28 août 1868

Informations générales
  • TD45.137
  • SERMON pour les pauvres de la CONFERENCE de Saint Vincent de Paul. Bagnères 28 août 1868.
  • Orig.ms. CR 122; T.D. 45, pp. 137-140.
Informations détaillées
  • 1 AUMONE
    1 JUSTICE
    1 MISERICORDE
    1 PAUVRE
    2 LOUIS XIV
    2 PROUDHON, PIERRE-JOSEPH
    2 VOLTAIRE
  • 28 août 1868
  • Bagnères-de-Bigorre
La lettre

Beati pauperes! Beati misericordes, [quoniam ipsi misericordiam consequentur!]

Quand Jésus-Christ ouvre sa prédication par ces paroles: Beati pauperes, Il apporte une consolation aux indigents. Il ouvre un monde nouveau aux âmes que le besoin de la perfection sollicite.

Mais Il s’adresse aussi aux riches, et Il pose les bases de la justice en extirpant les racines de la cupidité.

Voilà ce que je viens établir devant vous. Mais la justice seule est froide et ne suffit pas, il faut la vivifier, la réchauffer, et c’est pourquoi Notre-Seigneur ajoute: Beati misericordes!

Et c’est à ce double point de vue de justice et de miséricorde, que je veux vous faire envisager aujourd’hui l’aumône. – Justice dans l’aumône – Miséricorde dans l’aumône. Voilà mon sujet.

1. Justice [dans l’aumône].

Cette justice, je l’envisage à un triple point de vue: 1° Par rapport à vous; – 2° Par rapport au prochain; – 3° Par rapport à Dieu.

Par rapport à vous. – Vous voulez pratiquer la justice, c’est bien! La justice est une vertu par laquelle on rend à chacun ce qui lui appartient. Mais fouillez au fond de votre coeur, que d’injustices vous sont proposées! Vous voulez jouir, la lutte s’établit. Donnez pour extirper les principe de la justice, renoncez à quelque chose de ce dont vous pouvez jouir librement. Car enfin vous ne le devez pas, mais votre intérêt ne vous a-t-il jamais aveuglé? Question terrible que vous tranchez en donnant plus que vous ne le devez.

Par rapport au prochain. – S’il est un fait incontestable, c’est que rien ne suscite l’injustice comme l’amour du bien-être. Les doctrines modernes y poussent, et les doctrines nouvelles ne nous en sauveront pas.

Or voici: Le désir de jouir produit l’amour de l’or. – L’amour de l’or et la justice? Hélas! Et aussi Bourdaloue disait: Omnis dives aut iniquus, aut iniqui haeres.

Ces paroles, je me suis permis de les citer quelques fois, et j’ai eu les plus vives réclamations. Et quand je me suis demandé pourquoi, je n’ai pu trouver d’autre motif sinon que de nos jours elles ont peut-être plus d’application que du temps de Louis XIV. Quoi qu’il en soit, voyez où l’on va! Jouissez! c’est là la sagesse. Faites jouir! c’est la vertu! Oui, et pour n’être pas gênés, secouez la maxime chrétienne, et pour sanction à la nouvelle morale élevez des statues à Voltaire! Combien serez-vous? Vous irez par centaines de mille. Je vois les prolétaires se lever par millions et demander une statue à Proudhon!

Et nous verrons qui l’emportera, des voix qui crient: Ecrasons l’infâme! ou de celle qui crie: La propriété, c’est le vol! Vous n’en êtes pas là, mes frères, vous êtes justes, vous êtes chrétiens! Mais enfin dans la source de vos richesses – qu’est-elle? – et dans les relations avec les autres, n’avez-vous rien à vous reprocher? N’y a-t-il pas de ces opérations incertaines, de ces procédés obscurs? Et vous ne savez à qui vous avez fait tort! Appauvrissez-vous! Dans quelle mesure? Dans la mesure de l’injustice.

3° [Par rapport à Dieu.] – Envers Dieu. Domini est terra! Vous êtes les fermiers de Dieu et de votre fortune vous devez faire deux parts: Le nécessaire, – à Dieu, le superflu!

Mais qu’est-ce que le nécessaire? Qu’est-ce que le superflu? Questions teribles! Seulement, je sais que quand on ne donne pas à Dieu ce qui lui appartient, Il le prend. Ah! vous ne connaissez pas les limites du superflu! Tranchez-le à votre détriment et vous l’aurez tranché à votre avantage. Vous aurez prêté à Dieu en vous appauvrissant, Il saura bien vous le rendre!

Mais, allons au fond. Il faut mourir un jour. Où en êtes-vous? Sorti nu du sein de votre mère, vous rentrez nu. Prenez garde que Dieu ne vous dise: Pecunia tua tecum sit in perditionem.

2. Miséricorde dans l’aumône.

La justice subsiste en toute société; – sans justice point de droit. Mais voici quelque chose de plus:

Le beau privilège de Dieu par rapport à nous c’est sa miséricorde; et Dieu veut que l’homme participe à ce privilège. Beati misericordes!

Vous ne devez rien, Dieu non plus ne vous doit rien. Et où a été la miséricorde de Dieu? Il vous a donné son Fils! Et qu’a donné Jésus-Christ? Sa richesse! Vulpes foveas habent, [et volucres coeli nidos: Filius autem hominis non habet ubi caput reclinet]. Il s’est donné! La grande prédication de l’aumône, c’est l’Eucharistie! O pauvres, ne vous plaignez pas! O riches, voilà votre Dieu qui se donne! Quoi de plus beau? Quoi de plus sublime? Un Dieu se faisant pain, se faisant vin pour être le breuvage et l’aliment de l’humanité.

Eh bien, je comprends une des raisons pour lesquelles la foi s’en va de certains coeurs de riches! Mais je vois aussi pourquoi la foi vient si souvent après l’aumône! Mais vous n’en êtes pas là, vous êtes……. Beati misericordes. Voyez le charme de la miséricorde! Mais quoi! vous ne sentez rien? Tant mieux! Dieu vous réserve dans le ciel des joies plus grandes.

Mais les pauvres sont ingrats? Donnez comme Dieu qui donne sans avoir besoin de personne! Maintenant, de quelle somme de miséricorde avez-vous besoin? O ange des justices! Apportez la balance! Mettez dans un bassin les fautes, les crimes, les ingratitudes! De quelle miséricorde vous avez besoin! De tout ce qui vous est nécessaire pour mériter le ciel! Mettez!

De quelle somme vous avez besoin? De tout ce qui vous est nécessaire pour obtenir miséricorde!

Vous vous appauvrirez, vous serez miséricordieux, et vous obtiendrez miséricorde, et vous aurez droit au royaume des cieux!

Notes et post-scriptum