1836-1837

Informations générales
  • TD42.220
  • SERMON SUR LA PAROLE DE DIEU
  • Orig.ms. (brouillon) CP 134; T.D. 42, pp. 220-227.
Informations détaillées
  • 1 ADORATION
    1 AME
    1 AMOUR DES AISES
    1 BIEN SUPREME
    1 BONHEUR
    1 CONNAISSANCE
    1 DIEU
    1 DIEU LE FILS
    1 FAUSSE SCIENCE
    1 FOI
    1 IGNORANCE
    1 INCARNATION DE JESUS-CHRIST
    1 INDIFFERENCE
    1 INTELLIGENCE
    1 JESUS-CHRIST MODELE
    1 NATURE
    1 PAIX DE L'AME
    1 PAROLE DE DIEU
    1 PASSIONS
    1 POSSESSION DE DIEU
    1 RECHERCHE DE DIEU
    1 SAGESSE DE DIEU
    1 SATAN
    1 TENTATION
    1 VERITE
    2 JEAN, SAINT
    2 PAUL, SAINT
  • 1836-1837
La lettre

Si filius Dei es, dic ut lapides isti panes fiant.

Le Christ, modèle en tout de l’humanité qu’il vient régénérer, veut placer entre la période obscure de sa vie et sa carrière apostolique un temps de retraite et de prière, un temps de préparation qui sera suivi d’un premier combat avec celui dont il vient renverser l’empire. Après qu’il eût jeûné quarante jours et quarante nuits, il eut faim, et le tentateur s’approchant de lui: « Si vous êtes le fils de Dieu, commandez et ces pierres seront transformées en pain ». Et le Sauveur le confond par une seule parole: « Il est écrit: L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu ». Non in solo pane vivit homo.

Il y a six mille ans que le tentateur tient un langage semblable à chaque homme, mais l’on peut dire que c’est surtout à cette époque qu’il leur présente ce genre de séduction. C’est surtout aux intelligences aussi malheureuses que coupables, qui ont perdu ou affaibli en elles par l’ignorance, les passions ou d’autres [défauts ?] le dépôt de la foi, c’est à ces intelligences qu’il s’adresse et qu’il tient ce langage: « Quoi! vous prétendez sentir en vous l’image de la divinité; vous dites posséder une raison capable d’embrasser tout ce qu’il y a de grand, [de] noble, de généreux, de vrai, d’infini, et vous ne pouvez trouver dans votre être rien qui satisfasse la faim qui vous dévore. Sortez de vous-même, entrez dans le monde extérieur, contemplez-en l’harmonie, proclamez votre empire sur toute créature, descendez dans toutes les combinaisons de la matière, recherchez-en les mystères, sondez-en les profondeurs, voilà un aliment à votre désir de connaître. N’allez pas vous perdre dans les abîmes de croyances incompréhensibles, ne croyez que ce qui frappera les sens: dic ut lapides isti panes fiant; ou bien, voulez-vous, portez vos regards sur les philosophes, sur le monde spirituel. Eh bien, qu’il en soit ainsi, mais souvenez-vous que vous êtes fils de Dieu et Dieu vous-mêmes. N’allez donc pas courber votre raison sous le joug de qui que ce soit, scrutez les secrets que des ténèbres éternelles enveloppent, dénouez, si vous le pouvez, les noeuds des plus redoutables questions. Que ce soit votre aliment, mais si vous êtes dignes de votre origine n’écoutez d’autre parole que la vôtre et vous opérerez les plus grands prodiges: Si filius Dei es« .

« Mais à quoi [bon], poursuit le tentateur, vous fatiguer à poursuivre de vaines chimères? Sans étude et sans effort, jouissez du bien-être physique et ne chechez que celui-là. Que vous serviront les conceptions si folles de ceux qui se fatiguent à poursuivre une vérité qui n’est pas? Restez dans le monde des sens, enivrez-vous des plaisirs qu’ils vous offrent. Qui connaît ce qui est au-delà de la tombe? Couronnez votre tête de fleurs et n’aspirez qu’aux délices dont la volupté enivrera vos sens. Si filius Dei es, dic ut lapides isti panes fiant« .

