RETRAITE POUR DES RELIGIEUX

Informations générales
  • TD47.327
  • RETRAITE POUR DES RELIGIEUX
  • VI. LA MORT DU RELIGIEUX.
  • Orig.ms. CT 76; T.D. 47, pp. 327-332.
Informations détaillées
  • 1 CHATIMENT DU PECHE
    1 DETACHEMENT
    1 ESPERANCE
    1 ETERNITE
    1 MORT
    1 MORT DE JESUS-CHRIST
    1 MORTIFICATION
    1 RELIGIEUX
    1 UNION A JESUS-CHRIST
    2 PAUL, SAINT
  • Religieux de l'Assomption.
  • Entre 1870 et 1880
La lettre

Dispone domui tuae, quia morieris tu et non vives.

Il arrive toujours un moment où l’on dit au religieux, comme au reste des hommes: Dispone domui tuae, quia morieris tu, et non vives. Heureux encore, quand on peut entendre cette parole et qu’on n’est pas frappé d’une manière soudaine, imprévue. Mais enfin il faut mourir, et comme le Fils de l’homme a déclaré qu’il viendrait comme un voleur, le meilleur est d’être prêt.

Examinons: 1° Ce que doit être la mort pour le religieux; 2° Quelle doit être pour le religieux la préparation à la mort.

1. Ce qu’est la mort pour le religieux.

1° Pour tous les hommes c’est un châtiment. Tous sont pécheurs, et l’Apôtre nous avertit que le châtiment du péché, c’est la mort. Il faut mourir, parce que je suis pécheur. Dieu a dit au premier homme, après son péché: Morte morieris. Il a condamné cette poussière révoltée à rentrer dans le sein de la terre: Pulvis es, et in pulverem reverteris. Il viendra donc un moment où mes pieds ne me porteront plus, où mes yeux seront fermés à la lumière du jour, où mes oreilles seront sourdes aux bruits de la terre, où mon coeur ne battra plus, où ma pensée ne s’agitera plus sous mon front. Je serai mort. La dislocation s’accomplira dans mon corps séparé de mon âme. Le monde ne sera plus pour moi, et la nature a beau se défendre d’une certaine horreur, la mort est un châtiment. L’incrédule lui-même, qui le nie dans ses objections, confesse tous les jours la vérité de cette doctrine, quand il cache autant qu’il le peut le moment de la mort à ceux qu’il aime. Si elle ne portait pas avec elle une invincible horreur, pourquoi ces précautions? Cache-t-on au voyageur qu’il est arrivé au terme de sa course?

Oui, la mort est un châtiment et nous devons la considérer comme l’instrument de la vengeance divine, si nous voulons la rendre profitable. En effet, si je suis condamné à ce supplice, qu’ai-je à faire que de m’y soumettre, en m’humiliant à la pensée de l’état où me réduit la mort. Sur les débris de ma dépouille, mon âme peut accepter la sentence divine en disant: Justus es, Domine, et rectum judicium tuum, apaiser la colère du juste juge par l’acceptation soumise de son décret.

2° La mort est une conseillère, pour le religieux surtout. Vivre avec la pensée constante de la mort, c’est vivre en planant pour ainsi dire au-dessus des choses de la terre. Sans doute la mort est un châtiment, mais Jésus-Christ, la résurrection et la vie, l’a rendue docile en l’engloutissant avec lui: Deglutiens quidem mortem, et, quelque affreuse qu’elle soit, par un certain côté elle a ses douceurs dans les enseignements qu’elle donne. En effet, quel admirable enseignement que celui qui tombe de la bouche de l’Apôtre: Filioli, nolite diligere mundum, neque ea quae in mundo sunt. Pourquoi? Parce que la figure de ce monde passe: Praeterit enim figura hujus mundi. A quoi bon m’attacher aux choses de la terre, même les plus désirables, puisque tout cela sous peu me sera enlevé? Pourquoi tenir à des objets matériels? Religieux, j’en ai fait le sacrifice depuis longtemps, peut-être par mon voeu de pauvreté. Ah! la mort m’avertit que j’aurais bien tort de reprendre ce dont je me suis dépouillé, puisque voilà qu’à un moment incertain, mais infaillible, la mort me dépouillera elle-même. A quoi bon tenir aux plaisirs, aux joies de la terre? Tout cela n’a qu’un moment bien court. C’est le songe de l’homme qui se réveille: Somnium surgentium. Ne vaut-il pas mieux songer à la pénitence, dont je dois faire profession? N’est-ce pas là ma force, ma puissance? La mort, après une vie toute de mort aux choses de la terre, est une délivrance, un affranchissement.

