RETRAITE POUR DES RELIGIEUX

Informations générales
  • TD47.319
  • RETRAITE POUR DES RELIGIEUX
  • V. PECHES DU RELIGIEUX.
  • Orig.ms. CT 76; T.D. 47, pp. 319-326.
Informations détaillées
  • 1 DECADENCE
    1 DEGOUTS
    1 DESOBEISSANCE
    1 INGRATITUDE
    1 INSENSIBILITE
    1 LACHETE
    1 MANQUE DE FOI
    1 MANQUEMENTS A LA VIE RELIGIEUSE
    1 NEGLIGENCE
    1 PECHE
    1 PECHEUR
    1 PEUR
    2 ADAM
    2 CAIN
    2 JEREMIE
    2 NABUCHODONOSOR
    2 PAUL, SAINT
    3 JERUSALEM
  • Religieux de l'Assomption.
  • Entre 1870 et 1880
La lettre

Peccatum peccavit Jerusalem, propterea instabilis facta est.

Serait-il vrai que le péché qui souille la terre, étendît sa funeste contagion même dans les communautés religieuses? Rien de plus vrai hélas! Ce que sous la loi nouvelle les Ordres religieux sont au reste du monde, Jérusalem sous la loi ancienne l’était pour les autres villes de la terre. Et pourtant le prophète ne craint pas de dire: Peccatum peccavit Jerusalem, propterea instabilis facta est. Et si, dans les couvents, nous descendons dans les détails, ne sont-ce pas les mêmes aveux que nous sommes obligés de faire: partout le péché, sous des formes plus délicates ou plus habiles, mais enfin le péché toujours: Peccatum peccavit Jerusalem.

Et c’est ce qui nous explique les châtiments de Dieu, quand les maisons d’où devaient monter la prière, les supplications, les sacrifices, ne sont plus ce qu’elles auraient dû toujours être. Dieu se retire. Il dit, comme au temps du déluge: Non permanebit spiritus meus in homine in aeternum, quia caro est. En effet, il vient des époques lamentables dans l’Eglise, où l’on peut dire: Corrupta est autem terra coram Domino, et repleta est iniquitate. En serions-nous là? Et n’est-ce pas une question vitale pour nous? Ayons le courage d’en faire l’étude et examinons les sources du péché et les caractères du péché.

1. Sources du péché.

1° La faiblesse. On était fort pour le bien, mais je ne sais quelle routine prend le dessus et peu à peu l’on n’en peut plus. Après une concession il en vient une autre. Peu à peu la faiblesse de la volonté devient à la volonté même une chaîne pesante. C’est ce qu’éprouvait saint Augustin, quand il s’écriait, au souvenir de ses désordres passés: Suspirabam ligatus non ferro alieno, sed ferrea mea voluntate. Je souspirais captif, non par des fers étrangers, mais par la chaîne de ma propre volonté. C’est ce que nous voyons pour le premier homme. Adam n’a pas été séduit, nous dit saint Paul, il n’a pas cédé à un charme plus fort que lui; il a cédé à la faiblesse, à la peur de contrister Eve.

Hélas! Et où en suis-je? Quand je descends au plus intime de mon coeur, quelle incroyable contradiction! J’aime de passer pour un homme énergique, et chez moi je ne trouve que faiblesse: d’où les résolutions de ferveur, de régularité abandonnées; le ferme propos de mes confessions oublié; ma prétendue force enchaînée, et quand la tentation se présentera, je serai vite vaincu. Je soupirerai peut-être, comme Augustin, mais mes liens m’empêcheront de combattre, à bien plus forte raison de vaincre. Je devrais dire aussi: Suspirabam, ligatus non ferro alieno, sed ferrea mea voluntate. Encore une fois, où en suis-je, et depuis combien de temps, et pour combien de temps?

2° Le dégoût. J’étais entré dans la vie religieuse, plein d’ardeur pour le service de Dieu, pour ma sanctification, pour le salut des âmes. Quelle admirable vie que celle d’un religieux saint, généreux, porté à tous les sacrifices, devenu un véritable apôtre des autres, après être arrivé lui-même à une perfection toujours croissante! Que s’est-il donc passé en lui? Comment s’est affadi le sel de la terre? Sa vie lui est un lourd fardeau; il a subi une humiliation, il a eu une vive contrariété; ou bien il a peu à peu perdu les habitudes religieuses, il en est venu aux habitudes mondaines, et, le monde même au fond de sa cellule le séduisant, il en est venu à ne plus aimer ce qui le ravissait autrefois.

