[Instructions aux collégiens]

Informations générales
  • TD47.212
  • [Instructions aux collégiens]
  • TROISIEME DIMANCHE DE L'AVENT.
  • Orig.ms. CT 36; T.D. 47, pp. 212-220.
Informations détaillées
  • 1 APOSTOLAT DE LA VERITE
    1 CHRETIEN
    1 DEVOIRS DE CHRETIENS
    1 EGOISME
    1 ESPERANCE
    1 FAUSSES DOCTRINES
    1 HARDIESSE DE L'APOTRE
    1 IGNORANCE
    1 LEGERETE
    1 PARESSE
    1 PREDICATION
    1 VERITE
    2 ABRAHAM
    2 DAVID, BIBLE
    2 ELIE, PROPHETE
    2 ESAU
    2 ISAIE, PROPHETE
    2 JACOB
    2 JEAN-BAPTISTE, SAINT
    2 MOISE
    2 NOE
    2 PAUL, SAINT
    2 SARA
    2 SAUL, ROI
    2 TITUS, EMPEREUR
    2 VESPASIEN
    3 DAMAS
    3 EMMAUS
    3 FRANCE
    3 JERUSALEM
    3 JOURDAIN
    3 JUDEE
  • Elèves du collège de Nîmes.
  • 16 décembre 1877
La lettre

Ego vox clamantis in deserto: dirigite viam Domini.

C’est ainsi qu’Isaïe désigne le précurseur de Jésus-Christ: la voix de celui qui crie au désert. Jean-Baptiste est une voix. Il prête seulement son organe; mais celui qui parle par cet organe, c’est à proprement parler Jésus-Christ, estiment quelques anciens docteurs. D’autre part, la voix qui crie au désert, vox clamantis in deserto. Pourquoi? Parce que, d’une part Jésus-Christ a abandonné Jérusalem et le peuple juif; ensuite, parce qu’il veut fonder son Eglise dans une solitude par sa séparation d’avec le monde. Vous voyez déjà quelles graves questions surgissent. Examinons-les sucessivement.

I.

Jean est envoyé comme précurseur de Jésus-Christ. Et toutes les fois que Jésus-Christ vient dans une âme, il veut avoir un précurseur. Sauf de très rares exceptions, comme pour Saul, sur le chemin de Damas, jamais Jésus ne vient directement dans une âme. Et il convient qu’il en soit ainsi. La foi vient de l’ouïe, dit l’Apôtre, fides ex auditu. Il faut des prédicateurs. Mais comment prêcheront-ils, s’ils ne sont pas envoyés. Quomodo vero praedicabunt, nisi mittantur? Jésus-Christ envoie in omnem regionem et locum, quo erat ipse venturus, et ces envoyés relèvent de celui qui les envoie et de ceux qu’il a choisis pour le représenter. Telle est la prédication évangélique, telle en est l’organisation; et c’est ainsi que Jésus-Christ, parole éternelle, se fait annoncer dans le temps aux hommes in omnem regionem et locum, quo erat ipse venturus. Ces précurseurs de Jésus-Christ, ce sont toujours les envoyés de Dieu: Fuit homo missus a Deo, cui nomen erat Joannes; et si l’on n’est pas envoyé, on n’annoncera pas Jésus-Christ, sa vérité, parce que l’on parlera sans mission. On ne sera pas envoyé de Dieu. On ne pourra pas dire de ces hommes qu’ils sont les envoyés de Dieu: Fuit homo missus a Deo.

Et du coup vous voyez la défiance à avoir envers ceux qui n’ont aucune mission: Quomodo praedicabunt, nisi mittantur? Pourtant la question de nos rapports avec Dieu ou ses commandements, de nos devoirs, est chose assez grave pour que nous nous en occupions. Des hommes viennent et nous prêchent une contre-doctrine, des fables, selon l’expression du Psalmiste: Narraverunt mihi iniqui fabulationes, sed non ut lex tua; ce n’est pas la loi de Dieu. Voilà la pierre d’achoppement. Les fables, les romans, les pièces de théâtre ont pour les sens et l’imagination [plus d’attrait] que les rudes prescriptions de la loi divine. Ce sont des fables empestées, racontées par les impies, les pécheurs: narraverunt mihi iniqui fabulationes, sed non ut lex tua. Il y a donc deux prédications: celle de Dieu et de sa loi, celle des pécheurs. Reste à savoir celle que l’on veut écouter. Ce ne seront pas les inventeurs de fables qui vous jugeront un jour. A vous de voir le compte que vous en voulez faire dans vos plaisirs, dans vos soirées, dans vos conversations, dans vos rêves où le grand impie Satan vient vous présenter les images menteuses du péché. Repousserez-vous ces instruments de perdition, vous écriant comme le psalmiste: Narraverunt mihi iniqui fabulationes; ou bien leur prêterez-vous vos oreilles et vos yeux, et vous en laisserez-vous enivrer? Vous le voyez, il y a deux prédications: celle des impies avec leurs fables et celle des hommes envoyés de Dieu pour prêcher la foi. Laquelle des deux choisissez-vous? La prédication des impies ou la prédication des envoyés de Dieu, du mensonge ou de la vérité? Pensez-y; la question en vaut la peine.

