12 mai 1857

Informations générales
  • TD43.097
  • Nécrologie de l'abbé Soulas par le P. d'Alzon.
  • *L'Univers*, 12 mai 1857
  • Cop.ms. CQ 248; T.D. 43, pp. 97-101.
Informations détaillées
  • 1 ADORATION DU SAINT-SACREMENT
    1 AUMONE
    1 CHAPELLE
    1 FONDATIONS
    1 HOSPITALIERES
    1 INSTITUTS RELIGIEUX
    1 PAUVRE
    1 PREDICATION
    1 PRETRE
    1 RELIGIEUSES
    1 THOMAS D'AQUIN
    2 ALPHONSE DE LIGUORI, SAINT
    2 BRIDAINE, JACQUES
    2 SOULAS, ANDRE
    3 MONTPELLIER
    3 ROME
  • 12 mai 1857
La lettre

Le diocèse de Montpellier vient de voir s’éteindre dans la force de l’âge un de ces prêtres à qui les pauvres et les orphelins, dont il était le père, semblaient pouvoir obtenir une plus longue vie. La mort de M. l’abbé Soulas est un deuil pour les pays qu’il évangélisa ou qu’il enrichit de ses pieuses fondations.

Né d’une famille de simples cultivateurs, sa vocation fut d’évangéliser les campagnes. Au séminaire, ses condisciples l’appelaient déjà le nouveau P. Bridaine. Ordonné prêtre en 1835, nommé vicaire à la cathédrale, puis aumônier à l’hôpital général, son évêque consentit enfin à ses désirs apostoliques. La maison des missionnaires diocésains s’ouvrit pour lui; il put y dépenser sa vie et son coeur avec cette générosité qui entraînait les populations et atteignait les pécheurs les plus endurcis. Au bout de dix ans, ses forces étaient affaiblies par des travaux presque surhumains, son zèle était toujours le même: ce qu’il ne pouvait plus faire par des prédications aussi multipliées, il le fit par des bonnes oeuvres. Pour préparer les mourants au dernier passage, pour porter à domicile des secours gratuits à de pauvres honteux, une congrégation de soeurs gardes malades fut fondée par lui. Mais comme à la suite de soins prolongés chez les riches, ces bonnes filles recevaient quelquefois d’abondantes aumônes, le surplus du strict nécessaire dut être employé soit à des crèches, soit à une colonie agricole, soit à des maisons de providence de jeunes garçons et de jeunes personnes. Il y a un an, ces pieuses filles ne devaient dépenser l’une dans l’autre, pour leur entretien personnel, que 40 centimes par jour et c’est ce qui explique tout le bien que M. Soulas opérait par elles. Au reste, il donnait le premier l’exemple de ces privations volontaires. Un jour qu’on lui demandait comment il s’y prenait pour faire tant de bonnes oeuvres: « En mangeant beaucoup de pommes de terre », répondit-il avec sa brusque franchise.

Personne ne voua une tendresse plus fiiale au vicaire de J.-C. et ne chercha avec une obéissance plus empressée toute direction venue de Rome.

Sans entrer dans les discussions théologiques, après avoir étudié Saint Thomas, Saint Liguori et les oeuvres du sire Bridaine, il se livrait à l’inspiration de son zèle. Un jour qu’un savant théologien parlait devant lui de la nécessité de la science: « Vous avez raison répondit-il; mais pour convertir les pécheurs, il y a quelque chose de mieux que la science, c’est la charité. »

Le principe de cette charité pour les pécheurs et pour les pauvres était puisé dans son amour ardent pour Notre-Seigneur. Son grand effort était de ne point trop prolonger le temps consacré à la célébration des Saints mystères. « Quand je suis au moment de la consécration et que mes larmes commencent à couler, disait-il à un ami intime, je passerais tout le jour devant Notre Seigneur ». Aussi ne fut-il satisfait que quand il eut obtenu de son évêque la permission d’établir dans la chapelle des missionnaires l’adoration perpétuelle du Saint-Sacrement. Les meilleures institutions éprouvent des difficultés: quelques personnes d’un zèle peut-être plus prudent avaient également obtenu que dans une autre chapelle Notre Seigneur fût adoré quelques nuits par mois seulement, et voulaient que l’abbé Soulas renonçât à son privilège. La pieuse discussion fut portée devant l’évêque. Les raisons exposées de part et d’autre, le prélat était indécis, quand M. Soulas avec cette ardeur qui entraînait tout: « Ah! Monseigneur, que l’on adore le Saint Sacrement autant de nuits que l’on voudra; moi, je vous demande la permission de l’adorer tous les jours avec mes cuisinières, toutes les nuits avec mes travailleurs de terre et mes pauvres artisans. » La question ainsi posée, fut, on le pense, bien vite tranchée en sa faveur.

