[Comptes-rendus d’ouvrages à la Société des Bonnes Etudes]

Informations générales
  • TD49.095
  • [Comptes-rendus d'ouvrages à la Société des Bonnes Etudes]
  • Rapport sur le travail de Mr Lafaulotte, qui a pour titre: Quelques considérations sur l'affranchissement de la Hollande. Commission composée de MMr de Brézé, Bonnetty et d'Alzon rapporteur.
  • Orig.ms. CU 122; T.D. 49, pp. 95-100.
Informations détaillées
  • 1 AFFRANCHISSEMENT SPIRITUEL
    1 BELGES
    1 CALOMNIE
    1 CAUSE DE L'EGLISE
    1 CHRISTIANISME
    1 CLASSES SOCIALES
    1 DESIR
    1 DOCTRINE CATHOLIQUE
    1 DROITS DE L'HOMME
    1 ENSEIGNEMENT DE L'HISTOIRE
    1 GRANDEUR MORALE
    1 GUERRE
    1 HOLLANDAIS
    1 LIBERTE
    1 MENEURS
    1 ORGUEIL
    1 PAIX
    1 PEUPLES DU MONDE
    1 POLITIQUE
    1 PROTESTANTISME ADVERSAIRE
    1 REVOLUTION
    1 REVOLUTIONNAIRES ADVERSAIRES
    2 ALZON, EMMANUEL D'
    2 BONNETTY, AUGUSTIN
    2 DREUX-BREZE, PIERRE-SIMON DE
    2 GRANVELLE, ANTOINE DE
    2 LAFAULOTTE
    2 LOUIS XIV
    2 PHILIPPE II, D'ESPAGNE
    3 ANGLETERRE
    3 BELGIQUE
    3 ESPAGNE
    3 EUROPE
    3 FRANCE
    3 HOLLANDE
  • 1829-1830
  • Paris
La lettre

Messieurs,

Rien de plus commun dans l’étude des sociétés que ces problèmes généraux, à la solution desquels se rattachent les plus importantes questions. Ainsi à l’aspect de ces grands événements qui marquent de tant de manières la marche des peuples, si l’esprit de l’homme demande quel nom général leur a été donné, j’entends l’histoire répondre: ce sont des révolutions. Mais parce que ce mot s’appliquant à un grand nombre de faits différents entre eux entraîne avec lui un vague inévitable, l’esprit que l’incertitude fatigue cherche à creuser plus avant et demande: Qu’est-ce qu’une révolution?

Une révolution, si j’ai bien saisi le sens de ce mot, est un changement opéré dans la vie d’un ou plusieurs états soit pour le bien, soit pour le mal. Par elle-même une révolution n’est ni bonne ni mauvaise, mais parce que dans toute révolution il y a un but, ne fût-ce que celui de renverser l’ancien état des choses, sans connaître le résultat auquel on doit parvenir, et que pour l’opérer on se sert de moyens légitimes ou non, il est clair que toutes les fois que l’on voudra faire l’application des principes généraux à un de ces événements on pourra sans peine aucune en porter un jugement certain.

Le but est-il bon? Les moyens sont-ils légitimes? la révolution s’opèrera sans aucune commotion violente; le principe étant essentiellement saint, loin d’ébranler l’état, lui donnera une nouvelle force.

Je ne connais pas d’exemple de révolutions qui s’appuyant sur des bases fausses, soient parvenues à leur terme sans quelque catastrophe. Si leur principe est mauvais, par conséquent nécessairement anarchique, pourront-elles parvenir à d’autre fin qu’à la dissolution, la rupture des liens sociaux, c’est-à-dire la mort de l’ancien état de chose, pour en reproduire un nouveau nécessairement inférieur à celui qui l’avait précédé, à moins – ce qui s’est vu plus d’une fois, – qu’un peuple puissant, qu’un peuple nouveau ne fasse disparaître de la scène du monde celui qui avait méconnu ses devoirs et abusé de ses droits.

Je voulais, à l’appui de ce que j’avance, citer des exemples des deux genres de révolutions dont je vous ai parlé; mais il est des circonstances où les souvenirs sont trop récents, l’application trop présente à la pensée, pour que l’esprit souffre qu’on lui indique ce qu’il avait déjà deviné.

