[Huit conférences données à Saint-Charles de Nîmes, décembre 1868]

Informations générales
  • TD45.233
  • [Huit conférences données à Saint-Charles de Nîmes, décembre 1868]
  • VI - L'EGLISE.
  • Orig.ms. CR 157; T.D. 45, pp. 233-238.
Informations détaillées
  • 1 EGLISE
    1 LUXURE
    1 PERFECTION
    1 SAINTETE
    1 SCHISME ORIENTAL
    1 VERITE
    1 VERTU D'OBEISSANCE
    1 VERTU DE CHASTETE
    1 VERTU DE PAUVRETE
    2 CALIGULA
    2 HELIOGABALE
    2 LOUIS XV
    2 NERON
    3 BABYLONE
    3 NINIVE
    3 ROME
  • Hommes de Nîmes
  • 9-19 décembre 1868
  • Nîmes
La lettre

Au point où nous en sommes arrivés, après avoir établi le crime des sociétés qui laissent nier Dieu, les devoirs des catholiques en face de pareils crimes; après avoir constaté que les peuples marchent irrésistiblement à la démocratie, forme sociale que l’Eglise ne réprouve pas en soi, et signalé les périls de la démocratie révolutionnaire, nous avons dit que notre grande force était l’association pour faire ce que la société ne peut pas faire elle-même, mais qu’il ne pouvait subsister d’association pour la défense des intérêts catholiques que par l’union. Cette union pour les catholiques repose sur la foi, l’espérance et la charité.

Aujourd’hui pourquoi s’unir? Pour la plus belle des causes! Pour la défense des droits de Dieu qui sont renfermés dans l’Eglise catholique. Ces droits, il faut vous les faire connaître; et j’aborde aujourd’hui cette grande question de l’Eglise catholique. Or vous vous attendez bien à ce que je ne vous présenterai pas un traité complet de l’Eglise, je ne puis en saisir que certains points.

Je parlerai aujourd’hui de l’esprit de l’Eglise, demain de la liberté de l’Eglise, après-demain de l’action de l’Eglise.

– L’Esprit de l’Eglise est un esprit de vérité et de sainteté.

– La liberté de l’Eglise, c’est le droit de vivre au milieu des ennemis dont elle est entourée.

– L’action de l’Eglise, c’est la puissance que Dieu lui a confiée par sa hiérarchie.

ESPRIT de l’EGLISE CATHOLIQUE. –

Ce qu’il importe le plus de connaître d’une société, c’est son esprit, ce par quoi elle vit, ce pour quoi elle a été faite. Je dis que l’esprit de l’Eglise catholique est un esprit de vérité et de sainteté. J’établirai mes propositions le plus clairement possible.

1. Esprit de Vérité.

Remarquez bien que dans ce que je dis je ne fais pas de controverse. J’expose à des catholiques une croyance que quelques-uns semblent avoir un peu trop oubliée.

La raison de l’Eglise, sa vie dans sa plénitude, c’est la connaissance de Dieu et de Jésus-Christ. Haec est autem vita aeterna. Et le perpétuel dialogue entre la société divine et les sociétés humaines est celui-ci: Ego in hoc natus sum, et ad hoc veni in mundum, ut testimonium perhibeam veritati. A quoi les Pilates du temps répondent en tournant le dos à la vérité: Quid est veritas? En d’autres termes: En politique il n’y a pas de vérité religieuse.

Et la vérité, du haut du ciel, coula d’abord du haut du calvaire avec le sang de Jésus-Chrsit; elle coula à flots avec le sang des apôtres et des martyrs; et l’Eglise continuant le témoignage de son époux répétait: Ego in hoc natus sum, et ad hoc veni in mundum, ut testimonium perhibeam veritati.

Pour le catholique, Jésus-Christ c’est la vérité faite homme: Verbum caro factum est. Et quand le Verbe a une fois épousé l’humanité, il ne peut plus faire divorce avec elle.

