29 mars 1861

Informations générales
  • TD45.300
  • PASSION prêchée à Saint Charles. 1861.
  • Orig.ms. CR 178; T.D. 45, pp. 300-307.
Informations détaillées
  • 1 AGONIE DE JESUS-CHRIST
    1 CROIX DE JESUS-CHRIST
    1 MORT DE JESUS-CHRIST
    1 PASSION DE JESUS-CHRIST
    2 ANNE, GRAND PRETRE
    2 CAIPHE
    2 HERODE AGRIPPA I
    2 JUDAS
    2 PIERRE, SAINT
    2 PILATE
  • 29 mars 1861
  • Nîmes
La lettre

Videbunt in quem transfixerunt [Joan. 19-37].

Je prends ces paroles pour texte, parce qu’elles renferment selon moi un grand mystère que les circonstances présentes rendent utiles à étudier.

Qu’est-ce que cet homme attaché à la croix? N’est-ce pas celui que poursuit la haine et la vengeance des prêtres et des savants, celui que raille la lubrique curiosité d’Hérode, celui que livre la lâcheté politique de Pilate, celui qu’immole la brutale fureur du peuple et la brutale grossièreté des soldats?

Celui-là même était le Fils de Dieu, et Dieu en condamnant son Fils à la mort ne prétendait céder en rien de ses droits; Il prétendait les manifester, au contraire, et les montrer tout entiers dans ce Fils immolé, cloué à un bois infâme, crucifié! Videbunt in quem transfixerunt.

Chrétiens, que la mort de votre Dieu réunit dans cette enceinte, et qui y portez, avec la douleur qu’inspire la méditation d’un si étrange mystère, le poids d’autres douleurs plus présentes et qui semblent reproduire, de nos jours, quelque chose des humiliations du Calvaire, j’ai cru vous être utile, en prenant, dans les diverses circonstances de la mort de l’Homme-Dieu, ce qui pouvait consoler votre affliction, relever votre courage, fortifier votre foi.

Il y a un homme aujourd’hui que des savants, soutenus par quelques prêtres apostats, veulent livrer à de nouveaux Hérodes et à de nouveaux Pilates.

Comme Pierre, quelques-uns de vous suivent cette agonie douloureuse avec un filial intérêt; Comme Pierre, quelques-uns, en conservant la foi dans les replis de leur âme, la renient par prudence en public. Et vous, comme le peuple de Jérusalem, vous suivez la victime. Ah! sans doute, pleurez vos péchés; mais, rassurez-vous, on verra, on verra celui qu’on s’apprête à crucifier! Videbunt in quem transfixerunt [Joan. 19-37].

Aussi ne me suis-je point proposé d’autre but que celui-ci, de vous montrer comment Dieu en respectant la libre volonté des hommes, les amène sans qu’ils s’en doutent à ses desseins, et, dans les souffrances de l’Homme-Dieu et dans la rage de ses ennemis la manifestation d’une toute puissance providentielle. Videbunt in quem transfixerunt [Joan. 19-37].

Et ce vous sera une grande consolation et une grande lumière, car si Dieu a ainsi traité son Fils, ne convient-il pas que l’épouse de ce Fils bien-aimé soit traitée de la même manière? Ou plutôt ne convient-il pas que le scandale de la Croix se poursuivant à travers les siècles, montre aux hommes la divine faiblesse d’un Dieu incarné en Jésus et vivant dans son Eglise; et que le divin crucifié apparaisse, à travers les membres souffrants de ses saints, dans ses humiliations et dans sa toute puissance, afin que si la foi le contemple sur les autels, elle le contemple aussi en face de ses persécuteurs, et qu’Il soit ainsi toujours reconnaissable à ce double caractère de faiblesse humaine et de puissance divine. Videbunt in quem transfixerunt [Joan. 19-37].

Nous Le suivrons à l’agonie, devant les tribunaux, au calvaire.

1. A l’agonie.

Dieu veut sauver le monde par le sang de son Fils. C’est un décret; Son Fils obéira, mais en obéissant Il y mettra une perfection divine par la manière dont Il surmontera les épreuves.

D’abord Il se fera annoncer par les figures et les prophètes.

