[Huit conférences données à Saint-Charles de Nîmes, décembre 1868]

Informations générales
  • TD45.243
  • [Huit conférences données à Saint-Charles de Nîmes, décembre 1868]
  • VIII - L'ACTION de l'EGLISE.
  • Orig.ms. CR 159; T.D. 45, pp. 243-246.
Informations détaillées
  • 1 ATHEISME DE L'ETAT
    1 DEFENSE DE L'EGLISE
    1 DEMOCRATIE
    1 DEVOIRS DE CHRETIENS
    1 EGLISE ET ETAT
    1 LUTTE ENTRE L'EGLISE ET LA REVOLUTION
    1 SEPARATION DE L'EGLISE ET DE L'ETAT
    1 UNION DE L'EGLISE ET DE L'ETAT
    2 LAMENNAIS, FELICITE DE
    2 ROYER-COLLARD, PIERRE-PAUL
    3 AUTRICHE
    3 ESPAGNE
    3 ETATS-UNIS
    3 ITALIE
    3 RUSSIE
  • Hommes de Nîmes
  • 9-19 décembre 1868
  • Nîmes
La lettre

Le temps presse, mes frères, et ce n’est pas sans une certaine tristesse que je me vois au terme de la carrière qu’avec tant de bienveillance vous m’avez permis de fournir devant vous. Je viens aujourd’hui pour clôre, vous parler de l’action de l’Eglise. Quel sujet! Il faut le restreindre. J’eusse voulu vous montrer l’action de la papauté, de l’épiscopat, du sacerdoce, des ordres religieux. J’y renonce, et je me borne à me placer sur cet unique terrain: Il faut agir. – Pourquoi faut-il agir? – Les motifs de cette action nécessaire. Voilà le sujet de ce dernier entretien.

Mais avant de commencer, précisons bien la situation de l’Eglise. On peut en supposer quatre: L’union de l’Eglise et de l’état. – On peut la supposer funeste, l’Eglise dit le contraire; – la séparation de l’Eglise d’avec l’état, l’invasion de l’Eglise par l’état, et l’absorption de l’Eglise par l’état.

L’union de l’Eglise avec l’état est la situation préférable, l’Eglise l’a déclaré. Mais quand l’état empiète sur l’Eglise, cherche à l’absorber ou la persécute, la séparation est de beaucoup préférable.

Et moi qui tiens à l’enseignement de l’Eglise, je soutiens l’union comme de tous les états le meilleur; mais en présence d’un fait éclatant qu’en Russie, en Autriche, en Italie, en Espagne, les états non seulement tendent à se séparer de l’Eglise, mais surtout à l’envahir et à l’absorber, je suis pour la séparation de l’Eglise et de l’état.

Une fois cela dit et très catégoriquement dit, j’ajoute que c’est pour les catholiques un devoir rigoureux de combattre par tous les moyens pour assurer à l’Eglise la plus grande somme possible de liberté. Et à ce sujet je ne crains pas d’établir que si les femmes doivent prier, les hommes sont obligés de la manière la plus rigoureuse d’agir.

Vous y êtes obligés, mes frères, 1° De la situation que nous fait la démocratie. Qu’est-ce que la démocratie? C’est une situation sociale où le peuple prend la plus grande part possible aux affaires. Ceux qui agissent finissent toujours par gouverner ceux qui ne font rien. A ce point de vue les illusions sont grandes. On ne pèse dans la balance sociale que du poids de son action et c’est pourquoi je ne cesserai de le répéter: Il faut agir! Mais quoi, direz-vous, le pouvoir n’est-il pas le ministre de Dieu pour le bien? Evidemment, mais en même temps il est manifeste qu’il ne peut plus vous protéger comme autrefois. Comprenez que c’est triste, que c’est déplorable, mais l’élément démocratique envahissant tous les jours l’élément monarchique, vous êtes condamnés à faire vos affaires vous-mêmes!

Ah! vous aimeriez mieux vous en rapporter à un bon roi, qui avec de bons ministres songerait avant tout au plus grand intérêt des bons citoyens! Eh bien, cela ne vous est plus permis.