Sa piété acheva de ruiner sa santé compromise: « Comment voulez-vous, disait- il, que je dorme quand Notre Seigneur est si près de moi. » Et il se levait pour passer une partie de ses nuits devant le Saint Sacrement exposé.

Son amour pour Jésus-Christ était sa vie, et cet amour épuisait ses forces. Il y a trois ans, atteint d’une maladie qui mit ses jours en danger, il dut se soumettre aux exigences d’un régime rigoureux.

Alors il chercha surtout à s’occuper des vieillards et les groupait autour de lui. Il voulait leur créer un asile à la campagne. Un prêtre vénérable crut devoir se plaindre à l’autorité de ce que M. Soulas attirait trop de monde dans sa chapelle; M. Soulas est mandé, des explications sont exigées: « Monseigneur, répond-il, je vais vous indiquer le moyen de remplir les églises; qu’au lieu de faire payer les chaises on donne, comme je le fais, deux sous à tous les pauvres qui viennent à mes instructions, les auditoires seront bientôt nombreux, et les pauvres seront évangélisés ». L’évêque sourit, et l’abbé Soulas continua de remplir la chapelle de pauvres qui ne payaient pas les chaises. Toutefois, cette chapelle était peu digne du bonheur qu’avait le saint missionnaire d’y exposer continuellement Notre Seigneur à l’adoration des fidèles. Il lui fallait un édifice plus convenable; ceux qui l’ont connu savent la joie presque enfantine qu’il éprouvait en recevant des dons pour sa future église. Mais, hélas! il ne savait guère les conserver. Des indigents arrivaient et l’argent était vite donné à une mère chargée d’enfants, à un ouvrier menacé d’être expulsé de sa chambre. Rien de touchant comme le combat qui se passait dans le coeur du pauvre prêtre entre le désir de donner un temple moins indigne de la majesté divine à Jésus-Christ dans l’Eucharistie, et le désir d’assister Jésus-Christ dans ses membres souffrants. Voici à quoi il se résolut. Il remit la clef de sa caisse d’épargne pour la construction de sa chapelle à une personne de confiance, avec défense de la lui rendre quand il s’agirait de secourir un malheureux: c’était à lui de quêter des aumônes ailleurs.

Ainsi fortifié contre sa tendresse pour les pauvres et assisté généreusement de quelques âmes pieuses, les murs du nouvel édifice s’élevèrent enfin. Mais il devait trouver la mort dans la joie même de voir cette oeuvre terminée. Notre Seigneur en acceptant le nouveau temple préparé par le zèle de son serviteur, voulait lui donner le séjour du ciel en échange.

Le jour même de la bénédiction de la chapelle, M. Soulas voulut prêcher, son bonheur fut grand et se communiqua à son auditoire. Des larmes pieuses coulèrent de tous les yeux: l’émotion qu’il éprouva porta le dernier coup à sa santé perdue.

Il avait toujours témoigné le désir de mourir en chaire, comme un soldat sur le champ de bataille: à peine eut-il achevé de parler que les souffrances le reprirent avec une intensité qui ne laissait aucun espoir. Administré presque aussitôt, il rendit son âme à Dieu lundi soir 4 mai.

On dit quelquefois qu’il n’y a plus de saints. Pour nous qui eûmes près de trente ans la confiance et l’amitié de cette âme sacerdotale, en venant demander pour elle des prières, dernière purification nécessaire peut-être, nous ne serions pas surpris que l’Eglise, qu’il aima tant, ne le présentât un jour à la vénération des fidèles, comme un modèle de l’amour envers les pécheurs, les pauvres et Notre Seigneur au Sacrement de l’autel.

Puisse Dieu, dans sa miséricorde, susciter à son Eglise beaucoup de ces humbles et puissants ouvriers qui, dans ces temps mauvais, vont apaiser les colères préparées dans les masses par les passions et le scandale d’un luxe effréné, et savent animer dans le coeur du pauvre, par leur charité et leur exemple, à la place de la convoitise et de la haine, la résignation et l’espoir d’un monde meilleur.

Emmanuel d'Alzon.
Notes et post-scriptum