II.

Si vous y réfléchissez sérieusement, dans cette belle unité de la prédication de la vérité, il y a les évêques et les prêtres envoyés par eux; mais tout chrétien, à un degré inférieur, peut et doit être précurseur de la vérité dans les âmes. C’est là ce que l’on méconnaît beaucoup trop. On parle bien de la nécessité de propager les saines doctrines, mais où est le dévouement pour se consacrer à une pareille cause? On préfère rester chez soi, sans fatigue ni ennui. En attendant le mal gagne et le lien des bons se desserre, la révolution envahit, et quand l’abîme est béant, on rejette sur les autres la catastrophe. Aujourd’hui moins que jamais une pareille lâcheté n’est permise. On fit en 1830 un discours fameux intitulé: Comment les dogmes finissent. Je crois bien qu’on pourrait faire aujourd’hui une dissertation bien autrement vraie qu’on intitulerait: Comment finissent les peuples. Les peuples qui par égoïsme, corruption ou lâcheté, consentent à devenir esclaves, sont bien vite étouffés ou dans le sang ou dans la boue. Que faire? Parler, agir, protester, montrer du caractère, rester à sa place, comme Jean qui déclare n’être ni le Christ, ni Elie, ni prophète; qui du fond du désert crie pourtant et pousse à préparer la voie du Seigneur et à rendre droits ses sentiers. On est bon avec les petits et les ignorants; on est impitoyable envers la race de vipères orgueilleuses et scientifiques, renouvelées des pharisiens. Mais pour cela il faut ou parler d’inspiration comme Jean ou apprendre pour pouvoir enseigner. Je ne saurais trop revenir sur le crime des jeunes intelligences, qui mettent au dernier rang la science de la religion, lorsqu’au contraire ils devraient être des voix criant sans cesse, criant au désert, mais poussant des cris apostoliques pour préparer l’avènement du Sauveur. Peine perdue, dit-on: qui nous écoute? Qui pendant longtemps a écouté Jean dans les solitudes du Jourdain? Pourtant écoutez, comme l’écho de sa grande voix retentit encore! Prenez-le pour modèle; parlez avec amour et avec force à ceux qui viennent à vous, si l’on sait que vous êtes disposés à répondre aux questions qui vous seront adressées. Mais pourquoi même ne prendriez-vous pas l’initiative? Pourquoi n’iriez-vous pas de l’avant? Pourquoi ne seriez-vous pas la voix qui crie: préparez la voie du Seigneur. Il ne dépend que de vous en bien des circonstances de faire du bien, et sans aller jusqu’à cette sainteté de Jean, le plus grand des enfants des hommes, d’en approcher et d’exercer une action utile et féconde sur les âmes.

III.

Mais à quoi bon? Tant d’efforts ont été tentés; qu’ont-ils produit? Telle est la réponse de tous ceux qui, invités à mettre la main à l’oeuvre, ne s’en reconnaissent pas le courage. Cette personne [= réponse] est à peu près universelle. A quoi bon Noé pour construire l’arche? Est-ce que le genre humain n’a pas été submergé? Sans doute, mais huit enfants d’Adam ont été préservés, et il n’en a pas fallu davantage pour sauver le monde et le repeupler d’hommes. Qui sait si, après avoir perdu votre temps, il n’arrivera pas un moment où vous aurez fait du bien, un bien durable; une vocation aura été affermie, une conférence de Saint-Vincent de Paul fondée, une famille aura été sauvée du désespoir; une âme, plusieurs âmes peut-être auront été arrachées à l’enfer, et vous dites: à quoi bon? Ah! croyez-moi, quelle que soit votre solitude, heureux serez-vous si vous avez pu y parler de Dieu!

A quoi bon Abraham? Voyez, il quitta son pays, sa maison, sa famille; il erra pendant des années et des années dans une terre que Dieu lui avait promise, qu’il ne posséda pas. Il attendit la centième année de Sara, son épouse, pour en avoir le fils des promesses. Et ce fils n’eut lui-même que deux enfants, dont un fut un objet de haine: Jacob dilexi, Esaü autem odio habui. Que de longues attentes! mais aussi quelle postérité immense, inextinguible même sous le coup de l’anathème! Et pourtant Abraham avait ses jours de tristesse et croyait que ses possessions dues à la bénédiction de Dieu passeraient à Eliezer, son intendant.

