- TD48.082
- Passion. [Fragments d'après le brouillon]
- Orig.ms. CT 120; T.D. 48, pp. 82-89.
- 1 AMBITION
1 COMPASSION DE LA SAINTE VIERGE
1 CORRUPTION
1 CROIX DE JESUS-CHRIST
1 DIVINITE DE JESUS-CHRIST
1 INGRATITUDE ENVERS DIEU
1 JESUS-CHRIST MODELE
1 JUIFS
1 JUSTICE DE DIEU
1 LUXURE
1 MARIE NOTRE MERE
1 MORT DE JESUS-CHRIST
1 PASSION DE JESUS-CHRIST
1 PECHEUR
1 SACRIFICE DE LA CROIX
1 SALUT DES AMES
1 SILENCE DE JESUS-CHRIST
1 SOUFFRANCES DE JESUS-CHRIST
1 SOUVERAIN JUGE
2 BARABBAS
2 CAIPHE
2 HERODE AGRIPPA I
2 ISAIE, PROPHETE
2 MOISE
2 PILATE
3 GOMORRHE
3 SODOME - 1836-1837
Posuit in eo Dominus iniquitatem omnium nostrum, oblatus est quia ipse voluit. Isaïe, LIII.
Si un homme exposé à un grand danger, prêt à rouler au fond des précipices où il trouvera une mort affreuse, se voit tout à coup arraché au malheur qui le menace, ne taxeriez-vous cet homme d’ingratitude, si non seulement il ne conservait aucun souvenir de la mémoire de son libérateur, mais s’efforçait de le noircir encore par d’affreuses calomnies; n’appelleriez-vous pas cet homme un ingrat? Et si, après avoir été ainsi délivré, il s’exposait de nouveau à la mort, et par une obstination inexplicable il reprenait le chemin du même abîme, dont il saurait qu’aucun secours ne viendrait l’arracher, ne le traiteriez-vous pas d’insensé? Cet insensé, cet ingrat, c’est vous, mes frères, qui, après avoir été arrachés à la mort de l’âme, cherchez tous les moyens de vous plonger dans l’abîme, – voilà votre folie – mais qui, de plus, insultez Jésus, votre Sauveur et [votre] lumière; et voilà votre crime.
Or, si tel est aujourd’hui votre état, si telles sont vos dispositions, ne venez pas entendre aujourd’hui le récit des douleurs de mon Maître. Que ceux donc qui ne viennent ici que pour écouter une histoire intéressante sans doute, mais [dépourvue] des émotions comme celles qu’on éprouve en lisant un roman ou en assistant à une représentation de théâtre, se retirent. Car, qu’ils le sachent bien, je n’ai point la prétention de parer mon sujet des fleurs de cette éloquence humaine, que les hommes aiment à venir juger. Car, je vous le déclare de la part de mon Dieu, c’est moi qui en ce moment prétends être votre juge. Vous êtes libres, il est vrai, de recevoir une sentence de miséricorde ou de justice, d’absolution ou de condamnation. Oui, mes frères, je vais vous juger, et ma loi sera la conduite de mon Maître pendant ses derniers moments. Je vais vous juger, et en attendant je suis un témoin contre vous.
Car, il faut bien que vous le sachiez, le récit des douleurs de Jésus peut produire dans les coeurs préparés les mêmes fruits que la vue de sa passion même. Et pourquoi les Juifs ont-ils été condamnés? Parce qu’ayant vu Jésus souffrir, ils ne le reconnurent pas pour Dieu? Pourquoi le centurion qui prendra [part] à son supplice, le soldat qui perça son coeur d’une lance, furent-ils justifiés? Parce que bourreaux involontaires du Sauveur, ils surent reconnaître sa divinité, malgré ses ignominies, et qu’ils s’écrièrent au moment où ils rendaient le dernier soupir: « Celui-là était réellement le Fils de Dieu ». Vere Filius Dei erat iste.
