Notes diverses.

Informations générales
  • TD49.078
  • Notes diverses.
  • Réponse de Malebranche au Père Lami(1).
  • Orig.ms. CU 120, pp. 33-35; T.D. 49, pp. 78-80.
Informations détaillées
  • 1 BONHEUR
    1 CHARITE ENVERS DIEU
    1 DEPASSEMENT DE SOI
    1 GRACES
    1 HAINE CONTRE DIEU
    1 MISERICORDE DE DIEU
    1 ORGUEIL
    1 PERFECTIONS DE DIEU
    1 SOUMISSION DE L'ESPRIT
    1 VOIE UNITIVE
    2 BONALD, LOUIS DE
    2 LAMI, FRANCOIS
    2 MALEBRANCHE, NICOLAS
  • 1830-1832
  • Lavagnac
La lettre

La question de l’amour désintéressé ne me paraît douteuse qu’à ceux [= que pour ceux] qui n’ont pas compris la nature de l’amour. On ne doit pas aimer Dieu, dit-on, parce qu’il nous fera du bien, mais parce qu’il est parfait. Une des perfections de Dieu n’est-ce pas la bonté? La bonté parfaite, infinie, ne consiste-t-elle pas à faire un bien infini? Si donc nous l’aimons parce qu’il est infiniment parfait, nous l’aimons parce qu’il est infiniment bon, nous l’aimons parce qu’il procure un bien infini, nous l’aimons parce qu’il nous rend infiniment heureux.

De plus, l’amour ne me semble autre chose que l’union de l’âme avec ce qui lui paraît bon, parce qu’elle en attend un bien. Or ce qui est bon peut-il produire le mal? Je ne le pense pas. Si donc, Dieu est infini parce qu’il est bon, il est impossible qu’on s’attache à lui, même indépendamment du bien qu’on en attend, puisqu’il ne peut nous donner que de sa bonté et que nous ne nous attachons à lui qu’à cause d’elle.

Voyez le monde et dites si vous avez jamais aimé quelqu’un, chrétiennement ou non, que vous n’ayez été prévenu par quelque bien que vous en attendez: beauté, richesses, dignités, science, gloire, peu importe. Et vous voulez aimer Dieu pour lui seul! C’est un orgueil atroce, c’est déclarer que vous êtes indépendant de lui, que vous pouvez être quelque chose sans lui, que vous ne lui devez pas tous les biens dont vous avez joui jusqu’à ce jour, qu’en le laissant vous pourriez être heureux. Car la question se réduit là: pouvez-vous être existant seulement sans aimer Dieu, ou plutôt ne vous enfouissez-vous pas dans le malheur à mesure que croît votre haine pour lui? Or si vous ne pouvez trouver que malheur tant que vous ne l’aimerez pas, force vous est, convenez-en, au moins de ne pas le haïr pour n’être pas malheureux. Je dis plus. Ordinairement cette parole, un tel m’a fait du mal, n’équivaut-elle pas à celle-ci: Je voudrais bien lui rendre le mal qu’il m’a fait, c’est-à-dire: Je le déteste? Et si la première de ces idées n’est pas toujours suivie de la seconde, n’est-ce pas parce que la loi d’amour a étouffé toutes les haines en commandant à l’homme de ne pas haïr un petit mal, en lui faisant aimer un grand bien?

Le parfait amour me paraît consister non pas à s’attacher à quelqu’un, parce qu’il donnera le bonheur, mais à chercher un plus grand bonheur dans une plus grande perfection.

Cette expression: J’aime d’être avec vous, n’est-elle pas synonyme de celle-ci: Je suis heureux auprès de vous? Or ce que l’on dit relativement à la présence d’une personne ne se dit-il pas en parlant absolument? N’exprimerai- je pas une même pensée, lorsque je dirai: Je vous aime, ou bien: Vous me rendez heureux, ou, pour mieux faire comprendre sa pensée: Vous produisez en moi de l’amour pour vous, ou bien: Vous ne causez du bonheur? L’amour est le motif, le bonheur est le résultat. Enfin, pour terminer par une forme [= formule] de M. de Bonald: Dieu est la cause, l’amour le moyen, le bonheur l’effet.

Notes et post-scriptum
1. Accusé de quiétisme par le P. Lami (Mauriste, 1636-1711), Malebranche riposta par un *Traité de l'Amour de Dieu*, 1697.