RETRAITE POUR DES RELIGIEUX

Informations générales
  • TD47.333
  • RETRAITE POUR DES RELIGIEUX
  • VII. JUGEMENT DU RELIGIEUX
  • Orig.ms. CT 76; T.D. 47, pp. 333-336.
Informations détaillées
  • 1 ABUS DES GRACES
    1 CHATIMENT DU PECHE
    1 ESPRIT FAUX
    1 HABITUDES DE PECHE
    1 JUGEMENT DERNIER
    1 RELIGIEUX
    1 SOUVERAIN JUGE
  • Religieux de l'Assomption
  • Entre 1870 et 1880
La lettre

Mihi vindicta, et ego retribuam.

La vengeance appartient à Dieu, et plus il a été patient, plus il l’exerce d’une manière terrible. Plus il appelle en vain, et plus à un moment connu de lui, au lieu d’appeler, il frappe et il frappe en Dieu. Voilà ce religieux que la mort a atteint. Tandis que son corps est la proie des vers, où est son âme? Qu’est-ce que Dieu fait pour reprendre ses droits? La voilà cette âme entre les mains du souverain juge. Il entre en jugement. Sans doute, au dernier jour, il y aura un jugement universel, mais tous devront subir une sentence commune ou de pardon ou de condamnation éternelle. Chacun espèrera se perdre dans la multitude, mais dans ce jugement particulier à chacun, Dieu précisément dans ce qu’il fera pour chacun donnera un cachet tout particulier à ce qui sera fait. Entrons dans les considérations les plus pratiques, examinons ce qui nous sera demandé. Or j’établis que le jugement des religieux portera surtout: 1° sur ses idées; 2° sur ses habitudes; 3° sur sa règle; 4° sur ses voeux; 5° sur ses péchés secrets, sur ses scandales. Reprenons ces points principaux, et si à l’instant nous tombions entre les mains de Dieu, examinons quelle serait notre justification et notre jugement.

1. Les idées du religieux.

Rien de terrible comme les idées fausses que l’on se fait dans le monde. Il est dit du pécheur: il n’a pas voulu comprendre, de peur d’être obligé à bien faire: Noluit intelligere, ut bene ageret. Ces paroles ne sont-elles pas malheureusement applicables à bien des religieux?

Je devrais dire d’abord idées nulles, en ce sens que l’on ne pense pas, parce que l’on a peur de penser. C’est ce qui se voit dans le monde. Combien cela ne se voit-il pas dans les couvents? Voyez cette vie machinale d’hommes appelés à la perfection et qui accomplissent, sans s’en douter, les plus saintes pratiques. Quelle attention donnent-ils au saint exercice de l’oraison? Les idées qu’ils y puisent, que sont-elles? Nullité, nullité, nullité.

Que dirai-je des idées erronées? La vie du chrétien repose sur la foi, à combien plus forte raison la vie du religieux. Ah! qu’elle est féconde cette lumière qui donne aux vertus leur beauté, comme le soleil donne aux fleurs leur éclat! Mais quelle beauté peuvent donner des vertus absentes, parce que la tige qui devait les produire est desséchée? Et pourquoi? Parce que l’on n’a pas eu le courage de développer en soi la vie chrétienne, la vie religieuse, la vie parfaite. On s’est créé de vaines excuses, on s’en est entretenu, on s’est appuyé de l’approbation de religieux aussi peu fervents que nous. Le résultat a été une incroyable fausseté dans les idées, dans les jugements relatifs aux obligations de la vie. Mais Dieu n’entend pas qu’il en soit ainsi Ego, ego justitias judicabo, et vos jugements qui n’ont qu’un simulacre de justice seront révisés par ma justice à moi. Pensez ce que vous voudrez, excusez-vous tant qu’il vous plaira, vous aviez la foi, vous aviez l’évangile, vous aviez l’Eglise. La foi, vous l’avez éteinte; l’évangile, vous vous en êtes fait un à vous; l’Eglise, vous avez opposé vos idées à ses enseignements. Eh bien, tout cela doit avoir un terme: Ego justitias judicabo.

2.

