Notes diverses.

Informations générales
  • TD49.082
  • Notes diverses.
  • [Sur le devoir de ramener l'humanité au christianisme]
  • Orig.ms. CU 120, pp. 38-44; T.D. 49, pp. 82-88.
Informations détaillées
  • 1 ADOLESCENTS
    1 ANGLICANISME
    1 APOSTOLAT
    1 AUGUSTIN
    1 AUTEURS SPIRITUELS
    1 CALVINISME
    1 CATHOLIQUE
    1 CHOIX
    1 CHRISTIANISME
    1 CLERGE LATIN
    1 CONNAISSANCE
    1 CONVERSION SPIRITUELLE
    1 CONVERSIONS
    1 CORRUPTION
    1 DESINTERESSEMENT DE L'APOTRE
    1 DESIR
    1 DEVOIRS DE CHRETIENS
    1 DEVOIRS DE L'HOMME
    1 DOCTRINE CATHOLIQUE
    1 ECRITURE SAINTE
    1 EGLISE
    1 ENGAGEMENT APOSTOLIQUE DES LAICS
    1 ENNUI SPIRITUEL
    1 ENSEIGNEMENT DE L'ECRITURE SAINTE
    1 ENSEIGNEMENT DE L'HISTOIRE
    1 ENSEIGNEMENT DE L'HISTOIRE ECCLESIASTIQUE
    1 ENSEIGNEMENT DU DOGME
    1 FIDELITE A LA GRACE
    1 JEUNESSE
    1 LUTTE CONTRE LE MONDE
    1 MATERIALISME
    1 MAUX PRESENTS
    1 PEUPLE DE DIEU
    1 PEUPLES DU MONDE
    1 PIETE
    1 POLEMIQUE
    1 PROFESSEURS D'UNIVERSITE
    1 PROTESTANTISME ADVERSAIRE
    1 REDEMPTION
    1 RETOUR A L'UNITE
    1 SALUT DU GENRE HUMAIN
    1 SANG DE JESUS-CHRIST
    1 SOCIETE
    1 SOLITUDE
    1 THEOLOGIENS
    1 VOLONTE DE DIEU
    1 VOLONTE PROPRE
    1 ZELE POUR LE ROYAUME
    2 ANTOINE, SAINT
    2 BOSSUET
    2 CALVIN, JEAN
    2 JEAN, SAINT
    2 JONAS, BIBLE
    2 LUC, SAINT
    2 MATTHIEU, SAINT
    2 PACOME
    2 VOLTAIRE
    3 ALLEMAGNE
    3 ANGLETERRE
    3 BABYLONE
    3 FRANCE
    3 GENEVE
    3 GOMORRHE
    3 NINIVE
    3 SCETE
    3 SODOME
    3 THEBAIDE
  • 1832-1833 ?
  • Montpellier
La lettre

[Exercice de séminaire à Montpellier?]

Que penseraient des jeunes gens à qui l’on viendrait dire: on vous a souvent parlé de vos devoirs, Messieurs, mais on a presque toujours oublié de vous parler de celui qui aujourd’hui est de tous le plus essentiel peut-être, le devoir de ramener l’humanité au christianisme? car telle est votre mission. Il y a deux moyens de se préserver du naufrage: ou de ne point affronter les flots, ou de lutter contre les vents et d’en triompher. Le premier moyen semble d’abord le plus sûr. Mais si l’on vient vous dire, à vous pauvre exilé qui sur une plage lointaine appelez la patrie des voeux les plus brûlants; si on vous dit que pour y arriver force vous est de vous livrer à la mer; si même l’on vous dit que vous n’êtes pas libre et que, chassé de l’asile que vous avez choisi, il faut absolument partir, que vous reste-t-il à faire qu’à acquérir une connaissance assez grande des étoiles pour vous guider à leur lumière, des écueils pour les éviter, de la manoeuvre pour diriger votre barque?

