[Conférences du lundi]

Informations générales
  • TD43.051
  • [Conférences du lundi]
  • Exposé de quelques principes catholiques, en opposition au système de panthéisme développé par M. de Puyconsin.
  • Orig.ms. BJ 1; T.D. 43, pp. 51-55.
Informations détaillées
  • 1 ANCIEN TESTAMENT
    1 CATHOLICISME
    1 CREATION
    1 DIEU
    1 ERREURS MENAISIENNES
    1 FAUSSE SCIENCE
    1 FOI
    1 FONDEMENTS DE LA THEOLOGIE
    1 INTELLIGENCE
    1 LIBERTE
    1 MYSTERE
    1 PANTHEISME
    1 PAROLE DE DIEU
    1 PENSEE
    1 PHILOSOPHIE MODERNE
    1 PROTESTANTISME
    1 REVELATION
    1 VERITE
    2 BALLANCHE, PIERRE-SIMON
    2 JOUFFROY, THEODORE
    2 LAMENNAIS, FELICITE DE
    2 LUTHER, MARTIN
    2 MOISE
    2 PUYCONSIN, DE
    3 ATHENES
    3 EGYPTE
    3 ELEE
    3 ELEUSIS
    3 GRECE
    3 INDE
  • Hiver 1836-1837
La lettre

Je ne prétends ni donner une réfutation du système panthéistique, tel que l’a présenté M. de P[uyconsin]; je ne prétends pas, non plus, donner la preuve de tout ce que j’avance, ce serait à n’en pas finir. Je veux seulement exposer certaines vérités, qui ont été contredites par les opinions saint-simoniennes. Les saint-simoniens prétendent faire l’histoire du panthéisme et le font remonter à une origine très reculée, dans les Indes. Il faut d’abord établir qu’il n’y a été jamais formulé comme religion. En Egypte on prétend en trouver des vestiges. Je déclare, pour ma part, que m’étant occupé assez longtemps de la religion égyptienne, je n’y ai trouvé aucune trace de panthéisme et j’y aurais bien plus aisément reconnu des vestiges du dualisme oriental. Je ne relève pas la singulière prétention des saint-simoniens, lorsqu’ils veulent faire Moïse panthéiste. Le récit de la création, telle que nous le donne le premier chapitre de la Genèse, et la chute de l’homme, telle que nous la révèle le second chapitre, excluent, si je ne me trompe, toute idée panthéistique. Si vous allez en Grèce, vous trouvez le panthéisme sans doute, mais seulement chez les philosophes Eléatiques, et encore ce système voudrait- il bien des explications. On a voulu s’emparer des mystères d’Eleusis et d’autres. On peut bâtir aisément des hypothèses sur ce que l’on ne connaît pas. Si cependant le panthéisme avait été enseigné à Eleusis, il est étonnant que l’école panthéiste grecque ait eu son siège à Elée et non pas à Athènes.

Le panthéisme a traversé une période de dix-huit siècles sans se manifester trop visiblement et nous arrivons aux temps modernes. M. de P[uyconsin] vous a parlé de Ballanche, de la Mennais, Jouffroy et autres; ne disputons pas sur les noms. On pourrait aisément prouver, je crois, que M. Ballanche n’est pas panthéiste. Que M. de la M[ennais] le soit maintenant, peu importe, je pense qu’il le deviendra. Après tout je reconnais qu’il y a aujourd’hui une grande tendance panthéiste, on pourrait même établir que la lutte que le catholicisme aura à livrer sera contre le panthéisme. L’esprit humain se trouve poussé vers cette erreur par la marche du protestantisme. Du moment que la Réforme a donné à chaque individu le droit d’interpréter l’Ecriture et par là d’être juge de sa croyance, chaque individu a été Dieu, puisqu’il a été l’arbitre de la vérité. Et, d’autre part, du moment que Luther a nié le libre arbitre, il a refusé à l’intelligence la possibilité de choisir entre le bien et le mal. De ce principe à celui que Dieu est l’auteur du bien et du mal, il n’y a qu’un pas. De ce second principe à celui qui détruit la conscience de la personnalité, il n’y a qu’un pas non plus [= aussi]. D’où l’on arrive très logiquement jusqu’à une intelligence infinie qui vit et pense en nous.

Il y aurait une foule de considérations à présenter pour montrer que le panthéisme doit se présenter nécessairement dans les temps actuels, mais nous croyons qu’il lui faut du temps encore avant de se formuler bien nettement.

Le panthéisme se présente comme dogme, comme culte et comme morale. Son dogme, c’est la science; son culte, c’est l’industrie; sa morale, c’est la société. Je ne parlerai que de son dogme. Son dogme, dit-on, c’est la science. Je fais remarquer que la science ne peut pas être un dogme, mais une manière d’envisager un dogme. De même que par la foi on entend la croyance à la vérité, par science on entend une compréhension de la vérité lorsque la science est parfaite, une conception lorsqu’elle est imparfaite.

