RETRAITE POUR DES RELIGIEUX

Informations générales
  • TD47.298
  • RETRAITE POUR DES RELIGIEUX
  • I. Veille de la retraite.
  • Orig.ms. CT 75; T.D. 47, pp. 298-302.
Informations détaillées
  • 1 RETRAITE SPIRITUELLE
    1 SOLITUDE
    1 VIE DE RECUEILLEMENT
    1 VIE DE SILENCE
    2 ABRAHAM
    2 ANANIE
    2 ISAAC
    2 PAUL, SAINT
    2 SAMUEL, PROPHETE
    2 SAPHIRE
  • Religieux de l'Assomption
  • Entre 1870 et 1880
La lettre

La veille au soir.

Avant de commencer, laissez-moi vous adresser les paroles de saint Paul aux Philippiens: Testis mihi est Deus, quomodo cupiam omnes vos in visceribus Christi.

Bonum est viro, quum portaverit jugum ab adolescentia sua. Sedebit solitarius, et tacebit, quia levavit se super se.

Que venons-nous faire ici, mes bien chers frères? Réfléchir sur notre but, sur les obstacles qui s’opposent à ce que nous puissions l’atteindre, sur les moyens d’y arriver. Or pour faire cette oeuvre, je viens vous demander tout d’abord trois conditions: La première, la solitude; la seconde, le silence; la troisième, le recueillement. Veuillez suivre avec moi ce que j’entends par là.

1. Je demande la solitude.

En effet, le religieux qui n’est pas solitaire, autant qu’il dépend de lui, ne sera jamais qu’un fantôme de religieux. Aller au couvent et n’être pas solitaire, c’est une contradiction absolue dans la vie, c’est un mensonge en acte de tous les instants. Sans doute, je ne dis pas qu’une famille religieuse vouée au salut des âmes doive pratiquer la solitude comme les anachorètes des premiers siècles; mais je dis que s’ils n’ont pas une vie séparée de celle du monde, ils ne sont pas religieux. Et comme cette vie séparée a besoin d’être renouvelée à certaines époques, je ne crains pas d’affirmer que le religieux qui ne prend pas ces jours de solitude, sera une chimère de religieux.

Or, en quoi faut-il faire consister cette solitude pendant ces jours bénis de retraite?

1° Dans la séparation la plus absolue d’avec les gens du monde. Ne vous faites pas illusion, malgré votre prétendue fuite du monde, vous avez beau dire, vous en aimez le commerce, les agitations, les dérangements. Vous gémissez pour la forme au fond. Si l’on satisfaisait vos prétendus désirs, l’ennui s’emparerait vite de vous. Que faire? Passer au moins quelques jours dans cette solitude, vous sevrer des relations les meilleures, rompre avec certaines habitudes de conversations extérieures.

2° Cette solitude, elle doit consister encore dans l’empire exercé sur l’imagination. Cette folle du logis a des ailes; il faut les lui couper pour un temps, afin qu’elle ne vous emporte pas en esprit là où vous ne voulez pas aller avec vos pieds.

3° La solitude. Mais il faut que tout en vous l’accepte: vos yeux pour ne point voir, vos oreilles pour ne pas entendre. Fuyez les hommes, fuyez même vos frères, afin de vous trouver en face de vous-même. Mais c’est là peut-être ce qui vous effraie le plus. Comment être obligé de contempler le triste objet qui n’est autre que vous? Mais je le comprends, c’est affreux. Ah! que de religieux de nom au fond ne le sont pas, et redoutent d’avoir à le constater en regardant au fond de leur conscience! Et pourtant à quoi bon se mentir à soi-même? A quoi bon mentir au Saint-Esprit? Craignez le châtiment d’Ananie et de Saphire, et, pour l’éviter, entrez dans la solitude. Voyez si vous êtes sincèrement religieux et si vous êtes résolu à travailler à le devenir. Tel sera pour vous l’avantage de la retraite, si vous l’acceptez avec courage.

2. Le silence.

Isaïe dit: Et erit in silentio et spe fortitudo vestra. La retraite est un temps de combat; c’est pour cela que la force est nécessaire. Mais la force se donne selon l’espèce des luttes proposées. Vous avez à combattre contre vous-même et contre le démon. Taisez-vous, et voilà tous les péchés de la langue supprimés; taisez-vous, et le démon qui ne peut lire le fond des coeurs, ne connaîtra pas l’intérieur de votre âme.

Le silence! Mais si vous le faites complet, les distractions s’éloigneront. Ah! je comprends qu’un religieux habitué à parler beaucoup, ait quelque peine à se taire; mais nous savons par expérience quelles chutes menacent les religieux qui se livrent à la passion de parler. Sont-ils édifiants? Ils ne peuvent pas l’être. De quoi parlent-ils? Du prochain pour s’en plaindre, des supérieurs pour murmurer contre eux. Des idées d’indépendance contre la règle, des jugements constants contre la charité, voilà ce qui fait le charme d’une foule de conversations entre personnes pieuses ou censées telles.

