[Comptes-rendus d’ouvrages à la Société des Bonnes Etudes]

Informations générales
  • TD49.090
  • [Comptes-rendus d'ouvrages à la Société des Bonnes Etudes]
  • Rapport sur le voyage à la Guerche par M. de la Gournerie. Commission composée de Messieurs d'Ortigues, Lubiensky et d'Alzon, rapporteur.
  • Orig.ms. CU 121; T.D. 49, pp. 90-94.
Informations détaillées
  • 1 AMITIE
    1 BEAU LITTERAIRE
    1 RECONNAISSANCE
    2 ALZON, EMMANUEL D'
    2 FLORIAN
    2 LA GOURNERIE, EUGENE DE
    2 LUBIENSKI, SEVERIN
    2 MOLIERE
    2 ORTIGUES, D'
    2 SOREL, AGNES
    3 BRETAGNE
    3 GUERCHE-DE-BRETAGNE, LA
  • 1829-1830
  • Paris
La lettre

Messieurs,

Molière a dit:

On peut être honnête homme et faire mal les vers.

Je me permets de commenter et je dis: On peut être honnête homme et n’en pas faire du tout. Depuis que force ne m’est plus, ainsi que me l’avait appris mon professeur de rhétorique, de tirer 5 barres sur mon cahier pour former 6 colonnes, et sur ces colonnes d’écrire deux ou trois syllabes, suivant que la mesure exige un anapeste, iambe ou trochée, et de faire 10 vers par heure sous peine d’en copier 1000; en un mot, depuis que j’ai laissé à la postérité naissante, comme de dures et soporifiques prémices des misères de l’humanité, professeurs, toges, chaires, table d’étude, bancs déclassés, enfin tout l’attirail universitaire, voire même les vers latins, je me suis soigneusement appliqué à mettre en pratique la belle et profonde maxime de Molière, commentée et expliquée par moi comme vous savez. Aussi depuis ce temps

De triste et méchant souvenir,

Sombre page de mon histoire,

comme disait M. de La Gournerie, je puis en toute conscience me rendre le témoignage que je ne me suis jamais surpris occupé de la fabrication d’un vers, et que je me suis défendu de la simple velléité d’en faire comme d’une mauvaise pensée.

Aussi, Messieurs, personne de plus surpris que moi, lorsque j’ai entendu prononcer mon nom comme membre d’une Commission chargée d’examiner une pièce de vers, et lorsque la Commission s’étant réunie les occupations nombreuses de mes collègues m’ont forcé d’accepter le soin de vous communiquer ses observations. Florian, il est vrai, dit quelque part:

Messieurs, je siffle et je ne chante pas.

Mais Florian avait de quoi siffler, quand ce n’eût été que lui-même. Mais moi qui sifflerai-je? Je n’ai pas fait de vers; et puis, je suis sûr, pour en revenir à mes collègues, que vous m’en voudrez beaucoup de n’avoir pas laissé de nouveaux membres faire une plus ample connaissance avec vous. Vous m’en voudrez beaucoup surtout de n’avoir pas forcé M. d’Ortigues de vous prouver qu’il était aussi bon juge en poésie qu’en musique.

Messieurs, j’ai par devers moi pourtant quelques motifs de monter à cette tribune, ne fût-ce que par reconnaissance. J’ai reçu un exemplaire du Voyage à la Guerche, sur lequel on avait écrit: « A mon jeune et excellent ami Emmanuel d’Alzon, témoignage d’affection et d’estime. Eugène de la Gournerie ». Vous comprenez, Messieurs, que mon excellente jeunesse, mon affection et mon estime réciproque pour l’auteur du Voyage ont été touchées et se sont crues obligées de le témoigner, en lui indiquant tant bien que mal les moyens de rendre son oeuvre plus parfaite encore.

Monsieur de la Gournerie, quelques jours après le mariage d’un de nos amis communs, alla avec plusieurs personnes qui comme lui avaient été invitées à cette fête

… Un vendredi matin,

Le jour de la Saint-Bubolin,

Avec le plaisir pour boussole,

Et pour cocher Monsieur Marin,

visiter l’antique château de feu Agnès Sorel. M. de la Gournerie avait déjà à ses compagnons de plaisir fait connaître son talent pour la poésie. De nombreuses sollicitations pour lui demander des vers sur le manoir du bon vieux temps lui prouvèrent qu’on appréciait son talent. Pour se rendre aux voeux de son admirateur, le poète invoque sans doute

De la Guerche le vieux génie

Levant sa tête rajeunie

Aux douteuses clartés du soir.