Telles sont, mes frères, les paroles que le tentateur murmure à l’oreille de l’homme, et voyez, je vous prie, comment le Sauveur lui répond. « Il est écrit: l’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu ». Aux entraînements du tentateur il oppose la parole de vie.

Aujourd’hui plus que jamais la voix de Satan a été écoutée. N’est-ce pas aujourd’hui plus que jamais qu’il faut opposer la force de la parole divine? Et c’est d’elle, en effet, que je viens vous entretenir aujourd’hui. Je vous la montrerai d’abord, autant qu’il est donné à un homme, dans son essence; je dirai ensuite quelque chose sur l’enveloppe dont elle se revêt pour arriver jusqu’à nous. Esprit-Saint qui avez posé la parole de vie sur les lèvres des prophètes, qui parlâtes par la bouche des apôtres et qui par ces douze pauvres pêcheurs renversâtes la face de l’univers, descendez dans ce temple et remplissez-moi de votre force. Faites que voulant faire connaître ce qu’est la parole de vie, mon langage soit le vôtre, et que ne cherchant qu’à faire connaître votre vertu, j’aie cette voix qui renverse les cèdres et ébranle les déserts.

Première partie.

Que l’homme porte en lui un désir immense de connaître, c’est ce que l’on ne saurait nier. Sans doute il le détourne quelquefois à des objets indignes de lui, mais il n’est pas moins vrai que la connaissance de ce qu’il ignore est l’éternel tourment de son esprit. Ne dites pas que la plupart des hommes passent leur vie sans s’inquiéter beaucoup des vérités religieuses. Le fait est faux, mais quand il serait vrai comme il l’est pour un certain nombre, que s’ensuivrait-il? C’est qu’ils détournent leur pensée de ce qui devrait la fixer, mais il n’en est pas moins vrai qu’ils la fixent, et souvent avec une prodigieuse avidité, sur des objets souvent indignes d’eux; mais il n’en est pas moins vrai qu’ils la fixent sur quelque chose qui endort pour quelques moments leur curiosité.

Je sais aussi qu’il est certaines intelligences, qui, à force de passions et de brutalités, sont tombées dans l’indifférence comme dans une ivresse léthargique. Mais leur [nombre] grâces au ciel, est encore restreint, et quand certains êtres déchus seraient parvenus, à force de corruption et d’orgueil, à fausser leur nature, la règle générale n’en subsisterait pas moins, et il serait toujours vrai de dire que l’homme veut connaître et que, s’il suit son penchant naturel, il ne se reposera que lorsqu’il aura trouvé ce qui lui convient.

Or, je vous prie, mes frères, jetez avec moi un coup d’oeil rapide sur tous les travaux de l’esprit humain. Pourquoi fouille-t-on les annales de l’histoire et s’efforce-t-on de remonter aux origines des peuples, d’étudier le travail des formations sociales? Pourquoi voyez-[vous] des hommes, le front penché vers la terre, interroger les plantes, les classer par familles, étudier les moeurs des animaux et s’efforcer de constater les lois de la nature, pénétrer dans les flancs des montagnes pour découvrir la marche de notre globe dans sa formation? Pourquoi d’autres se séparant du monde des corps, entrent-ils dans le monde de l’intelligence, et se repliant sur eux-mêmes, s’appliquent-ils à méditer sur les phénomènes du monde moral? Pourquoi tant de systèmes? Pourquoi tant de religions? Quelle est la cause secrète qui pousse ainsi l’esprit de l’homme vers ce qu’il ne connaît pas?

