RETRAITE POUR DES RELIGIEUX

Informations générales
  • TD47.308
  • RETRAITE POUR DES RELIGIEUX
  • III. JESUS-CHRIST S'INCARNANT DANS L'AME RELIGIEUSE.
  • Ecrits spirituels, pp. 913-918.
  • Orig.ms. CT 75; T.D. 47, pp. 308-312.
Informations détaillées
  • 1 ANEANTISSEMENT
    1 ANNONCIATION
    1 ENFANTEMENT DES AMES
    1 FOI
    1 FORMATION DE JESUS CHRIST DANS L'AME
    1 INCARNATION DE JESUS-CHRIST
    1 INCARNATION MYSTIQUE
    1 PERFECTION
    1 RELIGIEUX
    1 VIE SPIRITUELLE
    2 ADAM
    2 GABRIEL, SAINT
    2 PAUL, SAINT
  • Religieux de l'Assomption
  • Entre 1870 et 1880
La lettre

Christum habitare per fidem in cordibus vestris.

Jésus-Christ ne s’est pas contenté de s’incarner une fois dans le sein de la bienheureuse Vierge, il veut, ce semble, s’incarner tous les jours en nous, et c’est ce que veut dire l’Apôtre dans chaque page de ses épîtres. Essayons de méditer sur ce mystère, auquel nous avons une si grande part.

1.

Transportons-nous par la pensée au moment ineffable où Dieu le Père envoie un ange vers Marie; que lui dit-il? Ecce concipies in utero, et paries filium. Marie acquiesce et le mystère de l’incarnation s’opère. Mais que voulait donc dire l’Apôtre, quand s’adressant aux premiers chrétiens il leur dit? Filioli, quos iterum parturio, donec Christus formetur in vobis. Quel prodigieux travail! Dieu voulant se former à nouveau dans l’âme de tout fidèle! Remarquez qu’il est baptisé et que Jésus-Christ a déjà été formé en lui par le baptême. L’apôtre les avait enfantés une première fois; c’est pour cela qu’il dit: Filioli, quos iterum parturio. Il s’agit de nouveaux efforts, d’un développement de la vie chrétienne, et c’est Jésus-Christ qui vient l’opérer dans l’âme. C’est pourquoi, il veut se former pleinement en elle: donec formetur Christus in vobis.

Que faisons-nous pour adhérer à ce travail? Ecoutons la réponse de Marie à Gabriel. Quand l’ange lui a annoncé la coopération de la Trinité tout entière, Marie n’a plus qu’un mot: Ecce ancilla Domini; fiat mihi secundum verbum tuum. N’en disons pas davantage, car dans ces quelques mots se trouve l’abandon le plus complet de la créature aux volontés du créateur. A nous aussi il est dit: Spiritus sanctus superveniet in te, et virtus Altissimi obumbrabit tibi. Eh bien, voulons-nous que le Saint-Esprit vienne opérer au plus intime de notre être la formation de Jésus-Christ? Voulons-nous, à partir de ce moment, prendre ses sentiments, ses pensées, entrer complètement sous son action? Il est là, ce divin Maître. Voulons-nous porter Jésus-Christ en nous? Mais pour cela il faut qu’il se forme dans nos âmes: donec formetur Christus in nobis.

Et n’est-il pas évident que Jésus-Christ se forme d’une façon plus ou moins complète dans les âmes, selon qu’il y trouve plus de dépendance et de plus de concours. Voilà tout le travail de ma retraite: former Jésus-Christ en moi. Si je travaille lentement, à peine sera-t-il ébauché. Si je me porte avec bonne volonté, j’arriverai à une certaine vertu. Mais qui peut dire la perfection que je puis atteindre, si laissant Jésus-Christ maître de produire une création nouvelle en moi, je lui donne tout pouvoir sur mon être, afin qu’il le transfigure complètement en lui? O prodige! Jésus-Christ formé en moi, je serai un autre Jésus-Christ. Comment cela se fera-t-il? Quomodo fiet istud, puis-je dire avec la Vierge. C’est sur quoi je veux poursuire mes réflexions.

Jésus-Christ est pour l’âme baptisée une sorte de vêtement.

Quicumque baptizati estis, Christum induistis. Voilà le vêtement spirituel. Par le baptême je suis investi de la grâce de Jésus-Christ. Qu’est-ce que signifie ce vêtement, sinon que tout mon être doit montrer par toutes ses moindres actions celui dans le sang duquel nous avons été lavés, régénérés, vivifiés? Et ceci n’est pas une parole prononcée à la légère. L’Apôtre y revient sans cesse. Induat vos Dominus novum hominem. Qu’est cet homme nouveau, sinon Jésus-Christ par rapport à l’homme ancien, Adam? Sans doute je suis fils d’Adam et j’en porte les stigmates par le péché d’origine; mais l’homme nouveau m’a dépouillé de l’ancien: Exuat vos Dominus veterem hominem cum actibus suis. Tel est le travail: me dépouiller d’Adam, de son péché, de ses convoitises, de son châtiment; me revêtir par le baptême de Jésus-Christ, de l’homme nouveau, de sa grâce, de ses dons. Mais pour cela il faut mon concours. Le vêtement m’est offert; il faut que je m’en couvre et que je me montre digne de le porter.

