- TD43.048
- CONVERSATIONS [A ROME]
- [Chez le P. Ventura, le 17 novembre]
- Orig.ms. BJ 1; T.D. 43, pp. 48-50.
- 1 ABSOLUTISME
1 ANCIEN TESTAMENT
1 CATHOLICISME
1 GRECS
1 JUIFS
1 LIBERTE
1 MAHOMETANISME
1 PAGANISME
1 PHILOSOPHIE CHRETIENNE
1 PHILOSOPHIE MODERNE
1 POLITIQUE
1 POUVOIR
1 PROTESTANTISME
1 RATIONALISME
1 SCOLASTIQUE
2 GERBET, PHILIPPE-OLYMPE
2 LAMENNAIS, FELICITE DE
2 VENTURA, GIOACCHINO
3 CHINE - 17 novembre 1834.
- Rome
17 novembre. V[entura].
M[oi]. Que pensez-vous de l’histoire de la philosophie de M. Gerbet?
V[entura]. Qu’elle est excellente pour les détails, détestable pour le but, qu’après avoir lu ce livre il ne reste plus qu’à jeter tous les ouvrages de philosophie par la fenêtre; il n’en est pas un sur lequel on puisse se fier. Tel ne doit cependant pas être le résultat de la lecture de l’histoire de la philosophie.
Voici mon idée à cet égard. Je pense, ainsi que je vous l’ai déjà dit, que l’esprit humain se développe sous trois formes différentes: 1° sous la forme d’autorité exclusive; 2° sous la forme purement rationelle; 3° sous une forme mixte, dans laquelle s’unissent l’autorité et la raison.
La première forme en religion est représentée par le paganisme des Chinois, des Hindous et par le mahométisme dans les temps modernes. C’est une obéissance aveugle à une autorité, dont on n’ose pas scruter les titres; c’est une aveugle acceptation de traditions, sans séparation de la corruption apportée par le temps. La seconde forme est représentée par les Grecs dans l’antiquité, par les protestants dans les temps modernes. Manquant de base pour appuyer leur édifice, ils construisent des monuments qu’ils voient eux- mêmes s’anéantir. Enfin la troisième forme est la forme catholique, représentée par les Hébreux dans l’antiquité. C’est le dépôt fidèle des traditions, c’est le travail pour parvenir à l’intelligence du mystère et des phénomènes de la création, travail fondé sur les données les plus certaines. Aussi pour quiconque est de bonne foi, les Livres sacrés des Hébreux indiquent, à ne les considérer que sous le point de vue humain, une connaissance de la vérité, de la nature des êtres et de leurs rapports, bien autrement profonde que ce que nous en ont appris tous les sages de la Grèce.
Il en est de même du point de vue politique. La licence, d’une part, le despotisme, de l’autre, sont enfantés par la prépondérance exclusive du pouvoir et de la liberté. C’est l’union de la liberté et du pouvoir qui seule peut produire l’ordre parfait.
Passons à la philosophie et ne parlons que des temps modernes. Le rationalisme avait, on ne peut le nier, fait un mal immense. L’abbé de la M{ennais] est venu, et, pour corriger un excès, il est tombé dans un excès contraire. Il a tout donné à l’autorité, et sous ce rapport il mérite justement certains reproches. Il s’est mis dans l’impossibilité de réfuter certaines objections. Quelle est donc la vraie philosophie? C’est celle qui unit la foi à la conception, qui unit l’autorité à l’intelligence et qui par ce moyen prévient toutes les objections, parce qu’elle part d’un point certain et qu’elle laisse à la raison humaine son libre développement. Or pour faire une histoire de la philosophie vraiment utile, il faut montrer que les hommes se sont toujours plus approchés de la vérité, à mesure qu’ils ont eu recours à cette méthode, et que le catholicisme qui a développé la philosophie sous ce point de vue est la seule religion qui ait fait faire des progrès à l’esprit humain, en même temps que seul il a la clé des mystères dont la solution peut être donnée sur la terre. On n’a pas observé du tout qu’au moyen-âge, lorsque avaient lieu les disputes des réaux et des nominaux, l’accord le plus parfait régnait dans les écoles sur les points essentiels et que ces disputes secondaires avaient lieu sur les formes, parce qu’on s’entendait sur le fond.