Il choisira des apôtres qu’Il aimera, sans doute; Il aimera Judas et le laissera libre de trahir! Et coena facta, cum diabolus jam misisset in cor ut traderet eum Judas Iscariotae [Jona. 13-12].

Ah! quelle révélation! N’accusons pas trop les ennemis de l’Eglise! Il y a un esprit plus puissant, ils sont possédés!

Voilà la première attaque de Satan, voici la première préparation de Jésus: Sciens quia omnia dedit ei Pater in manus, et quia a Deo exivit, et ad Deum vadit [Joan. 13-3]. Oh! Eglise, que tu es belle sortant de Dieu, rentrant en Dieu! Ne t’effraie pas trop des attaques de Satan, Dieu t’a mis tout entre les mains comme à ton Epoux. Ergo et ipsum proditorem! s’écrie S. Augustin. Oui, lui-même! Mais voici la consommation de la scélératesse: Surgit a coena, et ponit vestimenta sua…

Et post buccellam, introivit in eum Satanas [Joan. 13-27].

Ce n’est plus à Judas, c’est à Satan que Jésus dit: Quod facis, fac citius. C’est Dieu qui commande, là encore Il est le Maître.

Puis Il se rend au Jardin. – Lutte de la nature.

Puis les envoyés arrivent; – Jesus itaque sciens omnia quae ventura sunt super eum, processit et dixit eis: Quem quaeritis? [Joan. 18-4]. – Les voilà renversés, pourquoi ne fuient-ils pas? Satan les cloue, Judas au milieu d’eux les arrête.

Pierre tire l’épée. – Mitte gladium tuum in vaginam. Calicem, quem dedit mihi Pater, non bibam illum? [Joan. 18-11].

Voilà le Dieu! Voilà le mystère que l’iniquité ne comprend pas, parce qu’elle ne comprendra pas comment pour le chrétien l’obéissance à Dieu est le principe de ses victoires: Vir obediens loquetur victoriam [Prov. 21-28]. O mon Sauveur! vous le prendrez le calice et vous l’avalerez jusqu’à la lie!

Et cependant, votre Père prendra le calice de sa fureur: Bibent omnes peccatores terrae! [Psalm. 74-9].

Mystère étrange et qui s’accomplit depuis dix-huit siècles! Ce qui est salut pour les uns, est perte pour les autres.

O Croix! C’est vous qui faites cette séparation terrible. O crux, ave!

2. [Devant les] tribunaux.

Nous serions aussi embarrassés si nous nous laissions surprendre par les maladroits agents du pouvoir qui prétendent flétrir les Evêques parce qu’ils parlent de Pilate, comme si tous les ans il n’y avait pas un Vendredi-Saint, et si dans la Passion il n’y avait pas un Pilate! Pour moi, j’aborderai franchement la question, et sans m’occuper des allusions qu’on peut faire, je parlerai brutalement de Pilate, parce qu’il est impossible à un prêtre de raconter les dernières douleurs de son Dieu, sans flétrir l’iniquité des juges qui Le trouvant innocent Le condamnent.

Mais avant les tribunaux politiques, Il sera devant les tribunaux religieux. – Anne, – Caïphe: Quia expedit unum hominem mori pro populo [Joan. 18-14].

Des prêtres, – des savants, – un roi impudique, – un lâche magistrat! Jésus les traite comme ils le méritent. A Caïphe Il se déclare et le menace du Jugement. A Hérode, l’impudicité, la légèreté, le vrai roi des gens du monde, le silence!

Mais prenez garde, là est votre condamnation, Dieu se retire, Il se tait. O homme léger, impudique, railleur, prenez garde, cette légèreté date de loin, les suites datent de loin aussi!

Et Pilate? Pilate, je n’en parlerai pas, sinon pour faire ressortir la bonté de Jésus envers ce payen: Ego in hoc natus sum, et ad hoc veni in mundum [Joan. 18-37].

Pilate, tu y aideras, et tu poursuivras en quelque sorte Jésus de sa royauté: Apprehendit Pilatus Jesum, et flagellavit [Joan. 19-1]. Voilà l’onction.

