vers 1843-1844

Informations générales
  • TD43.067
  • [DU PANTHEISME]
  • Orig.ms. CQ 218; T.D. 43, pp. 67-69.
Informations détaillées
  • 1 DIEU
    1 DOUTE
    1 MONDE CREE
    1 PANTHEISME
    1 PENSEE
    1 PERFECTIONS DE DIEU
    1 PHILOSOPHIE MODERNE
    1 REVELATION
    1 SCEPTICISME
    1 SENS
    2 MARET, HENRI
    3 ALEXANDRIE, EGYPTE
    3 EGYPTE
    3 ELEE
    3 GRECE
    3 ORIENT
  • vers 1843-1844
La lettre

Que l’esprit philosophique actuel subisse une tendance vers le panthéisme, c’est ce qu’il est impossible de contester. Il peut être intéressant d’étudier les causes qui ont déterminé ce mouvement. Nous en indiquerons quelques-unes.

L’homme qui repousse la révélation et ne veut d’autre appui pour les travaux de sa pensée que la raison seule, est forcé de voir dans cette raison ou une base chancelante ou un solide fondement à l’édifice de ses opinions. S’il l’envisage dans toutes ses faiblesses, ses incertitudes, ses fluctuations, à quoi peut-il espérer d’arriver avec elle? Le doute, le scepticisme se présentent aussitôt. Mais le doute, le scepticisme sont intolérables; il faut à l’homme quelque chose de certain. Dans l’impuissance où il est de douter, dans son refus obstiné de recevoir la lumière divine, il est nécessairement amené à proclamer sa raison infaillible. Mais la raison, si elle est infaillible, est souveraine; et la raison souveraine c’est Dieu. De là au panthéisme il n’y a qu’un pas.

Mais que sera cette raison à qui l’infaillibilité souveraine est ainsi dévolue? Sera-ce la raison de chaque homme? Si vous le dites, au milieu des affirmations contradictoires qui s’élèvent de chaque cerveau, vous êtes forcé d’avouer que ces affirmations n’ont point une valeur absolue, et de nouveau apparaît le scepticisme. Si, au contraire, vous vous réfugiez dans une raison générale de l’humanité, de deux choses l’une: a) ou cette raison n’est que la réunion de toutes les opinions privées, et alors comment une multitude de raisons trompeuses peuvent-elles produire une raison indéfectible? b) ou bien cette raison générale est une, absolue, et les raisons particulières n’en sont que les manifestations plus ou moins ressemblantes. Et nous retombons dans la notion panthéistique d’une raison universelle se révélant au-dehors par des phénomènes plus ou moins réels.

Supposons, si l’on veut, la raison infaillible. Sur quoi s’exercera-t-elle? Sur le monde extérieur? Mais par où pourra-t-elle se mettre en rapport avec ce qui n’est pas elle? Elle a conscience d’elle-même, je l’admets; mais qui lui donnera la science de ce qui n’est pas elle? Quels rapports logiques établira-t-elle entre elle et ce qui l’entoure? Prouver l’existence de la nature en partant de la raison seule est un problème, sur lequel on s’exerce depuis longtemps, mais qui n’a pas été résolu jusqu’à présent, que je sache. La raison sera donc condamnée à une perpétuelle solitude. Et ici revient la question de savoir comment l’homme qui n’est en relation avec ses semblables que par les sens, incapable de rien affirmer du monde extérieur avec sa raison seule, pourra se mettre en rapport avec la raison générale, base de toute certitude. Pour échapper à cette difficulté, prétendrez-vous qu’il n’y a rien de réel que ce qu’accepte votre raison personnelle? Mais qu’accepte votre raison, si elle est incapable de rien saisir du monde extérieur? Condamnée à se replier sur elle-même, elle s’enfoncera de plus en plus dans je ne sais quelle solitude, où, reine sans sujets, ne voyant qu’elle dans l’univers, elle se contentera de s’affirmer elle-même. Le panthéisme le plus absurde l’attend au bout de cette vie.

Si maintenant nous plaçant à un autre point de vue, nous partons de l’idée de Dieu, la notion la plus vaste sous laquelle nous puissions le concevoir est incontestablement celle d’infini. Or si Dieu est infini, si on ne peut rien y ajouter, quelle place trouverez-vous pour la création, nécessairement finie, que l’infini n’occupe déjà? Si l’infini s’étend à tout, le fini n’a pas de réalité, ce n’est tout au plus qu’une modification de l’infini. Mais le fini conçu comme modification de l’infini, c’est le pur panthéisme.

Il ne sera pas plus facile, en supposant l’existence simultanée et distincte cependant de l’infini et du fini, d’expliquer l’origine de ce dernier. On conçoit l’infini éternel; mais le fini, quand et comment a-t-il commencé? A-t-il même commencé? Si le fini a commencé et s’il est quelque chose de réel, il a ajouté à l’infini. Est-il éternel, il est nécessaire à l’infini, l’infini sans le fini ne peut subsister. Supposons que le fini a eu un commencement, qu’il a été réalisé dans le temps, pouvez-vous expliquer l’acte créateur? N’est-ce qu’une émanation? Concevez-vous le fini sortant du néant, l’infini agissant sur ce qui n’est pas? On le voit, le panthéisme presse de toute part.

D’autres sont partis de la notion de l’univers qu’ils ont posé comme un fait. Mais ou l’univers a une cause ou il n’en a pas. S’il n’en a pas, toute idée de rapport s’efface, vous ne pouvez affirmer aucune relation, vous ne pouvez établir aucun raisonnement, vous êtes sceptique. Reconnaissez-vous une cause à l’univers; l’univers est renfermé en elle, comme le fruit dans le bourgeon. Cette cause a dû lui communiquer quelque chose d’elle-même. Or sous peine d’être sceptique, il faut reconnaître que cette cause est nécessaire. Mais si elle est nécessaire comme cause, l’univers est nécessaire comme effet; la déduction est rigoureuse. Mais si l’univers est nécessaire comme effet, tout est nécessaire dans l’univers. Nous tombons dans le panthéisme par le fatalisme.

Tels sont quelques-uns des problèmes autour desquels s’agite l’esprit humain et que M. l’abbé Maret entreprend de réfuter dans son excellent Essai sur le panthéisme. Car il ne se propose pas d’attaquer seulement ceux qui avouent franchement l’erreur, examinant, analysant un à un les divers systèmes philosophiques le plus en honneur de nos jours, il prouve leur tendance générale avec une remarquable rigueur de logique; puis, remontant à l’origine historique du panthéisme, il le représente prenant ses racines soit dans le vieil Orient, soit dans les mystères de l’Egypte et de la Grèce, se manifestant comme doctrine philosophique dans les écoles d’Elée et d’Alexandrie, se dissimulant au moyen âge derrière quelques sociétés secrètes pour reparaître de nos jours à la suite des révoltes de la Réforme, avec tout l’orgueil de la raison, qui, non contente de refuser son culte à Dieu, se veut adorer elle-même.

Notes et post-scriptum