- TD48.219
- DU PECHE [Sermon]
- Orig.ms. CU 22; T.D. 48, pp. 219-222.
- 1 CHATIMENT DU PECHE
1 CONSEQUENCES DU PECHE
1 CORRUPTION
1 ENNEMIS DE DIEU
1 MAL MORAL
1 PECHE
1 PECHE ORIGINEL
1 PERFECTIONS DE DIEU
1 REVOLTE
2 PAUL, SAINT - vers 1838-1839
On dit: pourquoi Dieu permet-il tous les désordres, dont nous sommes les témoins? Sans entrer dans le fond d’une question que nous aurons peut-être l’occasion d’examiner plus tard, je renverse la question posée par les philosophes et je dis: pourquoi l’homme que Dieu avait créé bon, à qui il avait montré le mal avec défense de le faire, à qui il avait fait les promesses les plus magnifiques pour l’engager au bien, pourquoi l’homme a-t-il fait le mal? J’irai plus loin et je dirai à ces hommes qui veulent toujours le pourquoi: Pourquoi vous qui avez des notions si exactes du vice et de la vertu, qui savez sûrement toutes les lois de la morale, qui avez foi en une Providence qui récompense l’honnête homme et punit le méchant, pourquoi ne faites-vous pas toujours le bien dont vous parlez si pompeusement, et faites- vous le mal que vous haïssez tant en théorie?
Ce mal, le faites-vous volontairement ou malgré vous? Si vous me dites que vous le faites volontairement, je vous répondrai d’abord que ce n’est pas Dieu, mais vous qu’il faut accuser du mal que vous faites, et non seulement du mal que vous faites, mais de celui qui se fait à cause de vous et qui n’est qu’une punition méritée. Que si vous m’avouez que vous sentez au-dedans de vous-même un principe corrompu, qui vous entraîne comme malgré vous loin de la vertu, il ne restera plus qu’à examiner jusqu’où remonte ce principe funeste, et c’est à cette recherche que je vais me livrer avec vous. Suivez-moi attentivement, car si nous découvrons que l’homme est seul coupable de la corruption de sa nature, nous en conclurons: primo, que le monde ayant été créé pour l’homme, les désordres, les maux que nous y voyons, ne doivent être imputés qu’à l’homme et non à Dieu; en second lieu, que si l’homme n’avait été soutenu, dans l’état de dégradation où il est parvenu, jamais de lui-même il ne se serait relevé.
Je n’irai point, pour expliquer des mystères qui ont agité pendant quatre mille ans la philosophie païenne et sans qu’elle pût les résoudre, je n’irai point fouiller et compulser les annales de la science humaine, que saint Paul appelle si énergiquement une philosophie [vaine], vide inanem philosophiam; je prends le livre élémentaire que l’Eglise place entre les mains de tous les chrétiens et j’y vois que l’homme a été créé pour connaître, aimer et servir Dieu, et par ce moyen acquérir la vie éternelle. Que de lumière, mes frères, dans quelques mots, et à quelle dignité n’est pas élevée la nature humaine? Sorti de Dieu, l’homme s’avance dans le temps, vers sa fin qui est Dieu. Dieu est son principe, Dieu est sa fin. La connaissance de Dieu, voilà sa lumière. L’amour de Dieu, voilà le mobile de ses actions. Dieu tout entier pendant l’éternité, voilà sa récompense. Cette destinée est-elle assez noble, assez élevée, mes frères? Et, pour vous le demander en passant, ceux qui prétendent que la religion avilit l’esprit, rapetisse le coeur, ont-ils quelque chose de plus grand à présenter à son intelligence que la vérité elle-même, quelque chose de plus beau que celui qui renferme en lui la perfection par excellence et de qui tous les êtres reçoivent ce qu’ils ont de parfait?
Voilà sur quelle route l’homme fut placé, lorsque Dieu prit la peine de le façonner et de souffler sur lui l’esprit de vie. Mais l’homme ne fut pas satisfait, il voulut quelque chose de plus. Dieu avait fait pour lui beaucoup en le plaçant dans un jardin délicieux et lui défendant seulement de manger du fruit d’un arbre. Après cette épreuve, Dieu devait l’enlever de la terre et lui donner une jouissance que rien n’eût troublée. L’homme viola ce simple commandement; il en fut puni.