A quoi bon les espérances données à Moïse, au milieu des révoltes du peuple hébreu affranchi du joug égyptien? A quoi bon l’onction répandue sur le front de David? Combien de temps ne fut-il pas fugitif, poursuivi par la haine de Saül? Pourtant [le mot manque] pour roi béni du peuple, choisi pour chef d’une race royale qui devait se terminer par le Messie.

Et pour laisser tant d’autres exemples, à quoi bon l’Incarnation, quand Jésus-Christ expirait sur une croix? Des espérances trompées. Il ne restait pas autre chose à la plupart des disciples. Sperabamus, nous espérions, disaient ceux d’Emmaüs. Pourtant la croix était plantée, le sang divin était répandu pour purifier le monde, la parole commençait à être ensemencée jusqu’aux extrémités du monde: in omnem terram exivit sonus eorum, et in fines orbis terrae verba eorum, disait déjà saint Paul après David. Que de missionnaires dont les sueurs semblent vaines! que de pasteurs dont le troupeau semble égaré à jamais! Et pourtant au moment voulu! Mais Dieu a ses jours et ses heures; il a ses ouvriers, les uns pour semer dans les larmes, les autres pour moissonner dans la joie. Qu’importe? pourvu que l’oeuvre de Dieu se fasse par ses moyens à lui, et non par les faibles moyens de l’homme.

Ainsi souvenez-vous qu’il faut faire retentir la voix de Dieu, même au désert, même sans aucune apparente espérance de succès. Celui qui a créé les germes des plantes saura bien faire germer sa moisson, quand il voudra. Jamais ses desseins ne sont plus près de s’accomplir que quand tout plan humain est renversé, toute combinaison de la sagesse humaine anéantie. Et pourquoi? Pour que toute louange retourne à Dieu et qu’aucune gloire n’appartienne à l’homme. Ut non glorietur omnis caro in conspectu ejus. Allez donc. A vous de semer, à Dieu de donner l’accroissement: Ego plantavi, Apollo rigavit, Dominus autem incrementum dedit.

IV.

Oui, il faut crier, malgré les sages et les prudents du monde. Oui, il faut une certaine hardiesse pour ne tenir aucun compte, comme l’apôtre, ni de la chair ni du sang. Il y a un exemple dans l’histoire de l’Eglise de ces grandes et belles protestations. Ainsi au sein du Moyen âge voyez saint Thomas de Cantorbéry qui, pour défendre les droits de l’immunité ecclésiastique, dut subir pendant si longtemps non seulement l’exil, mais la persécution infligée à tous ses parents. Poursuivi même dans les monastères, il trouva un asile momentané à la cour du roi de France, jusqu’à une paix menteuse qui le conduisit au martyre. Sa voix semblait perdue dans le désert. Lui-même avait un instant cédé, quand le clerc chargé de porter la croix archiépiscopale, signe de sa juridiction, lui rappela la voie du devoir en refusant de porter la croix devant lui. Mais à partir de ce moment son courage devint, par la grâce de Dieu, invincible jusqu’au dernier soupir.

Mais où sont aujourd’hui ces grands et beaux caractères? La persécution les ferait-elle renaître? Certes le besoin en est grand en présence de l’affaissement général. Que Dieu nous aide par le secours de son bras! Qu’il nous aide par de vaillantes voix qui retentiront dans son Eglise et qui, pour sembler d’abord crier dans le désert, n’en auront pas moins un retentissement immense jusqu’aux extrémités du monde.

V.

Mais quel est le devoir des chrétiens dans les temps présents? Le devoir d’autrefois, avec un redoublement de courage, avec la séparation du monde, c’est-à-dire avec l’horreur de l’esprit de lâche conciliation, la résolution de porter haut et droit le drapeau de Jésus-Christ. On ne peut se grouper que sur le terrain catholique: c’est là qu’il importe de se donner rendez-vous.

Mais pour cela il importe de secouer quatre ennemis principaux: l’égoïsme, la paresse, la légèreté, l’ignorance.