Quelle source de chutes pour lui! Que fait-il avec intérêt? Un découragement profond s’étend sur toute sa vie. Il est dégoûté de la régularité dans les exercices dont la monotonie lui semble insupportable, dégoûté de la prière. Dieu n’a plus rien à lui dire que des reproches; il n’a plus rien à dire à Dieu que le regret de s’être consacré à lui. Dégoûté de la vie austère dont il ne sent plus les joies fécondes, dégoûté de ses relations avec ses supérieurs et ses frères, il n’aspire qu’à une liberté coupable. Mais supposé qu’il la prenne jamais, que de regrets n’enfantent pas ces dégoûts! Et quand les dégoûts de la vie religieuse sont entrés dans une âme, quand le regret de s’être donné à Dieu est accepté par un coeur lié par les saints voeux, que de péchés n’en seront pas la suite et quels péchés! Car ce religieux s’approchera des saints autels, il offrira le sacrifice, il recevra son Dieu pour lui dire: « Ah! pourquoi me suis-je donné à vous? Pourquoi vous ai-je engagé ma volonté par des voeux? Ils me fatiguent; je suis dégoûté. Rendez-moi ma liberté ou je la prends ».

Où ira cette âme? N’est-elle pas déjà en état de péché mortel? Et son péché n’augmentera-t-il pas en proportion de ce que ses dégoûts augmenteront?

3° La négligence. Nous ne saurions trop le répéter: Qui despicit modica, paulatim decidet. Cela peut être vrai du simple fidèle, mais évidemment le Saint-Esprit a dicté ces paroles pour le religieux. Quand il serait vrai que l’observation de la loi de Dieu est pour les chrétiens ordinaires un ensemble de lignes grandes, de lignes peu nombreuses, le religieux est à chaque instant retenu par une foule de détails. Sa vie est prise en quelque sorte par un réseau de mailles délicates, mais qui ne le retiennent pas moins et qui forment sa captivité, s’il tombe en décadence, sa force s’il comprend son bonheur. Eh bien, tout cela devient inutile pour lui; sa négligence laisse tout aller à la dérive, et, pour reprendre ma comparaison, chaque jour il laisse se briser quelque maille de son filet, chaque jour il supprime un détail, il n’en voit pas la nécessité. A quoi bon des pratiques assujettissantes? La liberté n’est-elle pas de beaucoup préférable? A force d’aimer la vie religieuse en grand, on peut dire, si l’expression est convenable, qu’on ne la prend plus qu’en gros. Rien n’est plus cultivé dans son coeur, les vertus y dépérissent, les vices poussent; et les fruits des vices, ce sont les péchés. Et remarquez que je ne parle pas seulement des péchés de négligence, mais de tous ceux qu’à leur suite la négligence laisse pénétrer dans l’âme. Or de ceux-là le détail serait infini.

Il faudrait entrer dans le détail, c’est impossible. On est bien retenu par la crainte, si la foi n’est pas endormie, mais c’est bien inutilement que saint Augustin dira à ce religieux: Peccare non debes, non timore poenae, sed amore justitiae. Qu’est-ce que l’amour de la justice pour le religieux négligent?

4° L’indépendance. Triste constatation à faire de nos jours. Ce que l’amour effréné d’une liberté fausse et coupable a produit dans la société, l’amour de l’indépendance le produit dans les communautés religieuses. Qu’est devenu pour plusieurs le respect des saints engagements? Que sont les voeux? Un voeu à Dieu, c’est une disposition qui se forme, se déforme. On trouve, quand on a fait des voeux, que la première chose à faire est de s’en faire relever. Malheur épouvantable, mais malheur trop général aujourd’hui. On veut être indépendant, on veut être libre. Pourtant saint Augustin nous dit: Solus liber qui non facit peccatum. Mais cette liberté, cette indépendance, pourquoi la veut-on? D’abord pour être affranchi des obligations religieuses. Mais on n’en restera pas là, et, au bout d’un certain temps, on voudra s’affranchir de la loi de Dieu. Qu’est cet affranchissement que le péché, que l’ensemble de tous les péchés. Allez donc, commencez votre vie d’indépendance, vous verrez où avant peu elle vous entraînera.

