1836-1837

Informations générales
  • TD48.149
  • [Notes d'un sermon] SUR LA MORT.
  • Orig.ms. CU 4; T.D. 48, pp. 149-153.
Informations détaillées
  • 1 AME
    1 AUGUSTIN
    1 CORPS
    1 IMMORTALITE DE L'AME
    1 INTELLIGENCE
    1 MORT
    1 PECHE
    1 PECHEUR
    1 PEUR
    1 THOMAS D'AQUIN
    2 ADAM
  • 1836-1837
La lettre

Nolumus vos ignorare, fratres, de dormientibus, ut non contristemini, sicut et caeteri qui spem non habent. – Nous ne voulons pas, mes frères, que vous ignoriez la destinée de ceux qui dorment du sommeil de la mort, de peur que vous soyez comme le reste des hommes sans espérance. I Thess., 4, 12.

Que la mort emporte avec elle des idées sombres et lugubres, que l’incertitude d’un avenir heureux ou malheureux, que la terreur des jugements de Dieu fasse reculer d’épouvante à l’aspect d’une fosse, je le conçois; que même le seul sentiment d’une séparation inévitable entre notre corps et notre âme nous plonge dans d’inexprimables angoisses, rien d’étonnant à cela. Jésus entrant au jardin de Gethsémani ne fut-il pas triste jusqu’à la mort et ne subit-il pas les ennuis, et les craintes et les tristesses d’une agonie volontaire? Mais qu’en pensant à un monde qu’il faut quitter on se livrre à d’innombrablres regrets, et que l’on éloigne le souvenir du trépas comme s’il n’y avait rien au-delà de la tombe, que l’on pleure des vies chéries comme si la vie tout entière s’éteignait avec le dernier soupir, que l’on s’abandonne à une douleur digne des païens; voilà ce qui me paraît intolérable et ce qui toutefois n’est malheureusement que trop commun. A une époque où tant de chrétiens proclament leur foi à l’immortalité de l’âme et vivent cependant comme si tout était matière en eux, il importe d’arrêter leur attention sur un sujet qui leur rappelle tout ce qu’ils sont, il importe de leur parler de la mort et de ses terreurs pour les forcer à songer aux intérêts de la partie la plus noble d’eux-mêmes. A une époque où tant de scandales affligent le coeur du petit nombre des véritables disciples de Jésus-Christ, où la foi des élus serait ébranlée si elle pouvait l’être, il importe aussi de leur rappeler quelles consolations n’apporte pas avec elle l’idée de la mort.

Venez donc avec moi, mes frères, venez tous méditer sur la mort. Entre le tombeau de celui par qui la mort est entrée dans le monde, et le sépulcre vide de celui par qui l’empire de la mort a été renversé. – Qu’est-ce que la mort et quelles en sont les suites? Questions importantes, dont je veux vous entretenir aujourd’hui et dont la solution nous fera comprendre la crainte qu’inspire le trépas, et les motifs qui portent le chrétien à surmonter ces craintes par l’espérance.

I.

Vous êtes-vous jamais demandé, mes frères, lorsqu’une scène de deuil s’offrait à vos regards, soit que vous rendissiez les devoirs funèbres à un homme connu de vous, soit que la perte d’un père ou d’un époux vous avertît que les coups portés à vos côtés sur des têtes chéries vous atteindraient bientôt, vous êtes-vous jamais demandé ce que c’est que la mort? Avez-vous cherché à vous en faire une idée exacte? N’y avez-vous vu, comme certains esprits, qu’une modification de la matière, un changement dans les formes, un développement des mille combinaisons dont les atomes sont susceptibles et d’après lesquelles tantôt marbre, tantôt plantes, et tantôt être animés, ils se réunissent et se dissolvent au gré du hasard? Ou bien y avez-vous vu l’accomplissement fatal d’une loi inflexible, portée par une divinité cruelle, qui tire ses créatures du néant pour les y faire aussitôt rentrer? Ou bien encore… Mais quand je voudrais rapporter ici toutes les folies enfantées par l’imagination des hommes pour se rendre compte de la mort, pourrais-je en venir à bout? J’y renonce et me contente de vous exposer ce que la foi catholique nous apprend sur ce grand et terrible sujet. Ce qu’elle nous en révèle, jette une lumière si vive sur les mystères de la destinée humaine qu’il est impossible de ne pas se rendre à ses enseignements.

