[Autres notes et fragments de sermons et de conférences]

Informations générales
  • TD46.346
  • [Autres notes et fragments de sermons et de conférences]
  • Eucharistie.
  • Orig.ms. CS 151; T.D. 46, pp. 346-352.
Informations détaillées
  • 1 AMOUR DIVIN
    1 ANEANTISSEMENT DE JESUS-CHRIST
    1 AUGUSTIN
    1 CORPS DE JESUS-CHRIST
    1 CREATION
    1 EUCHARISTIE
    1 FETE-DIEU
    1 JUSTICE DE DIEU
    1 REDEMPTION
    1 SAINTE COMMUNION
    1 TRINITE
    2 JUDAS
    2 PAUL, SAINT
  • 1838-1839 - Un Jeudi-Saint.
La lettre

(p. 71)

Memoriam fecit mirabilium suorum, misericors et miserator Dominus, escam dedit timentibus se.

Abrégé des merveilles de Dieu dans l’eucharistie: en elle-même, dans ses résultats.

En ce jour où l’Eglise célèbre l’institution du sacrement de l’eucharistie, chargé de vous distribuer le pain de la parole divine qui s’incarne sous le langage du prêtre, dans les chaires catholiques, comme il s’incarne sur les autels sous les espèces du pain et du vin, j’ai cru, dis-je, devoir vous entretenir de cette hostie sacrée, qui est le terme du pouvoir de Dieu, le germe de la grandeur du chrétien. Or pour vous instruire et vous édifier en même temps, je me suis proposé de vous parler d’un doute que s’est quelquefois permis ma raison, en présence de cet incomparable mystère et des consolantes réponses que m’a aussi suggérées la puissance miséricordieuse de Dieu. Quelquefois en tenant entre mes mains le pain que mes paroles allaient changer au corps et au sang de Jésus-Christ, je me suis demandé si c’était bien possible qu’un Dieu consentît à obéir ainsi à la voix d’un mortel. Quelquefois en recueillant dans le calice les fragments échappés à l’hostie, je me suis demandé s’il était donc possible qu’un Dieu consentît à voiler sa majesté sous les parcelles presque imperceptibles que mon oeil et mon doigt cherchaient avec anxiété. Mais jamais ces doutes n’ont pu tenir contre un élan d’admiration échappé au prophète-roi, par lequel il saluait de loin dans ses chants inspirés le triomphe de la charité divine. Memoriam… C’était pour mon oreille comme l’écho des cantiques que les anges font retentir autour de la victime immolée, et par lesquels ils la dédommagent ou de la tiédeur ou de l’absence des indignes chrétiens du jour. C’était pour mon intelligence comme une lumière qui répandait sur ses ténèbres les plus douces et les plus étincelantes clartés.

Oui, il est bien vrai, le Seigneur a fait comme l’abrégé de toutes ses merveilles, et ce sont ces merveilles que je veux vous montrer réunies dans l’eucharistie ou produites par elle. Et voilà, en effet, tout mon plan. Merveilles renfermées dans l’hostie considérée comme victime, merveilles opérées par l’hostie considérée comme nourriture.

(p. 72).

Manifestation de la Trinité, de son essence spirituelle. On dit: comment Dieu s’unit-il à un peu de pain? Il convenait qu’il en fût ainsi pour bien convaincre les hommes que Dieu est un pur esprit. On avait dit qu’il n’y avait point d’esprit. L’homme doit sa pensée à ses organes et Dieu est matériel par quelque bout. Si matériel, il l’est plus parfaitement que l’homme. Ce n’est pas ce que vois dans l’eucharistie. Si matériel, comment s’unit-il à la matière inorganique? Ne dites donc plus: comment Dieu s’unit-il à la matière dans l’eucharistie? Pour prouver qu’il n’est pas matière, ce qui n’était pas aussi complètement prouvé par l’incarnation. Comment Dieu s’unit-il à un peu de pain? Ne dites pas ceci, car je vous demanderai: comment l’esprit s’unit-il à la matière, comment votre âme est-elle unie à votre corps? Ne le dites pas, à moins que vous ne soyez matérialistes, je m’adresse à des chrétiens. Et c’est parce que je m’adresse à des chrétiens que je vous prie d’admirer avec moi la manifestation de la Trinité par l’eucharistie. C’est le sacrifice offert à un Dieu d’une victime qui est Dieu et qui s’immole par le ministère d’un Dieu; Dieu le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Memoriam fecit…

Création. Dieu créa, mais il semble avoir suspendu son pouvoir, il le renouvelle dans l’eucharistie.