Permettez-moi, avant d’aller plus loin, de répondre à une objection que j’entends faire souvent et qui peut ébranler certains esprits. Comment se fait-il que Dieu ait été assez sévère pour punir si cruellement une désobéissance aussi légère que celle de manger un fruit défendu? Mes frères, je demanderai d’abord: Comment se fait-il que Dieu eût attaché une récompense aussi grande qu’une éternité de bonheur à l’observation d’une loi aussi facile que la défense de manger d’un fruit? Il ne faut observer ici l’importance de la défense faite par le Seigneur que pour admirer la bonté de l’avoir faite aussi légère, et s’étonner de l’ingratitude de l’homme qui ne sut pas obéir à un commandement aussi facile. Il ne faut pas considérer ici la gravité de la révolte, à cause de l’action en elle-même de manger un fruit, mais à cause de l’idée que Dieu y avait attachée, et de la bonté qu’il avait témoignée en n’exigeant de l’homme que le sacrifice d’un fruit, en échange d’une éternité de bonheur. Loin donc que nous devions nous étonner de la sévérité du châtiment, nous devons bien plus être étonnés de l’ingratitude de l’homme.
Mais, mes frères, faisons une attention sérieuse à ce qui se passe en ce moment. On a souvent observé comment la triple concupiscence était entrée dans l’homme en même temps que le péché. Mon intention n’est pas d’en parler aujourd’hui. Je ne veux envisager le péché que comme une révolte, et comme imprimant une tache éternelle au front de l’homme. Et comme en l’homme il y a trois principales facultés qui correspondent aux trois personnes de la Trinité, je dis que l’homme se révolte contre le Père, contre le Fils et contre le Saint-Esprit.
Contre le Père, la puissance, l’homme veut opposer sa puissance à celle de Dieu et nier le domaine de Dieu sur la créature.
Contre le Fils, l’ordre, la loi, la sagesse, l’homme nie la loi, apporte le désordre.
Contre l’amour, il rejette l’amour-Dieu pour y substituer l’amour-propre.
Voilà donc l’homme en guerre avec son Dieu, et chaque partie de son être avec chaque personne de l’adorable Trinité. O orgueil, o ingratitude, o crime! Comprenez-vous bien, mes frères, qu’une pareille révolte ne saurait être assez punie, mais comprenez-vous en même temps que le supplice, qui devait suivre, devait d’abord imprimer la dégradation dans tout son être. C’est en Dieu, dit saint Paul, que nous avons la vie, la respiration et tout.
Dieu en se retirant laissa l’homme dans les ténèbres, et en ceci il était très juste, car il ne faisait qu’accorder à l’homme ce qu’il voulait. Mais de même que l’astre des nuits emprunte tout son éclat au soleil et ne paraît que comme un point ténébreux dans le ciel le plus pur, lorsqu’il ne réfléchit pas des rayons empruntés, de même l’homme qui n’a de lumière que celle qu’il a reçue d’en haut, n’est plus rien et Dieu se retire de lui. Sa puissance n’est que faiblesse, et il est incapable de résister au mal qui le presse.
Il a introduit le désordre en lui par la révolte contre la loi; il n’a plus de notion du bien; il sait bien ce qui est mal, mais ne sait pas précisément ce qui est bien, et de plus, il n’est pas capable de connaître tout le désordre extérieur, encore moins de le réparer.
L’amour divin s’est retiré, l’amour terrestre se présente avec toutes ses souillures. O qui dira tous les maux qui entrèrent dans l’âme du premier père, lorsqu’il osa dire à Dieu: je ne servirai point, non serviam? O qui dira la beauté primitive de son âme et la souillure indélébile, dont elle fut ternie par cette parole de révolte? Et ce qu’il y a d’affreux, mes frères, c’est que les effets devaient être éternels pour lui et pour ses descendants. Il se formait une lutte éternelle entre le bien et le mal, la justice et le châtiment.
L’homme de lui-même ne pouvait se relever, et tant qu’il devait être dans cet état, Dieu devait le haïr. Dieu étant juste veut une compensation. Jusqu’à ce qu’il la trouve, il punit; il punira donc éternellement, parce qu’il ne la trouvera jamais en l’homme.
Dieu hait le péché et le punit, et la punition aigrira sans cesse l’homme contre son auteur et augmentera sans cesse le péché.
Il fallait, de plus, que le premier homme communiquât à la postérité ce mal, car comment l’homme pouvait-il se donner ce qu’il n’avait pas?
Voilà, mes frères, l’affreuse destinée de l’homme: souffrir, haïr; haïr et souffrir éternellement; voilà la captivité dont nous a délivrés Jésus-Christ.