adam a été fait comme l’un de nous ». Ecce Adam, quasi unus ex nobis factus est.

Quoi, Seigneur, au moment où votre créature est précipitée par votre puissance du haut degré de gloire où vous l’aviez appelée, il ne reste aucun sentiment de pitié dans votre coeur? Faut-il que vous ajoutiez une insulte divine à ses autres souffrances, et que l’ignominie que vous faites tomber sur elle soit le premier anneau de la longue chaîne de douleurs qui va faire pencher son front? Voilà qu’Adam est devenu comme l’un de nous. O Dieu, à laquelle des personnes de votre adorable Trinité est-il devenu semblable? Est- ce au Père; créateur de l’univers et principe de tous les êtres, source inépuisable de la vie, lui qui vient d’être condamné à la mort? Est-ce au Fils, par qui tout a été fait, au Fils, sagesse éternelle, lumière de vérité, lui qui marchera désormais dans les ténèbres de l’erreur et sèmera le désordre partout où il portera la main? Est-ce à l’Esprit, par lequel le Père et le Fils sont unis, foyer inépuisable d’amour et de bonheur, lui pour qui la souffrance vient de commencer, depuis que la jalousie et la haine contre son Dieu sont entrées dans son coeur?

Et quand Seigneur prononcez-vous ces effrayantes paroles? C’est au moment où vous venez de revêtir Adam et la première femme de tuniques formées avec des peaux d’animaux. Ah! il fallait que le vêtement de l’homme lui rappelât sans cesse son ignominie et la dégradation profonde où il était tombé. Il faudra qu’il n’ose plus se montrer devant la face du Seigneur que revêtu de la dépouille des animaux, symboles des vices qui ont envahi son coeur. Quel contraste, mes frères! Tandis que Satan dit à cet homme: « Vous serez comme des dieux », le Seigneur refuse de [= ne veut] regarder l’homme qu’avec l’empreinte de son ignominie et la marque de son abrutissement.

Notes et post-scriptum