Destruction des espèces, création nouvelle. Puissance. Ce que Dieu fit au commencement, ce qu’il fera à la fin quand il brisera le monde. Car s’il peut détruire un atome, il peut détruire l’univers; comme aussi s’il peut détruire l’univers, à plus forte raison peut-il détruire un peu de matière. Memoriam…

Incarnation. Dans le sein de Marie, entre les mains du prêtre. Ecce ancilla Domini. Une parole de Marie, une parole du prêtre. Vous auriez voulu être à Nazareth.

Rédemption. Effusion du sang, tout y est. Et que d’autres merveilles se manifestent encore dans cette victime! Merveille de justice, merveille d’abaissements, merveille d’amour.

Merveille de la justice de Dieu. La victime une fois morte. Ce n’est pas assez, il faut qu’elle meure tous les jours, il faut que le sacrifice se renouvelle sans cesse, il faut que la vapeur du sang de Jésus s’interpose à chaque instant entre la justice de Dieu et nos crimes. Memoriam…

Merveille d’abaissements. – Le mal venait de l’orgueil, Dieu va en triompher. Voici comment: par ses abaissements. L’homme veut se faire grand et il se fera petit. Ah! ne me dites plus: comment peut-il se cacher sous une parcelle? Plus il se rapetissera, plus il me paraîtra ce qu’il a voulu être, plus il triomphera de mon orgueil. Memoriam… Et voilà pourquoi on n’en veut pas. Voilà pourquoi Satan s’est porté ce matin à la porte de ce temple et a dit: « Tu viendras jusqu’ici. » L’orgueil de l’homme ne veut pas laisser passer l’abrégé des merveilles de Dieu, il ne veut pas courber la tête devant le prodige des abaissements divins.

Merveille d’amour. – Ah! certes, en contemplant tant de prodiges, ne peut-on pas en chercher la cause ou la trouver: Sic Deus dilexit mundum. Trouvez, trouvez un [autre] moyen pour Jésus d’être toujours avec les hommes, malgré leur ingratitude.

Lorsque autrefois, pendant la dernière cène, (description) Judas… Mes frères, n’aurais-je pas prononcé le nom de quelqu’un d’entre vous? Oui, il y a un Judas dans cette église. Et si autrefois sur douze apôtres il y avait un traître, sur mille chrétiens sera-t-il impossible qu’il n’y en ait pas un? Oui, il y a encore des Judas parmi les chrétiens, il y a des Judas pour dire aux ennemis de Jésus: que voulez-vous me livrer [= donner] et je vous le livrerai? pour le recevoir dans un coeur corrompu, pour le soumettre à Satan, pour lui donner le baiser de la perfidie et le voir traîné, garrotté, honni, bafoué devant les puissants du jour. Oui, il y a des Judas, mais il y a aussi un Jésus dans ce tabernacle pour leur dire avec la même tendresse qu’à ce chef des traîtres: Amice, ad quid venisti? Il y a un Jésus pour leur pardonner, pour faire surabonder son amour là où a abondé leur malice. Ah! s’il en est un dans cet auditoire, qu’il croie à la tendresse de Jésus, qu’il aille se plonger dans son sang, qu’il soit une preuve nouvelle des merveilles de l’amour de Dieu à recevoir dans la victime sainte. Memoriam fecit…

Voilà donc ce que je trouve dans l’eucharistie, une manifestation plus complète de la nature de Dieu et de la Trinité, l’abrégé de la création, de l’incarnation et de la rédemption, le prodige de la justice, des abaissements et de l’amour de Dieu.

Il reste à vous montrer les merveilles opérées par l’hostie considérée comme aliment de nos âmes.

Pour nous faire une idée des merveilles opérées par l’eucharistie considérée comme aliment de nos âmes, il importe d’interroger les enseignements que le Sauveur donnait à ce docteur de la loi, qui était venu le consulter pendant la nuit. Personne, dit Jésus-Christ, ne monte au ciel: nemo ascendit in coelum, nisi qui de coelo descendit, Filius hominis qui est in coelo. Personne ne monte au ciel, si ce n’est le Verbe fait chair. Mais quoi, et les élus? Ah! comprenez cette merveilleuse doctrine, expliquée par saint Paul et saint Augustin. Personne, a dit l’évêque d’Hippone, ne peut s’élever aux cieux, s’il ne s’élance dans l’unité de Jésus-Christ, et Jésus ici ne considère l’Eglise que comme son corps, car c’est de l’Eglise et du Christ qu’il est vrai de dire: ils sont deux dans une seule chair, et erunt duo in carne una. Et encore ils ne sont plus deux, mais une seule chair. Itaque jam non sunt duo, sed una caro. Et c’est le Sauveur qui prononce ces paroles.

