RETRAITE POUR DES RELIGIEUX

Informations générales
  • TD47.313
  • RETRAITE POUR DES RELIGIEUX
  • IV. LA VIE RELIGIEUSE
  • Ecrits spirituels, pp. 1127-1132.
  • Orig.ms. CT 75; T.D. 47, pp. 313-318.
Informations détaillées
  • 1 DEVOIR
    1 EXAMEN DE CONSCIENCE
    1 LIVRES
    1 NOVICIAT
    1 ORAISON
    1 VERTUS RELIGIEUSES
    1 VIE RELIGIEUSE
  • Religieux de l'Assomption
  • Entre 1870 et 1880
La lettre

Amen dico vobis, auferetur a vobis regnum Dei, et dabitur genti facienti fructus ejus.

Effrayante sentence portée par le Sauveur contre le peuple juif, contre les nations jadis chrétiennes, et que le Sauveur veut également porter contre ces familles religieuses, qui comblées de ses dons, en ont indignement abusé. Spectacle lamentable et dont nous avons été souvent les témoins, pour nous demander si, malgré notre peu de passé, nous n’étions pas exposés à un châtiment semblable. Auferetur a vobis regnum Dei, et dabitur genti facienti fructus ejus. Aussi importe-t-il grandement de réfléchir sur le point où nous en sommes de notre vie religieuse. Et pour y voir de façon à ne pas tomber en illusion, examinons: 1° Les devoirs d’un état aussi saint; 2° la pratique des vertus que cet état nous impose.

Devoirs de la vie religieuse.

Rien de triste comme de constater combien peu reconnaissent leurs devoirs. On suit son intérêt, ses idées personnelles; on fait des arrangements pour caser sa vie selon les idées les plus humaines, hélas! et les plus vulgaires. Mais pour organiser les jours à passer sur la terre d’une façon surnaturelle, conforme à la volonté divine, à la loi de Dieu, ah! que le nombre de ceux qui s’en occupent est petit!

Et ce que je vous dis des chrétiens en général, je le dis d’une façon toute spéciale des religieux. Que les devoirs de l’âme enchaînée à Dieu par les saints voeux soient plus stricts, qui l’ignore? On se contente de le savoir, à condition qu’on ne fera rien en conséquence. D’où vient cela? De ce qu’on ne réfléchit pas, de ce qu’on se laisser aller à la perte des exercices religieux. Les devoirs de la vie religieuse n’étant plus médités, ne sont plus appréciés; on les oublie, bientôt ils ne seront plus connus. Comment voulez-vous qu’on les pratique? Pourtant si vous voulez y penser sérieusement, il est facile de les ramener à quelques points bien simples.

1° Le souvenir de ce que l’on a appris au noviciat. Quelque imparfait que ce noviciat ait pu être, il est certain qu’on y a traité de certains devoirs très sérieux. On en a fait une affaire de forme extérieure. Il y avait dans le coeur certaines duretés qui empêchaient la parole divine de pénétrer. Ce que les indifférents éprouvent aux instructions paroissiales, les religieux d’une certaine espèce l’éprouvaient au noviciat, l’éprouvent depuis leur profession. Leurs maîtres, leurs supérieurs peuvent le dire, comme Notre-Seigneur aux pharisiens: Sermo meus non capit in vos. Que peut-il rester de tout ce qu’on a entendu avec des dispositions pareilles? Et pourtant quel ensemble de doctrine on a reçu, que d’instructions appropriées à notre état, que d’entretiens intimes mis à notre portée!

2° Le second moyen de connaître ses devoirs, ce sont les lectures sérieuses sur ces devoirs-mêmes. Ce n’est certes pas l’affaire d’un moment, quand on a perdu le sens de la vie religieuse, que de le ressaisir. Mais si le religieux, une fois engagé, ne peut se sauver que sous le joug sacré qu’il s’est imposé lui-même, par quels efforts ne doit-il pas se renouveler, et quel profit ne tirera-t-il pas de ces lectures fortes et fécondes qui réveillent l’âme de son engourdissement, l’obligent à considérer l’avenir, et, au-delà de l’horizon de la terre, l’éternité sans limite!

