Notes diverses.

Informations générales
  • TD49.059
  • Notes diverses.
  • [Réflexions sur la vie]
  • Orig.ms. CU 120, pp. 9-12; T.D. 49, pp. 59-61.
Informations détaillées
  • 1 AMITIE
    1 AMOUR DES AISES
    1 BUT DE LA VIE
    1 CREATURES
    1 DESIR
    1 ETRE HUMAIN
    1 MISERES DE LA TERRE
    1 MORT
    1 REVE
    1 SENSIBILITE
    1 SOUFFRANCE SUBIE
    1 TRISTESSE
    1 VIE HUMAINE
    2 BOSSUET
    2 PASCAL, BLAISE
  • 1829-1830
  • Paris
La lettre

[A]

Oh! que c’est une triste chose que la vie! Quel lourd fardeau que les jours qui s’écoulent, lorsque le coeur est déchiré par un chagrin né d’une espérance déçue! Comme il paraît peu de chose l’homme abattu par la vue d’un bien qu’il avait désiré et qu’il ne peut avoir! Encore si c’était quelque chose de grand, quelque chose d’infini comme son amour! Mais non, ce n’est que peu de chose, presque rien, ce n’est qu’un autre rêve misérable comme lui.

Eh bien, pauvre créature, en présence de ce que tu désires, tu as faim et tu ne peux pas te rassasier. Non, non, il faut que tu souffres parce que tu as osé désirer quelque chose. Tu savais bien – et on te le redisait sans cesse – que la nourriture de ton coeur était le doux épanchement d’un ami, et tu as fait selon qu’on te disait. Tu y as entrevu le bonheur et tu l’as désiré plus vivement encore, et l’espoir d’être heureux s’est aggravé en toi. Tu as été trompée. L’amitié pour toi ne s’en est pas allée avec les années. Avant de naître elle s’est flétrie, son bouton desséché est retombé sur ton sein, et tu es devenue triste, comme si quelque malheur inattendu t’eût frappée. Et tu ne savais pas que telle est la destinée de l’homme, que sa vie n’est qu’une chaîne de déchirantes déceptions, que partout l’erreur de la nuit l’entoure et que, parce qu’il croit voir quelque chose dans cette nuit, il court après et il est trompé.

Pauvre créature, erreras-tu donc toujours au milieu de déserts arides, sans guide et sans lumière? Ne poseras-tu jamais le pied que sur un sable mouvant? Et cette source de pures délices après laquelle tu cours sans cesse, sans cesse, sans cesse, fuira-t-elle devant toi comme une illusion méchante?

Pauvre égarée, regarde donc un peu. Tu vois devant toi le bonheur, mais n’en serait-ce pas seulement la triste image, après laquelle tu t’épuises en vain, parce que l’ombre fuit avec toi? Ah! crains, si tu tardes longtemps à reconnaître que tu n’as pas bien vu, crains ou que la mort ne te surprenne errant ainsi, ou que tu ne parviennes en un endroit d’où tu apercevras bien ton véritable but, mais d’où il ne te sera plus donné de l’atteindre(1).

[B]

Qu’est-ce que la vie? Qu’est-ce que l’homme? se demandent de siècle en siècle les générations qui passent et vont s’engloutir dans la mort? A cette question j’entends tous les génies enfantés par ce monde répondre par des gémissements prolongés, qui vont se confondant avec les gémissements de la foule tour à tour précipitée dans l’abîme. Si je prête l’oreille aux plaintes de ceux qui ont été inspirés par le souffle divin, je les entends s’écrier: Pourquoi la lumière a-t-elle été donnée aux misérables, et la vie à ceux qui sont dans l’amertume du coeur, qui attendent la mort – et elle ne vient pas – comme si leur existence, qui commencée le matin se termine le soir était trop longue pour le poids de leurs misères? Si la vie est si triste, si amère, qu’est-ce donc que le malheureux qui en est accablé? Qu’est-ce que l’homme? Un esprit qui s’en va et ne revient point. Ses jours sont comme l’herbe, sa fleur est comme celle des champs. Un souffle passe, il n’est plus. Suivez les peuples à la trace de leurs larmes, depuis les anciens temps jusqu’aux temps les plus rapprochés, et voyez Bossuet effrayé par le poids invincible, par la force invincible qui l’accable, qui l’entraîne en présence de l’effrayante vision du temps, qui crie à tous: « Marche, marche! » déplorer le sort de ceux qui se consolent pourtant, parce qu’ils cueillent quelques fleurs qu’on perd en les goûtant; écoutez-le parler de la mort devant la tombe des rois, méditant sur ce qu’a été un cadavre, comme il le dit lui-même. Ecoutez Pascal vous parler de ce roseau le plus faible de la nature.

[C]

Il semble bien souvent que les leçons de certains hommes ne puissent être écoutées, lorsqu’ils parlent de la rapidité de la vie, parce qu’ils ne connaissent pas encore la mort, parce qu’ils ne sont pas encore descendus dans la fosse et que le ver impur ne ronge pas et la bouche d’où sont sorties les plus terribles menaces, et le suaire qui l’enveloppe, et le cercueil qui le renferme.

Notes et post-scriptum
1. Lorsque je fis ces lignes, j'étais triste comme un bonnet de nuit. (Réflexion de l'auteur).