Vous avez vu que les révolutions peuvent se considérer selon le but qu’elles se proposent. Mais il faut avancer et les considérer dans le sens restreint qu’on donne plus habituellement au terme qui les exprime, c’est-à-dire comme un soulèvement contre l’autorité établie: vous leur trouverez encore deux distinctions bien marquées.

Les révolutions qui depuis trois siècles ont agité l’Europe présentent un caractère que l’on chercherait vainement dans les révolutions des peuples anciens.

Autrefois, tant que le tyran n’égorgeait pas le peuple comme un troupeau d’esclaves, tant que la populace avait le pain et les jeux du cirque et que les nobles jouissaient en paix de leurs richesses, de leurs plaisirs, et de leurs honneurs, on voyait rarement une nation se lever pour briser un joug trop accablant.

Si quelquefois un tribun ambitieux venait proposer d’abolir toute distinction sociale, demandait-il l’anéantissement des privilèges? Non; mais une loi agraire, une chaise d’ivoire était la distinction dans certaines dignités du plébéien et du patricien, en un mot tous les avantages d’une classe sur l’autre étaient exprimés par une distinction toute matérielle, quand ils ne se bornaient pas à cette distinction.

De nos jours, au contraire, les proscriptions, le poids des impôts, la disproportion des richesses ont été, si l’on y fait attention, peut-être un prétexte, mais jamais la véritable cause des bouleversements politiques. Quelque chose de plus noble était offert pour but aux rebelles. Ce n’était point l’affranchissement du corps que l’on demandait, c’était celui des esprits. On a vu des révolutions dans les intelligences; et les hommes, sans s’inquiéter si les taxes seraient plus onéreuses, si le bourreau aurait plus de victimes, ont consenti à tout, pourvu qu’on leur accordât ce qu’ils appelaient la liberté. Sans doute autrefois, comme de nos jours, les hommes se sont déchirés au nom du droit sacré qui certes ne se fortifie pas dans le sang; mais, qu’on y prenne garde, ce qu’ils entendaient par ce mot a eu deux sens bien opposés.

Alors la liberté représentait l’affranchissement de toute obligation physique; de nos jours, c’est l’affranchissement de tout devoir intellectuel.

Cette différence incalculable entre la fin diverse que se proposaient certains peuples, lorsqu’ils demandaient à être libres, surprend d’abord; mais lorsqu’on jette les yeux sur la position des uns et des autres, on n’en est plus étonné. Et comment s’étonnerait-on, quand on considère combien le christianisme a fait grandir l’esprit de l’homme? Ses dogmes, sa morale en développant les dogmes, la morale des anciens, étaient comme le fruit précieux d’un germe longtemps stérile. Aussi à peine les peuples l’eurent-ils goûté, ce fruit, que portant les regards sur eux, ils s’étonnèrent de voir dans leur être comme un être nouveau.

Connaissant la grandeur de la plus noble partie d’eux-mêmes par le prix qu’ils l’avaient rachetée, ils furent jaloux de la conserver intacte, et dès lors tout ce qui parut y porter atteinte dut être pour eux l’objet de leurs attaques. Ces attaques le christianisme leur en avait donné l’exemple; il leur avait enseigné à vaincre leurs ennemis en s’offrant à leurs glaives, et ce fut à force de ces combats et de ces victoires inconnues jusques alors qu’une religion divine s’empara de la domination universelle.

Toutefois l’homme pour s’être relevé à son ancienne place n’était pas exempt de chute, et l’expérience ne le sauva pas de l’orgueil. On conçoit pourtant que n’étant une seconde fois [déchu ?] de sa grandeur que pour avoir voulu trop l’accroître, elle dut être le prétexte de sa révolte partout où il la crut blessée.

De là ce caractère que j’ai signalé plus haut, cet attachement à ses prérogatives morales. Il ne voyait rien de plus noble en lui que son intelligence, il ne combattit plus que pour la défendre. De là encore cet attachement au principe religieux dans les premières révolutions, produites par la Réforme. En se révoltant pour défendre leurs droits, les hommes voulaient défendre en même temps cette religion qui les leur avait révélés.

Mais qu’on y prenne garde, le christianisme n’avait point fait l’homme si grand que les rebelles du 19e siècle l’ont prétendu. Il ne lui avait surtout point enseigné à soutenir la liberté par la révolte; l’orgueil seul put lui inspirer de prétendre à une indépendance impossible, au mépris de toutes les lois. Et si l’on veut sonder les motifs des guerres de la Réforme, qu’on n’en accuse pas une religion qui ordonnait de pardonner à ses bourreaux. En cherchant les causes de ce caractère distinctif des révolutions modernes, nous avons trouvé les causes de ces révolutions elle-mêmes: même sous l’apparence de la religion, on y découvre un principe éminemment faux, principe d’orgueil qui devait conduire à des conséquences funestes.