Sans doute il le pria de lui dire:

Quel est ce débris d’un autre âge

Hôte des temps qui ne sont plus,

Vieux souvenirs de vasselage,

De hauts faits, de tendre servage,

Et de plaisirs, et de vertus,

Et qui dans ces temps de sophisme,

De froids calculs, d’égalité,

Semble un vivant anachronisme,

Un oubli de l’antiquité.

La pièce commence par une peinture des voyageurs ou promeneurs, comme il vous plaira. Bien que ce tableau offre moins d’intérêt à ceux qui ne connaissent pas les acteurs, il mérite notre attention. On y admire cette fleur,

Qui chaque jour embellie,

Montre à tous les yeux sa blancheur,

Sans se douter qu’elle est jolie.

Mais pourquoi nous montrer le héros de la fête, qui:

Les yeux braqués sur sa bergère,

Gai chevalier, le coeur épris,

Songe à peine à notre voyage,

Heureux comme on l’est à tout prix

Le lendemain du mariage.

A quel prix était-il donc heureux? Nous plaignons de tout notre coeur

Apollon et sa voix charmante

Avec les jambes de Vulcain.

Mais on a paru peu se soucier de savoir

S’il marche clopin-clopant;

Quoique quelques personnes aient été bien aises d’être

Sûres que lorsqu’il chante,

Il va toujours droit son chemin.

Nous aimons surtout, nous nous plaisons à contempler dans toute sa joyeuseté:

Une grotesque figure

A la poétique encolure,

L’air épanoui comme un roi,

Qui chantant à rompre la tête

Ressemble à Momus en goguette.

Nous souhaitons à Monsieur de la Gournerie beaucoup de goguettes de ce genre, dût-il, au lieu de Pégase, venir encore:

Au beau milieu des bois

Chercher plus modeste monture

A grande oreille, à gauche allure.

Mais sur quoi était-il donc monté, quand il chantait:

Doux souvenirs, etc.

C’est par ces chants que Monsieur de la Gournerie prélude, mais pressons-le un peu dans son déjeuner, il a de si jolies choses à dire encore. Le voilà arrivé devant le but de son pèlerinage. Je ne sais s’il est aussi pieux que ceux de Bretagne, mais enfin l’y voilà.

Mais quel est…

…………….

Il nous conduit d’un pas rapide.

Mais nous autres qui n’avons pas le temps de le suivre, nous demanderons seulement à l’auteur comment Agnès s’arrangeait pour résider au milieu de gais festons, quand elle y résidait, et nous nous retirons en tirant comme l’auteur cette moralité de notre voyage.

Ferons-nous encore à l’auteur une observation littéraire? En s’adressant à la personne, à qui il a dédié cette pièce, il dit:

Vous dont la bonté m’encourage;

Et quelques vers plus bas:

Et vous, dont la bonté m’inspire.

Nous ne doutons nullement que le désir de plaire à une dame n’ait fort encouragé M. de la Gournerie. Nous doutons encore moins, – ce serait impossible – qu’il ait été inspiré n’importe par qui. Peut-être même un classique aurait-il trouvé dans cette inspiration qui vient après l’encouragement une progression ascendante, comme ils disent, je crois. Pour moi, qui, si j’étais quelque chose, ne serait bien sûr pas classique, je n’aime pas les ascensions de ce genre, et je prie M. de la Gournerie de se contenter d’être inspiré et de ne pas parler de ses encouragements.

Un petit poème aussi remarquable que le sien méritait nos éloges, il les a obtenus. La Commission croit devoir demander le dépôt aux archives; et quant au rapporteur, s’il a quelque chose à souhaiter au poète, c’est la réalisation de son gentil projet, lorsqu’il dit:

Je veux dans cet ancien séjour,

A l’ombre de la grande tour

M’établir joyeux et tranquille,

Et vous, vous viendrez quelquefois

Conduisant de blancs palefrois

Visiter mon charmant asile.

Bien sûr, si la chose a jamais lieu, je serai du nombre des visiteurs.

Séverin Lubiensky|J. d'Ortigues.
Notes et post-scriptum