Pourquoi? C’est qu’il veut connaître la vérité. La vérité est son but, et sous quelque forme qu’elle se présente à lui dans l’histoire, dans la nature physique ou dans le monde moral, partout il la cherchera avec une incroyable avidité. Oui, la vérité est l’aliment de l’esprit humain. C’est elle qu’il veut, qu’il cherche de tous ses efforts. Mais la trouvera-t-il dans l’histoire, dans la nature physique, dans le monde intellectuel? Et quand je parle de la vérité dans l’histoire ou dans la nature, remarquez, je vous prie, que je n’entends pas parler de cette vérité qui consiste à découvrir certains faits isolés, mais de cette vérité qui les domine tous. Or, quoiqu’elle y subsiste, l’homme ne l’y verra pas, et la preuve en est que seul il ne l’y a jamais vue.

Où donc la trouvera-t-il cette vérité, l’objet de ses désirs? Il la trouvera en celui qui a dit: « Je suis la vérité ». Ego sum veritas. Or la vérité éternelle, c’est Dieu. Le besoin de posséder la vérité que l’homme éprouve n’est donc autre chose que le besoin de posséder Dieu. Voilà donc, mes frères, le but des travaux de l’humanité. C’est Dieu. Dieu, principe de son existence, moyen par lequel il subsiste, terme auquel il doit aspirer. La divinité le presse, l’enveloppe de toute part. Océan de vie, de lumière et d’amour, Dieu inonde de ses bienfaits ceux qui le cherchent. En lui est la vérité, car la vérité, c’est l’être, et le Seigneur est celui qui est. [Il] est l’être par excellence. Et n’éprouvez-vous pas, mes frères, je ne sais quelle joie de l’âme toutes les fois que votre esprit se rapporte à Dieu? Eh bien, cette joie d’où vient-elle, sinon de ce que votre coeur est fait pour Dieu, que vous avez ce qui vous convient quand vous possédez Dieu?

Que si votre âme est emportée par les passions, oh! alors la pensée de Dieu ne se présente à vous que comme importune et fatigante. C’est que dans ces moments il y a [du] désordre chez vous et que le désordre est ce qu’il y a de plus terrible pour éloigner Dieu. Mais vous comprenez aisément que pour comprendre que Dieu vous est nécessaire, il faut avoir en vous le calme et la paix. Voulez-vous donc posséder Dieu, rentrez dans la paix de votre âme.

L’homme aspire à Dieu, qu’il considère comme bonheur de son coeur ou comme lumière de son intelligence. Quoique nous le considérions ici sous ce dernier point de vue, il est évident que la lumière versée à l’âme la réjouit, comme un rayon de lumière réjouira l’aveugle, dont la paupière serait fermée depuis longtemps à la clarté du jour. Vous tous, aveugles de l’intelligence, vous qui errez dans les ténèbres venez et réjouissez-vous, car voici la lumière. La lumière que je veux vous donner, c’est Dieu lui-même.

Je veux vous faire pénétrer plus avant dans les mystères de la religion. La vérité est ce qui est, et ce qui est peut et doit être connu selon tout ce qu’il est. Or on ne peut dire que Dieu puisse être connu par l’homme selon ce qu’il est. D’abord, parce que l’esprit humain est borné et ne peut comprendre l’infini; en second lieu, parce que toute expression humaine ne peut exprimer les merveilles de la divinité. C’est ce que saint Paul exprimait lorsqu’il disait, après avoir été transporté au troisième ciel: Et audivi arcana verba quae non licet homini loqui. Non, l’homme ne peut répéter les paroles, par lesquelles Dieu est connu; et cependant, de même que nous avons besoin de la parole pour penser, de même Dieu, si je puis me servir de cette expression, a besoin d’une parole pour se comprendre lui-même. Comme il est infini, cette parole n’aura pas de limites; et comme il est éternel, cette parole sera éternelle: il la prononcera de toute éternité, et cette parole éternellement prononcée, c’est son Fils engendré avant tous les siècles.