Puis tu le couronneras d’épines: Ecce homo! [Joan. 19-5]. – L’Homme par excellence. – Cela ne suffit pas, tu Le ramèneras une seconde fois; Ecce rex vester! [Joan. 19-14]. Tu crois montrer au peuple les débris d’une royauté finie; tu te trompes, elle commence!

Pilate pourtant veut Le sauver, – Jésus se tait. – Mihi non loqueris? Nescis quia potestatem habeo dimittere te? [Joan. 19-10]. – Cela est clair.

Jésus vat-Il tomber à ses pieds? – Non haberes potestatem adversum me ullam! [Joan. 19-11].

Oh! vous croyez que vous avez la puissance de tuer l’Eglise, vous ne l’avez que dans la mesure capable de l’éprouver. Et toutefois, et ceci soit dit pour la consolation de tous les Pilates du jour: Verumtamen ille qui me tradit tibi, majus peccatum habet [Joan. 19-11].

Qui donc? Satan? – Qui donc encore? Les savants? – Qui donc surtout? Judas? – Les mauvais chrétiens?

Et c’est la même chose pour l’Eglise dans les épreuves; Des gens que l’on accuse ne sont que des instruments. Plaignons-les et prions pour eux.

Cependant Jésus est chargé du poids de sa croix.

O Croix! Bois sacré qui faites de mon Dieu le prêtre et la victime, je vous invoque. O crux, ave.

3. [Au Calvaire.]

Satan triomphe, les prêtres sont vengés, Hérode raille, la populace rugit, Pilate se lave les mains, et Jésus monte au Calvaire! Mais l’impulsion donnée par Satan est telle, que les hommes n’y sont en quelque sorte plus pour rien. Ce n’est plus qu’un simple fait qui dans quelques instants sera parfaitement légitime, car ce sera un fait accompli.

Jésus, Lui, est toujours le même, toujours faible et toujours Dieu!

On Le plaint: Ne pleurez pas sur Moi.

On Le dépouille: Mon Père, pardonnez-leur!

On Le dépouille: C’était écrit. – On se partage ses vêtements; C’était écrit. – On l’abreuve de fiel; C’était écrit. – On Le suspend; C’était écrit!

Et Pilate? Il pose l’inscription. – Réjouis-toi, Pilate, tu es le héraut chargé de proclamer la royauté de mon roi! Quod scripsi, scripsi. Ta bouche a prononcé la sentence, ta main a écrit le sens de cette sentence.

Que les Pharisiens et les prêtres disent: Vah, qui destruis templum Dei et in triduo illud reaedificas, salva teipsum! [Matth. 27-40]. Mais le voile du temple déchiré, mais la terre tremblante, mais le soleil obscurci, les morts ressuscités, n’est-ce donc rien?

Et les bourreaux et les soldats de garde s’écrient! Vere Filius Dei erat iste! [Matth. 27-54].

Satan, tu triomphes! J’appelle Satan la vengeance, la haine, l’envie, la légèreté, l’indifférence, la lâcheté politique. Satan triomphe! Et comment se fait-il, ô Satan, prince de ce monde, qu’il n’y a pas un point du globe connu où une croix n’ait été plantée? Et cette Croix, ô Satan sera ton éternelle condamnation! Et l’on verra partout Celui qu’on y a attaché! Et videbunt in quem transfixerunt [Joan. 19-37].

Et Marie, elle, était là, mère des hommes et prophétesse! Fecit potentiam in brachio suo! [Luc 1-51].

Et au moment où Marie prononçait ces paroles, une autre vierge sortie du côté ouvert du nouvel Adam, répétait ces paroles, et tous les jours impose à ses ministres l’obligation de répéter ces mots: Mon âme glorifie le Seigneur. Dispersit superbos mente cordis sui* [Luc 1-51]. – Ces paroles furent répétées dans les catacombes, elles le furent sur les ruines de l’empire romain, sur les jeunes sociétés, au milieu des hérésies, au sein des luttes de toute espèce.

Et nous aussi nous le contemplerons!

Seigneur, si je vous présente à ce peuple, ah! que ce ne soit pas comme condamnation, mais comme espérance!

Notes et post-scriptum