- TD47.150
- Instruction aux Conférences de Saint-Vincent de Paul, 30 janvier 187[8](1).
- Orig.ms. CT 10; T.D. 47, pp. 150-155.
- 1 APOSTOLAT DE LA CHARITE
1 CHARITE ENVERS LE PROCHAIN
1 CLERGE
1 LAICAT
1 PAUVRE
1 ZELE APOSTOLIQUE
3 EUROPE
3 FRANCE
3 PARIS - 30 janvier 1878
- Nîmes
Messieurs,
Chargé par Mgr l’évêque de la direction générale de vos Conférences, je me retrouve avec bonheur à la tête d’une oeuvre, dont j’avais préparé ici le berceau, il y a près de quarante ans. J’ai cru devoir ressouder mes rapports avec vous dans le sang de Jésus-Christ, et je viens en célébrant le saint- sacrifice à votre intention demander à Dieu que, dans les circonstances présentes, les Conférences de Saint-Vincent de Paul se reetrempent dans l’esprit qui a présidé à leur fondation. J’ai demandé pour vous trois choses:
1° Un redoublement de ferveur chrétienne,
2° Un accroissement de vos membres,
3° Un sentiment plus profond de vos devoirs et de leur étendue.
I. Un redoublemen t de ferveur chrétienne.
Pardonnez-moi si j’exprime un voeu pareil, mais rappelez-vous que le Psalmiste a dit: Qui justus est, justificabitur adhuc; qui sanctus est, sanctificabitur adhuc. Il m’est impossible de penser que si les Conférences étaient tout ce qu’elles doivent être, elles n’éviteraient pas bien des maux à la société.
Mais que veux-je dire, quand j’ai parlé d’un redoublement de ferveur chrétienne? Je prétends que nous nous en allons dans un assoupissement universel. Vous êtes le sel de la terre, dit J.-C., et Bossuet fait observer que si ces paroles s’adressent aux prêtres, elles s’adressent aussi aux simples fidèles. Sans doute, il ne faut pas, ajoute l’évêque de Meaux, que le sel soit répandu avec une telle abondance qu’au lieu d’exciter l’appétit en piquant la langue, il mette la bouche toute en feu. Mais que nous sommes loin de craintes pareilles et qu’il est nécessaire d’ajouter avec J.-C.: Quod si sal evanuerit, ad nihilum valet ultra nisi ut mittatur foras, et conculcetur ab hominibus.
Cette ferveur vous est avant tout personnelle. Vous devez repousser tout engourdissement, tout affadissement. Vous avez beau dire, si peu que vous vous montriez, votre influence se fait sentir. Vos exemples sont là. Ils ne sont pas mauvais, je vous l’accorde, mais ils sont nuls, et c’est déjà un très grand malheur. Car ils favorisent cette paresse universelle dans l’accomplissement des devoirs religieux, à laquelle les hommes ne sont que malheureusement trop portés. Cette absence de ferveur entraînant l’absence des bons exemples que vous devriez donner, se transforme en un certain degré en scandale, derrière lequel s’abritent tous ceux qui ne veulent rien faire et qui ne manquent pas de dire: « Voyez Monsieur un tel; il est des Conférences, il ne fait rien, pourquoi voudriez-vous que je fisse plus que lui? »
Oui, vous êtes le sel de la terre et vous devez lui communiquer une saveur divine. « Mais, dites-vous, c’est aux prêtres à s’en mêler surtout ». Voyons, voulez-vous aborder la question au fond? Si les prêtres s’en mêlaient trop, en seriez-vous bien aise? J’ai assisté aux mouvements divers des Conférences sur ce délicat sujet. N’est-il pas vrai qu’on recommandait un très grand respect pour les prêtres, mais rien que du respect? C’était même dans une oeuvre profondément chrétienne un certain élément d’anticléricalisme. Chaque chose mise à sa place, les radicaux ne veulent pas des cléricaux, et les membres des Conférences, à une époque, n’en voulaient pas non plus. Je sais qu’il y a eu des modifications profondes, provoquées par votre président général actuel. J’ai suivi toutes ces impulsions diverses de l’oeil le plus attentif et le plus sympathique. Je crois qu’en ce moment les dispositions sont chez un très grand nombre, et dans le monde catholique tout entier, très heureusement modifiées. Ne vous faites pas illusion, il faut serrer les rangs, il faut s’unir, il faut accepter l’action du clergé; mais il faut comme lui être le sel de la terre et le porter où Dieu vous le demande. Il faut faire l’oeuvre que le prêtre ne peut pas toujours faire et en être les précurseurs.
Prenez donc garde et voyez comme votre zèle doit être grand. Mais pour cela il faut être sérieusement chrétien et retremper son caractère dans la puissance des vertus que Jésus-Christ nous a accordées par sa grâce. – Il faut être persévérant dans ce zèle et le rendre saintement contagieux.
II. Accroissement des membres des Conférences.
Messieurs, songez-y, vous avez besoin de vous recruter. Ah! que les ennemis de la religion sont bien plus habiles que vous! Voyez comme ils s’attachent à la jeunesse. A la vérité, ils ont une arme dont nous sommes fiers d’être privés, l’entraînement des passions, la corruption par le vice. Mais comme ils savent les prendre dans les cafés, dans les cabarets, partout où il y a l’espoir de boire et de trouver des victimes à faire. Ces moyens sont horribles, exécrables, mais en attendant le mal se fait, les sociétés secrètes poursuivent leur haine contre l’Eglise et préparent à leurs armées de tristes recrues.