Donc nécessité d’agir, parce que la démocratie déborde de toutes parts.

2° Nécessité d’agir parce que l’état est athée. Il y a quarante-deux ans que l’abbé de La Mennais démontrait cette proposition à Mr Royer-Collard. Elle a été niée quelquefois, dans la pratique l’état a dû toujours se conduire comme s’il n’avait pas de croyance; et vous voulez vous en rapporter à des gouvernants qui, quelle que soit leur foi personnelle, sont obligés de se conduire comme s’ils avaient la foi! Allons! Allons, c’est de la stupidité, et c’est le terme le plus doux dont je puisse me servir!

Donc vous agirez sans aucune confiance envers les gouvernants, je ne dis pas avec défiance; vous êtes avertis, vous savez que pour vos intérêts religieux vous ne pouvez compter sur eux qu’au point de vue d’une certaine combinaison de majorité, et là encore l’appui d’aujourd’hui sera la guerre demain.

Donc vous devez agir et ne vous en rapporter qu’à vous seuls, si vous voulez que votre cause triomphe.

3° Vous devez agir, parce que vous êtes catholiques. Ah! votre éducation est à faire, j’en conviens; voyez les Evêques des Etats-Unis dans leurs derniers conciles, ils tracent aux catholiques leurs devoirs comme citoyens et par conséquent comme électeurs!

N’oublions pas que nous avons à refaire la société, il faut donc que nous y prenions notre part. Je laisse aux amateurs d’une certaine tolérance de dire que le catholicisme n’a rien à faire, je dis que l’individu fonde la famille et les familles les états.

Ah! il est plus facile d’écarter les yeux de ces grands devoirs, mes frères, ne nous laissons pas enfermer dans les sacristies et sachons nous faire faire notre place partout.

4° Nécessité d’agir, en face de la révolution qui agit. Ai-je besoin de vous le dire? Nous sommes les hommes de l’ordre, en face des hommes du désordre. Une des plus grandes luttes se prépare entre l’Eglise et la révolution. Qui l’emportera? Dieu seul le sait! Si vous me demandez mon opinion, je vous dirais que je crois que la révolution aura un triomphe momentané, ne fût-ce que pour le châtiment du parti des honnêtes gens; gens épouvantables dans leur vertu égoïste; je dis donc que je crois au triomphe momentané de la révolution. Est-ce une raison pour désespérer? A Dieu ne plaise! Je vous appelle tous à l’action, vous-mêmes, honnêtes [gens], si vous voulez sortir de votre torpeur.

Et pourquoi ne vous appellerais-je pas aussi à la défense commune, sinon de l’Eglise catholique dont vous n’avez pas le bonheur de faire partie, vous, nos frères séparés, qui meilleurs que le principe de la Réforme, éprouvez le besoin de croire quelque chose! Venez, nos bras vous sont ouverts!

Je vous appelle, vous surtout catholiques de la vieille foi nîmoise, je vous invite à vous unir et à agir!

Et pour conclure, au moment de nos séparer, que vous dirai-je? Si vous avez compris que la situation est grave, que l’horizon est sombre, que les nuées épaisses sur nos têtes sont grosses d’orage, il faut s’unir, il faut agir. L’action des catholiques est toute indiquée, leur position est admirable, l’essentiel est qu’ils ne la laissent pas compromettre par des tiraillements funestes. Marchons donc en avant! Pourquoi nous en empêcherait-on? Les hommes de l’anarchie ne s’unissent-ils pas? Ne sont-ils pas plus redoutables que nous? Ne les redoute-t-on pas plus que nous?

Dès lors, allons en avant! Nous sommes des défenseurs de l’ordre, de la société, par cela seul que nous agissons pour l’Eglise. Donc, mes frères, je vous avertis de vos devoirs et je vous invite, en restant dans la légalité, à vous entendre pour agir. Des adhésions m’ont été données, j’en provoque de nouvelles.

Il ne nous est pas bon d’abandonner les lois de nos Pères. Nous agirons, Dieu bénira nos efforts, la révolution verra qu’on peut lui disputer le terrain. Les droits de Dieu seront définis, et sa cause triomphera!

Notes et post-scriptum