[Autres plans de sermons et de conférences]

Informations générales
  • TD46.129
  • [Autres plans de sermons et de conférences]
  • Du Travail.
  • Orig.ms. CS 73; T.D. 46, pp. 129-132.
Informations détaillées
  • 1 CHATIMENT DU PECHE
    1 EFFORT
    1 OUVRIER
    1 PROGRES DANS LA VIE SPIRITUELLE
    1 SAINTE FAMILLE
    1 TRAVAIL
    2 ADAM
    3 NAZARETH
  • mars 1848
La lettre

Le travail est pour l’homme une peine, un châtiment, une expiation, et son unique moyen de progrès et de grandeur.

Ma première pensée s’est portée sur vous, et cette chaire que d’autres occupations semblaient m’interdire, je me suis hâté de réclamer la permission de l’occuper quelquefois. J’y monte avec bonheur, j’y monte malgré une indisposition qui peut me faire taxer d’imprudence, mais il est des circonstances où l’on est heureux d’être imprudent pour être utile à ceux que l’on aime.

Pourquoi ai-je voulu vous parler? Pourquoi ce besoin d’entrer en communication avec vous? Est-ce la politique? Non, ce n’est pas mon affaire, j’ai à vous parler de quelque chose de plus grand. Les bases sociales sont ébranlées, et je viens vous dire quels immenses devoirs vous sont imposés, si vous voulez rester catholiques. Je viens vous prémunir contre les doctrines funestes qui ne manqueront pas de vous être prêchées, et parce que j’ai cherché à m’en rendre compte, j’ai pensé qu’il serait bon de vous en parler.

Aujourd’hui que l’on parle de l’organisation du travail, il faut en dire quelque chose au point de vue chrétien, il faut établir la doctrine chrétienne là-dessus. Je dis que le travail est un châtiment infligé à l’homme, une expiation, et le seul moyen de progrès et de grandeur qui lui soit accordé.

Je dis que le travail est un châtiment, et du premier coup je me pose contre tous les systèmes modernes qui nient la révélation. Dieu dit à l’homme: In labore vultus tui vesceris pane. Voilà la vérité catholique. Il faut l’admettre ou nier la Bible, il faut l’admettre ou nier l’évangile. Mais si l’on nie l’évangile, on nie Jésus-Christ. Niez-vous Jésus-Christ? Oui, comme Dieu. Si vous le niez comme Dieu, c’est un imposteur, car il s’est déclaré Dieu; et si vous niez Jésus-Christ Dieu, vous niez les faits miraculeux par lesquels il prouve sa divinité. Et si vous les niez, vous niez l’histoire. Et si vous niez l’histoire, qu’affirmerez-vous? Mais l’homme est forcé de croire à quelque chose, de croire à l’histoire, donc aux miracles, donc à Jésus-Christ, donc à la Bible, donc à la révélation, donc au péché originel, donc au travail comme châtiment du péché originel.

Ceci posé, voulez-vous [savoir] par quelle sagesse admirable Dieu a pris le travail comme châtiment? L’homme a troublé l’ordre par le péché, ordre moral, ordre physique. Il est condamné à le réparer autant qu’il en est capable.

Il a troublé l’ordre physique, dont il a voulu être le maître. Trois désordres, le chaud, le froid, besoin d’un abri. Il faut qu’il se meuve – besoin de vêtement; il faut qu’il se soutienne, besoin de nourriture; il faut qu’il travaille pour se loger, pour se vêtir, pour se nourrir. Il faut qu’il travaille pour se défendre. – Puis le luxe.

Dans l’ordre moral la même chose. Son intelligence a besoin de connaître, son coeur de pratiquer le bien. Il faut qu’il lutte contre l’ignorance et contre la concupiscence. Le châtiment se trouve dans un effort pour la réparation du désordre. Mais l’homme seul [en] est incapable, il faut Jésus-Christ. L’homme par son travail entre avec l’idée de l’expiation dans un monde supérieur. Il y souffre, mais il accepte sa souffrance. Quelle différence! Le fils de l’ouvrier, fabri filius, est là.