L’homme porté au mal se fait de l’habitude la plus indissoluble des chaînes. Laissons les péchés monstrueux que ce religieux n’a pas commis, mais de combien d’autres n’est-il pas coupable? Sa vie est monotone, et la monotonie même a du charme pour sa paresse. L’habitude lui a fait accepter le support d’un joug, qui n’est certes pas celui de Dieu. Par habitude il viole sa règle, par habitude il manque à la pauvreté, par habitude il est moins réservé sur la pureté qu’aux premiers jours, par habitude il désobéit à ses supérieurs, par habitude il viole les saintes lois de la charité, par habitude il ne prie plus, par habitude il a l’habit religieux et rien que l’habit. Dieu qui le juge se contentera-t-il de l’excuse qu’il était courbé sous le poids de l’habitude, quand la vie religieuse doit être un effort, un combat continuel?

L’habitude, mais c’est contre ses entraînements qu’il devait réagir avec le plus d’énergie. L’habitude est une rouille qui détruit peu à peu les ressorts les plus délicats et les plus essentiels de l’âme. On eût pu beaucoup, l’habitude paralyse cette admirable faculté de s’élancer au plus haut. Ah! vous l’auriez eue, si vous aviez été fidèle à l’appel de Dieu depuis votre noviciat, depuis votre profession. Au lieu de cela, que s’est-il passé? Vous avez décliné et vos habitudes se sont formées sous l’entraînement de chutes réitérées.

3. Les abus de la grâce.

Evidemment il nous est impossible d’entrer dans le monde surnaturel, si la grâce de Notre-Seigneur ne nous y transporte. Voilà une vie écoulée. Que de confessions, que de communions, que de messes! Que reste-t-il de tout cela? Que reste-t-il de toute cette vie, dont l’ensemble devait être consacré à Dieu depuis le moment du réveil jusqu’à l’instant où le sommeil vient fermer les paupières? Quelles formes multiples, ingénieuses Jésus-Christ n’a-t-il pas prises pour vous pousser à la sainteté? Que d’instructions entendues, que de lectures faites, que de directions imprimées, que de bons exemples reçus, et maintenant qu’en reste-t-il? Ce religieux, il a tourné en venin tout ce qui pouvait lui donner une énergie nouvelle. Il a emprisonné par l’insensibilité de son coeur les sources de la vie divine.

Jésus-Christ, un jour, considérant Jérusalem se prit à pleurer: Videns civitatem, flevit super eam. Il pleura sur la ville ingrate, sur la ville qui tuait les prophètes et lapidait ceux qui étaient envoyés vers elle, et, peu de temps avant sa mort, il lui adressait ces paroles dont elle ne devait pas profiter: Quia si cognovisses et tu, in hac die tua, quae ad pacem tibi. Ah! si tu connaissais dans ce jour, qui pourrait être celui de ta conversion, le bien que je te veux, cette paix que je te destinais! Mais non, tout cela est caché à tes yeux: Nunc autem abscondita sunt haec ab oculis tuis. Alors il poursuivait et annonçait les plus épouvantables malheures à la ville et bientôt déicide.

Ils sont enfin venus ces jours de la vengeance, et maintenant il n’est plus temps de se convertir. Le dernier soupir est rendu, le sang de Jésus-Christ a cessé de couler; c’est le moment de la justice. Comme Jérusalem coupable, elle a été entourée par ses ennemis et elle est précipitée par terre: Quia non cognovisti diem visitationis tuae. Elle n’a pas voulu comprendre que c’était Dieu qui descendait vers elle en père et en ami, et maintenant il vient en juge, et en juge terrible, prêt à juger les justices elles-mêmes: ego justitias judicabo. Il vient en vengeur de ses droits méconnus, de ses dons repoussés, de ses avances méprisées; il vient avec sa vengeance: Mihi vindicta, et ego retribuam.

Je l’avoue, quand je paraîtrai au tribunal du juge suprême, ce qui m’épouvantera peut-être le plus, ce seront ces grâces dont j’aurai abusé. Ah! sous ces grâces n’y aurait-il pas des sacrilèges? Je frémis devant cette question. O Dieu, à force de dédaigner, en serais-je à un tel point que je serais devenu le profanateur des choses saintes? Et si la mort me saisit dans un pareil état, après tant d’abus de grâces, comment puis-je espérer la grâce, de toutes la plus importante, la grâce de la persévérance finale? L’abus des premières assure en quelque sorte le refus de cette grâce suprême, sans laquelle les autres ne sont rien. O Dieu, me la refuseriez-vous? Et si vous me la refusez, parce que j’ai repoussé les autres, n’êtes-vous pas souverainement juste et puis-je accuser un autre que moi?

Notes et post-scriptum