Or telle est aujourd’hui, Messieurs, votre position. Vous n’êtes plus libres d’éviter les dangers du monde. Un seul refuge vous est ouvert, la solitude absolue. Mais s’il fut un temps où cette réponse fut permise, j’ose dire qu’elle ne l’est plus aujourd’hui. Quand le christianisme parut sur la terre, la société était trop corrompue pour mériter une régénération. Dieu ordonna la dissolution du cadavre, et, appelant du Nord et du Midi des peuples vierges à la connaissance de l’évangile, cria, comme autrefois les prophètes aux Israélites captifs: Sortez de Babylone, mon peuple. Alors, du sein de l’édifice chancelant on vit s’enfuir vers le désert les chrétiens emportant les espérances de la foi, comme on voit fuir d’une masure ébranlée les oiseaux qui y trouvaient un asile. Alors les déserts de la Thébaïde se peuplèrent. Alors Scété brilla de toute sa gloire. L’Eglise, cette femme que l’Apocalypse nous peint fuyant au désert, semblait s’être cachée avec les Pacôme et les Antoine. Mais ce temps fut court, et quand l’invasion eut balayé la poussière de la corruption antique, l’Eglise rappela ses enfants et leur ordonna de s’emparer de la société, soit en défrichant les terres que les malheurs des temps avaient rendues incultes, soit en conservant le flambeau de la science presque éteint par le souffle des tempêtes civiles, soit enfin en ramenant dans les coeurs des Barbares la notion de charité que tant de catastrophes et tant de destructions avaient comme anéantie.

Aujourd’hui, Messieurs, votre position est bien différente. Rien ne permet de croire que Dieu veuille abandonner la société, comme il l’abandonnait, il y a quinze siècles, et, quoique les crimes dont la terre est souillée appellent un châtiment semblable à celui de Sodome et de Gomorrhe, nous avons ce que ces deux villes n’avaient pas. Nous avons le sang du Juste, dont le prix l’emporte sur toutes les iniquités, et ce sang précieux, bouillonnant sans cesse sur les autels, que demande-t-il sinon de se répandre et de laver toutes les souillures. Loin de se dissoudre, la société marche vers une régénération nouvelle, et tous les grands esprits, qui, comme on l’a dit de notre grand Bossuet, savent voir de loin parce qu’ils se placent à une grande hauteur, saluent cette régénération alors qu’ils n’espèrent pas en jouir.

Jetez les yeux autour de vous et voyez d’abord l’Angleterre, dont l’Eglise nationale soutenue pendant trois siècles par les efforts d’une aristocratie puissante, s’ébranle et tombera bientôt avec cette même aristocratie, tandis que sur tous les points de ce royaume s’élèvent de nouveaux autels, où s’immole le véritable sacrifice et autour desquels se presse la foule toujours croissante des nouveaux catholiques.

Suivez le même spectacle dans l’Allemagne, et d’abord admirez comme l’indifférence y a confondu, amalgamé toutes les sectes jusque dans leur sein. Des esprits conséquents, marchant à grands pas vers les limites de l’erreur, déclarent que les membres de la Réforme sont à bon droit appelés protestants, parce que la religion pour eux se résume dans une protestation complète, absolue de la raison contre toute autorité. Ecoutez-les crier sans cesse: « La Bible, toute la Bible, rien que la Bible! » Et voilà que s’emparant de la Bible ils la mutilent, la tronquent, y ajoutent, en retranchent selon leur caprice et selon ce qu’ils appellent la raison.

