1844-1854 – A des femmes.

Informations générales
  • TD48.295
  • Du but de l'homme sur la terre [Instruction].
  • Orig.ms. CU 34; T.D. 48, pp. 295-300.
Informations détaillées
  • 1 ACTE DE CREATION
    1 ACTION DE DIEU DANS L'AME
    1 AMOUR DE DIEU POUR SA CREATURE
    1 AMOUR DES AISES
    1 BIEN SUPREME
    1 BONHEUR
    1 BUT DE LA VIE
    1 CORPS
    1 CREATURES
    1 DIEU CENTRE DE LA VIE SPIRITUELLE
    1 FORTUNE
    1 HOMME CREE A L'IMAGE DE DIEU
    1 HONNEURS
    1 INTEMPERANCE
    1 JOUISSANCE DE DIEU
    1 LIBERTE DE CONSCIENCE
    1 MONDE CREE
    1 ORDRE SURNATUREL
    1 ORIGINES DE L'HOMME
    1 POSSESSION DE DIEU
    1 POUVOIR
    1 PROVIDENCE
    1 SAGESSE DE DIEU
    1 SOUVERAINETE DIVINE
    1 VANITE
    1 VOIE UNITIVE
  • A des femmes.
  • 1844-1854
La lettre

Mesdames,

Que Dieu soit infiniment sage, c’est ce qu’il est impossible de contester, dès que l’on admet l’existence de Dieu. Et si Dieu est infiniment sage, le cachet de sa sagesse doit briller sur toutes les oeuvres de ses mains. Or, en quoi brillera la sagesse de Dieu dans la création du monde, dans la continuation de son existence, sinon dans l’ordre qui subsiste dans l’ensemble de l’univers, dans l’harmonie des rapports de chacune de ses parties? Or pour que l’ordre, l’harmonie subsiste dans le monde, il fallait que l’homme fût établi, disposé d’après certaines combinaisons prévues. Quel est l’ouvrier qui entreprendra un ouvrage difficile sans modèle? Quel est l’architecte qui entreprendra la construction d’un édifice sans plan? Le plan de l’univers, de chacun des êtres en particulier, de l’ensemble de tous les êtres non seulement créés, mais à créer, et non seulement de ceux qui sont sortis du néant ou qui en sortiront, mais encore le plan de tous les êtres possibles, subsiste dans la pensée de Dieu, dans son Fils. Ce sont les idées éternelles qui subsistent dans le Verbe, et dans lesquelles Dieu va chercher la forme des diverses créatures matérielles ou intelligentes qu’il se propose de réaliser.

Mais plus Dieu, par sa sagesse et sa puissance réunies, est à même d’imprimer à chacune des productions de ses mains un cachet de perfection propre à chacune d’elles, plus il est évident qu’il faut que l’on voie le but pour lequel chacun des êtres en particulier et tous en général ont reçu l’existence. Or le Saint-Esprit nous le déclare d’une manière positive, Dieu a tout créé pour lui, à cause de lui, même l’impie qui ne voulant pas profiter de l’amour de son créateur est réservé pour faire éclater sa justice aux jours mauvais: universa propter semetipsum operatus est Dominus, impium quoque in diem malum. D’où je vous prie de conclure avec moi que si Dieu a tout créé pour lui, il veut que tout se rapporte à lui, il veut que tout lui paye un tribut d’obéissance et de dépendance.

Il y a toutefois à remarquer que la création se divise en deux parts. Dieu a voulu travailler sur deux natures: l’une grossière, c’est la nature matérielle; l’autre, plus parfaite, c’est la nature intelligente. Eh bien, Dieu agit différemment envers ces deux natures. La première reçoit une certaine inclination, un instinct, si vous voulez, qui sous l’action continuelle de Dieu la pousse à accomplir fatalement les lois de son existence, sans qu’on puisse savoir ni ce qu’on lui fait faire, ni vers quoi on la pousse. L’autre nature, au contraire, a reçu de Dieu une portion de sa puissance. Dieu lui a confié une partie de son empire sur elle-même. Elle connaît, elle est libre, elle sait le but divin, elle peut l’accomplir. Et voilà ce qu’il y a de merveilleux, c’est que Dieu en semblant se dépouiller d’une partie de son autorité, reçoit une gloire plus grande des hommages libres que lui présentent ces créatures privilégiées.

