CONVERSATIONS [A ROME]

Informations générales
  • TD43.030
  • CONVERSATIONS [A ROME]
  • [Avec le cardinal Micara, le 22 octobre]
  • Orig.ms. BJ 1; T.D. 43, pp. 30-32.
Informations détaillées
  • 1 AUGUSTIN
    1 ERREURS MENAISIENNES
    1 EVANGILE DE JESUS-CHRIST
    1 EVEQUE
    1 GRACE
    1 LIBERTE
    1 LOI NOUVELLE
    1 MARIAGE
    1 PASSIONS
    1 PERSECUTIONS
    1 THEOLOGIE
    1 THOMAS D'AQUIN
    2 AMBROISE, SAINT
    2 LAMENNAIS, FELICITE DE
    2 MICARA, LODOVICO
  • 22 octobre 1834
  • Rome
La lettre

22 octobre. Mic[ara].

Je suis allé me promener avec le c[ardinal] M[icara]; nous avons parlé de la république, de l’évangile, de la grâce.

Prenez garde, m’a-t-il dit, que ce qui fait le plus grand tort à certaines doctrines, ce sont leurs partisans. La liberté est une bonne chose, mais prêchez la liberté et dans un moment vous vous voyez entouré de scélérats qui, pour avoir la permission de faire le mal, se mettront à demander l’abolition de l’arbitraire; ce qui a nui à l’abbé de la M[ennais]. Ses idées ne peuvent être favorisées, à cause des abus que l’on en ferait.

Je ne sais comment il (= le cardinal) est venu à parler de l’évangile. L’évangile, m’a-t-il dit, n’est pas une nouvelle loi donnée par Jésus-Christ, mais le développement, l’explication de la loi que Dieu au commencement a donnée à l’homme. De plus, Jésus-Christ n’est pas venu détruire les passions, il n’est venu que les régler. C’est une erreur très pernicieuse que de prétendre que l’on doit détruire les passions, on doit les régler. Rien de plus. Qu’est-ce qu’un homme sans passions? Les passions sont un feu qui nous est donné, et l’on ne peut pas plus vivre sans passions que sans feu. Or l’évangile est la loi qui règle les passions. Prenons, par exemple, la loi de l’amour. L’évangile l’a consacrée par le mariage. En même temps que d’une part il donnait le conseil aux parfaits de garder la virginité, il établissait pour la grande majorité le moyen de se sanctifier en suivant une loi de la nature, tandis qu’en même temps aussi il frappait par toutes sortes d’anathèmes ceux qui tombaient dans l’excès opposé. Et ainsi de suite.

Pour en revenir à M. de la M[ennais], son système ne sera jamais adopté, parce que l’on ne voudra ni ses doctrines de liberté qui laissent tout au peuple, ni des doctrines d’après lesquelles le Pape parlant, tout le monde devrait se taire. Car en dernière analyse quel sera l’évêque, qui, comme saint Ambroise, ne regardera à l’Eglise que l’homme dans la prière, et par quelque espérance de protection, de place, d’honneur, de titre ou de cadeau, ne faiblira pas devant les rois? Je l’ai dit bien souvent à l’abbé de la M[ennais]: Vous craignez les rois, et moi je crains les évêques. Vous avez peur que les rois ne persécutent l’Eglise, donnez-moi des évêques qui ne craignent pas la persécution, qui ne fléchissent pas, et je n’aurai peur de rien.

Je demande au bon cardin[al] quelques notions sur la grâce. Ce traité, m’a-t-il dit, qui a engendré tant de disputes, peut être étudié en peu de temps. Il suffit de savoir que nous ne pouvons pas nous sauver sans la grâce, – le contraire était l’erreur des semi-pélagiens, – et, en second lieu, que nous ne devons imputer notre condamnation qu’à nous-mêmes, quoi qu’aient prétendu les Jansénistes. Entre ces deux erreurs se placent les systèmes des molinistes, qui disent que Dieu donne la grâce, mais que nous sommes libres de ne pas la recevoir; celui des augustiniens qui se fondent sur saint Augustin et qui disent: Deus dat velle et perficere; celui de saint Thomas qui est à peu près le même que celui de saint Augustin. Tous ces trois systèmes sont catholiques et l’Eglise a frappé d’anathème ceux qui diraient le contraire. On peut suivre celui que l’on veut. Cependant il est bon d’observer que les molinistes laissant chaque homme libre de se sauver favorisent l’orgueil; que les thomistes laissant à Dieu le soin de notre salut, de telle façon toutefois que nous sommes coupables si nous ne nous sauvons pas, tiennent plus dans la crainte et sous la main de Dieu; que le système des molinistes n’explique pas le salut des enfants morts avant l’âge de raison, ce qui est près du tiers des élus. Les molinistes n’expliquent pas la grâce de la persévérance finale, qui cependant est essentielle pour arriver au ciel. Les molinistes n’expliquent pas non plus l’endurcissement que Dieu envoie à certaines âmes, comme celui de Pharaon. Ce sont pourtant des choses à considérer. Toutefois l’Eglise laissant la liberté sur ces matières, chacun peut suivre le système qui lui convient.

Notes et post-scriptum