Pour les uns la Genèse n’est qu’un mythe, comme les cosmogonies des autres peuples. Pour d’autres, les Psaumes ne sont qu’un recueil de chants populaires. Ceux-ci trouvant dans les premiers chapitres de saint Mathieu et de saint Luc des preuves trop frappantes de l’incarnation du Verbe, les suppriment en entier. D’autres, ne veulent que l’évangile de saint Jean, d’autres encore excluent absolument celui-ci. N’est-il pas dit qu’au commencement le Verbe était et que le Verbe s’est fait chair? Et comment une pareille doctrine s’allierait-elle avec celle de ce professeur d’exégèse, qui a prétendu prouver, oserai-je le dire? – qui a prétendu prouver que Jésus n’était qu’un simple rabbin de campagne? Enfin, il s’en trouvera pour dire que des quatre évangiles aucun n’est authentique. A leur avis ce sont autant de pâles imitations d’un évangile primitif, dont l’original est depuis longtemps perdu.

Quand on en est venu à de pareilles assertions dont je vous laisse tirer les conséquences, on sent bien que le principe religieux échappe entièrement et qu’une secte qui en est venue là n’est plus même une secte. Car ne pensez pas que je vous parle des rêves de quelques hérétiques inconnus, je ne fais que vous répéter une faible partie des questions que traitent actuellement dans les universités protestantes les professeurs entourés et applaudis de la jeunesse destinée un jour à prêcher la Bible ainsi défigurée.

Aussi, de toutes parts, dans ces mêmes contrées, sent-on un mouvement opposé, une tendance vers le catholicisme. Le bon sens des peuples leur apprend que la vérité n’est pas là, et de nombreuses conversions en font présager de plus nombreuses encore, lorsque dans ces contrées un clergé pieux, savant, désintéressé, populaire, tel en un mot qu’il se prépare au milieu de déplorables exceptions sans doute, quand, dis-je, le clergé tendra la main à ces intelligences défaillantes.

Parlerai-je de la ville de Calvin, où l’on déclare que l’on a pour Jésus-Christ plus que du respect, sans oser définir le respect que le Fils de l’homme inspire aux docteurs réformés, et où par mesure de prudence et pour éviter des discussions inutiles sans doute, on défend aux ministres de traiter en chaire les questions dogmatiques?

Quelle est cette religion qui redoute si fort de regarder les bases sur lesquelles elle est assise? Craint-elle de découvrir qu’elle repose sur le vide, et que tout appui lui étant enlevé bientôt elle s’engloutira dans le gouffre qu’elle a pris pour fondement? Un homme d’une grande expérience et dont la vue presque inspirée a découvert avant le temps des grands événements déjà réalisés, promettait le triomphe prochain de la vérité dans la capitale de l’erreur. « Si l’on vient vous dire écrivait-il dans son style énergique, qu’avant la fin du siècle on chantera la messe à Saint Pierre de Genève, répondez: Pourquoi pas? » Et en effet Genève prend tous les jours un aspect nouveau, et sans oser être aussi positif que l’écrivain dont je citais les paroles, on peut affirmer que la Réforme y a déjà reçu le coup mortel, et il ne s’agit que de savoir combien de temps encore elle luttera contre le trépas.

Et maintenant, si nous portons nos regards sur notre France, que voyons-nous? Sans doute de grandes calamités, de grandes erreurs et d’effrayants désordres; mais faites la part que réclame le mal dans chaque siècle, – et sans doute cette part est grande -; ne vous arrêtez pas aux excès des partis, excès qui se sont produits à toutes les époques, mais pénétrez le mouvement qui pousse les esprits capables d’agir sur l’humanité, et vous serez étonné d’y découvrir non pas la foi sans doute, mais une grande lassitude de tout ce qui les entoure. On est blasé, pour me servir de l’expression du moment. Et que présage ce malaise universel, sinon le désir de revenir à quelque chose de mieux? Les hommes ont tenté tout ce que le monde matériel pouvait leur offrir de plaisirs et de distractions, tout ce que l’imagination pouvait fournir de pâture à leurs rêveries, et les plaisirs des sens les ont fatigués, et ils ont senti pour leur âme la nécessité d’une nourriture plus positive que des rêves. Déjà ils se tournent vers Dieu. Malgré les sarcasmes de Voltaire, la Bible fait les délices d’un grand nombre. Les pieux épanchements de l’auteur de l’Imitation adoucissent bien des plaies, ramènent à Dieu bien des coeurs blessés. Les Confessions de saint Augustin sont entre les mains d’une foule de ces malheureux jeunes gens qui ont frappé à toutes les portes, et qui retrouvent dans la première partie de ce livre leur propre histoire. Ah! disait, il y a quelques années, un de ces hommes qui sans être catholiques appellent la vérité de tous leurs voeux et qui pleurent, je le sais positivement, de ne pouvoir croire, si vous descendiez dans la profondeur de nos âmes, vous ne savez pas ce que vous y trouveriez de tristesse et de respect pour la religion.

