[Notes de lectures et d’exercices littéraires]

Informations générales
  • TD49.035
  • [Notes de lectures et d'exercices littéraires]
  • Cinquième cahier. Extraits divers. Littérature. Jugements sur divers ouvrages et caractères littéraires. Extraits de l'histoire de l'éloquence tirée de la Rhétorique de Blair.
  • Orig.ms. CU 115; T.D. 49, pp. 35-41.
Informations détaillées
  • 1 AME
    1 ATTENTION
    1 EMOTIONS
    1 ENSEIGNEMENT DE LA LITTERATURE
    1 FORMATION DU GOUT
    1 IDEES DU MONDE
    1 LEGERETE
    1 MORALE
    1 PHILOSOPHIE CHRETIENNE
    1 PSYCHOLOGIE
    1 RHETORIQUE
    2 ALCIBIADE
    2 BOSSUET
    2 BOUFFLERS, LOUIS-FRANCOIS DE
    2 CICERON
    2 CLEON
    2 CRITIAS
    2 DEMOSTHENE
    2 HORACE
    2 LA BRUYERE
    2 LA ROCHEFOUCAULD, FRANCOIS DE
    2 LUXEMBOURG, MADAME DE
    2 LYSIAS
    2 NICOLE, PIERRE
    2 PASCAL, BLAISE
    2 PERICLES
    2 PISISTRATE
    2 PLINE LE JEUNE
    2 PLUTARQUE
    2 QUINTILIEN
    2 ROUSSEAU, JEAN-JACQUES
    2 SALLUSTE
    2 SOCRATE
    2 TACITE
    2 THERAMENE
    2 TITE-LIVE
    2 TRAJAN
    2 VAUVENARGUES
    3 ATHENES
    3 GRECE
    3 MONTMORENCY
  • 1826-1830
  • Paris
La lettre

[A] Vauvenargues.

Ecrivain d’un très bon esprit, plus juste que fin, plus solide que tendre, aussi éloigné de l’élévation de Bossuet que de la profondeur de Pascal, moins vif et moins original que la Bruyère, moins subtil mais plus droit que Larochefoucauld, logicien moins exact et moins fort que Nicoles, mais plus éloquent, digne d’occuper une place distinguée parmi nos moralistes. Il a eu le désavantage de ne point recevoir d’éducation; son style s’en ressent, mais il est d’une candeur admirable. Sa philosophie est basée sur la religion.

[B] Salluste, Tacite, Tite Live.

Salluste, Tacite, Tite Live sont regardés comme les trois grands peintres de l’histoire romaine. Salluste est l’écrivain le plus grand qu’ait produit la littérature latine, sans en excepter Tacite lui-même. Son goût est plus pur que celui de l’historien des empereurs, son expression plus franche, sa pensée dégagée de toute subtilité; l’un creuse plus avant dans les replis du coeur humain, mais avec une sagacité qui devient suspecte à force d’être pénétrante; l’autre s’arrête davantage à des observations dont la solidité se fait d’abord sentir en même temps qu’on ne peut s’empêcher d’en admirer la profondeur. Tacite nous donne le plaisir de deviner avec lui des mystères, dont lui seul pouvait percer l’obscurité, de faire avec lui des découvertes que nous n’aurions pas même soupçonnées. Il crée des énigmes dont il fournit le mot sur-le-champ; et ce mot est souvent un trait de lumière, dont les dernières lueurs se prolongent jusqu’au fond des abîmes les plus reculés, les plus ténébreux des passions humaines. Il nous conduit sur ses traces dans un obscur labyrinthe, dont le fil délié est entre ses mains, et là nous rencontrons à chaque pas de grandes vérités morales qui apparaissent à nos regards comme aux siens, parmi quelques fantômes qui le séduisent et qui nous trompent. Salluste n’étonne jamais notre intelligence et toujours il la satisfait. Jamais il n’est au-dessus de la mesure des idées communes, et toutefois l’on sent qu’il n’appartenait qu’à un génie extraordinaire d’en remplir ainsi l’étendue. S’il ne nous procure jamais le plaisir de deviner, si flatteur pour l’amour-propre, si séduisant pour la malignité, ce plaisir dont la curiosité est d’autant plus avide qu’il en est l’exercice le plus agréable et l’usage le plus délicat, il ne nous inspire jamais aussi cette crainte de nous égarer, compagne inséparable des pensées où le raffinement domine, et cette défiance qui s’attache nécessairement à tout ce qui présente une apparence conjecturale. Les éclats que répand le flambeau de Tacite sont quelquefois plus propres à produire des effets piquants qu’à présenter les objets sous leur véritable point de vue. Salluste marche toujours à la lumière du jour le plus pur et le moins douteux. L’expression du premier emprunte davantage à sa pensée; la pensée du second doit plus à son expression. Ils sont l’un et l’autre de très grands peintres, des coloristes admirables, pleins de vigueur, d’énergie, de verve et de feu, mais non pas exempts de toute manière et de toute affectation. Le style de Tacite a des obscurités, des duretés, des bizarreries que cet écrivain semble avoir recherchées. On reproche à Salluste l’ambition des expressions vieillies et des tournures surannées, une étude de la concision qui semble dérober quelque chose à la phrase même en lui accordant tout le nécessaire, avec une économie qui compte les mots qu’on est parfois tenté de la regarder comme une parcimonie fâcheuse. Tous les deux sont des modèles, puisqu’ils se sont élevés au rang des plus rares génies, mais les hauteurs d’où ils brillent présentent, je crois, plus d’un écueil à l’imitation. Les sentiers qu’ils se sont ouverts et dans lesquels ils ont marché les premiers sont semés d’obstacles et de pièges. Il est toujours périlleux de chercher ses modèles hors des voies communes de l’esprit humain et dans l’ordre des exceptions. On peut appliquer aux deux historiens dont nous parlons ce qu’Horace dit du plus célèbre lyrique de la Grèce. Il faut le suivre de l’oeil avec admiration dans les régions élevées où plane son génie, mais il ne faut point vouloir l’atteindre. Dussault.