L’égoïsme. L’espérance chrétienne étant pour un grand nombre de chrétiens reléguée au dernier plan, on vit au jour le jour, dans les préoccupations de l’intérêt du moment et de l’intérêt matériel. C’est là dans nos pays un des plus tristes résultats de la réforme protestante qui a matérialisé le but de la vie. Voyez autour de vous. Si vous savez approfondir un peu, vous serez effrayé du résultat. Eh bien! il faut combattre ces dispositions funestes par un immense esprit de dévouement à une grande cause, à la plus grande de toutes, à la cause divine. Heureux ceux qui savent mettre dans les deux bassins d’une balance la vie présente, d’un côté, la vie éternelle de l’autre, et qui, comme saint Paul, savent dire: Non sunt condignae passiones hujus temporis ad futuram gloriam quae revelabitur in nobis.

La paresse. Hélas! quand on la reproche à certains jeunes gens, il faut s’entendre. S’ils ne voient dans leur disposition d’esprit que le simple plaisir de se soustraire pour le moment présent à un devoir imposé, je ne veux pas tonner trop fort contre tel ou tel acte; mais si par paresse vous entendez une habitude contractée et devenue à la longue une impossibilité morale d’accomplir la sentence de Dieu, qui condamne tout homme à gagner son pain à la sueur de son front, je dis que c’est très grave. C’est un état habituel de révolte qui attire un châtiment nouveau, et dont le premier effet est l’amoindrissement de la volonté et de l’intelligence. C’est ainsi que la paresse se charge de préparer cette vaste génération d’êtres nuls pour l’Eglise et pour la France. Combien de ceux-là sortiront ainsi de l’Assomption avec leur riche incapacité!

La légèreté. Que je voudrais trouver une excuse à votre abaissement moral, dans votre légèreté! Mais êtes-vous excusables d’être légers, quand de toutes parts retentissent les coups de tonnerre d’une tempête commencée et dont nul ne peut prévoir les ravages? Que des jeunes gens corrompus ne s’occupent que de leurs plaisirs et de leurs débauches précoces, se réjouissent d’avoir la liberté du mal, je le comprends; mais qu’avec la France abaissée et meurtrie, avec la persécution qui va nous atteindre, on ait le coeur à la joie, à l’insouciance, à la légèreté, voilà ce que je ne puis concevoir. Ah! mes amis, que du moins les épreuves vous soient bonnes à quelque chose! Devenez sérieux et sachez remplir vos devoirs. Du reste, Dieu se charge de vous y obliger. Quelques-uns d’entre vous s’aperçoivent à quel degré le bien-être matériel disparaît avec la perte des récoltes; s’ils veulent continuer à être légers, je les engage à donner une fête sur les tonneaux sans vin de leurs pères. Rien n’est léger comme un tonneau vide; il l’est encore plus que certaines cervelles.

L’ignorance. Je parle de l’ignorance de la religion. Monseigneur a la douleur de la constater dans les catéchismes de Nîmes. Mais que dire de l’instruction religieuse dans une maison chrétienne? Que penser de jeunes gens qui, sous prétexte que le catéchisme n’est pas dans le baccalauréat, le laissent entièrement de côté! Sortis du collège, referont-ils leur cours de religion? Evidemment non. Et alors? Ils seront ignorants de leurs plus grands devoirs, ignorants des intérêts de l’Eglise, ignorants de la nécessité de s’occuper de la vie éternelle, ignorants surtout des moyens d’être éternellement heureux; et quand viendra le terme, l’ignorance aura été pour leur intelligence une nuit préparatoire à la nuit qui ne finira pas. Réfléchissez-y, et secouant la paresse et la légèreté, éclairez votre âme et rendez-la capable de marcher dans la lumière de la foi, en attendant qu’elle se repose dans la lumière de la patrie.

Voilà pour vous. Mais avec cette lumière qui vous éclairera, vous pourrez en éclairer d’autres et remplir la mission que vous imposent l’éducation et l’instruction que vous recevez ici.

Oui, soyez les voix de Dieu; criez au désert, acceptez de n’être pas compris; tôt ou tard il faudra bien qu’on vous comprenne. Jean prêcha au désert; Jésus-Christ prêcha au désert; les apôtres ne semblaient-ils pas prêcher dans la solitude? Pourtant l’Evangile se répandait et la séparation commença à se faire. Ceux qui ne voulurent écouter ni Jean, ni Jésus, ni les apôtres, s’en allèrent dans leur voie, et la Judée fut supprimée; et Vespasien, puis Titus arrivèrent: Jérusalem fut investie, saccagée, le temple incendié, les Juifs massacrés ou faits esclaves. Les chrétiens se propagèrent. La voix du désert retentit sur Jérusalem comme le plus terrible des châtiments, sur le monde comme un appel de l’espérance. A vous, mes enfants, si vous savez le comprendre, de faire retentir cette voix d’abord au fond de vos âmes pour les convertir, puis autour de vous, pour la défense de l’Eglise et pour le salut de la France, si la France peut être encore sauvée.

Notes et post-scriptum