Messieurs, ayez l’oeil ouvert et comprenez que la jeunesse a besoin d’une certaine activité. Si elle n’est pas avec vous elle combattra contre vous et vous l’aurez voulu. Croyez-moi, ayez votre propagande de charité, multipliez-en les instruments. Les besoins des pauvres sont grands, procurez-leur des visiteurs plus nombreux. Là est une partie de votre apostolat.
Quel fut le but des fondateurs de vos Conférences? Sans doute de visiter les pauvres, mais aussi de fortifier par la charité la jeunesse française accourant de toutes parts à Paris. Puis, votre oeuvre se répandit dans les principales villes de France et d’Europe. Si vous me demandez: est-elle partout bien vivante? Je serai peut-être embarrassé pour vous répondre. Vous voyez ma franchise, mais veuillez y voir mon dévouement et mon désir de trouver en vous de féconds recruteurs pour la cause des pauvres. Voyez donc, faites-en l’objet de vos conversations et de vos recherches, et ne perdez pas de temps, car le jour baisse et il se fait tard. Veuillez donc prendre à cet égard une résolution énergique et hâtez-vous de multiplier le nombre de vos membres. Que si vous me dites, c’est impossible, je vous répondrai: Alors travaillez comme dix pour dissimuler votre petit nombre. Mais si votre zèle se réveille ainsi, vous serez surpris des auxiliaires qui vous arriveront de toute part.
Encore une fois, songez-y. Les temps sont mauvais. C’est pourquoi il faut se hâter, selon la pensée de l’Apôtre: redimentes tempus, quoniam dies mali sunt. Mais ce qui importe surtout, c’est que vous ayez un sentiment très profond de vos devoirs et de leur étendue.
III. Sentiment de vos devoirs et de leur étendue.
Ne vous faites pas illusion, vous avez à traiter comme membres des Conférences de Saint-Vincent de Paul une des plus graves questions des temps modernes. Depuis que l’esprit chrétien s’en va, la haine arrive et envahit les classes pauvres. On leur avait envoyé le dédain, elles renvoient la révolte. On leur avait dit: n’espérez en rien; elles disent: c’est bien, nous espérons en la terre et en ses jouissances. Car ne vous faites pas illusion, la question n’est plus politique. – La question est celle-ci: le commandement de Dieu, le bien d’autrui tu ne prendras, repose-t-il sur une vérité ou sur un mensonge? Tout est là. Bien aveugle est celui qui ne voit pas que la question va jusque-là.
Eh bien, votre rôle, Messieurs, c’est par votre charité de ramener, s’il est possible, des âmes égarées. Faites l’aumône matérielle à leurs besoins matériels, mais faites l’aumône spirituelle à leurs besoins spirituels, parlez-leur de Dieu, parlez-leur de J.-C., parlez-leur du ciel, mais parlez-leur en hommes convaincus, en hommes dont la conviction se traduit par la conduite pleine de piété, de vertu, de dévouement, de charité; parlez-leur en hommes qui savent ce qu’ils disent, et pour cela parlez-leur en hommes instruits de leur religion, et peut-être aurez-vous à repasser vous-mêmes certaines questions de la plus grave importance.
Il est bon sans doute qu’en une foule de circonstances des instructions de piété réveillent le sentiment religieux, mais le sentiment religieux n’est pas tout. Il se perd quelquefois en une rêverie plus ou moins nuageuse qui n’aboutit qu’à des obscurités incertaines, qui se perdent en des demi- intentions, mais sont loin de fixer la règle du devoir. Il y a la science du devoir, et c’est la plus importante, puisqu’elle implique la science de Dieu, la science de l’homme et la science de leurs rapports. Or ce n’est pas l’affaire d’un moment que d’acquérir cette science et de chercher à la répandre. Or telle est votre obligation: faire l’aumône, instruire et pour cela vous instruire vous-mêmes. La charité est la plus grande des vertus, à la condition qu’elle reposera ici-bas sur la foi, comme au ciel elle reposera sur la claire vision. Au ciel nous verrons Dieu, et plus nous le verrons, plus nous l’aimerons. Ici-bas notre amour repose sur la connaissance voilée de ses perfections que nous donne la foi, mais plus notre foi s’augmente, plus aussi s’accroît notre amour.
Je viens de vous parler du ciel. Laissez-moi en terminant vous dire un mot de la manière, dont selon les théologiens s’illuminent les anges, en dehors de la lumière que Dieu leur communique. Les anges supérieurs, dit la théologie, illuminent les anges inférieurs. Ici-bas, à moins de grâces exceptionnelles, Dieu n’agit pas directement sur l’homme, il lui fait parvenir les vérités par l’enseignement. La grâce intérieure s’y ajoute sans doute, mais cette grâce ne fait que donner la puissance de voir, c’est l’Eglise qui fixe l’objet de la foi.
Ce qu’on vous demande, c’est être pour les pauvres des anges supérieurs, des anges capables d’illuminer en étant les prédicateurs de la vérité. Voilà votre mission. Soyez des illuminateurs comme les anges, des prédicateurs suppléant le prêtre, et vous aurez avec un caractère angélique une participation au caractère sacerdotal. Vous pourrez alors être appelés des cléricaux, parce que vous serez les continuateurs de J.-C., l’ange du grand conseil et le prêtre par excellence.