Tite Live.

L’éloquence des harangues de Tacite est au-dessus de toute idée, sa gloire, selon Quintilien, est d’avoir atteint Salluste. On [ne] voit pas toujours dans Tite Live la subtile profondeur de Tacite, ni le ton sententieux de Salluste, mais sa diction est facile, naturelle, expressive et magnifique.

On préfère le Catilina de Salluste à son Jugurtha, mais l’avis de Dussault est qu’en cela on préfère le sujet, car le second, prétend-il, est mieux traité que le premier.

[C] Portrait de Boufflers.

Boufflers, dit Rousseau, jeune homme aussi brillant qu’il soit possible de l’être, ne me parut jamais bien disposé pour moi, et non seulement il est le seul de la société de Madame de Luxembourg qui ne m’ait jamais marqué la moindre attention, mais j’ai cru m’apercevoir qu’à tous les voyages qu’il fit à Montmorency je perdais quelque chose auprès d’elle. Il est vrai que, même sans qu’il le voulût, c’était assez de sa seule présence, tant la grâce et le sel de ses gentillesses apesantissaient encore mes lourdes propositions; dès qu’il parut, je fus écrasé sans retour. Avec autant d’esprit il eût pu réussir à tout, mais l’impossibilité de s’appliquer, le goût de la dissipation ne lui ont permis que d’acquérir des demi-talents en tout genre. En revanche il en a beaucoup, et c’est ce qu’il faut dans le grand monde où il veut briller. Il fait très bien de petits vers, écrit très bien de petites lettres, va jouiaillant un peu d’artiste et barbouillant un peu de peinture au pastel. J.J. Rousseau.

[D] Lettres de Pline.

Les lettres de Pline écrites, comme on l’a dit, sous les yeux de la postérité se ressentent trop de l’influence du siècle dans lequel vivait l’auteur. En vain s’est-il efforcé d’imiter Cicéron qu’il prit toujours pour modèle, la décadence des lettres l’entraîne, et on croit pouvoir dire que le mélange de bon et de mauvais goût que forment ses ouvrages les place comme une borne, qui sépare le siècle de la bonne littérature d’avec celle de la littérature corrompue. C’est à tort qu’on a voulu comparer ses lettres à celles de Cicéron. Celui-ci écrivait au moment des plus grands événements de Rome, Pline au contraire sous le règne paisible de Trajan. Il faut donc ne point chercher dans les lettres de ce dernier les traits politiques que l’on trouve dans celles de l’orateur romain.

[E] Extraits de la rhétorique de Blair(2).

Quatrième partie: de l’éloquence.

L’éloquence est l’art de persuader.

On peut distinguer trois degrés dans l’éloquence. Celui de plaire aux auditeurs, ce sont les discours d’apparat où le plus grand écueil est de viser à trop de brillant. Le second est celui où l’orateur doit non seulement plaire, mais encore convaincre; c’est à peu près dans ces limites que se renferme toute l’éloquence du barreau.

Mais l’éloquence exerce toute sa puissance sur l’esprit humain. Alors elle atteint le troisième degré; alors elle nous agite, nous entraîne avec l’orateur, nous intéresse, non contente de nous convaincre; nos passions s’unissent aux siennes, nous partageons toutes ses émotions. C’est surtout dans les assemblées populaires et dans la chaire que brille cette éloquence.