La mort m’a conseillé de ne pas aimer le monde. J’ai pris son séjour comme un passage: Incola factus sum. Ah! qu’il est bon d’être détaché de tout, quand on n’a plus qu’à mourir! O mort, tes conseils sont bons.

3° La mort est la fin d’un monde, elle est le commencement d’un monde nouveau. Je ne saurais trop y penser. Je vois bien tous les jours les hommes tomber à côté de moi et disparaître pour toujours. Je vois bien qu’au point de vue humain il n’y a plus qu’à dire: « C’est à jamais fini ». Mais de l’autre côté de la tombe qu’y a-t-il? Si j’étais comme les païens sans espérance, je dirais: Il n’y a rien, mais, grâces à Dieu, je suis capable d’espérer et je sais que mon rédempteur est vivant. Seulement ce rédempteur est mon juge, et si j’ai oublié ses droits, je sais qu’il est terrible de tomber entre les mains de ce Dieu qui jugera les justices mêmes.

Oui, la mort est le commencement d’un monde nouveau pour moi. La mort, c’est le jugement de Dieu. La mort c’est pour les uns le châtiment éternel, pour les autres l’éternelle récompense, et certainement l’un ou l’autre pour tous. Quel sera mon partage? Il sera ce que je l’aurai voulu. Voilà que mon avenir est entre mes mains. Je sais qu’au premier moment la mort me saisira. Je sais que selon que je tomberai à droite ou à gauche, j’irai à la vie éternelle ou à la mort éternelle, dont la première mort n’est qu’un prélude. Tel est l’enseignement de la foi.

O Dieu qui m’avez tiré du néant pour me rendre heureux, ne permettez pas que je sois à jamais séparé de vous! J’accepte la mort comme châtiment de votre justice, mais après la mort de votre Fils, qu’elle me soit un moyen de trouver grâce auprès de vous! O Dieu, que par les mérites de Jésus-Christ la mort me soit une délivrance et un moyen de vous être uni à jamais!

2. Préparation à la mort pour le religieux.

Les principaux moyens de se préparer à la mort et qui, à proprement parler, ne forment qu’un tout, sont: 1° l’acceptation habituelle de la sentence de mort; 2° la vie mortifiée; 3° l’exercice de la vertu d’espérance; 4° l’union à l’agonie et à la mort de Notre-Seigneur.

1° L’acceptation habituelle de la sentence de mort. Nous ne pouvons l’éviter, mais Dieu qui n’a pas fait la mort, nous y a condamnés dans des vues d’une immense sagesse et d’une miséricorde infinie. Sa justice avait besoin d’une satisfaction. Elle l’a tirée de notre châtiment, mais la miséricorde a tempéré la rigueur de ses coups. Nous pouvions être précipités au fond de l’enfer, Dieu s’est contenté de séparer en nous le corps de l’âme, pour nous avertir qu’il aurait pu faire plus, mais qu’il nous donnait le temps de la réflexion dans une expiation volontaire. Sachons penser souvent à la mort, apprenons à nous y soumettre en criminels qui la méritent, mais en criminels d’autant plus sûrs d’être graciés qu’ils en font un sacrifice par l’adhésion à la sentence portée contre eux.

En effet, si le péché est une révolte, la soumission volontaire à la mort est un acte d’obéissance, le plus grand que nous puissions faire. Nous terrassons en quelque sorte la nature aux pieds de son auteur irrité et nous ne perdons pas l’espoir du bonheur, puisque la mort du temps nous devient un moyen de posséder la vie éternelle.