Mais la vérité, elle est une. Il n’y a pas deux vérités. La vérité religieuse, c’est Dieu et ses attributs, c’est l’éternel, l’infini, l’immuable. Ce sont ensuite les faits divins, ils sont uns. Or l’esprit humain pour posséder la vérité a deux moyens: l’autorité et la raison. La raison est supérieure à l’autorité, mais il faut aller selon les temps: Tempore auctoritas, re autem ratio prior est. Cette raison éclairée, développée, c’est le partage de l’éternité. In lumine tuo videbimus lumen.

Mais en même temps nous devons reconnaître qu’ici-bas l’autorité commence, Jésus-Christ lui-même le disait aux Juifs: Nisi credideritis, non intelligetis.

L’autorité principe de l’unité, sans quoi dispersion des opinions, et c’est ici que j’arrive à des conséquences lamentables. Chacun s’en va dans sa voie, et de là cette indépendance qui amène la perte de la foi; c’est ce que j’appellerais le protestantisme des catholiques.

Chacun veut être catholique à sa façon. Ah! mes frères, souvenons-nous de la beauté de notre mission de conserver la vérité dans l’unité, à condition que nous serons soumis à l’autorité!

L’esprit de l’Eglise est d’enseigner. Si elle n’enseigne pas, elle n’a pas sa raison d’être; mais si elle enseigne, elle doit être écoutée. Quand vous croirez ce qu’elle enseigne, vous aurez plus de facilité pour pratiquer ce qu’elle commande. Or elle commande la sainteté, et c’est là le point sur lequel j’ai à insister tout spécialement.

2. Esprit de Perfection dans l’Eglise.

Dieu est infiniment parfait, d’une perfection absolue; c’est là cette gloire qu’Il ne donnera à personne. Mais quoique toutes les créatures soient imparfaites, elles tendent à la perfection, à mesure qu’elles se rapprochent de Dieu. Or le but de l’Eglise c’est d’unir pour toujours les hommes à Dieu, et dans le temps et dans l’éternité. Jésus-Christ ne disait-Il pas: Ecce ego vobiscum sum omnibus diebus. Voilà pour le temps, comme Il avait demandé à son Père que ses disciples fussent consommés dans l’unité divine: Ut sint consummati in unum!

Qu’est-ce que cette union si prodigieuse que Dieu se communiquant perpétuellement à la créature par sa grâce et par les sacrements de son Eglise? Et qu’est-ce que les sacrements sinon l’effusion de l’amour de Dieu par le Saint-Esprit qui nous a été méritée par le sang de Jésus-Christ? Quel est le plus parfait des sacrements, sinon Jésus-Christ se donnant à nous selon la sainteté de son humanité et de sa divinité?

Or ce Dieu trois fois saint donnant sa sainteté à l’âme pour la nourrir, qu’est-ce que c’est sinon le mystère le plus admirable et le plus méprisé! Le plus admirable! Un Dieu s’unissant à toutes les créatures humaines et les unissant entre elles pour leur communiquer sa sainteté! La communion n’est que la communication de la sainteté de Dieu à travers l’humanité, de toutes la plus sainte, les plus parfaite, la sainteté de Jésus-Christ!

Et voilà sur quel modèle la sainteté humaine s’établira! Les perfections, la sainteté d’un homme personnellement uni à un Dieu! Oh! Qui dira la sainteté de Jésus-Christ, type, modèle des hommes? Qui dira la notion de perfection, de sainteté qui découle de la perfection, de la sainteté de Jésus-Christ? Or cela est dans l’Eglise, dans l’Eglise seulement!

Il y a autre chose. Il y a les saints! L’apôtre, le martyr, l’Evêque, le docteur, la vierge, tous les états y sont! Et, de plus, voyez l’amour de l’Eglise pour les saints! Nous sommes de la même famille! Or qu’est la perfection, la perfectibilité humaine en face de ces notions? Ah! que je voudrais avoir le temps de faire un parallèle entre un grand homme et un saint! Mais le temps presse et je veux pour atteindre mon but vous montrer l’effet social de certaines vertus chrétiennes. Je choisirai celles que le monde connaît le moins: La pauvreté, la chasteté, l’obéissance!

De quoi est composé les monde non chrétien? D’affamés. Ils ont faim et soif de plaisirs. Or les plaisirs sont chers, il faut de l’argent, et pour acheter les plaisirs on se vend.