Histoire de l’éloquence, suite du même ouvrage.

Ce fut en Grèce que l’éloquence considérée comme l’art de persuader prit naissance. Ce fut à Athènes qu’elle se distingua surtout, au point qu’elle devint un modèle, et l’on cita le goût attique comme le modèle de tous les goûts. Il fut, il est vrai, altéré par quelques ambitieux démagogues qui ne tendaient qu’à livrer leur patrie, mais aussi vit-on des Démosthène et des Périclès la porter à un degré qu’on ne pourra jamais atteindre.

Ce fut le tyran Pisistrate qui se servit le premier de la parole comme d’un art et par ce moyen il asservit sa patrie. Périclès passa pour le plus grand orateur; son éloquence émut toujours, elle remuait les coeurs, elle entraînait et ne s’appliquait pas à de vains ornements, mais à des arguments pressés. Il mérita le surnom d’Olympien, parce que ses paroles frappaient avec la force et la rapidité de la foudre. Son intégrité le rendit cher au peuple. Après Périclès vinrent Cléon, Alcibiade, Critias et Théramène. C’étaient des orateurs mâles, vigoureux, concis, quelquefois même jusqu’à l’obscurité.

Mais l’on vit bientôt paraître les sophistes, et la décadence de l’art oratoire fut visible. Socrate s’éleva contre eux, il détruisait par des raisonnements clairs toute leur vaine éloquence. Ce fut dans le même temps que parut Isocrate, auteur plein d’harmonie, mais dénué de toute vigueur. L’on a reproché à Cicéron son goût pour Isocrate.

Lysias précéda quelque peu Isocrate, il donna l’exemple du style appelé par les anciens tenuis vel subtilis. Enfin parut Démosthène, il eut pour maître Isée; des travaux et des efforts inouïs lui assurèrent la palme parmi tous les orateurs; quelques-uns et Blair surtout le mettent même au-dessus de Cicéron.

Je cite Blair:

La vie de Démosthène est trop bien connue pour que nous nous y arrêtions ici. Son ardente ambition à exceller dans l’art de la parole, l’insuccès de ses premiers efforts, sa constante persévérance à vaincre tous les obstacles que lui opposait la nature, le courage avec lequel il s’enfermait dans une cave pour que rien ne pût l’arracher à l’étude, ses déclamations sur le bord de la mer avec des cailloux dans sa bouche pour s’accoutumer au tumulte d’une assemblée populaire et en même temps corriger un vice de ses organes, cette épée nue qu’il suspendait au-dessus de ses épaules pour perdre un mouvement disgracieux qu’il était sujet à prendre sans s’en apercevoir: toutes ces circonstances que nous apprend Plutarque doivent encourager ceux qui se livrent à l’étude de l’éloquence, et nous prouvent que l’application peut nous faire atteindre à une supériorité à laquelle la nature semblait nous avertir de ne jamais prétendre.

Goût. Critique. Génie.

Le goût est produit par un sens interne; le goût n’est point arbitraire, mais se reconnaît à l’opinion universelle des gens instruits et dépouillés de toute prévention.

La critique est l’application du goût, elle est fondée sur la nature et s’est formée d’après certains chefs-d’oeuvre de l’esprit humain que l’on est convenu de prendre pour règle. Le génie est la faculté de créer les chefs-d’oeuvre, comme le goût est celle de les juger. Le goût devrait toujours accompagner le génie, mais il peut s’en séparer.

Du sublime dans les objets et dans l’éloquence.

Le sublime dans les objets naît de l’immensité et de l’absence de limites, soit en longueur, soit en profondeur, soit en hauteur. Il naît encore de la hardiesse comme une des impressions terribles; l’obscurité l’imprime quelquefois.

Dans les sujets de littérature il naît dans une image vive et au-dessus de nous, peinte simplement. Dans ces occasions l’abondance et la diffusion nuisent toujours. Le sublime plaît, parce qu’il élève l’âme dans une sphère supérieure à la sienne et qu’il semble la placer à un degré plus haut.

De la Beauté.

Il est encore dans la nature, comme dans l’éloquence et dans la poésie, d’autres causes de plaisir. Comme la beauté qui est cependant éloignée du sublime, comme la beauté peut… [inachevé].

Notes et post-scriptum
1. J.J. Dussault (1769-1824). Sous le titre *Annales littéraires*, 5 vol., 1818-1824, il réunit ses articles du *Journal des Débats*. Il s'intéressa notamment au genre oratoire et contribua à l'édition de classiques latins.
2. Le *Cours de rhétorique et de belles-lettres* publié en anglais en 1783 par Hugh Blair, avait été traduit en français.