Mais à peine a-t-il offert son sacrifice que du haut du ciel une pensée est descendue, la résignation. Suivez le pauvre ouvrier dans toute sa carrière. Il naît – le baptême; il grandit – la première communion; il a des passions, le travail le protègera. Entouré d’une famille, il travaille avec amour; il meurt, toujours résigné, parce qu’il a une pensée chrétienne. Il offre à Dieu le sacrifice de son travail et de ses souffrances, de ses larmes et de ses sueurs; il se couche dans son silence avec l’espérance de se relever.

Différence avec l’ouvrier matérialisé – Commencer par le désespoir, finir par la résignation.

2.

Le travail est le moyen de progrès et de grandeur donné à l’homme. Qui dit travail, dit effort, action, mais le travail est comme une seconde création. Celui qui produit crée autant qu’il dépend de lui. Il ne tire pas la matière du néant, mais il lui donne la puissance d’exister d’une certaine manière, et plus son action est parfaite, plus il manifeste la perfection qui est au-dedans de lui, plus il la développe.

Que de choses n’obtient-il pas? Quels résultats magnifiques! Par le travail l’homme subjugue les éléments, par le travail il transforme les métaux, par le travail il devient le roi de la création. Par le travail l’homme domine la matière, par le travail l’homme sert la société. Il la protège: travaux publics, agriculture, commerce, défense de la patrie, travaux scientifiques, grands résultats. Et la société se développe, et avec elle ceux qui en font partie et qui l’assistent de leurs travaux.

Mais il faut descendre dans une pensée chrétienne. Le travail implique un effort de la volonté, et la volonté qui fait effort sur elle-même se fortifie, et l’homme n’est grand que par sa volonté. L’homme qui travaille est plus maître de lui-même, est plus facilement disposé à la vertu. L’homme qui travaille est prêt à toutes les grandes choses.

Voyez ce que deviennent les paresseux, ces êtres flasques et mous qui s’enfoncent tous les jours un peu plus dans l’inertie de la matière. L’homme au travail, au contraire, toujours maître de lui, porte dans ses yeux le signe de l’intelligence qu’il a constamment exercée. Sentiment de sa supériorité, témoignage de sa conscience; il s’est fait lui-même, il a tiré de lui tout ce que Dieu y avait mis. Mais pour cela il faut qu’il ait le sentiment de ce qu’il accomplit. De quelque nature que soit son oeuvre, il l’agrandit par le sentiment avec lequel il la fait. Ce n’est point une machine, il a une âme, il l’élève par son travail même. Laboureur, il lève la tête et rencontre la demeure de notre père qui est au ciel.

Et voyez la famille la plus grande, la plus illustre que la terre ait vu passer: c’était une famille d’artisans. Transportez-vous à mille neuf cents ans d’ici, à Nazareth: un vieillard penché sur ses outils; une femme modeste, pauvre, recueillie; un jeune homme. Ce vieillard, rejeton du tronc d’une race royale, il courbe le front qui eût dû porter la couronne, pensif, sur son travail. Cette humble fille qui prépare les aliments, c’est la reine du ciel et de la terre. Cet enfant c’est celui dont les mains divines ont pétri l’univers et lancé les mondes dans l’espace, et maintenant il est là.

Ah! si vous êtes triste de votre travail, si vous vous affligez pour votre mère, pour votre soeur, pour l’autre moitié de vous-même, si vous tremblez pour vos enfants, transportez-vous à Nazareth, vous verrez pourquoi un Dieu a voulu travailler trente ans.

Que ceux qui ont le malheur de ne pas croire ne comprennent pas ce mystère du coeur, je le comprends. Est-ce que sans la foi qui met l’homme en relation avec Dieu, il y a quelque grandeur sur la terre? Et maintenant que vous avez la notion chrétienne du travail, vous travaillerez parce que vous êtes fils d’Adam comme moi. Vous travaillerez, parce que chaque goutte de sueur qui tombe de votre front, si elle est offerte par vous, est portée par votre ange au pied du trône de Dieu. Vous travaillerez pour devenir grands de la grandeur qui convient à des êtres faits pour l’éternité. Vous travaillerez avec amour, parce qu’au-dessus de tous les systèmes plus ou moins trompeurs enfantés par l’orgueil de l’homme vous êtes invités au travail par l’immense tendresse d’un Dieu qui s’est fait homme, afin de pouvoir pendant trente ans être ouvrier.

Notes et post-scriptum