S’il entre dans la sagesse de Dieu d’avoir un but dans ses actes, il est nécessaire que ce but soit le plus parfait. Or, qu’y a-t-il de plus parfait que Dieu? Donc encore un coup, Dieu en créant rapporte tout à lui-même. Mais si les créatures raisonnables sont les plus parfaites des créatures, elles doivent également avoir un but parfait. Mais comme leur perfection à elles est relative, elles ne doivent pas se considérer uniquement, elles doivent, au contraire, faire effort pour tendre plus haut. Or l’homme a été fait si grand qu’au-dessus de lui il n’y a que Dieu. Donc l’homme a été fait pour Dieu. Le but de l’homme, c’est Dieu. Et voyez d’un seul regard combien cette vérité est sublime, féconde.

Le soleil éclaire le monde, il le réchauffe, le ranime; par lui tout revient à la vie. Ce n’est qu’une image grossière de ce qu’est Dieu. Dans l’univers tout découle de lui, tout germe et fleurit et mûrit par lui. Mais le soleil n’est pas le terme de toutes choses, il faut prendre une comparaison. L’Océan donne par les nuages ses eaux aux fleuves qui les lui rendent. Dieu donne l’être à toutes les créatures, qui doivent venir lui porter le tribut de leur existence. Voyez aussi comme tout se simplifie. Quelque combinaison difficile que j’aperçoive ici-bas, je sais qu’elle a un terme, un but, et que ce but, ce terme, c’est Dieu.

Mais si Dieu est le terme de toutes choses, quelle dignité n’acquiert pas chaque créature en vue de Dieu, et quel respect ne doit-on pas porter à chaque acte dicté par lui!

Maintenant jetez les yeux sur la marche des choses, et voyez par quelle merveilleuse harmonie s’engrènent les rouages du monde intellectuel, de telle manière que l’action de Dieu s’y exerce toute puissante, en même temps qu’elle laisse à chaque créature le libre développement de sa volonté. On se perd dans la considération des merveilles qui se présentent à l’esprit.

Mais quelle est la chaîne qui pousse toutes les créatures vers l’unité? Cette chaîne, c’est le bonheur, c’est l’annonce du bonheur. Oui, toutes les créatures veulent être heureuses, de telle sorte que s’il est vrai qu’il n’est qu’un seul objet capable de les rendre heureuses, il y a un objet vers lequel elles convergent toutes. Maintenant plus l’union qu’elles pourront former avec cet objet sera grande, plus l’union qu’elles auront entre elles sera grande par lui. Mais si la mesure de leur bonheur est la mesure de l’union, plus elles désireront être heureuses, plus elles désireront être unies, et, comme cette union s’opère par la volonté, plus cette union sera grande(1).

En quoi consiste le but de l’homme?

Rien de plus déplorable, mes dames, que la folie de l’homme, pour ne pas dire son crime. Il ne peut rentrer au fond de lui-même sans y trouver les preuves incontestables de sa dignité et de la grandeur de son origine, et il ne peut faire, pour ainsi dire, un pas dans la vie qui ne l’entraîne vers la dégradation. Il sait que Dieu l’a fait pour le bonheur, mais ce bonheur il doit le demander à l’auteur de son être, et c’est ce qu’il ne veut plus. Descendez dans vos coeurs, mes dames, et voyez si vous pouvez nier ce que j’avance: c’est que toutes vous protestez par votre conduite contre la réponse de votre catéchisme: vous êtes créées pour… etc.

Il faut pour travailler, à moins d’avoir quelque remords, revenir sur ce que nous avons dit mardi dernier; il faut examiner en quoi consiste le bonheur. Est-ce dans les richesses? Quoi! vous mettriez votre jouissance dans ce que les eaux d’un fleuve, les flammes d’un incendie, la force d’un voleur, l’habileté d’un filou pourraient vous enlever! Souvenez-vous qu’il s’agit du suprême bonheur de l’homme. Quoi! le bonheur consisterait dans la richesse! Mais qu’est-ce que le bonheur, dont une révolution vient à me dépouiller? Et quand même personne ne me l’enlèverait, son usage m’en prive. Ou j’use de ma richesse ou je n’en use pas. Si j’en use, je ne l’ai plus, elle m’échappe; si je n’en use pas, que me sert de l’avoir?