Quel vêtement plus éclatant que celui que Jésus-Christ a teint de son sang. Quelle pourpre que celle-là! Quel manteau royal que Jésus-Christ lui-même, et quelle dignité m’est imposée quand l’homme nouveau m’établira dans la justice et la sainteté de sa vérité! In justitia et sanctitate veritatis. Quel enseignement, si je songe aux qualités de ce vêtement spirituel. Il est formé de la justice, c’est-à-dire de la source même de la loi; de la sainteté, c’est-à-dire de la réunion des perfections divines; de la vérité, qui n’est autre que la troisième personne de la Sainte Trinité. Voilà ce que je dois manifester en moi: la justice de Jésus-Christ, la sainteté de Jésus-Christ, la vérité de Jésus-Christ. Quicumque baptizati estis, Christum induistis. – Induat vos Dominus novum hominem, qui secundum Deum creatus est in sanctitate et justitia veritatis.

3.

Mais ce n’est pas un vêtement extérieur que Jésus-Christ veut être pour moi, il veut surtout pénétrer au plus intime de mon âme. Comment? Par la foi, et c’est pourquoi l’Apôtre forme ce voeu que Jésus-Christ habite en nous par la foi. Christum habitare per fidem in cordibus vestris.

La foi doit introduire Jésus-Christ au plus intime de mon âme, comme le Saint-Esprit l’introduit en Marie. Sans doute il y a des profondeurs dont je n’approcherai jamais; pourtant si je le veux, la foi fait pénétrer Jésus-Christ dans mon âme et l’y fait habiter: Christum habitare per fidem. Qu’est cette habitation de J.-C. en moi, sinon une sorte d’incarnation? Jésus-Christ, qui veut être mon vêtement intime, veut régner au fond de mon âme. Quand lui donnerai-je sur mon coeur un empire complet? Quand ne lui rendrai-je pas trop pénible le séjour qu’il veut y faire? Quand l’appelant serai-je sûr qu’il viendra avec son père, pour faire du plus intime de mon être une demeure permanente: Et ad eum veniemus, et mansionem apud eum faciemus. Quel esprit de foi ne dois-je pas renouveler dans mon âme, pour devenir digne d’une pareille union?

Elisabeth saluant Marie au jour de la Visitation, disait à la Vierge en qui le Fils de Dieu venait de s’incarner: Et beata quae credidisti, quia perficientur in te quae dicta sunt tibi a Domino. Le bonheur de Marie consistait dans sa foi. Que notre bonheur consiste dans une foi semblable, par laquelle Jésus-Christ réalisant sa promesse viendra au plus profond de notre être! O Dieu, je crois. Venez, Seigneur Jésus: Veni Domine Jesu.

4.

Or, quand Jésus sera au fond de mon coeur, il faudra bien que je lui cède la place, que ma vie se transforme et qu’avec l’Apôtre je dise: Vivo jam non ego, vivit vero in me Christus. Ici le mystère devient plus profond. Ce vêtement, qui n’est autre que Jésus-Christ, est promis à tous les baptisés. La foi qui est la voie par laquelle Jésus pénètre dans mon âme est souhaitée à tous les fidèles. Mais il y a un abîme (?) que très peu ont le privilège de franchir, que l’Apôtre avait franchi quand il disait: Vivo jam non ego. Ce privilège n’est certes pas celui de tous. C’est celui des âmes appelées à une plus haute perfection; c’est celui des religieux, pour qui la perfection consiste à supprimer leur vie ou plutôt à la fondre, à la perdre dans celle de Jésus-Christ. Recueillons-nous et demandons-nous si, selon notre vocation, il est bien vrai que Jésus-Christ vive complètement en nous.

Quelle sainteté, quel amour, quel sacrifice de tout moi-même ne m’est pas demandé, si je veux établir en moi la vie sans mélange de Jésus-Chrsit, si je veux établir cette incarnation par laquelle Jésus-Christ sera l’âme de mon âme, le coeur de mon coeur, la vie de ma vie! Ah! qui sondera cette parole: Vivo jam non ego? Qui m’apprendra ce dépouillement, par lequel je ne dois plus vivre de ma vie, où je dois prendre en tout les sentiments de Jésus-Christ, où ces sentiments doivent être le mobile de mes actes: Hoc sentite in vobis, quod et in Christo Jesu?

Et que ferai-je alors? Je m’anéantirai comme lui, je vivrai d’une vie d’esclave: Exinanivit semetipsum, formam servi accipiens; en attendant que Dieu m’exalte comme lui. Et alors je pourrai dire avec l’Apôtre: Vivre pour moi, c’est Jésus-Christ; Mihi vivere, Christus est. Quelle vie pour le religieux! Jésus-Christ et lui, c’est tout un, puisque la vie de l’un est la vie de l’autre. O mystère! L’union de la créature avec le Dieu incarné peut-elle aller au-delà? Mais que de devoirs sont imposés à l’âme qui, dans la lumière de la foi et les ardeurs de la reconnaissance, pénètre cette invention de l’amour divin. Voilà bien l’union demandée par Jésus-Christ à son père, la veille de sa mort, pour les siens. On sent bien qu’il la demandait pour tous les membres de l’Eglise, mais qu’il y avait un choix pour quelques-uns, pour ses apôtres. Voilà l’unité de choix dont Jésus-Christ m’offre la consommation, si je le veux.

Encore une fois, Seigneur Jésus, venez. Venez vivre en moi, vous incarner en moi, comme vous vous incarnez pour tous à l’eucharistie, comme vous vous incarnez sur les lèvres du prêtre par la prédication de votre parole, comme vous vous incarnez dans votre Eglise par la circulation de votre grâce à travers tous ses membres. Venez, Seigneur: Veni Domine Jesu, et que l’époux et l’épouse disent: Venez.

Notes et post-scriptum