Encore une fois, si vous voulez imiter les Juifs dans leur endurcissement, retirez-vous; car la sentence qu’ils portèrent contre eux tomberait d’un poids bien plus accablant sur vous-mêmes. Le sang de Jésus tombe du haut de la croix sur tous les hommes. Mais ceux qu’elle [= il] n’arrose pas comme une pluie féconde, qu’elle [= il] ne lave pas comme une eau purificatrice, il les brûle et les consume comme la lave dévastatrice que Dieu verse par torrents sur les cités qu’il veut punir, comme cette lave brûlante que Dieu versa par torrents sur les abominations de Sodome et de Gomorrhe. Il y a deux mille ans que Jésus est mort sur la croix. Que dis-je? Son sacrifice étant éternel comme son sacerdoce, c’est aujourd’hui qu’il meurt pour vous. Il meurt pour expier vos crimes. Ramollissez donc vos coeurs et ne les endurcissez pas à la vue de cet abominable spectacle. Cédez à la demande de votre Dieu, et, au lieu de vous endurcir à force d’orgueil, cédez aux invitations d’amour de votre Dieu. Que le souvenir de tout ce qu’il a enduré pour vous et dont je vais vous tracer le tableau, vous amène à ses pieds. Vous le verrez abattu et souffrant et mourant, pour vous rendre l’espérance, le bonheur et la vie. Pour moi, aucun sujet ne me paraît plus propre, dans sa divine simplicité, à faire, de notre part, les sacrifices que nous impose le sien. Aussi, m’arrêtant aux paroles de mon texte et suivant le plan déjà adopté, je vous le représenterai:
1° Devant les tribunaux où il subit les conséquences de nos divers crimes, par l’injustice des sentences portées contre lui.
2° Dans les supplices où il expie ces mêmes fautes, en même temps qu’il nous prépare une remède contre leurs atteintes.
3° Enfin, je vous [le] présenterai dans les derniers instants de son agonie et de sa mort, ayant accompli sa mission, et vous reconnaîtrez l’homme parfait, le prêtre éternel, le roi de tous les peuples et le Fils de Dieu.
Mais avant de commencer, prenons les sentiments de Marie à la vue de la croix. En ce moment votre âme fut abîmée de douleur; vous l’aimâtes pourtant cette croix, ô ma mère; vous l’aimâtes à cause de nous; vous l’aimâtes parce que le salut du monde y était attaché. Et vous aimiez tant les hommes que vous y eussiez attaché votre Fils, si les bourreaux le reconnaissant pour Dieu, l’eussent adoré, au lieu de lui donner la mort. Et nous aussi, nous l’aimerons cette croix et nous lui dirons avec l’Eglise: (Ave, crux unica.) »
[Première partie]
Jésus subit devant les divers tribunaux les conséquences de l’injustice des hommes.
N’est-on pas vivement frappé, mes frères, quand essayant de pénétrer les desseins de la Providence, nous voyons la justice éternelle se servir, pour arriver à ses fins adorables, des instruments les plus odieux? La justice du Père veut que Jésus meure et ce sera la justice la plus atroce qui promulguera la sentence à la face de l’univers. Les prophéties doivent parler jusques au bout, en sorte que la voix des hommes inspirés ne devra cesser de se faire entendre que quand Jésus aura rendu le dernier soupir, et l’Esprit-Saint ne craindra pas de parler par la bouche du grand-prêtre qui condamnera Jésus à mort. Il parlera, parce qu’il était pontife de cette année, et quoique la loi de Moïse eût prescrit que le grand-prêtre exercerait le ministère pendant toute sa vie, parce qu’il avait fallu, selon les déclarations des Pères distribuer cette dignité pour satisfaire l’ambition de plusieurs, Dieu qui avait promis d’être avec la synagogue jusqu’à la venue du Messie, malgré cette infraction à la loi, consent à manifester sa volonté par l’organe de Caïphe qui était prêtre de cette année. Hoc autem a semetipso non dixit, sed cum esset pontifex anni illius, prophetavit quod Jesus moriturus erat pro gente.
Vous mourez, ô mon divin Maître, mais avant de mourir, que de supplices, que d’ignominies vous attendent! Déjà vous avez été garrotté par les ministres des prêtres. Vous êtes en leur présence. Qui dira l’hypocrisie de ces faux docteurs? Comme ils sont zélés pour la loi! Comme ils voudraient pouvoir y trouver quelque texte pour vous condamner!
On l’interroge d’abord. « mais je ne cache rien. » Il n’a rien à cacher, et c’est pour cela qu’il demande une instruction. Il leur offre ce moyen dans sa bonté; mais quand il verra qu’on ne l’interroge que pour le perdre, il gardera un silence accusateur…
Un serviteur indigné le frappe. Sic respondes pontifici? Il le soufflette pour expier les duels et les vengeances. – « Si j’ai mal parlé, montrez-le moi ». – On ne le pouvait pas; il ne demandait qu’à se défendre: « Si j’ai bien parlé, pourquoi me frappez-vous? » Ah! Jésus, vous le saviez. Parce qu’on vous haïssait. Et, dans cette réponse, vous montrez la patience, la résignation.
