1840

Informations générales
  • TD43.061
  • [DU PROTESTANTISME ET DU RATIONALISME]
  • Orig.ms. CQ 217; T.D. 43, pp. 61-66.
Informations détaillées
  • 1 AUTORITE RELIGIEUSE
    1 CATHOLIQUE
    1 DOGME
    1 ECRITURE SAINTE
    1 EGLISE
    1 ERREUR
    1 JUIFS
    1 LIBERTE DE CONSCIENCE
    1 PHILOSOPHIE MODERNE
    1 PROTESTANTISME
    1 PROTESTANTISME ADVERSAIRE
    1 RATIONALISME
    1 SAINT-ESPRIT
    2 ADAM
    2 LUTHER, MARTIN
    2 SAINTES
    3 ALLEMAGNE
  • 1840
La lettre

Lorsqu’on cherche à connaître la croyance d’un homme et qu’on apprend qu’il est catholique, on sait tout sur son compte et l’on connaît sur-le-champ le symbole complet de sa foi; car s’il en modifiait ou s’il en retranchait un seul article, le nom de catholique ne lui conviendrait plus. Il n’est pas même nécessaire qu’il ait une connaissance approfondie de tous les dogmes, il suffit de son obéissance à l’autorité qu’il croit chargée de l’enseigner, autorité qui se manifeste à lui par quelques faits simples et irrécusables à la fois, et qui le frappent extérieurement tandis que la grâce incline intérieurement son intelligence vers la foi.

Mais hors de la communion catholique, il est impossible aujourd’hui de savoir d’un seul homme ce qu’il pense en matière de religion, si lui-même n’a le soin de donner les détails et la combinaison du système qu’il s’est formé, si toutefois il a pris la peine de s’en former un. Cette fluctuation des esprits fait tous les jours des progrès plus sensibles, et cela se conçoit. L’homme ne croit à l’autorité de personne pour lui imposer une croyance. S’il en veut une, il faut qu’il se la fasse; et, quelle que soit l’influence qu’il recevra des idées au milieu desquelles il aura été élevé, il n’en aura pas moins la faculté de changer complètement tout ce qu’on lui [aura] inculqué d’expérience religieuse pendant sa première éducation. Quand même il voudrait s’attacher à quelque chose de fixe, de stable, il ne le pourrait pas. Tout s’agite autour de lui, tout échappe à sa main, tout l’oblige à se construire lui-même un abri pour prendre un moment de repos, en attendant que le mouvement irrésistible l’entraîne à des opinions nouvelles. Lorsqu’à ces deux causes se joint un certain amour de la science, un désir d’arriver à un résultat qui satisfasse l’intelligence et où le coeur puisse se reposer, on arrive à un mouvement fébrile dont rien ne saurait donner une idée. Tel est celui qui depuis un siècle bientôt remue l’Allemagne. Ce qui s’y passe offre des faits si extraordinaires qu’on ne sait vraiment où il s’arrêtera.

Des études profondes y sont faites par des hommes d’un mérite incontestable, mais comme on n’a pas de plan, on creuse sans cesse le terrain pour poser des fondements que l’on renverse l’instant d’après pour poser un fondement nouveau. Il en résulte que toujours détruisant ce qu’on a fait la veille, toutes les croyances échappent et l’on fait de la religion tout au plus un système de philosophie.

On a donné le nom de rationalisme à cette masse d’idées trop informes pour former un système régulier, et qui pénétrant surtout les têtes allemandes, les a réduites à affirmer successivement le pour et le contre en matière religieuse avec un imperturbable sang-froid.

Le rationalisme, du reste, n’a jamais eu la prétention d’offrir un corps de doctrine. Ce n’est à proprement parler qu’une méthode, dont voici la formule: [ne] reconnaître pour vrai que ce que l’on admet librement. Il est facile de voir qu’un principe pouvait paraître tantôt vrai et tantôt faux. On peut à chaque jour changer d’idée et de système sans aucune inconséquence. Peu importe que la vérité soit une par elle-même, il ne s’agit que du jour sous lequel elle se présente, du point de vue où l’on se place pour l’admettre ou la rejeter.

Deux causes principales ont concouru au développement du rationalisme: 1° le principe posé par Luther; 2° les attaques de la philosophie du XVIIIe siècle.

On cherchait vainement à se le dissimuler, de chaque ligne du système de Luther ressort cette maxime: « N’en croyez que ce que vous voudrez ». Vainement prétend-il que c’est à la Bible, interprétée par l’action intérieure du Saint-Esprit, de guider le chrétien, les problèmes que la Bible présente à chaque page prouvent que rien n’est moins clair que ce livre, et les solutions si contradictoires données à ces mêmes problèmes prouvent que la prétendue assistance de l’esprit de Dieu est fautive à chaque instant. Donc il résulte que [ni] l’action intérieure du Saint-Esprit, ni la lecture extérieure de la Bible ne peuvent suffire; il ne reste pour le chrétien que la liberté de penser tout ce qu’il voudra.

Longtemps les protestants ont refusé d’admettre une pareille conséquence. Ils criaient à la calomnie, lorsque les catholiques la posaient pour eux. Mais aujourd’hui que leurs ministres les plus savants, conduits par l’impitoyable logique, le proclament dans la plupart de leurs chaires en Allemagne, force leur est bien d’avouer qu’on avait mieux connu qu’eux la portée de leurs doctrines.