Le fils de Dieu uni à l’humanité n’en restait pas moins dans la splendeur des cieux. Or de même que la nature divine a daigné s’abaisser jusqu’à prendre notre humanité et ne faire qu’un avec un homme, de même tous les saints ne font qu’un avec Jésus-Christ, afin que par cette grâce et cette société prodigieuse tous montant aux cieux avec lui il n’y eût qu’un seul Jésus-Christ qui y monta. Je ne fais ici que traduire s. Augustin en l’abrégeant.

Voilà donc la destinée de l’Eglise d’unir la créature au créateur, et de donner le mot que cherche inutilement le siècle, la création entière divinisée par l’union des saints avec Jésus-Christ. Ipsum dedit caput supra omnem Ecclesiam, quae est corpus ipsius, et plenitudo ejus, qui omnia adimpletur in omnibus.

Mais à quoi tendent ces réflexions? Voilà la clé du mystère que saint Paul: Sicut corpus unum est, et membra habet multa, omnia autem membra corporis cum sint multa, unum tamen corpus sunt, ita et Christus. I Cor., XII, 12. Non dixit: ita et Christi, id est corpus Christi vel membra Christi, sed: ita et Christus, unum Christum appellans caput et corpus. S. Augustin, De peccatorum meritis, lib. I, n. 59.

Car, ajoute l’apôtre des nations, nous avons été tous baptisés dans le même esprit pour ne former qu’un corps. Etenim in uno spiritu omnes nos in unum corpus baptizati sumus. Voilà le commencement, mais écoutez encore: Et omnes in uno spiritu potati sumus, nam et corpus non est unum membrum, sed multa. C’est-à-dire, reprend saint Jean Chrysostome, que nous sommes tous initiés aux mêmes mystères, que nous participons tous à la même table. Mais pourquoi, se demande le même Père, ne dit-il pas: Nous sommes nourris du même corps, nous sommes abreuvés du même sang? Parce qu’en désignant le Saint-Esprit, il a tout dit: Et lorsqu’il parle de l’esprit qui nous abreuve, il se sert d’une magnifique comparaison: c’est comme les arbres d’un jardin qui sont arrosés de la même eau, ou, si vous voulez, ce sont les membres du même corps arrosés du même sang. Et c’est ainsi que nous sommes rendus un seul corps. Ne m’objectez plus la distance ni la divinité; plus la distance sera grande, plus le prodige sera merveilleux.

Voilà, mes frères, la doctrine de saint Paul, expliquée par les Pères de l’Eglise au sujet de l’eucharistie et ce que veut dire, en effet, le mot communion.

Mais du moment que nous savons que nous sommes appelés à ne faire qu’un avec Jésus-Christ par l’eucharistie, voyez les merveilleuses conséquences qui en découlent: c’est que le corps de Jésus-Christ immolé sur nos autels est le sceau de l’alliance entre Dieu et les hommes, et chaque fois que les hommes participent à l’eucharistie, ils reçoivent en eux le gage de cette alliance. Or les effets de cette alliance, les voici de la part de Dieu: Nous sommes ses enfants. Ego dixi: Dei estis, et filii Excelsi omnes(1).

(p. 77)

Grandeur de Dieu, perfection de Dieu, bonheur de Dieu.

N’oublions pas, mes frères, que les merveilles que l’eucharistie développe en nous ont été déposées comme un germe dans nos âmes par le baptême, mais c’est à ce sacrement divin à le développer. Nul n’est digne de recevoir le corps d’un Dieu, s’il ne s’est éprouvé. Mais la puissance de Dieu ne se manifeste pas moins dans les grâces par lesquelles il prépare cette union que dans les grâces par lesquelles il la couronne. Or remarquez ces merveilles que prépare et que développe l’eucharistie.

C’est une victime. Esprit de sacrifice. – Sacerdoce.

C’est une victime volontaire. – Obéissance. – Puissance de l’Eglise chargée de renouer le lien social. – Pourquoi les sociétés chancellent? Parce que l’obéissance a disparu.

C’est une victime cachée. – Humilité.

C’est un aliment. – Charité fraternelle.

C’est la chair d’un Dieu. – Pureté.

C’est la chair d’un Dieu anéanti. – Foi.

C’est la chair d’un Dieu ressuscité. – Espérance. Semence d’immortalité.

C’est le corps d’un Dieu triomphant dans le ciel. – Union à Dieu. – Vision de Dieu. – Grandeur de Dieu. – Bonheur de Dieu.

Et erunt duo in carne una.

Ecce sponsus venit.

Notes et post-scriptum
1. Quoniam unus panis, unum corpus multi sumus, omnes qui de uno pane participamus.