5° Cinquième et dernière cause, l’affaiblissement de la foi. C’est, certes, un des fruits les plus douloureux à constater que l’affaiblissement de la foi chez les prêtres. De quoi les entendez-vous parler? De leurs intérêts matériels, de leur ambition, de leurs rancunes, quand on ne parle pas de ce dont il est défendu de prononcer le nom dans l’assemblée des saints. Sont-ce de bons prêtres? Ils passent pour tels. Ont-ils des scrupules? On ne s’en douterait pas. Mais pourquoi ces fautes au moins extérieures? C’est que l’esprit de foi s’en est allé. Ce que je dis des prêtres, à un autre point de vue ne peut-on pas le dire des religieux? Avec quelles dispositions monte-t-on à l’autel? Pourquoi ne se trouble-t-on pas de ce qui écarterait de la sainte table les simples fidèles? Parce que la foi est diminuée, et ces actes sacrés accomplis avec une foi affaiblie sont une source d’affaiblissement nouveau de cette vertu, sans laquelle il est impossible de plaire à Dieu.

Faiblesse, dégoût, négligence, indépendance, affaiblissement de la foi, sources de péchés. Examinons quels sont les caractères de ce mal, le plus grand de tous.

2. Caractères du péché.

Je n’en indiquerai que quatre: la dégradation, l’ingratitude, l’endurcissement, la peur de Dieu.

La dégradation. Le pécheur a été créé bon; il n’est mauvais que par le péché, et le pécheur doit bien distinguer ce qui lui est propre de ce qui est en lui le propre de Dieu, l’oeuvre de Dieu et son oeuvre. Son oeuvre est horrible, l’oeuvre de Dieu est excellente. C’est pour cela que saint Augustin nous dit de détester notre oeuvre, mais d’aimer l’oeuvre de Dieu. Oportet ut oderis in te opus tuum, et ames opus Dei. C’est qu’en effet l’oeuvre de l’homme est d’autant plus haïssable que l’oeuvre de Dieu est plus excellente.

Quelle est donc la dégradation causée par le péché? Si je la considère dans son origine, j’y vois les ténèbres profondes jetées sur l’intelligence, la corruption du coeur, la concupiscence, le dur travail, la maladie, la mort. Cet être qui voulait être un Dieu va périr et disparaître de cette terre, où il devait gouverner en roi; il retombera en poussière. Sera-t-il assez dégradé?

Mais prenons-le tel que l’a fait le péché actuel. Il est l’ennemi de Dieu, l’exilé du ciel que lui avait rendu le baptême, le rebelle de Jésus-Christ son chef, l’esclave de Satan. Il est un être doublement affaibli, et par le péché qui lui a fait perdre la vie de la grâce, et par la honteuse habitude, qu’un premier péché inflige, d’en commettre un second, d’en commettre tous les jours. La justice par la grâce est perdue, la force anéantie, la beauté détruite. Que reste-t-il?

Voilà pour le simple fidèle. Que dire du religieux dont les fautes, à cause même des prévenances de l’amour divin, prennent un caractère tout spécial de dégradation d’autant plus honteuse que les dons de Dieu avaient été plus abondants et plus délicats? Elle ira, cette âme religieuse, traînant sa chaîne et les traces honteuses de son avilissement. Elle ira, insensible, corrompue, paralysée. La délicatesse de ses vertus évanouies la rendra plus incapable de s’arracher à la boue, où le péché l’a plongée. Quam vilis facta es nimis! s’écrie le prophète, traduisant l’horreur de Dieu pour une dégradation pareille.

2° L’ingratitude. Je serais trop long, si je voulais parler ici du caractère général imprimé par le péché à toute âme chrétienne. Je veux m’arrêter seulement à l’âme religieuse. Cui multum datum est, multum requiretur ab eo. Or à qui Notre-Seigneur a-t-il plus donné qu’au religieux? Il lui a donné comme à tous les hommes son sang sur la croix. Il lui a donné une amitié plus intime. C’est aux apôtres, c’est aux religieux qu’il réserve ses paroles: Jam non dicam vos servos… Vos amici mei estis. C’est sur eux qu’il compte pour le consoler des ingratitudes des hommes, et voilà qu’il est abandonné, trahi par eux! Et comme c’est l’occasion d’appliquer la sentence des anciens: Corruptio optimi pessima. Plus il était appelé à une sainteté excellente par l’amour le plus merveilleux, plus son ingratitude rejaillit d’une honteuse lueur. Aussi entendez le Psalmiste s’écrier: Si inimicus fuisset, sustinuissem utique. De la part des méchants, Jésus-Christ est accoutumé à ces ingratitudes; mais de la part de ses amis c’est trop fort. Tu qui dulces mecum capiebas cibos. O âme religieuse, rappelle-toi tout ce que pour toi a fait le Sauveur: cette viande eucharistique qu’il te donnait si fréquemment, cette union dans la prière intime: In domo Domini ambulavimus cum consensu. N’importe! L’ingratitude poursuivra son oeuvre, elle donnera le dernier coup dans la consommation de son hypocrisie; car, triste condition de l’âme religieuse, elle est condamnée, à mesure qu’elle est ingrate, à devenir hypocrite et à s’entendre dire par Jésus, au moment des dernières trahisons: Juda, filium hominis osculo tradis. L’âme ingrate peut frémir en face du premier sacrilège, bientôt elle se rassure et bientôt elle boit l’iniquité comme l’eau.