2° La mortification. Le religieux qui se mortifie selon les saintes rigueurs de son état, que fait-il que se livrer à la mort par avance? Il affaiblit le corps de péché dont son âme est la captive, il domine l’aiguillon de la chair et l’émousse, il donne à son être tout entier une incomparable vigueur par les sacrifices qu’il lui impose. Il semble dire à la mort: « Tu veux me dominer; avant, il importe que je te domine. Entrons en combat et vois comme j’épuise à plaisir la vie du temps, afin qu’elle ne puisse me résister. Vois comme je suis le maître de moi-même. Vois comme si moi-même je ne t’impose pas à moi, c’est qu’au-dessus de toi et de moi il y a notre maître commun, qui m’ordonne de vivre et de t’attendre pour le moment qu’il voudra ». Ainsi la mortification de tous les instants est une admirable préparation à la mort.

Seigneur, donnez-moi d’être un religieux mortifié, afin qu’au dernier moment la mort soit le couronnement de tous les triomphes que j’aurai remportés sur moi par la mortification!

3° L’espérance. Fratres, haec scribo vobis, ut non contristemini, sicut caeteri qui spem non habent. Ces paroles sont de saint Paul, et qu’elles montrent bien la distance immense qui sépare les hommes du monde des vrais chrétiens. Les uns ont l’espérance, les autres ne l’ont pas. Ah! si les chrétiens sont ainsi séparés des pécheurs par l’espérance, et la terreur du désespoir, que doit être la préparation à la mort du religieux qu’un acte continuel d’espérance! Ses désirs, ses affections, sa félicité, il a placé tout cela dans le sein de Dieu même. Ce qu’il veut, c’est s’unir à Dieu; sa félicité est de jouir de Dieu; Mihi autem adhaerere Deo bonum est, et ponere in Domino Deo meo spem meam. Des hauteurs de l’espérance il contemple toutes les vicissitudes de la vie; tout cela passe à ses pieds. Il n’est pas encore arrivé au sommet de la montagne, où il contemplera Dieu pour toujours; mais il commence, guidé par l’espérance, à la gravir. Il monte, il monte, et, à mesure qu’il s’élève, il voit les fumées terrestres se balancer à ses pieds; il voit les mensonges de l’ambition, de l’orgueil, de la science, des plaisirs; il sait que rien de cela n’est fait pour lui; son trésor, c’est Dieu même: Pars mea Deus in aeternum. Il a accepté la mort comme un châtiment, il la voit avec les yeux de l’espérance. La mort n’est pas encore arrivée, c’est par elle que la vision de Dieu se réalisera pour lui.

O mort, que ta pensée est salutaire! Je te désire, je te veux; par la croix de mon Sauveur tu mettras le terme à mes désirs, tu seras la réalisation de mon espérance. Mais pour cela comme je dois me purifier de mes souillures! L’espérance m’y aidera. Mes péchés arrêteraient-ils la réalisation de mon bonheur, ah! que je me rappelle les paroles de l’Apôtre: Non sunt condignae passiones hujus temporis ad futuram gloriam quae revelabitur in nobis.

4° L’union à la vie et à la mort de Jésus-Christ. Jésus-Christ est mort pour nous, mais avant de mourir il a voulu être le modèle des derniers combats du chrétien. Aurons-nous à les subir? Une mort subite nous en préservera-t-elle? Qui le sait? Mais pourquoi ne pas nous y exercer d’avance, comme le soldat à la guerre? Pourquoi ne pas considérer ces combats admirables de Jésus-Christ contre Satan, qui vint l’assaillir une dernière fois et qui fut vaincu, dépouillé de sa force et de ses armes? De telle sorte, selon la pensée de Bossuet, que désormais ceux qui sont unis à l’agonie et à la mort du Sauveur n’ont plus rien à craindre; la victoire a été remportée.

Ah! sans doute en Jésus-Christ cette agonie et cette mort ont quelque chose d’effrayant, mais qu’importe! Jésus-Christ a souffert pour moi, il a subi les plus affreux combats pour moi, il est mort pour moi, cela doit me suffire. Il a vaincu. Avec lui je vaincrai. O Jésus, je mets en vous toute ma confiance. Donnez-moi de me préparer sans cesse à la mort, et que si elle est pour moi un châtiment que j’accepte, elle me soit par la mortification une préparation à la patrie, une espérance de vous posséder, un triomphe par votre agonie et votre mort. Ainsi soit-il.

Notes et post-scriptum