Or écoutez l’évangéliste nous racontant l’éternelle génération de cette parole: Au commencement la parole de Dieu, le Verbe, était. In principio erat Verbum. Avant la terre, avant les anges, avant la création entière il était. Avant que rien [ne] subsistât, Dieu épuisait dans son Verbe, dans sa parole, son éternelle fécondité, et cette parole elle-même était Dieu. Et Deus erat Verbum. Mais parce qu’il n’y a qu’un seul Dieu, cette parole, ce Verbe, quoique distinct du Père comme personne, était uni à Dieu, était en Dieu. Et Verbum erat apud Deum. Et ce Verbe, par qui tout a été fait et sans qui rien n’a été fait, qui était la vie, était aussi la lumière [de] tout homme venant en ce monde.

C’est donc par le Verbe que les hommes sont éclairés, et c’est aussi par le Verbe qu’ils communiquent avec Dieu. C’est dans le Verbe qu’ils voient la vérité, et c’est par le Verbe qu’ils sont dirigés dans la voie qui les conduit au bonheur. Comment se fait-il donc que les hommes repoussent ce guide divin? Car il est venu parmi les siens, et les siens ne l’ont pas reçu. Ils n’ont pas voulu le reconnaître, et lui qui était la vie éternelle et la lumière s’est retiré, et les peuples sont restés assis dans les ténèbres et dans les ombres de la mort. C’est alors que le paganisme et la philosophie luttèrent à l’envi pour faire disparaître du monde tout vestige de vérité.

Mais la sagesse divine s’est-elle laissée vaincre? Gardez-vous de le croire. Parce que nous ne voulions pas la reconnaître, elle ne s’est pas retirée de nous, mais elle s’est voilée. Ses rayons eussent été par trop vifs pour nos regards, elle s’est donc anéantie, elle s’est revêtue d’une forme mortelle, et le Verbe a été fait chair et il a habité parmi nous.

Et remarquez le double effet qu’il est venu produire. Il a d’abord apporté la foi. Les hommes étaient trop affaiblis pour comprendre la vérité. Il est venu leur donner la plus grande autorité possible pour les aider à croire. Mais en même temps il est venu leur apprendre à comprendre. Qui dira les communications inénarrables, par lesquelles il instruit l’âme qui croit déjà?

Mais le Verbe de Dieu en réparant l’homme et en lui rendant la vérité perdue voulait lui faire sentir le supplice de son péché. Et c’est pour cela qu’il lui impose la foi comme moyen d’arriver à lui. L’homme doit commencer par croire. Mais comme cette croyance ne consistera pas seulement à se soumettre à l’enseignement du maître intérieur qui parle au fond de nos âmes, il faudra qu’il ait des signes extérieurs. Et en cela Dieu a un double but: d’humilier l’homme en le forçant de s’incliner devant son semblable, lui qui n’avait pas voulu courber le front devant son créateur; le second but, c’est que Dieu voulant établir une société dans les familles des nations, la transmission de la vérité devait en être un des principaux liens. Cette vérité intérieure, invisible, infinie, se transmettra donc par des signes extérieurs; la parole divine s’incorporera dans la parole humaine. Et pour former la société, cette parole ainsi voilée ayant des obscurités, il faudra qu’elle soit interprétée, enseignée par les hommes. Et c’est sous ce rapport qu’il nous reste à la considérer.

Seconde partie.

S’il est vrai que l’homme ait besoin d’un aliment pour son intelligence comme pour son corps, la vérité éternelle est son aliment; et [s’il est vrai] que la vérité éternelle soit Dieu lui-même, manifesté par sa parole éternelle comme lui; si enfin cette parole divine, après s’être incarnée dans le sein d’une vierge, a voulu se cacher encore sous le voile des Ecritures et être distribuée aux peuples par les prêtres dans les instructions, comme autrefois ces pains mystérieux qui se multipliaient à mesure que les apôtres les distribuaient à la multitude affamée, n’est-il pas vrai que cette parole doit nous inspirer le même respect que Dieu lui-même? Ne vous étonnez pas de cette proposition, que je vais reproduire en d’autres termes, afin de la rendre plus claire. Je dis que le Verbe éternel étant Dieu a mérité les mêmes adorations, lorsqu’il s’est caché dans un corps mortel et sous les voiles eucharistiques(1).

Notes et post-scriptum
1. Le reste manque.