3° Aussi le troisième caractère, c’est l’endurcissement. La sainteté se réduit à un mot: aimer. Plenitudo legis dilectio, a dit l’Apôtre, et saint Augustin: Ama, et fac quod vis. Tout est là. Mais que se passe-t-il donc dans l’âme du religieux, qui, à la place de l’amour, par le péché a mis la haine? Haine communicable, haine qui se multiplie de celle que la majesté de Dieu lui porte, haine accrue par la vue même de son inexplicable prévarication. Il est dit de l’impie qu’arrivé au fond de l’abîme, il méprise sans doute, et l’impiété du prêtre enfante un endurcissement plus profond. Ah! ce qui m’épouvante, c’est le cachet de réprobation qui s’empreint sur cette âme dévoyée. L’amour est absent et l’iniquité n’en devient que plus consommée. Il est, cet infortuné, d’autant plus rempli de son iniquité que l’amour divin lui fait plus défaut. Quanto plenior iniquitatis, quanto inanior caritatis.

Il y a péché, il pèchera par la violence de l’habitude, qui, selon saint Augustin, est la loi du péché. Lex peccati est violentia consuetudinis. Et qu’est au fond cet endurcissement? Ce n’est pas autre chose que Dieu qui se retire. Il arrive souvent, dit Bossuet, qu’à force d’être irrité, Dieu retire en lui-même sa colère. Alors selon l’expression du prophète, il faut aller jusqu’au fond du calice, jusqu’à la lie: Usque ad fundum calicis bibisti, et potasti usque ad faecem ejus.

Et quand ce n’est plus un religieux, mais une communauté entière qui en est arrivée là, alors ce sont d’affreuses dispersions: filii tui projecti sunt, dispersi sunt in capite omnium platearum. N’insistons pas, rentrons en nous-mêmes et tirons nos conclusions.

4° Peur de Dieu. Il se forme dans la conscience même endurcie je ne sais quelles terreurs qui prolongent son endurcissement. Etat étrange, mais que saint Augustin peint admirablement quand il dit: Horrendis et poenalibus tenebris omnes non tantum carceres, sed etiam infernos vincit conscientia scelerati hominis. Il y a dans cette conscience des ténèbres affreuses, qui sont déjà un châtiment; et le pécheur s’en va portant avec lui au fond de sa conscience ces ténèbres vengeresses, et il frémira en lui-même, il sera privé de la lumière, et pourtant il sentira la perte qu’il a faite; la pointe de sa conscience est là: Non tantum carceres, sed etiam infernos vincit conscientia.

Lorsque Caïn eut commis le premier meurtre, l’assassin de son frère, après les reproches de Dieu, eut peur et il s’enfuit. Comme le péché du religieux n’est presque jamais commis dans la solitude de son âme, qu’il a presque toujours tué l’âme de quelqu’un de ses frères, lui aussi a peur et du meurtre accompli et de la colère de Dieu. En êtes-vous là?

Rentrons en nous-mêmes, interrogeons-nous sérieusement et sachons fuir la mort enfantée par la consommation du péché. Peccatum vero cum consummatum fuerit, generat mortem. Fuyons, fuyons le péché et réparons les ruines qu’il a faites; demandons à Jésus-Christ une plus grande effusion de son sang, afin que là où a abondé le péché, la grâce désormais surabonde.

Le peuple d’Israël avait péché, il insultait les prophètes, il insulta Jérémie. Nabuchodonosor ruina le temple, emmena une portion du peuple en esclavage. – Le peuple recommença. Jésus-Christ est crucifié. Le châtiment des Juifs est-il assez manifeste?

Notes et post-scriptum