Constatons d’abord trois genres de mort: la mort du corps, la mort de l’âme et la mort de l’homme dans les deux parties de son être. Interrogez les tombeaux, ils vous l’apprendront. Cet homme, que vous voyiez hier entouré de tant d’hommages, qu’est-il devenu? Cette tête dans laquelle roulaient mille projets, aux yeux si vifs et qui plongeaient dans l’âme des autres, cette bouche d’où découlaient des paroles si harmonieuses, ce coeur qui battait si fort aux nobles émotions, qu’en reste-t-il? Un peu de poussière qui a passé par les vers et la corruption. Mais ce corps n’était que l’habitation d’une intelligence dont il était à la fois le temple et la prison. Cette intelligence, où est-elle? Qui le dira? Ce que nous savons, c’est que nous interrogeant dans le silence des passions nous sentons tous les jours que cette intelligence, la plus noble partie de nous-mêmes, est dégradée et comme exilée sur la terre. Nous sentons qu’un poids accablant l’enchaîne ici-bas et qu’ailleurs est sa patrie. L’air de ce monde la tue et elle ne cesse de se plaindre de ses maux que dans l’enivrement des jouissances matérielles: jouissances indignes, elle le sait bien, de la noblesse de sa nature. Ces jouissances la fatiguent et lui sont nécessaires en même temps; elle les fuit et les recherche tout à la fois, et dans le désordre de ses désirs contrariés, dans ces variations de sa volonté, elle comprend que tous les aliments qu’elle rencontre ici-bas ne peuvent la dédommager d’une nourriture qu’elle n’a plus, et sans laquelle elle finira nécessairement par s’épuiser et périr.

Mais au moment de dire adieu à la terre, qui lui garantit son avenir? Personne, personne, si ce n’est Dieu. Or, voici ce que Dieu lui enseigne. Le péché est entré dans le monde avec le premier homme, et, avec le péché, la mort.

La mort du corps. La mort est pour le corps sa séparation d’avec l’âme. Créé pour être éternellement uni à elle, ce n’est pas sans effort qu’il lui est arraché. Certains hérétiques des premiers siècles soutiennent, il est vrai, que la mort était dans la nature de l’homme; mais saint Augustin les combattant avec toute la force de son génie et l’avantage de la vérité, leur demandait comment Dieu avait pu menacer nos premiers parents de la mort, si elle était inévitable pour eux, et comment après leur chute il avait pu prononcer comme une condamnation contre Adam ces paroles: « Tu es poussière et tu retourneras en poussière », si la mort était primitivement dans la nature de l’homme.

Mais direz-vous, les corps étant composés de divers éléments sont sujets à la décomposition, par conséquent à la mort. Pourquoi donc le corps humain en serait-il affranchi? Si vous considérez, répond saint Thomas, le corps de l’homme indépendamment de son âme, vous avez parfaitement raison; mais si vous vous rappelez que le corps avait été fait pour l’âme et que l’âme était créée pour être immortelle, il faudra dire que l’âme devait communiquer au corps son immortalité. Il y a une grande différence, reprend l’évêque d’Hippone, entre la condition d’un être mortel et celle d’un être condamné à mort. Sans doute, le corps de l’homme était mortel, mais Dieu ne devait pas permettre qu’il mourût. Celui qui pendant quarante ans conserva les chaussures et les tuniques des Hébreux n’eût-il pas pu faire pour le corps, qui est le vêtement de l’âme ce qu’il fit en faveur de son peuple choisi pour les vêtements du corps?

Vous êtes étonnés, reprend saint Augustin, qu’un corps mortel ne meure pas. Mais Dieu qui pendant quarante ans… etc. (comme ci-dessus).

Etablissons donc avec la tradition catholique que dans les premiers desseins de Dieu le corps de l’homme ne devait jamais connaître le trépas.

Mais outre la mort du corps, j’ai parlé de celle de l’âme, et pour s’en faire une idée, il faut se rappeler cette belle pensée de l’évêque d’Hippone que si l’âme est la vie du corps, Dieu est la vie de l’âme. Si donc le corps meurt en se séparant de l’âme, l’âme meurt en se séparant de Dieu. Or les seuls péchés, dit ailleurs le même Père, séparent de Dieu, sola peccata separant inter hominem et Deum. Si donc la cause de la séparation de l’âme d’avec son auteur est le péché et si cette séparation est sa mort, le péché seul est évidemment la cause de sa mort.

Et voilà que nous sommes réduits à l’état où l’homme est réduit, lorsqu’il meurt dans le péché et où l’on peut dire qu’il meurt tout entier, puisque son âme étant séparée de Dieu et son corps de son âme, Dieu n’arrête cette créature coupable sur les limites du néant que pour lui faire subir le châtiment de sa rébellion.

Dieu fera plus encore, et comme il faut qu’il y ait toujours certains rapports avec l’âme pécheresse par la nécessité de son être, rapports sans lesquels elle cesserait de subsister, Dieu, après les avoir détruits, rétablira des rapports entre le corps et l’âme qu’il veut punir, rapports qui ne serviront qu’à augmenter leurs douleurs. Et voilà le dernier terme de la mort.

Encore un coup, qui a produit tout cela? C’est le péché: et post peccatum mors.

[Inachevé.]

Notes et post-scriptum