Lorsque Luther parut, la masse des vérités retenues encore était trop considérable pour qu’on pût s’apercevoir, d’un premier coup d’oeil, que la Réforme n’était qu’une vaste négation. Aussi voulurent-ils donner leur Symbole. Les réformateurs ne se contentèrent pas de rejeter ce qu’ils croyaient être le produit de l’erreur(1). Ils n’en dressèrent pas un, ils en dressèrent cent et l’impossibilité où ils furent de s’entendre dès le premier jour dut les avertir des dangers de la nouvelle route où ils allaient s’engager. « Seulement, poursuit l’auteur, ils ne songèrent pas à une chose essentielle, sur celui qui veillerait à l’exécution de ces lois »(2). La chose était assez essentielle, en effet, l’expérience l’a prouvé, si bien que les protestants en sont aujourd’hui au même point que les Juifs. De même que ceux- ci ne pourraient pas reconnaître le Messie, supposé qu’il vînt au monde; de même aussi les protestants ne peuvent plus reconnaître l’autorité, qui, de l’aveu de M. Saintes, doit veiller sur la fidélité au formulaire et [sur] l’exécution des lois de l’Eglise.

Il résulte nécessairement d’un pareil état que l’unité de doctrine va se perdant de plus en plus, et que ceux qui arborent les couleurs de Luther ne peuvent être considérés que comme une collection d’individus unis pour le droit d’être chacun d’un avis différent. Mais après avoir proclamé la liberté de conscience en religion, où arrive-t-on avec un pareil principe? Il est tellement opposé aux simples notions du bon sens que l’auteur ne craint pas de l’avouer, ce fut en vertu du principe d’autorité mal interprété, il est vrai, que le peuple se fit protestant, comme c’est toujours la force de l’autorité, toute illégitime qu’elle est, qui le retient dans l’erreur(3).

Pour tout esprit qui ne se fait pas illusion, la conséquence est claire, il faut une autorité. Ecoutons M. Saintes. « Quand le temps sera venu de reprendre l’oeuvre des réformateurs et de réformer leur tâche si imparfaitement accomplie, c’est par l’idée de l’Eglise qu’il faudra commencer, si l’on désire travailler à quelque chose de durable »(4). Vraiment oui, mais quand commencerez-vous? Le temps vous échappe et l’ouvrier, car tout homme n’a pas le droit de porter la main à l’arche et de poser la première pierre du temple du Seigneur. Le temps vous manque. Ce n’est pas quand le protestantisme se résoud en philosophie que l’on peut espérer en refaire une religion quelconque, et ceux qui de nos jours se croiraient mission pour faire mieux que Luther ailleurs que dans l’Eglise romaine, n’auraient pas plus que le moine de Wittenberg la puissance de Dieu à leurs ordres.

Il y a là, en effet, une pensée d’orgueil épouvantable. Quoi, vous n’avez pas voulu de l’autorité d’une Eglise, qui, vous avez beau dire, avait pour berceau le berceau même du Christ; et vous voulez, vous, hommes venus dix-huit siècles après le sauveur des hommes, faire ce que Dieu n’a pas fait ou bien a laissé périr! Mais qui formera la notion de cette Eglise? Sera-ce vous? Sera-ce Dieu? Si c’est Dieu, pourquoi la refuse-t-il cette notion à tant d’intelligences qui la demandent? Et si c’est vous, vous n’êtes que des hommes menteurs comme tous les enfants d’Adam.

Vous devriez cependant remercier l’auteur de la franchise avec laquelle il avoue qu’il y a encore beaucoup à faire, avant d’y voir clair dans les principaux dogmes de la Réforme. « Comment, dit-il, concilier le droit de liberté avec le droit non moins réel de l’autorité de la doctrine sur les intelligences? C’est à résoudre cet important problème que devront travailler les âmes sincères de toutes les communions chrétiennes qui attendent l’époque où il n’y aura qu’un seul troupeau et un seul pasteur »(5). Pour l’Eglise romaine il y a longtemps que le problème est résolu. La liberté de l’esprit n’a jamais eu à se soumettre là où il y a un fait à constater, et, comme on l’a dit, la vérité, c’est un fait.

Mais la faiblesse des bases sur lesquelles reposait l’édifice de la Réforme n’avait pu se manifester d’abord. On était trop heureux de pouvoir faire étalage d’une certaine science scripturaire. Le monde savant étudiant l’hébreu et le syriaque et le chaldaïque, et jetait un regard de mépris sur la Vulgate en usage dans l’Eglise de Rome. Et tandis que l’on prêchait partout la nécessité de connaître les langues orientales pour avoir le vrai sens de la Bible, on la reproduisait en langue vulgaire pour le peuple sans s’inquiéter des droits qu’avait à présenter une traduction, non plus que des garanties que le Pape pouvait exiger de la part des traducteurs. Car si l’on s’était trompé jusqu’alors dans les traductions antérieures, quel motif avait-on de croire qu’on ne se trompait pas plus tard? Ceux qui voulaient remonter au texte hébreu sans avoir recours à une autorité vivante pour le conserver, ne donnant aucune garantie de l’intégrité de sa conservation, supposaient d’une part que l’Eglise catholique, seule représentante des intérêts du Christ, s’était trompée et que les Juifs, ses ennemis déclarés à qui il fallait s’adresser pour avoir le texte hébreu dans sa pureté, ne l’avaient point interprété, lorsque dès les premiers siècles les interprètes catholiques reprochaient aux rabbins leurs falsifications. On tombe dans des contradictions étranges, lorsqu’on ne veut pas de la vérité.

Notes et post-scriptum
1. P. 4.
2. P. 2. Je dois avoir fait une faute en transcrivant.
3. Page 6. Si Luther, etc.
4. P. 4-5.
5. Page 7.