15 avril 1878

• TD43.137
• Note sur une Agence centrale à établir pour la direction des journaux catholiques.
• Orig.ms. CQ 265; T.D. 43, pp. 137-140.

• 1 ANTICLERICALISME
  1 CONGRES CATHOLIQUES
  1 ORPHELINATS
  1 PRESSE
  1 PRESSE CATHOLIQUE
  1 PRESSE POPULAIRE
  2 AVRIL, ADOLPHE D'
  2 BAUDON, ADOLPHE
  2 BERGASSE
  2 BERRYER, PIERRE-ANTOINE
  2 BREDA, DE
  2 DU FOUGERAIS, CHANOINE
  2 DU LAC, JEAN-MELCHIOR
  2 FANFULLA
  2 FELIX, CELESTIN
  2 ICARD, HENRI-JOSEPH
  2 KELLER, EMILE
  2 LANGENIEUX, BENOIT-MARIE
  2 LEON XIII
  2 MOLE, LOUIS
  2 MONTALEMBERT, CHARLES DE
  2 PARISIS, PIERRE-LOUIS
  3 ALLEMAGNE
  3 ANGLETERRE
  3 FRANCE
  3 ITALIE
  3 PARIS
  3 ROME
• 15 avril 1878
• Rome

On a bien voulu me consulter sur la question d’établir une agence générale, dont le centre serait à Rome, les rayonnements en Italie, en Angleterre, en France et en Allemagne.

Mon opinion très arrêtée est que le centre doit être à Rome. Mais j’ai fait observer que le plan d’avoir quatre succursales entraînerait des dépenses, que j’estime à près de 400.000 francs par an. Je vais essayer de le prouver en prenant la France pour exemple.

Les bons journaux quotidiens de Paris ne se tirent qu’à 56.000 [exemplaires], les mauvais se tirent à 1.500.000 ou deux milliards [= millions]. Le Siècle, à lui seul, dans la dernière crise politique, a tiré à 800.000 et a distribué 55 pour 100 de dividende à ses actionnaires. Lutter par les grands journaux contre la mauvaise presse me semble impossible.

Dans tous les cas, des dissertations faites par un seul correspondant ne seraient pas acceptées dans les grands journaux. Il faudrait une dissertation par chaque grand journal. Cela prend un rédacteur par chaque grand journal. Mettez au minimum 6.000 francs par rédacteur, cela fait de 24.000 à 30.000 francs pour faire des articles qui ne seront peut-être pas lus. La plupart des journalistes honnêtes ne sont pas lus ou se font payer très cher, [plus] que 6.000 francs.

La conviction que les grands journaux catholiques de Paris n’obtiennent presque aucun résultat a fait penser aux journaux à un sou. Sur ce terrain encore les révolutionnaires sont plus forts. Le petit Lyonnais, journal infâme, tirait de 102.000 à 1O5.000 [exemplaires], il y a peu de temps; il a été vendu à 1.500.000 francs, tandis que les bons journaux n’ont que 10.000 à 15.000 abonnés ou acheteurs. Pour le Citoyen, de Marseille, M. Bergasse a dû donner pendant plusieurs années de 30.000 à 40.000 francs par an. Aujourd’hui il fait ses frais. Le nouveau journal du Midi tire à 17.000: c’est peu, mais enfin on peut soutenir la lutte.

Mais comment arriver à ces journaux avec des dissertations? Ils se garderont bien de les imprimer, les abonnés et les lecteurs prendraient la fuite. Il faut à ce public une correspondance. Cette correspondance sera payée: c’est en général 80 francs par mois, soit 800 francs à 1000 francs par an. Plusieurs de mes amis, Messieurs de Bréda, d’Avril, Keller y ont dévoré un argent énorme et ont dû s’arrêter. Du reste on peut consulter M. Keller dont l’expérience ruineuse, bien qu’il fît payer sa Correspondance, lui a suggéré peut-être d’autres moyens de succès.

Je viens de prononcer le nom de M. Keller. Mais M. Keller accepté, je crois, par le Monde, le serait-il de l’Univers, de l’Union, de la Gazette de France? J’ai des raisons très positives pour croire le contraire. J’en dis de même de bien des rédacteurs.

Je passe à la seconde hypothèse: aurez-vous une correspondance gratuite? Un journal qui ne paie pas sa correspondance est libre de la mettre au panier. D’une part vous faites des frais énormes; d’autre part, vous les faites peut-être inutilement.

Je crois qu’en France l’homme le plus capable de donner des renseignements exacts et des conseils pratiques est M. Baudon, président général des Conférences de Saint Vincent de Paul, Place Bourbon, N° 6, Paris. Mon opinion était d’éviter des frais, dont je connais l’étendue parce que je les ai entendus discuter dans les Comités des congrès catholiques de Paris, et que tout a avorté devant la dépense. On s’est arrêté devant un gouffre.

Combien coûteront des dissertations intéressantes? Combien en faudra-t-il pour chaque journal? Que donnera-t-on aux grands journaux? Que fera-t-on pour les petits journaux dont les longs articles seraient la ruine et qui pénètrent pourtant dans le peuple, plus peut-être que les grands?

Il faut compter l’un dans l’autre un petit journal par département. Si l’envoi des dissertations ou correspondances est gratuit, c’est 80.000 francs au plus bas qu’il faut compter. 30.000 francs, que j’ai indiqués plus haut, et 80.000 francs au plus bas donnent 110.000 francs pour la France. Veut-on dépenser cette somme? Veut-on dépenser une somme proportionnelle pour les autres pays?

Voilà pourquoi je préférerais un journal existant déjà, donnant le ton sans en avoir l’air et laissant aux rédacteurs des bons journaux le plaisir de faire eux-mêmes leurs articles. Question très grave pour les faiblesses du coeur humain.

Il importe que les organes de cette correspondance puissent toujours être désavoués. Or, de même qu’avant l’élection de Léon XIII, Fanfulla annonçait qu’il serait élu, preuve qu’il avait, malgré les murs du Conclave, ses entrées au Vatican; de même on finira par savoir d’où vient le mot d’ordre. Les radicaux attaqueront avec fureur, et peut-être les Puissances demanderont-elles une suppression? Ne serait-il pas préférable, si l’on ne veut pas du Divin Salvatore et puisque les questions importantes ne surgissent pas tous les jours, d’avoir un secrétaire qui, de temps en temps, engagerait les journaux à ouvrir une campagne? Tout peut réussir. L’Univers a réussi, malgré une grande partie de l’épiscopat français, dans la question de l’enseignement secondaire.

Moi-même, en 1853, chez le Comte Molé, je proposai la question des universités libres. Malgré l’appui de Mgr Parisis, alors évêque de Langres, et de M. de Montalembert, je fus énergiquement combattu par M. Berryer. Pourtant ma proposition a prévalu. Elle eût prévalu vingt ans plus tôt sans quelques hommes de transaction, mais elle a prévalu.

Pour obtenir ces résultats, une direction ferme et prévoyante de Rome est nécessaire. Peut-être serait-il préférable d’engager les rédacteurs des grands journaux à venir conférer viva voce à Rome ou chez les nonces. Une conversation par an ferait plus qu’une correspondance par semaine, et la direction prise à Rome aurait cent fois plus d’effet sans compromettre personne.

Rome, 15 avril 1878.