Les catholiques disent: La foi et la science sont promises à l’homme, mais la foi doit commencer, la science suivre, quoique la science soit supérieure à la foi. Nous pouvons commencer à comprendre ici-bas, mais nous n’aurons la pleine compréhension que dans le ciel, parce que ici-bas, quoique notre raison puisse comprendre la vérité, elle est si faible, si dégradée par l’ignorance, fruit du péché, qu’elle a besoin d’être appuyée sur la parole de Dieu, qu’elle doit croire alors qu’elle ne comprend pas encore. Aussi la religion n’est-elle pas une science ou plutôt un système, mais un fait. Dieu qui connaissait l’insatiable avidité de l’homme à puiser dans les champs du possible, a livré le monde à ses disputes: mundum tradidit disputationibus eorum; et c’est pour cela que pourvu qu’ils n’attaquent pas les principes si généraux posés par la Genèse, l’Eglise ne condamnera jamais aucun système de cosmogonie, quelque absurde qu’il puisse paraître. Remarquez, de plus, l’impossibilité où se trouveraient les trois quarts et demi du genre humain de parvenir à la vérité par voie de science. Car ou les hommes, les ouvriers accepteraient cette science toute faite, et alors ce ne serait plus la science, mais la foi aux savants et aux sages; ou chacun se ferait sa science. Et où se trouverait le temps pour vaquer aux méditations, lorsqu’ils ont à peine les moyens de pourvoir aux besoins indispensables par le travail le plus obstiné?

La religion catholique est donc un fait. Dieu a-t-il parlé? A-t-on des preuves suffisantes de sa parole? Connaît-on clairement s’il commande de croire et de pratiquer? Toute la discussion se réduit à ces termes: c’est un fait à vérifier. Du moment que je sais que Dieu a parlé, que l’on me montre ce qu’il a dit. Je n’ai qu’à me taire, à croire, à avoir la foi.

La foi, Messieurs, n’est pas opposée à la science, elle en est le principe, comme l’aube qui perce les obscurités de la nuit n’est pas le jour, mais l’annonce [du jour]. Et il est convenable que la foi subsiste, car l’objet de la foi c’est le mystère, argumentum non apparentium, et il convient qu’il y ait mystère pour l’intelligence finie qui s’occupe de l’infini. Car je compare l’intelligence à un vase que l’on plonge dans l’océan sans bornes, jamais il ne le contiendra. De même jamais l’intelligence bornée ne comprendra Dieu qui n’a pas de limites. Cependant nous savons que dans une vie meilleure nous aurons des lumières bien supérieures à celles que nous avons dans ce monde.

Du moment que vous me donnez une intelligence finie, vous devez admettre le mystère. Car là où cette intelligence s’arrête, là commence le mystère pour elle. Vous voyez donc la convenance du mystère.

Or voici l’objet du mystère. Les saint-simoniens prétendent que Dieu est tout ce qui est, que tout ce qui est est la manifestation de Dieu, c’est-à-dire qu’il y a un être unique et des manifestations multiples de cet être. Je ne vais pas plus loin, parce que les saint-simoniens s’étant divisés en plusieurs sectes, je suis obligé de prendre ce qu’il a de commun à chacune d’elles.

Les catholiques disent: nous admettons des systèmes au-dessus de notre raison, mais non pas contraires à cette raison. Entre ne pas comprendre une chose ou comprendre qu’elle n’est pas, la différence est grande. La vérité non comprise peut être vraie, l’opinion dont on comprend la fausseté ne subsiste pas, et les catholiques croient comprendre que le panthéisme n’a pas la vérité, lorsqu’il dit qu’il n’y a qu’un être. En effet, dans cet être il y a vrai et faux. Cet être parfait n’a pas la conscience de lui-même, puisqu’il se nie par presque tous ses membres. Son intelligence est bornée. Si vous dites: « ceci est pour la terre », je réponds: « Dans ce cas, montez aux étoiles. Ces manifestations impliquent l’idée de différence. La différence implique l’idée de supériorité et d’infériorité. L’idée de supériorité et d’infériorité implique l’idée d’imperfection. Or Dieu, s’il est parfait, étant tout ce qu’il peut être, ne peut pas avoir d’imperfection en lui ».

Reste à expliquer la création. Mais ceci est une toute autre question et que nous pourrons traiter ailleurs: Que Dieu est l’être, l’intelligence et l’amour; qu’il est libre, et que par conséquent il ne peut pas être nécessité à créer; que la matière étant éternelle, s’il n’avait pas été libre de créer, il eût été limité en quelque chose; et s’il n’eût pas eu la puissance infinie, il aurait en-dehors de lui quelque chose indépendant de lui.

Notes et post-scriptum