Richesses naturelles et artificielles.

Le trouverai-je dans les honneurs? Mais les honneurs sont le signe d’un mérite préexistant. Rien de plus triste qu’un honneur qu’on me rend et que je ne mérite pas. Si je le mérite, c’est parce que j’ai fait quelque chose pour le mériter.

Est-ce la gloire, la renommée qui me rendra heureux? Mais la gloire, la renommée, qui la donne? Ce sont les hommes. Mon bonheur ne dépend dès lors plus de moi, il dépend de ceux qui distribuent la gloire. Et la gloire est-elle toujours distribuée convenablement? N’y a-t-il jamais d’injustice historique? Toutes ces renommées élevées sur le piédestal n’ont-elles aucun reproche à s’adresser? Et puis, peut-elle être pour tous? Je sais que l’esprit humain est merveilleux dans les titres de gloire qu’il sait se créer.

Pour la gloire singulière, il excelle à conduire un char dans la carrière. Ce fut ce qui décida Louis XIV à ne plus figurer dans les ballets de la cour.

La gloire, mais peut-elle être pour tous au sens que vous lui donnez? Si tout le monde était célèbre, personne ne le serait plus. Qui dit gloire, renommée au sens des hommes, dit une réputation élevée au-dessus du commun.

Est-ce dans le pouvoir? Mais quand le pouvoir a-t-il rendu heureux? Le bonheur est le bien suprême. Le bonheur est antipathique au mal. Et il n’y a jamais de mal sur les trônes? Encore un coup, le pouvoir est pour peu, et tous alors ne peuvent être heureux.

Serait-ce dans les biens du corps, dans les agréments de la vie? Oh! je vous admire, mais un animal sera plus heureux que vous.

Est-ce dans la volupté? Oh! folie. Oh! crime. Vous songez au bonheur de votre corps, et vous ne songez pas à celui de votre âme. Le bonheur est dans la volupté! Ah! je devrais le penser, à voir ce que nous voyons, à considérer la fureur de certains hommes, à voir la séduction gagner certaines femmes qui se disent chrétiennes.

Est-ce même dans les biens de l’âme? Non, si l’âme veut se suffire à elle-même. L’âme est une lampe, elle a besoin d’huile. L’âme, c’est un réservoir immense; il faut quelque chose pour le remplir.

Est-ce, en un mot, quelque chose de créé? Non, il faut à l’âme l’infini. Mais où le trouverait-elle? Mais peut-on dire qu’un être soit heureux, s’il n’a pas ce qu’il désire? Non: omnis creatura ingemiscit. Un être est-il heureux lorsqu’il a tout ce qu’il désire? Telle était la question que saint Augustin posait à ses amis, le jour de la naissance. A quoi sainte Monique répondait que celui-là n’est pas heureux qui possède ce qu’il désire, lorsqu’il a désiré un bien défendu. Et voilà pourquoi les hommes, au terme de leurs désirs, éprouvent tant de déboires. Rien de muable ne peut charmer la pensée de l’homme, il lui faut quelque chose de plus grand.

Mais le bonheur lui-même, est-ce quelque chose d’incréé? Son objet qui est Dieu, oui; le bonheur, la jouissance dans l’homme, non, puisque ce bonheur est savouré par l’homme.

C’est l’acte suprême, perfectio, perfecta actio; c’est l’action la plus intellectuelle.

Cum apparuerit, similes ei erimus, et videbimus eum sicuti est.

Mais il y a deux bonheurs: l’un consommé sur la terre, l’autre consommé dans le ciel. Il faut chercher Dieu. Nous l’avons, mais nous ne l’avons pas tout entier. Scimus cum apparuerit, similes ei erimus, et videbimus eum sicuti est.

Notes et post-scriptum
1. Il n'est pas certain que ce qui suit fasse partie de la même instruction. Le ms est en effet constitué de feuilles agrafées provenant d'un même cahier démantelé, mais l'ancienne pagination n'y est pas continue. Ici le texte d'arrête à la p. 7 et reprend à la p. 11 (la page 8 est vierge, les pp. 9-10 ont disparu).