Hélas! que par ce côté le choix de vos lectures est important! Quels dangers dans les illusions que causent certains livres très pieux, mais sans substance! Ils tendent à donner un élan, sans que rien le soutienne; ensuite on s’embrase comme des roseaux desséchés; après quoi, rien ne reste. On a eu de bons sentiments; des impressions d’une autre espèce viennent et les suffoquent. On a été un moment tout flammes; bien vite on n’est qu’un peu de cendre.

3° Troisième moyen: de consciencieux examens, où l’on compare ce que l’on s’était proposé de devenir, aux jours où Dieu parlait à l’âme, et ce que l’on est en effet. Que de résolutions prises! Que de résolutions évaporées dans les nuages d’une imagination qui retombe sur elle-même! L’effort pénible pour aller fouiller au fond de toutes ces laideurs est quelque chose de très humiliant et de très douloureux. L’homme a tant de répugnance à reconnaître qu’il y a quelque chose d’horrible dans sa vie, et pourtant il faut en venir là. D’autant plus que ces examens peuvent trouver un point de départ dans les résolutions prises aux retraites précédentes. A votre première communion, dans le courant de vos études, vous avez fait des retraites; repassez-les. Rappelez-vous ce que vous avez promis et ce que vous n’avez pas tenu. La nomenclature est considérable et vos infidélités plus [sic] que problématiques.

Il est un point surtout sur lequel j’appelle votre attention. Il est un moment dans la vie, où l’âme religieuse flétrie par sa tiédeur et ses aridités coupables, revient sur ce qu’elle appelle les illusions de ses premiers temps de ferveur. Et il est un âge, où ce qu’on a plus tard appelé le temps de l’illusion, était après tout le temps de la vérité, parce qu’à ce moment les rapports avec Dieu étaient sincères, et, s’ils n’ont pas été persévérants, il ne faut accuser que votre lâcheté. Mais en reprenant dans le détail tout ce que vous aviez promis de faire et de devenir, peut-être comprendrez-vous que vous avez à faire beaucoup plus et à devenir bien meilleur pour réparer le passé.

4° Enfin, que pouvez-vous faire de mieux, si vous voulez reprendre la vraie notion de vos devoirs, que de revenir à l’oraison pratique, de répéter sans cesse: « J’écouterai ce que dira en moi le Seigneur, mon Dieu », et d’y appliquer votre esprit? Au fond tout est là: voulez-vous sincèrement connaître Dieu? Voulez-vous sincèrement le servir? Etudiez-vous à ses pieds, allez au plus profond de vous-même pendant ces jours de bénédiction. Mais là avec les connaissances acquises, avec une conscience de bonne foi: in fide non ficta, scrutez ce que vous savez devoir être et ce que vous n’êtes pas. Voyez s’il est temps de rentrer dans la voie des commandements de Dieu et d’y courir pour réparer le temps perdu. Peut-être alors comprendrez-vous combien il vous importe de vous transformer et de vous convertir par un renouvellement complet.

Pratique des vertus qu’impose l’état religieux.

Cette pratique se réduit pour moi, d’abord à la résolution permanente de tendre à la perfection.

Sans doute vous n’avez pas, comme sainte Thérèse, fait le voeu de perfection, mais tous les théologiens vous disent que vous devez être dans la disposition de tendre à la perfection. Pourquoi? Parce que vous vous êtes lié par voeu à pratiquer les conseils évangéliques. Ce qui n’est pour les simples fidèles q’une pure invitation, pour vous est une obligation rigoureuse, par laquelle toute votre vie est saisie et par laquelle tout en vous doit être transformé. Question terrible: comment envisagez-vous vos voeux? A quoi se réduisent-ils pour vous? Je suis épouvanté, quand j’aborde cette question, car il y a une sincérité que Dieu seul connaît et dont il est le seul juge.