Messieurs, ces paroles sont d’autant plus importantes qu’elles étaient prononcées au nom d’une portion considérable de la jeunesse française, de cette jeunesse qui était égarée sans doute, mais qui montrait une soif ardente du vrai. Il me serait facile de multiplier les exemples, mais vous apprendraient-ils autre chose [que] ce que [vous] voyez tous les jours. Tirez seulement la conclusion et vous saurez ce qu’il vous reste à faire.

Placés en des circonstances pareilles, pensez-vous qu’il vous soit loisible de travailler seulement pour vous, de vous mettre à l’écart, et, de peur de tomber au sein de la corruption, de faire une solitude autour de vous? Non, vous ne le pouvez pas. Les flots du siècle vous entourent de toute part, ils vous poussent de tous côtés. Ici ce sont les livres, là les journaux; et quand vous vous serez mis à l’abri des journaux et des livres, éviterez-vous les conversations(1)?

Non, évidemment non, à moins que vous vous retranchiez dans une retraite telle que vous deveniez inutile aux autres et à vous-même.

Je sais qu’il ne faut point chercher le danger, et qui le cherche périra. Mais je sais aussi que Jonas attira sur lui la colère du Seigneur pour avoir refusé d’aller prêcher la pénitence dans Ninive. Or je ne crains pas de le dire et quelque extraordinaire que ma proposition paraisse à certains esprits, la position des jeunes catholiques en France est semblable à celle du prophète des miséricordes. Comme Jonas, pendant longtemps, elle a refusé pendant quinze ans la mission sublime à laquelle Dieu l’appelait; elle s’est cachée dans des associations pieuses sans doute, mais où elle dépensait un zèle qui exigeait un plus grand théâtre; elle a espéré y trouver un asile. Plusieurs se sont réfugiés dans le vaisseau de l’Etat. Presque tous enfin ont manqué à la voix de Dieu. Et voilà que le Seigneur soulevant une effroyable tempête, a brisé le vaisseau refuge des uns, a arraché les autres de leur asile et les a, malgré eux, mis en face des peuples qu’ils sont appelés à régénérer. Refuseront-ils encore d’obéir? Ah! qu’il n’en soit pas ainsi! Car qui pourrait dire alors les maux dont nous serions menacés(2)?

Votre position est belle, Messieurs, telle peut-être que Dieu ne la fit jamais à aucune génération. Car par votre position seule, et sans parler des dons particuliers de chacun, vous pouvez dire qu’il vous a été confié à tous non pas un talent, non pas trois talents, mais cinq talents et peut-être plus encore. Fortifiez-vous donc dans la foi, afin de la rendre à ceux qui l’ont perdue. Dilatez vos coeurs par une charité immense, immense comme les misères dont vous êtes entourés, et concevez une grande espérance, car si vous le voulez, l’avenir est à vous.

Après avoir montré la nécessité de travailler à ramener la société, il faut montrer comment il faut s’y prendre pour atteindre ce but, et montrer pourquoi les jeunes gens plus qu’aucun autre.

Notes et post-scriptum
1. On pourrait ajouter que l'intérêt personnel exige qu'on travaille pour se prémunir du mal qui perce par tous les côtés.
2. Développer cette idée par rapport aux peuples qui demandent la lumière et par rapport à l'Eglise qui demande des enfants.