Le saint, lui, ne veut rien, et parce qu’il ne veut rien que le pain de chaque jour, il se prive, il donne. Et tandis que l’amour de l’or pour satisfaire l’amour des plaisirs conduit à toutes les bassesses, le don de ce que l’on a conduit, par la pauvreté, à toutes les générosités, à tous les dévouements, à toutes les beautés morales d’un caractère noble, fier, indépendant, comme il convient à un saint! Et l’Eglise vous présente l’exemple de la pauvreté volontaire pour mieux vous prêcher le désintéressement.

La Charité! Eh! mon Dieu! faut-il vous dire que les nations voluptueuses ont toujours été des nations avilies, esclaves! Je vais plus loin. Est-ce que les chefs des nations n’ont pas dégradé leurs peuples par les orgies dont ils leur donnaient le scandale? Qui a perdu Ninive? Babylone? Que devint Rome dans les hontes d’un Néron, d’un Caligula, d’un Héliogabale? Louis XV n’a-t-il pas imprimé une honte à la France, par les femmes aux pieds desquelles il se prosternait, en attendant que la France subît le déshonneur suprême, quand elle fut forcée à se prosterner officiellement derrière les courtisanes chargées de représenter la raison, et….?

Je m’arrête parce que le dégoût me saisit, et je ne veux pas vous infliger le supplice de certaines infections!

Ah! je comprends l’horreur qu’inspire la chasteté à certains hommes! La bure de la carmélite, la cornette de la soeur de charité, le voile de tous ces anges terrestres, qui sont des anges parce qu’elles sont des vierges, ce sont de vivants remords, et le remords est toujours importun, odieux. Je comprends qu’on veuille fouiller dans la vie des mauvais prêtres, de religieuses perdues; s’il n’y avait pas eu des prêtres impurs, des religieuses séduites, Luther n’eût pas épousé Catherine.

Qu’est-ce qui perd l’Eglise d’Orient? C’est cela, la luxure et la cupidité. Voilà la raison de la haine excitée contre les grands évêques de ces pays. Qu’est-ce que cela prouve? Que le sel de la terre s’affadit. Et pour l’Orient, je vous avoue que j’en suis à désirer que, malgré la convocation de Pie IX, le rapprochement n’ait pas lieu par les Evêques.

Il n’en est pas moins vrai que celui qui, après avoir sacrifié par la pauvreté sa fortune, par la chasteté son corps, a une puissance morale que sont forcés de reconnaître ceux-là mêmes qui la détestent le plus. Que dirai- je de l’obéissance? Le monde extérieur, l’enveloppe de l’âme sont épurés par la chasteté et la pauvreté, l’obéissance atteint le fond même de l’être. Par l’obéissance l’homme, après avoir donné tout ce qu’il a, donne tout ce qu’il est; entendez bien, il ne le vend pas, il le donne. Celui qui vend ses principes, sa croyance, sa foi, est un infâme; celui qui donne sa volonté à Dieu est de la race des saints. La volonté fortifiée par les communications divines, beauté des caractères, voilà la sainteté dans sa notion.

Et vous voyez en même temps quelle influence exercent sur le monde les vertus sur lesquelles j’ai insisté. Mes frères les catholiques, pourquoi n’êtes-vous pas des saints? Pourquoi n’êtes-vous pas désintéressés? Pourquoi n’êtes-vous pas chastes? Pourquoi n’acceptez-vous pas la direction de votre mère l’Eglise? Pourquoi n’êtes-vous pas, par votre vie toute entière, les témoins de la vérité qu’elle prêche?

Tels sont vos devoirs! A la vérité le témoignage de la foi! A la sainteté l’imitation, mais surtout le désintéressement, la chasteté, l’empire sur vous-mêmes, l’obéissance aux lois de l’Eglise, dans l’effort constant vers la perfection telle qu’elle est possible ici-bas!

Tel est l’esprit de l’Eglise! J’attends que les hommes aient trouvé quelque chose de plus grand et de plus beau pour cesser d’être son enfant!

Notes et post-scriptum