On l’envoie à Caïphe. – Les fausses complaisances. – Quand Jésus s’est aperçu qu’on veut le faire mourir, il garde le silence. On fait venir de faux témoins. Ce qu’il y a d’horrible dans la conduite des hommes qui veulent conserver les apparences de la vérité au mensonge!…
Jesus autem tacebat. Mais s’il se tait, gardez-vous de penser qu’il veuille cacher ses titres. Le prêtre l’interoge au nom du Dieu vivant. Et Jésus veut faire éclater sa puissance, il répond: oui. – Incrédulité. Oui, et il en avait donné des preuves. Il était sans doute, mais [phrase inachevée].
Et le prêtre déchire ses vêtements. – Tu as raison, Caïphe, de déchirer ainsi les insignes de ta dignité. Ces insignes qui faisaient l’objet de ton ambition ne désignaient plus rien. Tu étais prêtre, cette année, mais le dernier prêtre de la Loi ancienne. Ton sacerdoce est détruit, celui de Jésus commence. Levez-vous, prêtre éternel selon l’ordre de Melchisédech, levez-vous et préparez la victime que la fureur de vos ennemis va vous désigner. Cette victime c’est vous-même. Quid vobis videtur? Reus est mortis…
On le conduit à Pilate, qui sans doute avait déjà entendu parler de lui et qui ne voulait pas le condamner. – On n’entre pas: fausse légalité. Les Juifs veulent sa mort, mais ne veulent pas le faire périr: 1° parce qu’il fallait qu’il mourût sur la croix et que les Juifs lapidaient leurs criminels; 2° parce qu’il fallait que Juifs et Gentils tous concourussent à sa passion…
Indifférence. Ego in hoc natus sum, et ad hoc in mundum veni, ut testimonium perhibeam veritati. – Quid est veritas? Et qu’est-ce que la vérité? La vérité, c’est Dieu, c’est la connaissance de ce que vous êtes, la règle de vos devoirs, la loi qui vous jugera, la sentence qui vous condamnera. Voilà ce que c’est que la vérité…
Et voilà que mon Sauveur qui est la vérité souffre. Pilate entend dire que Jésus est galiléen. – Hérode espère un prodige, et Jésus n’en fera pas. Hérode a mis Jean à mort, est bien capable de comprendre la vérité. Et Jésus, s’il fait le prodige, sera sauvé; mais Jésus ne veut pas l’être. – Curiosité.
Vous voulez comme Hérode voir des prodiges, et si vous voyez des prodiges, vous ne croyez pas. Vous ne croyez pas à l’Eglise, parce qu’il n’y a plus de miracles. Vous la renvoyez avec mépris cette autorité de l’Eglise. Eh bien, elle se retirera…
Pilate veut sauver Jésus, et pour cela il propose de le délivrer, et l’on préfère Barabbas. Et ici la voix du peuple, c’est la voix de Dieu. Barabbas, image de l’humanité, Pilate le propose à Dieu. – Non, non, il me faut Jésus; il me faut mon Fils ». Et remarquez que les prêtres ne veulent pas le condamner, Hérode ne veut pas le condamner. Le peuple ne le peut pas. Et cependant il y aura concours et des prêtres, et de Pilate, et d’Hérode et du peuple. Pourquoi le peuple? Parce que toute l’humanité était représentée. Qui condamnait? Dieu le Père.
Vous serez satisfait, ô Père, votre fils ira à la mort et votre justice sera apaisée. Déjà par sa simplicité touchante il a confondu l’hypocrisie, par sa douceur et sa patience la haine et les injures; par la prophétie de son avènement il a fait trembler la jalousie des prêtres. Livré à Pilate, il confond sa lâcheté, et par son sublime mépris son [= du] respect humain il condamne la vaine curiosité d’Hérode et l’indifférence du proconsul romain, devant le peuple.
Deuxième partie.
Jésus-Christ par sa flagellation, le couronnement d’épines et le portement de sa croix expie, souffre pour nos crimes.
Le mystère de son sang. – Pilate par un moindre supplice espère le sauver d’un plus grand. On le flagelle et le sang coule. – Et vous voudriez arrêter ses coups? Le bourreau, c’est vous. C’est vous, jeunes personnes, qui par vos immodesties et vos parures luxueuses[?] êtes un foyer d’impudicité, où s’allume la passion de vos impurs adorateurs. Venez, et de cette main parfumée d’essences saisissez les verges ensanglantées; venez et faites payer à la chair virginale de mon Maître le châtiment de vos immodesties.
