Notes diverses.

Informations générales
  • TD49.070
  • Notes diverses.
  • *Un classique* [et autres essais littéraires].
  • Orig.ms. CU 120, pp. 22-24; T.D. 49, pp. 70-71.
Informations détaillées
  • 2 NAPOLEON III
    2 POLYBE
  • 1829-1830
  • Paris
La lettre

[A]

Et je vis un individu bien long, bien maigre, qui se disait classique pour être quelque chose. Or cet individu se croyait de l’esprit, ce qui lui était le peu qui pouvait être dans sa tête. Quand quelque beau passage était là, il était froid, ses yeux se fermaient, ses mains comme de longues antennes pendaient et il bâillait. Mais un mot un peu aventuré ne se prononçait pas sans qu’il s’arrachât à sa léthargie. Alors ses jambes en haut-bois tournaient autour de sa chaire, son corps en S, ses bras contournés me faisaient penser à ces machines crochues décrites par Polybe et avec lesquelles les lourds vaisseaux des Romains paralysaient la vitesse des trirèmes carthaginoises. Sa tête, son visage faisaient des grimaces que je ne décrirai pas, parce qu’elles changeaient trop souvent. Et il se retournait vers l’assemblée, et l’assemblée riait de ses grimaces, et lui croyait qu’il riait parce qu’il avait ri.

Il était de la trempe de ceux qui trouvent qu’un drame, qui a fait parler beaucoup, était mauvais parce qu’il y avait un roi dont les courtisans parlaient comme on ne parlait pas à la cour de Bonaparte. Il était évident que la poésie, l’intrigue, les caractères, rien n’était tolérable: l’auteur était un imbécile, il ne connaissait pas l’étiquette.

Or il me semble que si tous les membres de l’assemblée eussent eu comme un homme de la fabrique de Vulcain, une fenêtre près du coeur ou au côté gauche de la poitrine, on a vu chez un grand nombre de ces gens en regardant par la fenêtre et en cherchant ce qu’ils pensaient dans leur coeur, qu’ils n’en avaient pas, qu’il n’y avait que la poitrine, ce qui les excusait du reproche qu’on leur faisait de déguiser leur émotion, quand ils assuraient qu’un passage admirable ne disait rien. Le reproche alors, certes, était évidemment mal fondé.

[B]

Un enterrement encore, une âme de moins de celles qui paraîtront devant Dieu avant que mon tour vienne.

[C]

Lorsque après de longues marches les feux voisins nous annoncent pendant la nuit, l’approche de l’ennemi et que la trompette saluant l’aurore excite le cavalier et son cheval à bien faire pendant la mêlée, alors mon coeur s’enflamme, et mon épée avide de sang sort brillante de son fourreau et lutte par son éclat avec les rayons du soleil; alors je m’élance sur mon coursier et j’attends impatient le moment du combat; alors je m’élance sur mes ennemis, et cette seule pensée m’agite, et je veux donner aux corbeaux et aux bêtes féroces beaucoup de cadavres à dévorer, je veux baigner mon coursier dans le sang et ne trouver la mort que sur des monceaux d’ennemis.

Mais quand l’ennemi a fui sous nos coups, quand mon épée ivre de sang rentre dans le fourreau, quand mon cheval épuisé se soutient à peine par le désir de la gloire, alors j’attache mon coursier à un arbre, je pose près de moi mon casque, et aux pâles clartés de la lune voilée par une vapeur sanglante, au déchirant concert des mourants, au bruit des âmes qui s’exhalent, aux battements des ailes des oiseaux funèbres longtemps privés de pâture humaine, si je contemple mon ouvrage, mon coeur tressaille, et mes soupirs se mêlant aux soupirs des blessés, je me demande quels sont les doux fruits de la victoire.

[C]

Qu’est-ce que les montagnes? Est-ce la ville des morts d’un peuple de géants? Sont-ce les décombres de la création? Sont-ce les flots du chaos qui restèrent immobiles, quand la parole du créateur enfanta la terre?

Notes et post-scriptum