Ici mes observations doivent faire place à celles de Mr Lafaulotte; il s’est chargé d’examiner ces révolutions, fruits du ferment de révolte qu’un moine apostat avait jeté dans le monde.

Ce n’est pas à nous à revenir sur une matière si bien traitée déjà, et notre tâche se borne à juger le travail qu’on nous a confié, d’après les idées que nous avons essayé de nous former des révolutions. Et d’abord nous sommes heureux de reconnaître une conformité presqu’entière d’opinions entre Mr Lafaulotte et nous.

Le tableau qu’il trace de la nature de la Réforme est à la fois exact et énergique, mais il ne fait pas assez sentir quelles raisons ont pu déterminer les Belges à embrasser les opinions nouvelles avec une telle fureur.

Je ne les trouve pas seulement, je l’avoue, dans la haine de l’Espagne et de l’Inquisition. Le caractère des Hollandais et leurs moeurs, et ici je prends cette expression dans son sens le plus étendu, semblaient avoir préparé un sol fertile à la semence qui y germa si promptement.

Remercions l’auteur de nous avoir fait connaître les principaux chefs de la révolte. Cependant peut-être désirerait-on quelque chose de plus dans le caractère du prince d’Orange. Encore une observation. Pourquoi ne pas mettre en présence les héros des deux partis? pourquoi ne rien dire de la régente qui s’attire l’affection des peuples? de ce Granvelle peint différemment par les deux partis? Pourquoi se taire surtout sur ce Philippe II, caractère ombrageux et despote, quoique doué de génie? Ces tableaux entièrement omis eussent pourtant, je crois, beaucoup intéressé, ne fût-ce que par le contraste qu’ils offraient. Si nous passons si rapidement sur plusieurs pages, c’est que nous n’avons que des éloges à donner, et vous devez juger par la sévérité de nos critiques qu’il est infiniment à regretter que l’étendue du travail ne nous permette pas de le reproduire une seconde fois sous vos yeux.

Je terminerai par quelques remarques sur la dernière partie. L’auteur en montrant l’Angleterre et la France donnant pour ainsi dire la main à la Hollande, pour l’aider à s’élever à une existence indépendante, observe que la France et la Belgique étaient liées par leur haine contre l’Espagne. L’Espagne, s’écrie-t-il, n’était-elle pas venue secourir des sujets rebelles, contre le meilleur des rois? Les causes de cette union sont très justes. Je ne viens pas les lui disputer, mais je pense qu’il a soulevé comme en passant une question qui certes est loin de réunir tous les avis.

Les Ligueurs étaient-ils rebelles ou non? L’auteur eût dû ou ne point en parler, ou motiver son opinion dans une phrase ou deux; alors la commission eût pû décider si on devait la combattre; indiquée seulement, nous nous bornerons à la signaler à votre attention.

Le travail de Mr Lafaulotte est terminé par un tableau de la grandeur belge. Ce tableau est-il toujours exact? Je ne le pense pas. L’on voit avec peine l’auteur attribuer à la Hollande les défaites de Louis XIV. Sans doute elle fournit de l’or pour payer les armées combinées, mais que l’insolence avec laquelle elle repousse les propositions du monarque vaincu, soit la marque d’une vraie grandeur ou d’une habile politique; non, certes. Ce n’est que l’imprudente vanité d’ennemis qui ne savent pas vaincre.

Le style de Mr Lafaulotte est pur et noble à la fois; toutefois je ne crois pas que le style adopté par lui convienne parfaitement à ce genre d’histoire. Quand on ne se propose que de juger les hommes et les peuples, il faut un peu plus de sévérité et moins d’enthousiasme; l’enthousiasme alors ferait craindre la passion. Ce n’est ici après tout qu’une mauvaise querelle, un discours n’est pas un ouvrage divisé par chapitres, et la commission en remerciant Mr Lafaulotte du travail qu’il a donné, demande pour ce travail la mention honorable.

P. de Dreux-Brézé.|Bonnetty.
Notes et post-scriptum