Quelle est, en effet, au fond de votre coeur l’intensité de cette disposition? Vous connaîtrez bien vite, à la réponse que vous vous ferez à vous-même, le degré de votre ferveur. Car, remarquez-le, cette disposition se traduit par des actes. Il vous est bien facile d’examiner à quel point vous êtes pauvre, chaste, obéissant, mortifié, homme d’oraison. Vous pouvez sans bien grande peine savoir si vous êtes fidèle à votre règle, si vous la violez aisément. Ceci est effrayant; car voilà que vous exercez votre jugement sur vous-même et Dieu n’a plus qu’à le sanctionner.

Vous avez encore d’autres moyens de savoir où vous en êtes. Vous avez des tentations, comment y résistez-vous? De quelle nature sont-elles? Quelle est leur intensité, quelles sont vos victoires et quelles sont vos défaites? Vos défaites vous montrent le peu que vous êtes, vos victoires les progrès que vous avez faits dans les vertus de votre état. Rendez-vous compte de vos péchés les plus habituels. Pourquoi ces lamentables chaînes qui semblent vous rendre esclave de fautes légères, si vous le voulez, mais que leur fréquence finit par rendre graves? Rendez-vous compte des vices que vous avez laissé s’envenimer dans votre coeur.

Voulez-vous savoir où vous en êtes? Le religieux est un homme de pénitence. Chaque membre d’une famille religieuse doit la pratiquer selon son état. Quelle est la vôtre? N’avez-vous pas une vie trop ordinaire, la vie d’un honnête homme, et pas davantage?

Le religieux doit plus que personne s’appliquer la parole, que le Psalmiste dit des justes: Ibunt de virtute in virtutem. Chaque jour vous devriez sinon acquérir une vertu nouvelle, du moins faire quelque progrès dans les vertus de votre état. Où sont ces progrès? Quelle en est la solidité et que peut-on espérer pour l’avenir? Mais, direz-vous, je suis bon, j’ai un heureux caractère, pourquoi demander davantage? Pourquoi? Parce que des qualités de nature ne seront jamais des vertus surnaturelles, et que pour un religieux c’est dans les vertus surnaturelles que consiste la perfection.

Enfin, et je m’arrête là, on connaîtra ce que vous êtes à votre amour pour Notre-Seigneur, à votre désir constant de lui plaire. L’âme religieuse ne croit jamais avoir rien fait tant qu’il lui reste quelque chose à faire, et à mesure qu’elle avance, elle sent bien que l’amour divin lui demande de nouveaux efforts et de nouveaux sacrifices. Ces sacrifices, il faut les faire; ces efforts, il faut les apporter aux pieds de Jésus-Christ et comme une preuve d’amour. Il faut constater les progrès.

L’épouse, dans le Cantique des cantiques, dit: Veniat dilectus meus in hortum suum, et comedat fructus pomorum suorum. Le jardin du bien-aimé, c’est l’âme religieuse, c’est le jardin où Jésus-Christ aime à descendre, à prendre son repos et sa consolation, comme dédommagement de toutes les insultes dont il est l’objet, de toutes les haines dont il est poursuivi. Veniat dilectus meus in hortum suum; et là il cueillera les fruits de ses arbres, et il s’en nourrira. Quels sont ces arbres sinon les dons divins, les vertus infuses et les vertus religieuses. Et ces fruits, que sont-ils sinon les actes accomplis sous le sentiment imposé par la sainteté de notre état.

Mon Dieu, où en sommes-nous? Et quand mettrons-nous énergiquement notre volonté toute entière, et aidée de la grâce, à la pratique des devoirs et des vertus de l’état parfait où nous sommes appelés?

Notes et post-scriptum