1844-1854 – Des femmes.

Informations générales
  • TD48.358
  • 2. Sur l'amour de soi-même.
  • Orig.ms. CU 66; T.D. 48, pp. 358-359.
Informations détaillées
  • 1 AMOUR DES AISES
    1 EGOISME
    1 ENNUI SPIRITUEL
    1 SOUFFRANCE ACCEPTEE
  • Des femmes.
  • 1844-1854
La lettre

Permettez-moi de porter le fer et le feu au fond de votre âme. Pourquoi n’êtes-vous pas chrétiennes, comme vous désireriez l’être?

La première raison à laquelle je m’arrête en ce moment, c’est que vous vous aimez beaucoup trop vous-mêmes. Si vous vous aimiez un peu moins, beaucoup de choses iraient certainement mieux. Essayons de le prouver.

Pourquoi l’habitude de vous lever tard? Parce que vous vous aimez considérablement.

A quoi pensez-vous en vous éveillant? Est-ce à Dieu? Quel temps mettez-vous à votre toilette? Quel temps à votre méditation?

Dans vos relations du monde, pourquoi cherchez-vous à plaire? Est-ce pour Dieu? Mais quelque aimable que vous soyez, peut-être ne l’êtes-vous pas toujours? La déesse descend quelquefois de l’autel où on l’encense vers son mari, ses enfants, ses domestiques, et alors… Quelles impatiences! Quelles fureurs! quelles aigreurs! quelles tempêtes! quelles bouderies! quelles jalousies! Tout cela est-ce pour Dieu?

Mais je veux vous engager par un autre côté. Je vous suppose une femme régulière, point trop paresseuse, trop vaniteuse, trop gourmande, trop loquace. A l’extérieur tout va bien. Pourquoi à l’intérieur tout va-t-il mal? Je vais vous en donner quelques raisons.

1° Vous n’êtes pas bonne comme vous pourriez l’être, parce que cela vous paraît difficile, et vous vous aimez trop pour faire les choses difficiles. Il est difficile d’être charitable, humble, mortifiée. C’est difficile, en effet, très difficile. Mais vous vous aimez plus que le prochain, plus que Dieu, et votre amour de vous-même, qui cette fois est un amour lâche, ne veut ni de charité, ni d’humilité, ni de mortification.

2° Une seconde raison, très connue également et où se réfugie l’amour de soi: Je ne sers pas Dieu, parce que cela m’ennuie, et je m’aime trop pour pouvoir m’ennuyer. J’en conviens, mais il faut savoir s’ennuyer; d’autant plus que l’ennui cède devant l’énergie, et si vous vous ennuyez depuis longtemps au service de Dieu, c’est que vous aimant d’une manière déplorable vous n’avez pas su vaincre l’ennui, de peur de trop souffrir. Car tout se réduit là. Il faut savoir souffrir pour aller à Dieu; et qui ne sait pas souffrir, ne sait rien, ne saura rien. Mais pour souffrir il faut savoir se haïr, et c’est ce qu’on ne veut pas.

J’ai envisagé l’amour de soi par un point de vue assez restreint. Que serait-ce si je l’étudiais dans ses intentions, au milieu des actions même bonnes, dans vos bonnes oeuvres, dans votre prétention à en avoir le monopole? Vous triomphez, vous qui, les bras croisés, du fond de votre fauteuil vous contentez de juger les autres. Un peu moins de hâte. Qu’est-ce qui fait que vous ne faites rien? C’est que vous vous aimez encore beaucoup, vous vous aimez à la manière des marmottes.

De quelque côté que je prenne l’amour de soi-même, je le trouve détestable. Et pourtant qu’est-ce qui nous remplit, nous fait mouvoir? L’amour de nous-même. Et partout ce fatal amour de soi-même. Il affaiblit, il dégoûte, et prend des formes violentes. Il prend toutes les formes, et tant qu’il sera en nous, l’amour de Dieu ne peut y pénétrer. Choisissons.

Notes et post-scriptum