Eh bien, pendant la retraite, il faut renoncer à tous ces inutiles propos. Et ce sera déjà un premier effort qui montrera votre courage, et ce premier effort en amènera d’autres. Le résultat sera que vous aurez sans doute à rougir d’avoir trop parlé, et vous prouvera la nécessité de vous taire avec les hommes pour pouvoir parler plus aisément avec Dieu. Mais alors que sera le silence de la retraite? Après vous être séparé des hommes par la solitude, vous vous séparerez des hommes par ce silence. Vous ferez taire: 1° Le bruit de vos sens si exigeants dans une foule de circonstances; 2° les écarts de votre imagination toujours prête à s’envoler du côté des créatures; 3° vous ferez taire le bruit des affaires, même celui des bonnes oeuvres, du bien à faire aux autres, pour ne vous occuper que du bien à vous faire à vous-même. Croyez-vous qu’il n’y ait pas besoin d’un grand courage pour cela?

Ce courage du silence vous l’aurez, parce que ce silence sera plein d’espérance. Dieu, à mesure que vous vous éloignerez de vous-même, s’approchera davantage de vous, et vous commencerez à comprendre ce que c’est qu’espérer en lui. Bonus est Dominus sperantibus in eum, animae quaerenti illum. Plus votre silence sera complet du côté des créatures, plus vous ferez taire en vous les bruits de l’orgueil, de la vanité, de l’amour-propre, plus vous sentirez que la terre vous échappe, plus vous aurez besoin de vous tourner du côté du ciel. Or, c’est déjà beaucoup que de commencer, à force de silence, de comprendre qu’il faut avant tout espérer en Dieu, mettre toute sa confiance en lui et s’abandonner à lui. Jacta super Dominum curam tuam, et spera in eo, et ipse faciet. Heureux abandon du silence d’autant plus profond qu’il prépare les forces nécessaires à l’âme, pour entrer en communication avec Dieu en la déchargeant du vain poids des préoccupations terrestres, en lui montrant le ciel d’où Jésus-Christ veut faire couler ses dons les plus précieux dans le silence de la nuit des passions, et où il nous invite à nous taire, parce qu’il veut, parce qu’il veut lui-même nous enseigner.

3. Recueillement.

Enfin, ce que je vous demande, c’est le recueillement. Quand vous vous êtes séparé du monde par la solitude, de vous-même par le silence intérieur tel que je vous l’ai expliqué, vous n’avez pas tout fait, vous avez encore à vous recueillir pour entendre la voix de Dieu. Ducam eam in solitudinem, et loquar ad cor ejus. Dieu veut vous parler, et il faut vous mettre par le recueillement dans la disposition de l’entendre: Loquere, Domine, quia audit servus tuus. Quand Samuel, dans le Temple, entendit la voix de Dieu, il se crut appelé par Héli; il accourut trois fois auprès du vieux pontife qui à la fin lui suggéra cette belle réponse: Loquere, Domine, quia audit servus tuus. Pendant cette retraite, si vous êtes recueillis, Dieu incontestablement vous parlera. Ecoutez-le donc vous manifester ses volontés. Que doit donc être votre recueillement?

1° Un recueillement cherchant Dieu dans une profonde sincérité: Loquere, Domine. Parlez, mon Dieu, parlez à votre serviteur qui n’a pas peur de vous. Ah! que d’âmes qui ont peur de Dieu, de tout ce qu’il leur demande? N’en suis-je pas là?

2° Recueillement obéissant. Si je me recueille, si j’entends la voix de Dieu, si elle me commande, je dois lui obéir. Mais la nature se révoltera, elle gémira de toutes les exigences qui lui seront imposées. N’importe! il faut qu’elle obéisse et qu’elle s’assouplisse. Suis-je déjà arrivé à ce degré? Et suis-je disposé à obéir en tout et pour tout?

3° Recueillement courageux. Lorsque Dieu dans la nuit donna à Abraham l’ordre de lui immoler Isaac, le vieux patriarche se leva aussitôt et alla vers la montagne, où le sacrifice devait s’accomplir, conduisant lui-même la victime. Ainsi doit être mon recueillement. Je dois me recueillir pour écouter ce que dira en moi le Seigneur, mon Dieu, et puis faire: Audiam quid loquatur in me Dominus Deus. Mais telle est la question. Si Dieu veut que je lui sacrifie, sacrifierai-je avec énergie? Ne disputerai-je pas? Ah! que d’âmes sont par une grâce paternelle privées d’entendre la voix de Dieu, parce qu’elles n’iraient pas jusqu’au bout, qu’elles ne l’écouteraient pas, qu’elles ne lui obéiraient pas.

Etrange situation d’une âme qui sent que la retraite lui est nécessaire, et qui frémit à la pensée de la faire, parce qu’elle sent fort bien qu’il lui sera demandé certains sacrifices! Eh bien, armez-vous dans la solitude d’un silence plein d’espoir, plongez-vous dans le recueillement, prêtez l’oreille à la voix de Dieu, et puis par un effort suprême d’obéissance, sacrifiez, immolez. Là est le salut, parce que là seulement est la conversion.

Notes et post-scriptum