Et vous, hommes de corruption et de boue, venez et frappez aussi; frappez, frappez cette innocente victime; frappez le corps d’un Dieu qui veut souffrir pour apaiser la colère divine allumée par les abominations de la chair. Frappez, mais au moins si les coups que vous lui portez pouvaient vous être utiles!…
La couronne d’épines est préparée. – L’ambition. – Venez, hommes qui nourrissez dans votre esprit des pensées de mécontentement. Oh! que douloureuses sont ses épines! On fait des projets, on se livre à des illusions, on veut de la puissance. Voilà la puissance de mon Jésus. Et on l’insultera. Le proconsul le présentera au peuple, lui, le véritable roi, et on le repoussera. Non habemus regem nisi Caesarem. Il fait du bien. – L’ingratitude, les cris de la multitude. – Les Juifs ne sont-ils pas vos représentants?
Pilate veut le sauver; il n’ose pas. Vous êtes des Pilates, si par respect humain vous ne faites pas vos pâques.
Il porte sa croix. La vie pénible. – Jésus traîne sa croix, parce qu’il veut nous précéder. – Lâcheté du chrétien. Murmures contre la Providence.
Jésus se dépouille de ses vêtements. Richesse. Né dans une étable.
Les clous, ce sont nos péchés. Posuit in eo Dominus iniquitates omnium nostrum.
Troisième partie.
Jésus est élevé en croix, il va expirer. Mais je ne vous aurais montré, mes frères, qu’une partie de mon sujet, si je ne vous révélais quelque chose de ce que la foi nous permet de considérer de ce qui se passe dans l’âme du Sauveur.
Il est d’abord l’homme et l’homme parfait. Où trouver une créature plus parfaite? L’homme est né pour connaître, aimer et servir Dieu. Perfection plus grande que celle de Jésus victime! Et toutes les vertus que l’homme ne connaissait pas et qui se sont révélées: la justice, l’amour, la patience, la force. « Tu avais eu raison, Pilate, de dire: « Voilà l’homme »! Et libre. – La liberté. Oblatus est, quia ipse voluit. Sortez donc de vos fers et soyez des hommes.
Il est prêtre, il s’immole. Pater, ignosce illis. Ce ne sont pas les hommes, c’est lui-même qui s’immole. Immolons-nous avec lui. Ah! nous ne savons pas ce que nous faisons, lorsque nous immolons Jésus par nos péchés. Immolons-nous volontairement par la pénitence.
Il est roi. Pilate l’a déclaré. C’était la veille de Pâques, vers la sixième heure. Il s’était assis sur son tribunal et dit: « Voilà votre roi! » Et il est notre roi. Notre roi par droit de conquête. Il triomphe du péché, il triomphe de l’auteur du péché, il triomphe de l’esclave du péché, il triomphe de la suite du péché. Il brise les portes de l’enfer. O Jésus, soyez notre roi!
Jésus est Dieu. – Les vêtements partagés. – Les prophéties.
Il est Dieu. – Qu’il descende de la croix! – Il n’en descend pas.
Il est Dieu. Il pardonne au larron.
Il est Dieu. Il fait sa mère la mère des hommes.
Il est Dieu. Il meurt quand il veut. Consummatum est.
Il est Dieu. A sa mort, tout est bouleversé. Il introduit les hommes jusqu’au fond du sanctuaire.
Et maintenant je comprends les paroles du centurion: Vere Filius Dei erat iste*. Il était Fils de Dieu, et son Père l’a livré pour nous, afin que nous devenions enfants de Dieu. Mes frères, voilà vos destinées; les avez-vous remplies?
Comme le grand-prêtre, je vous le demande: Etes-vous chrétiens; êtes-vous enfants de Dieu? Si vous ne l’êtes pas, qu’êtes-vous venus faire dans ce temple? Et si vous êtes les fils de Dieu, comment crucifiez-vous tous les jours votre frère? Dieu, dans son amour immense, n’a pas épargné son propre Fils. Mais si nous abusons des grâces de Jésus, que nous restera-t-il? Il nous restera la croix.
Jésus, qui sur la croix fûtes mon modèle, mon prêtre, mon roi, mon Dieu, qui me donnâtes à votre mère, qui pardonnâtes au larron, qui eûtes soif de mon salut et qui, ayant accompli les Ecritures, dîtes que tout est consommé; vous dont la puissance déchire le voile du Temple, déchirez le voile de mes illusions; vous qui ressuscitâtes les morts, rendez-moi la vie de la grâce; vous qui fendîtes les rochers, fendez la dureté de mon coeur, afin que mourant avec vous je ressuscite avec vous!